Le Requérant est Pomona, France, représenté par Clairmont Avocats., France.
Le Défendeur est Nom Anonymisé1, France et Mokobe Colo, France.
Le nom de domaine litigieux <groupe-pomona-eu.com> est enregistré auprès de Gandi SAS.
Le nom de domaine litigieux <groupe-pomona-fr.com> est enregistré auprès de NameCheap, Inc.
Une plainte a été déposée en anglais par Pomona auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 9 décembre 2020. En date du 9 décembre 2020, le Centre a adressé une requête aux l’Unités d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 9 et le 10 décembre 2020, les Unités d’enregistrement ont transmis leur vérification au Centre révélant l’identité du titulaire des noms de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 22 décembre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire des noms de domaine litigieux telles que communiquées par les Unités d’enregistrement et invitant le Requérant à modifier la plainte en ajoutant les titulaires divulgués par les Unités d’enregistrement en tant que défendeurs officiels et fournir des arguments ou preuves pertinents démontrant que tous les défendeurs nommés sont, en fait, la même entité et / ou que tous les noms de domaine sont sous contrôle commun; et / ou déposer une plainte distincte pour tout nom de domaine pour lequel il n’est pas possible de démontrer que tous les défendeurs nommés sont en fait la même entité et / ou que tous les noms de domaine sont sous contrôle commun et indiquez (par un bref amendement ou un e-mail de réponse) le(s) nom(s) de domaine qui ne sera/seront plus inclus dans la plainte actuelle.
Le Requérant a déposé une plainte amendée en anglais le 23 décembre 2020, en excluant le nom de domaine <groupes-pomona-fr.com>, qui faisait partie de la plainte originale.
Les Unités d’enregistrement ont aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux <groupe-pomona-eu.com> est le français et la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux <groupe-pomona-fr.com> est l’anglais. Le 5 janvier 2021, la plainte ayant été déposée en anglais, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en français, ou une demande afin que l’anglais soit la langue de la procédure. Le Requérant a déposé une plainte traduite en français le 6 janvier 2021. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations.
Le 8 janvier 2021, le Requérant a confirmé que les plaintes amendées en français et en anglais étaient identiques.
Le 18 janvier 2021, le Requérant a envoyé une annexe manquante qui avait été demandée par le Centre le même jour.
Le 18 janvier 2021, le Centre a noté qu’il semble qu’il y avait prima facie des arguments suffisants pour justifier l’acceptation de la plainte aux fins de la décision définitive de la commission administrative concernant la demande de consolidation des défendeurs.
Le Centre a vérifié que la plainte et les plaintes amendées répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 20 janvier 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en français et en anglais. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 9 février 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 11 février 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 2 mars 2021, le Centre nommait Benjamin Fontaine comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est Pomona, grossiste alimentaire français historique, dont les activités ont débuté depuis plus d’un siècle. Le Requérant fournit les professionnels des métiers de bouche dans tous les secteurs alimentaires : produits d’épicerie, produits de produits de la mer, produits carnés, fruits et légumes, betteraves, etc. Il offre également ses services en Suisse et en Espagne.
Le Requérant invoque notamment les marques suivantes à l’appui de sa Plainte :
- Marque française dénominative POMONA No. 1477470 dont les droits remontent au moins à 1878;
- Marque internationale dénominative POMONA No. 352662 enregistrée le 20 décembre 1968;
- Marque française semi-figurative GROUPE POMONA No. 3909797 enregistrée le 10 août 2012.
Le Requérant est également titulaire du nom de domaine <groupe-pomona.fr>, exploité dans le cadre de ses activités.
Les noms de domaine litigieux <groupe-pomona-fr.com> et <groupe-pomona-eu.com> ont été enregistrés les 6 et 23 novembre 2020, respectivement. Plusieurs adresses email a été configurées sur le nom de domaine litigieux <groupe-pomona-fr.com>. Celles-ci ont été utilisées dans le cadre de tentatives élaborées d’hameçonnage. Le Défendeur a en effet contacté des fournisseurs potentiels du Requérant, entre novembre et décembre 2020, en usurpant sa marque et l’identité de son directeur financier, pour tenter de passer commande de produits alimentaires.
Ainsi par exemple, le Requérant a été alerté par l’un de ses contacts commerciaux basé en Espagne, estimant avoir reçu une commande suspicieuse envoyée par email le 15 décembre 2020 et comprenant la signature du directeur financier du Requérant et ses coordonnées complètes. Était même joint à cet email un devis du fournisseur prétendument “accepté” par le Requérant, avec un tampon “Groupe Pomona” et une signature.
Les deux noms de domaine dirigent vers des sites Internet inactifs.
Ces agissements, potentiellement délictueux, ont fait l’objet d’un dépôt de plainte par le Requérant auprès de la police française, le 1er décembre 2020. Parallèlement, le Requérant a saisi le Centre afin de solliciter le transfert à son profit des noms de domaine litigieux.
Les arguments exposés par le Requérant peuvent être résumés comme suit :
A titre liminaire, le Requérant sollicite la consolidation de la plainte, au motif que les noms de domaine litigieux seraient en réalité détenus et contrôlés par une même personne. A cet égard, il indique notamment que les adresses mentionnées dans les deux enregistrements n’existent pas, que le nom de l’un des titulaires correspond à celui de son directeur financier, et que les adresses email renseignées sont identiques.
Il existe une similitude prêtant à confusion entre les marques POMONA, GROUPE POMONA et les noms de domaine litigieux. Le Requérant souligne notamment que “Les noms de domaine litigieux sont quasi-identiques à la marque GROUPE POMONA, les seules différences sont que (…) “-fr” ou “-eu” sont ajoutés, ce qui crée une confusion avec l’extension “.fr” du nom de domaine du Requérant. ”
Le Requérant exclut que le Défendeur puisse avoir le moindre droit ou intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux. Il précise à cet égard qu’il n’a pas accordé de licence ou autre autorisation au Défendeur pour l’exploitation de ses marques, que ce dernier n’est pas connu sous le nom “Pomona”, et qu’en tout état de cause ses activités frauduleuses ne peuvent être assimilées à une utilisation de bonne foi.
Enfin, le Requérant centre son analyse de l’enregistrement et de l’exploitation de mauvaise foi des noms de domaine litigieux sur la création d’adresses emails, [...]@groupe-pomona-fr.com, pour usurper l’identité du Requérant auprès de partenaires commerciaux.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Avant d’examiner le bien-fondé de la Plainte, il appartient à la Commission Administrative d’analyser trois questions de procédure, portant sur la langue de la décision, la demande de consolidation formulée par le Requérant, et l’impact de la plainte pénale déposée par ses soins.
1. Questions préliminaires : langue de la procédure, consolidation, instance judiciaire parallèle
Comme il a été indiqué au point 3 ci-dessus, la langue du contrat d’enregistrement des deux noms de domaine litigieux est distincte. Il s’agit du français pour le nom de domaine litigieux <groupe-pomona-eu.com>, et de l’anglais pour le nom de domaine litigieux <groupe-pomona-fr.com>. Le Requérant a déposé sa plainte en anglais puis, alerté par le Centre de cette circonstance, a fourni une traduction en français. Il n’a toutefois pas exprimé de préférence sur la langue de la procédure et de la décision.
On rappellera que, conformément aux disposition du paragraphe 11(a) des Règles d’application, « Sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d'enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu'il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative ». Par ailleurs, le paragraphe 10(a) des Règles d’application dispose que « La commission conduit la procédure administrative de la façon qu’elle juge appropriée, conformément aux principes directeurs et aux présentes règles ».
En l’espèce, le Requérant n’ayant pas exprimé de préférence, et le Défendeur n’ayant nullement répondu à la Plainte, la Commission Administrative estime qu’il est équitable et approprié de désigner le français comme langue de procédure. Il s’agit en effet de la langue du pays où les parties sont domiciliées, et de la langue dans laquelle la plupart des pièces versées aux dossier sont disponibles.
Il a également été rappelé dans les développements relatifs à la procédure que les noms de domaine litigieux ont été réservés par des individus ayant des noms et des domiciles distincts. Le Requérant estime toutefois que la même personne a réservé et utilisé ces noms de domaine, et a donc sollicité la consolidation de la Plainte.
Le paragraphe 10(e) des Règles d’application dispose que « La commission statue conformément aux principes directeurs et aux présentes règles sur toute demande de jonction de procédures présentée par une partie en cas de litiges multiples portant sur des noms de domaine ». Voir également la section 4.11 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0 sur les critères que les commissions administratives prennent en compte pour se prononcer sur la consolidation. En l’espèce, la demande de consolidation est justifiée et doit être approuvée, eu égard aux circonstances suivantes :
- L’identité du titulaire d’un des noms de domaine correspond en fait au nom d’un employé du Requérant, qui y exerce des fonctions dirigeantes. Son identité a été usurpée, pratiquement à l’identique (avec substitution d’une seule lettre);
- Les adresses postales renseignées pour les deux noms de domaine sont toutes deux fausses. Elles correspondent à des rues de Paris qui n’existent pas. Mais elles ont été structurées selon le même modèle dans les deux cas;
- les noms de domaine ont été enregistrés à des dates proches, et sont configurés selon le même modèle. Seules les déclinaisons géographiques “eu” et “fr” changent;
- Dans les deux enregistrements, un terme commun figure, “MOKOBE”, à titre de “titulaire” dans un cas, et à titre d’ “organisation” dans l’autre. Ceci ne peut pas être une coïncidence;
- Enfin, l’adresse email renseignée dans les deux enregistrements est la même. Il s’agit bien entendu d’un élément décisif.
Il est indiqué au paragraphe 18(a) des Règles d’application qu’ “Lorsqu’une procédure judiciaire a été engagée avant ou pendant la procédure administrative concernant le litige portant sur le nom de domaine qui fait l’objet de la plainte, il appartient à la commission de décider de suspendre ou de clore la procédure, ou de la poursuivre et de rendre sa décision. ”
Le dépôt d’une plainte pénale en France par le Requérant demeure sans conséquence sur la présente procédure UDRP, principalement au motif qu’elle concerne les faits potentiellement délictueux qui y sont décrits, mais ne porte pas directement sur les noms de domaine litigieux et leur titularité. Par ailleurs, il convient de respecter les choix opérés par le Requérant, qui entend manifestement conduire les deux procédures parallèlement et obtenir rapidement le transfert des noms de domaine afin de mettre un terme aux activités du Défendeur.
2. Examen au fond
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :
- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits,
- Le Défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache,
- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.
La Commission administrative examine ci-après le bien-fondé de l’argumentation des parties sur ces trois points.
Il existe indiscutablement une similitude prêtant à confusion entre les noms de domaine <groupe-pomona-eu.com>, <groupe-pomona-fr.com>, et les marques POMONA et GROUPE POMONA du Requérant.
A cet égard, il suffit de relever que le terme arbitraire “pomona” est repris à l’identique au sein de ces noms de domaine. Il y est nettement perceptible, puisque séparé des autres éléments qui les composent par des tirets. De plus, l’ajout des déclinaisons géographiques “eu” et “fr” ne permet pas d’écarter le risque de confusion.
La première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est donc remplie.
Comme il est habituel dans la mise en œuvre des Principes directeurs, il appartient au Défendeur d’invoquer dans sa réponse ses éventuels droits ou intérêts légitimes sur les noms de domaine litigieux, une fois que le Requérant a contesté leur existence. Cette dernière s’étant abstenue de répondre à la Plainte, et à défaut d’éléments au dossier pouvant contredire l’argumentaire du Requérant, la Commission administrative ne peut que confirmer que le Défendeur ne peut invoquer en l’espèce de droits ou d’intérêts légitimes sur les noms de domaine <groupe-pomona-eu.com> et <groupe-pomona-fr.com>.
La seconde condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est donc également remplie.
Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi :
i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,
ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique,
iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent, ou
iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
En application des Principes directeurs, le Requérant ne peut obtenir gain de cause qu’à la double condition d’établir que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi, et est utilisé de mauvaise foi.
Concernant d’une part le nom de domaine litigieux <groupe-pomona-fr.com>, l’enregistrement et l’utilisation de mauvaise foi sont patents. Le Défendeur a enregistré et utilisé ce nom de domaine litigieux afin de configurer des emails dans le cadre de tentatives d’escroquerie usurpant l’identité du Requérant et de l’un de ses dirigeants. C’est la technique frauduleuse de l’hameçonnage.
Concernant d’autre part le nom de domaine litigieux <groupe-pomona-eu.com>, il n’est apparemment pas établi qu’il ait fait l’objet d’un usage similaire, ou simplement que des adresses emails y aient été configurés. Et le Requérant n’a pas développé d’argumentaire spécifique à son égard. La Commission administrative estime toutefois qu’il y a lieu de considérer que ce nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé, à tout le moins passivement, de mauvaise foi. Il est déjà acquis que le Défendeur, qui a caché sa véritable identité et ses coordonnées, est animé d’une intention malhonnête. La Commission administrative ne peut pas entrevoir que ce second nom de domaine litigieux, configuré pareillement et enregistré à une date très proche, puisse être voué à un usage distinct du premier. Enfin, l’adage fraus omnia corrumpit trouve ici un terrain d’application propice : les intentions malhonnêtes du Défendeur ne sauraient être constatées que vis à vis du seul nom de domaine litigieux pour lequel l’usage de mauvaise foi a été argumenté et prouvé.
Aussi, la troisième et dernière condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est satisfaite, ce qui implique que le Requérant est bien fondé à solliciter le transfert des noms de domaine litigieux à son profit.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <groupe-pomona-eu.com> et <groupe-pomona-fr.com> soient transférés au Requérant.
Benjamin Fontaine
Expert Unique
Le 16 mars 2021