Le Requérant est la Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM), France, représenté par MEYER & Partenaires, France.
Le Défendeur est ANDRE PELISSIER, France.
Le nom de domaine litigieux <targo-bk.com> est enregistré auprès de Hosting Concepts B.V. dont l’enseigne est Registrar.eu. (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par la Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM) auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 30 juin 2021. En date du 30 juin 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 1er juillet 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 1er juillet 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 2 juillet 2021.
L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d'enregistrement du nom de domaine litigieux est l'anglais. Le 1er juillet 2021, la plainte ayant été déposée en français, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d'un accord entre les Parties, la plainte traduite en anglais, ou une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Requérant a déposé une demande afin que le français soit la langue de la procédure le 2 juillet 2021. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 13 juillet 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en français et anglais. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 2 août 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 6 août 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 24 août 2021, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est la société de portefeuille, immatriculée en France, du groupe bancaire Crédit Mutuel Alliance Fédérale, qui agit en tant que trésorerie centrale du groupe et exerce des activités de capital et de marché monétaire pour le compte du groupe et de ses nombreuses filiales, dont la société allemande Targo Bank AG & Co. KGaA.
Targo Bank AG & Co. KGaA, dont le siège est à Düsseldorf, dispose de 337 points de vente dans 253 villes en Allemagne, sert 3,7 millions de clients auxquels elle offre un accès en ligne à leur propre compte et est un leader dans le domaine du crédit à la consommation et l’un des plus grands émetteurs de cartes de crédit en Allemagne. Cette filiale est en outre active en Espagne où elle dispose dans tout le pays d’un réseau étendu.
Le Requérant est le titulaire de plusieurs marques portant sur la dénomination TARGO BANK, dont la marque verbale internationale No. 1013173 enregistrée le 22 juillet 2009, et la marque figurative de l’Union européenne No. 008285579 enregistrée le 1er février 2010 (ci-après ensemble désignées “la Marque”).
Une autre filiale du groupe du Requérant, la société Euro-Information, est titulaire de nombreux noms de domaine portant sur le sigle “targobank”, dont <targobank.com> enregistré le 26 janvier 2009.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré en date du 30 mai 2021 par le Défendeur, dont l’adresse renseignée est située en France.
Au moment du dépôt de la plainte, le nom de domaine litigieux pointait vers une page inactive.
A la date à laquelle la présente décision est rendue, le nom de domaine litigieux ne renvoie pas vers un site actif.
(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque.
(ii) Le nom de domaine litigieux contient la Marque.
(iii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit des Internautes en laissant croire que le nom de domaine litigieux est lié au Requérant ou à la filiale allemande Targo Bank AG & Co. KGaA.
(iv) Le Défendeur n’a jamais été affilié au Requérant ni autorisé par lui à utiliser la Marque à quelque titre que ce soit. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l’utilise de mauvaise foi. Des serveurs MX ont été configurés, à partir desquels des e-mails d’hameçonnage ont été envoyés.
(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
L’Unité d’enregistrement a indiqué que le contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était en langue anglaise. En ce qui concerne la langue de la procédure, le Requérant a demandé que la langue de la procédure soit le français, compte tenu des circonstances de l’espèce et en particulier du fait qu’un e-mail d’hameçonnage créé à l’aide du nom de domaine litigieux et sa pièce jointe étaient rédigés en français, ce qui laisse présumer d’une compréhension suffisante de la langue française par le Défendeur, lequel est domicilié en France.
Il appartient donc à la Commission administrative de se prononcer sur la langue de la procédure. Le Défendeur ne s’est pas opposé à cette demande. La Commission administrative, estimant que choisir une autre langue de procédure générerait des frais de traduction et des délais, que le Défendeur ne s’est pas opposé à ce que la langue de la procédure soit le français, et faisant application des dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application et de son pouvoir d’appréciation, décide que le français sera la langue de la procédure.
Il est rappelé que la Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que la commission administrative statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.
Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).
En conséquence, la Commission administrative s’est attachée à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si le nom de domaine litigieux était identique ou similaire et prêtant à confusion avec la marque du Requérant, si le Défendeur pouvait justifier d’un droit ou d’un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, et si l’enregistrement et l’utilisation de ce nom de domaine litigieux étaient de mauvaise foi.
Selon le paragraphe 14(b) des Règles d’application, la Commission administrative a le pouvoir de tirer du défaut du Défendeur toutes conclusions qu’elle juge appropriées.
Au cas présent, la Commission administrative constate que le Défendeur n’a réfuté aucun des faits allégués par le Requérant.
En particulier, le Défendeur, par son défaut, n’a fourni à la Commission administrative aucun des éléments prévus par les paragraphes 4(b) et (c) des Principes directeurs qui lui aurait permis de conclure que le Défendeur jouit de droits ou justifie d’intérêts légitimes concernant le nom de domaine litigieux, ou qu’il a agi de bonne foi en enregistrant et utilisant le nom de domaine litigieux.
Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit se contenter de constater si le droit de marque du Requérant existe ou non.
Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative constate que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la Marque.
Reste alors la question de la comparaison entre la Marque d’une part et le nom de domaine litigieux d’autre part. Or les seules différences entre eux sont l’abréviation de l’élément “bank” en “bk” (avec l’ajout d’un tiret entre “targo” et “bk”), le tout suivi de l’extension “.com”. Ces différences ne permettent pas de distinguer le nom de domaine litigieux de la Marque, dont l’élément distinctif “targo” est intégralement reproduit et reste reconnaissable.
Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que “.com”), nécessaires pour leur enregistrement, sont généralement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions UDRP déjà rendues (voir section 1.11 de la Synthèse des avis des commissions administratives sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition, (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”).
La Commission administrative estime donc que le public en général et les Internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., Banque Fédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).
Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.
Il est généralement admis que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d’un requérant. Lorsqu’un requérant a allégué le fait que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d’établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (voir section 2.1 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0).
Aucun élément du dossier ne révèle qu’avant la naissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou qu’il ait fait des préparatifs sérieux à cet effet.
Le Défendeur ayant délibérément dissimulé son identité, aucun intérêt légitime relatif au nom de domaine litigieux n’est manifeste de sa part.
Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.
Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu’il ferait un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux.
En outre, les commissions administratives UDRP ont constaté que les noms de domaine identiques à la marque du Requérant peuvent comporter un risque élevé d'affiliation implicite. En effet en l’espèce, le nom de domaine contenant l’abréviation de “bank” en “bk” et l’élément “targo” est quasi identique à la Marque, et les Internautes pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant. Voir la section 2.5.1 de la Synthèse de l’OMPI 3.0.
Dans ces conditions, la Commission administrative est d’avis que le Défendeur n’ayant pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, l’exigence du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.
En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la bonne foi du Défendeur lors de l’enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier.
La Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine d’une marque notoire ne peut être le fruit d’une simple coïncidence, le caractère notoire de la Marque ayant déjà été reconnu par plusieurs décisions rendues sous les Principes directeurs (voir par exemple Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. Tomislav Kvesic, Litige OMPI No. D2010-2286 et Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. Janice Liburd / Moniker Privacy Services, Litige OMPI No. D2011-0559).
De plus, la Commission administrative estime que le Défendeur a effectué cette réservation dans le but manifeste de se faire passer pour le Requérant en configurant des serveurs MX ayant été utilisés à des fins frauduleuses. Au cas présent, le nom de domaine a été utilisé en tant qu’adresses de courrier électronique pour envoyer des courriers électroniques destinés à démarcher des individus en leur proposant des services bancaires et financiers prétendument estampillés de la Marque. Plusieurs décisions UDRP déjà rendues ont établi que l’activation de serveurs MX par le défendeur afin de créer des adresses e-mail pouvant servir à des fins frauduleuses d’hameçonnage était susceptible, dans certaines circonstances, de constituer un indice de sa mauvaise foi (voir Robertet SA v. Marie Claude Holler, Litige OMPI No. D2018-1878 et section 3.4 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0).
Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu’improbable qu’au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque et a par conséquent enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Par ailleurs, la simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison, peut être constitutive d’une utilisation de mauvaise foi.
Il est établi que le nom de domaine litigieux dirigeait vers une page inactive. Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, supra; Christian Dior Couture SA c. Liage International Inc., Litige OMPI No. D2000-0098; ACCOR c. S1A, Litige OMPI No. D2004-0053et Westdev Limited c. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903).
En outre, l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter, en certaines circonstances, du fait que son usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.
De surcroît, nombre de décisions UDRP déjà rendues ont établi que la dissimulation délibérée d’une identité et de contact d’information peut dans certaines circonstances être indicative de mauvaise foi (voir TTT Moneycorp Limited c. Diverse Communications, Litige OMPI No. D2001-0725, et Schering Corporation c. Name Redacted, Litige OMPI No. D2012-0729).
La Commission administrative note également que bien que recourir à une société de service d’anonymisation pour cacher l’identité d’un titulaire d’enregistrement ne permet pas en soi de conclure à un enregistrement et un usage de mauvaise foi (voirTrinity Mirror Plc and MGN Ltd. c. Piranha Holdings, Litige OMPI No. D2008-0004), le fait que le Défendeur ait eu recours à un tel service a empêché le Requérant de le contacter.
Enfin, certaines commissions administratives UDRP ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre notamment les dispositions du paragraphe 2 des Principes UDRP, qui dispose que : “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que … b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie …”, peut être constitutif de mauvaise foi.
La Commission administrative conclut qu’en détenant passivement le nom de domaine litigieux tout en activant des serveurs MX à partir desquels des e-mails d’hameçonnage ont été envoyés, et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à un enregistrement et une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.
Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <targo-bk.com> soit transféré au Requérant.
Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 27 août 2021