Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Bouygues contre Ange Rita Pasquini
Litige No. D2021-3994
1. Les parties
Le Requérant est Bouygues, France, représenté par Nameshield, France.
Le Défendeur est Ange Rita Pasquini, Pays-Bas.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux <fr-bouyguesconstructions.com> est enregistré auprès de Infomaniak Network SA (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte en anglais a été déposée par Bouygues auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 30 novembre 2021. En date du 30 novembre 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 16 décembre 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 17 décembre 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant en indiquant que la langue du contrat d’enregistrement est le français. Le 20 décembre 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Requérant a déposé un amendement à la plainte traduite et amendée le 20 décembre 2021.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 27 décembre 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 16 janvier 2022. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 17 janvier 2022, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 24 janvier 2022, le Centre nommait Edoardo Fano comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Après avoir vérifié le dossier de communications fourni par le Centre, la Commission administrative considère que le Centre a satisfait à son obligation d’informer le Défendeur de la plainte en utilisant “tous les moyens raisonnablement disponibles afin d’en notifier le Défendeur de façon effective”, conformément au paragraphe 2(a) des Règles d’application. Par conséquent la Commission administrative va rendre sa décision en se fondant sur la plainte, sur les Principes directeurs, sur les Règles d’application et sur les Règles supplémentaires, sans bénéficier d’une réponse du Défendeur.
La langue de la procédure est le français, étant la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux, conformément aux dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant est Bouygues, un groupe industriel français opérant dans les domaines de la construction, des télécommunications et des média, titulaire de plusieurs enregistrements pour les marques BOUYGUES et BOUYGUES CONSTRUCTION, parmi lesquels :
- marque verbale Internationale BOUYGUES No. 390770, enregistrée le 1er septembre 1972;
- marque figurative Internationale BOUYGUES No. 390771, enregistrée le 1er septembre 1972;
- marque verbale Internationale BOUYGUES No. 949188, enregistrée le 27 septembre 2007;
- marque verbale Internationale BOUYGUES CONSTRUCTION No. 732339, enregistrée le 14 avril 2000.
L’activité du Requérant dans le domaine de la construction, par l’intermédiaire de sa filiale Bouygues Construction, se développe aussi sur Internet à travers plusieurs noms de domaine qui contiennent la marque BOUYGUES CONSTRUCTION, parmi lesquels <bouygues-construction.com>.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 11 août 2021. Au moment de la Décision, le nom de domaine litigieux pointe vers un site inactif. Le 2 novembre 2021, le nom de domaine litigieux a été utilisé dans le cadre d’une escroquerie par email.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant expose que le nom de domaine litigieux est similaire à sa marque BOUYGUES CONSTRUCTION puisqu’il reproduit entièrement la marque BOUYGUES CONSTRUCTION, la seule différence étant l’adjonction de l’abréviation « fr » (signifiant France), d’un tiret et de la lettre « s ».
Le Requérant soutient ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, étant donné que le Requérant n’a pas autorisé le Défendeur à utiliser sa marque pour l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux et qu’il n’y a aucune relation entre le Requérant et le Défendeur.
Enfin, le Requérant expose que le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi, puisque la marque BOUYGUES CONSTRUCTION du Requérant est notoire et le Requérant soutient que le Défendeur avait connaissance de la marque du Requérant au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. De plus, le Défendeur a tenté de se faire passer pour un employé du Requérant et le Requérant soutient que ce comportement frauduleux est suffisant pour conclure à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux, même si le nom de domaine litigieux n’a jamais été exploité en lien avec un site internet actif.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
6. Discussion et conclusions
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs énumère trois conditions que le Requérant doit justifier pour obtenir une décision établissant que le nom de domaine litigieux enregistré par le Défendeur soit radié ou transféré au Requérant:
(i) le nom de domaine litigieux est identique à, ou semblable au point de prêter à confusion avec une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et
(ii) le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime au regard du nom de domaine litigieux; et
(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou similaire à une marque sur laquelle le Requérant a des droits.
Le nom de domaine litigieux <fr-bouyguesconstructions.com> reproduit intégralement la marque BOUYGUES CONSTRUCTION, dont le Requérant a démontré être titulaire, et présente l’adjonction de l’abréviation « fr » (signifiant France), d’un tiret et de la lettre « s ». La Commission administrative constate qu’il a déjà été décidé, à plusieurs reprises, que l’incorporation d’une marque dans son intégralité peut être suffisante pour établir que le nom de domaine litigieux est identique ou similaire à la marque enregistrée du Requérant. En ce sens, voir la section 1.7 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”).
En ce qui concerne enfin l’adjonction de l’extension de premier niveau “.com”, la Commission administrative rappelle qu’il a également été établi dans plusieurs décisions UDRP que les extensions de premier niveau ne sont pas un élément distinctif pris en considération lors de l’évaluation du risque de confusion entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux. Voir la section 1.11 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.
En conséquence, la Commission administrative conclut que le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion avec la marque du Requérant au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
B. Droits ou intérêts légitimes
Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant doit être en mesure de prouver l’absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux. Dans la mesure où il peut être parfois difficile d’apporter une preuve négative, il est généralement admis que le Requérant doit établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au Défendeur de renverser cette présomption et, s’il n’y parvient pas, le Requérant est présumé avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs. Voir la section 2.1 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.
En l’espèce, la Commission administrative constate que le Requérant a établi que le Défendeur n’a ni droit, ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. En effet, le Requérant n’a pas autorisé le Défendeur ni à utiliser sa marque BOUYGUES CONSTRUCTION ni à enregistrer un nom de domaine similaire à cette marque, le nom de domaine litigieux n’est pas utilisé par le Défendeur en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, pas plus qu’il n’en fait un usage non commercial légitime ou loyal, et le Défendeur n’est pas généralement connu sous le nom de domaine litigieux.
Le Défendeur, n’ayant pas répondu à la plainte du Requérant, n’a apporté aucun élément pour démontrer un droit ou à tout le moins un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
En outre, la Commission relève que l’utilisation par le Défendeur d’une adresse électronique, c’est-à-dire « [...]@ fr-bouyguesconstructions.com », se faisant passer pour un prétendu employé du Requérant afin de contacter un client du Requérant pour mener un plan d’escroquerie, ne peut pas être considéré un usage légitime non commercial ou loyal du nom de domaine litigieux et ne peut prétendre à une offre de bonne foi de produits ou de services. Voir la section 2.13.1 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.
Enfin, la Commission administrative considère que la composition du nom de domaine litigieux comporte un risque d’affiliation implicite. Voir la section 2.5.1 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la deuxième condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs a été remplie.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit que chacune des circonstances mentionnées ci-après de manière non exhaustive, peut démontrer un enregistrement ou une utilisation de mauvaise foi d’un nom de domaine tel que prévu au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, si la Commission administrative les considère comme prouvées:
(i) circonstances indiquant que le nom de domaine a été enregistré ou acquis (par le défendeur) essentiellement dans le but de vendre, louer ou céder de toute autre manière l’enregistrement du nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque commerciale ou de la marque de service, ou à un concurrent de ce plaignant, à titre onéreux pour une contrepartie dépassant vos débours documentés liés directement au nom de domaine; ou
(ii) le nom de domaine a été enregistré (par le défendeur) dans le but d’empêcher le propriétaire de la marque commerciale ou de la marque de service de refléter la marque dans un nom de domaine correspondant, dans la mesure où (le défendeur a) adopté un comportement de ce type; ou
(iii) le nom de domaine a été enregistré (par le défendeur) essentiellement pour interrompre l’activité d’un concurrent; ou
(iv) en utilisant le nom de domaine, (le défendeur a) essayé intentionnellement d’attirer, à des fins commerciales, des utilisateurs d’Internet sur le site Internet (du défendeur) ou toute autre destination en ligne en créant un risque de confusion avec la marque du requérant quant à la source, au parrainage, à l’affiliation ou à l’approbation du site Internet (du défendeur) ou destination en ligne ou d’un produit ou d’un service offert sur celui-ci.
Compte tenu de la réputation du Requérant dans le domaine de la construction, le Défendeur connaissait probablement l’existence de la marque du Requérant au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. La Commission administrative considère donc que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi par le Défendeur.
S’agissant de l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur, la Commission administrative relève qu’au jour de la Décision il renvoie à un site inactif, ce qui, s’agissant d’un nom de domaine incluant une marque notoire, laisse penser que cette détention passive traduit un usage de mauvaise foi, selon la décision Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 et la section 3.3 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.
En outre, le fait que le Défendeur ait créé une adresse email, comprenant le nom de domaine litigieux, c’est-à-dire « [...]@ fr-bouyguesconstructions.com », utilisée pour se faire passer pour un prétendu employé du Requérant afin de contacter un client du Requérant avec un email dans le texte de laquelle même la marque figurative BOUYGUES du Requérant est reproduite, est sans aucun doute une conduite de mauvaise foi finalisé à une escroquerie pour en tirer profit, en créant un risque de confusion parmi les internautes. Voir la section 3.4 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.
Dès lors, selon la Commission administrative, la mauvaise foi du Défendeur est établie tant au niveau de l’enregistrement que de l’utilisation du nom de domaine litigieux, conformément au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <fr-bouyguesconstructions.com> soit transféré au Requérant.
Edoardo Fano
Expert Unique
Le 31 janvier 2022