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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Organic For Science Lab contre Fabrice Flobinus

Litige No. D2021-4303

1. Les parties

La Requérante est Organic For Science Lab, Monaco, représentée par Azur Avocats, France.

Le Défendeur est Fabrice Flobinus, France, représenté par Maître Alain Gohaud, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <sofinnov.com> est enregistré auprès de OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée en anglais par la Requérante, représentée alors par elle-même, auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 16 décembre 2021. En date du 20 décembre 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Le 21 décembre 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d'enregistrement du nom de domaine litigieux était le français. Le 27 décembre 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique aux Parties concernant la langue de la procédure. La Requérante a déposé la plainte traduite en français le 29 décembre 2021. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations à l’égard de la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte traduite répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 6 janvier 2022, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 26 janvier 2022. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse en français le 26 janvier 2022.

Le 28 janvier 2022, la Requérante a envoyé au Centre une communication informelle concernant la possibilité de déposer une communication supplémentaire. Le même jour le Centre lui a adressé une réponse, indiquant qu’il serait à la seule discrétion de la Commission administrative d’examiner une éventuelle communication supplémentaire et/ou de l'admettre en rendant sa décision.

En date du 2 février 2022, le Centre nommait Matthew Kennedy comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Le 11 février 2022, la Requérante, représentée maintenant par un avocat, a déposé une communication supplémentaire en français. Le 15 février 2022, le Centre a envoyé aux Parties l’Ordonnance de la Commission administrative No. 1 (ci-après désignée “l’Ordonnance”) dans laquelle la Commission administrative a octroyé au Défendeur la possibilité de commenter la communication supplémentaire de la Requérante au plus tard le 20 février 2022, délai que la Commission administrative a prorogé au 21 février 2022 à la demande du Défendeur. Le 21 février 2022, le Défendeur a déposé sa propre communication supplémentaire en réponse. L’Ordonnance a également reporté la date d'échéance de la décision au moins au 25 février 2022.

4. Les faits

La Requérante est une société immatriculée à Monaco le 4 janvier 2018, dont l'activité principale est la création et la commercialisation de compléments alimentaires. Son gérant et actionnaire principal est M. Antoine Castelli, de nationalité française. La Requérante est titulaire de la marque semi-figurative française SOFINNOV n° 4482424, enregistrée le 13 septembre 2018, déposée en couleur, pour identifier des produits dans les classes 5, 29 et 30. Cet enregistrement reste en vigueur. SOFINNOV est la gamme d’expert du laboratoire Sofibio.

Le Défendeur a collaboré autrefois avec le laboratoire Sofibio, dispensant des conseils en marketing et communication. Le cadre de cette collaboration est vivement contesté par les Parties mais le dossier permet d’établir la chronologie suivante. Le 24 juin 2015, le Défendeur a distribué une invitation à participer dans un sondage pour choisir le nom d’une nouvelle gamme de produits du laboratoire Sofibio. Un an plus tard, le 3 juin 2016, le Défendeur a conseillé M. Castelli qu’il leur fallait absolument un nom pour la nouvelle gamme de produits; il lui en a donc proposé deux, dont “Sof’innov” (avec une apostrophe). Le 7 juin 2016, M. Castelli a enregistré la société espagnole Nutrorganic pour distribuer les produits du laboratoire. Le 10 juillet 2016, le Défendeur a envoyé à M. Castelli des propositions pour les logos de la gamme “Sof’innov”. Le lendemain, M. Castelli a répondu qu’il y avait “un mix à faire peut-être”. Une des propositions (déclinée en trois combinaisons de couleurs) a servi de base pour la marque déposée ultérieurement par la Requérante. Ce logo a été conçu par un graphiste indépendant dans le cadre d'un appel d’offres sur le site “www.freelancer.com” qui a cédé les droits sur le logo au Défendeur le 13 juillet 2016. Le 17 septembre 2016, M. Castelli a envoyé un courrier électronique à une collaboratrice ainsi qu’au Défendeur, leur communiquant que le Défendeur ferait le dépôt de SOFINNOV et que “le nom de domaine” était à mettre sur Euro Export, ajoutant que M. Castelli allait compiler des informations pour que le Défendeur puisse le faire.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 21 septembre 2016 au nom personnel du Défendeur. Il a également enregistré le nom de domaine <sofinnov.fr> à son nom personnel en même temps. Deux jours plus tard, le Défendeur a réalisé une demande d’enregistrement de la marque verbale SOFINNOV auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (“INPI”) en tant que mandataire de la société Nutrorganic. Le 6 octobre 2016, le Défendeur a lui-même réglé la facture de “freelancer.com” pour ses services. Le 3 novembre 2016, le Défendeur a envoyé un courrier électronique au conseiller bancaire du laboratoire indiquant qu’un site Internet était en cours de développement pour être exploité avec le nom de domaine litigieux par Nutrorganic. Le 15 novembre 2016, le laboratoire Sofibio a annoncé le lancement de la gamme de produits “SOFINNOV” et d’un site associé au nom de domaine litigieux; son communiqué a publié la marque semi-figurative SOFINNOV déposée ultérieurement par la Requérante. Dans cette correspondance, le Défendeur utilisait l’alias de messagerie “FF Sofibio” et son nom d’utilisateur était “fabricesofibio”, mais son adresse électronique n’était pas dans le domaine <sofibio.com> contrairement aux adresses de M. Castelli et sa collaboratrice.

Le 21 septembre 2017, M. Castelli a envoyé au Défendeur une liste de noms de domaine à réserver, dont le nom de domaine litigieux, à côté duquel M. Castelli a ajouté en parenthèse “fait je pense”. Le même jour, le Défendeur a répondu textuellement “Ok! Sofinnov je crois Je c est non en effet”. La demande d’enregistrement de la marque verbale SOFINNOV ayant été totalement rejetée par l’INPI le 29 mars 2018, la Requérante a déposé la marque semi-figurative française SOFINNOV (mentionnée ci-dessus) le 13 septembre 2018.

Le Défendeur a envoyé de multiples factures en tant que conseils de communication aux sociétés successives de M. Castelli, à savoir Nutrorganic (janvier et février 2019), Euro Export (d’avril 2019 à janvier 2020) et la Requérante (de mars 2020 à juin 2021). Le 25 juillet 2019, la Requérante a acquitté les frais de renouvellement de l’enregistrement du nom de domaine litigieux pendant cinq ans. Suite à un différend professionnel, le Défendeur ne collabore plus avec la Requérante.

Il est convenu que le nom de domaine litigieux est utilisé en relation avec le site Internet de la Requérante, où elle propose ses produits. Selon une pièce versée par la Requérante, une société nommée VolcDev déclare être le créateur du site associé au nom de domaine litigieux et en avoir assuré la maintenance depuis son origine.

5. Argumentation des parties

A. Requérante

Le nom de domaine litigieux a été la propriété du laboratoire depuis avant 2012 et il était parqué chez l’Unité d’enregistrement. La Requérante en a payé sa propriété jusqu'en 2024. Il est depuis plusieurs années le support du site Internet marchand de la Requérante, qui constitue son principal canal de vente à ce jour.

La gestion du nom de domaine litigieux avait été confiée à un prestataire externe, à savoir le Défendeur. Le Défendeur a dès le départ enregistré le nom de domaine litigieux à son nom personnel, à l’insu du laboratoire. Suite à un différend professionnel en 2019, le Défendeur a quitté l’équipe de prestataires de la Requérante, et a transféré le nom de domaine litigieux sur son compte personnel chez l’Unité d’enregistrement, sans aucune autorisation de la part de la Requérante, afin de lui rançonner. Le Défendeur a coupé l’accès public au site Internet de la Requérante à plusieurs reprises dans le but de faire pression sur M. Castelli.

Dans la mesure où la Requérante est titulaire de la marque SOFINNOV, qu'il existe une antériorité de possession du nom de domaine litigieux de la part de M. Castelli, et que la possession du nom de domaine litigieux par le Défendeur a été utilisée dans le seul but de lui nuire, la Requérante demande la restitution du nom de domaine litigieux.

L’affirmation du Défendeur qu’il était en relation d’affaires en vue d’un partenariat est fausse. La relation commerciale entre le Défendeur, sa société à lui et le laboratoire résulte de factures récurrentes. Le Défendeur réalisait une prestation externe, sans jamais appartenir au laboratoire et il n’a jamais été question qu’il intègre la société du laboratoire ni les sociétés qui se sont succédées. En outre, le Défendeur prétend qu’il a créé le logo SOFINNOV. Or, ce logo a été créé par un prestataire externe. Le Défendeur n’a créé ni le nom Sofinnov, ni la marque, ni le logo, ni le site Internet. Le déposant de la marque verbale SOFINNOV était la société Nutrorganic et il devait être de même pour le nom de domaine litigieux. Or, alors qu’il aurait dû déposer le nom de domaine litigieux en qualité de mandataire, le Défendeur s’en est attribué illégalement la propriété. Plus tard, la Requérante s’est aperçue que le Défendeur disposait des codes DNS car il avait en réalité enregistré le nom de domaine litigieux à son profit. En disposant de ces codes, le Défendeur a directement la main sur le site Internet et peut parfaitement l’arrêter ou le suspendre. Fort de cet avantage, le Défendeur a imposé à la Requérante de continuer à le payer en échange de la possibilité d’utiliser le nom de domaine litigieux. Il ressort des différents échanges de mail que le Défendeur a usé de sa qualité de prestataire externe via le mandat qui lui a été confié par le laboratoire pour flouer cette société et détenir le nom de domaine litigieux qui ne lui appartient pas. Ce comportement particulièrement malveillant revêt la qualification de plusieurs infractions pénales.

B. Défendeur

En 2015, les Parties étaient en relation d’affaires en vue d’un partenariat dans l’objectif de créer un site Internet destiné à la vente de compléments alimentaires. A la demande de M. Castelli, le Défendeur a rejoint dans la perspective d’une association, la société Euro Export, faisant partie du groupe constitué par M. Castelli qui créera ensuite la Requérante, dont le nom commercial était “Sofibio”. Il était convenu ensuite entre les Parties que le Défendeur devait intégrer la société de M. Castelli en tant que directeur général du laboratoire puis actionnaire d’une nouvelle structure dénommée “Nutrorganic”. Cette société était destinée à exploiter la marque SOFINNOV dont le nom avait été créé par le Défendeur. Considération faite de la création par le Défendeur de la dénomination “Sofinnov”, le Défendeur a procédé au dépôt du nom de domaine litigieux, qu’il a continué d’administrer. Parallèlement, le Défendeur a réalisé diverses prestations de communication pour le compte de la société Nutrorganic, sans pour autant obtenir un statut d’associé et/ou de directeur général, comme cela avait été promis par M. Castelli. Le Défendeur a accepté que la société utilise le nom de domaine litigieux pour son site Internet, dans l’attente de la concrétisation du partenariat promis. Il était ainsi convenu que cette mise à disposition trouvait sa contrepartie dans les facturations émises par le Défendeur, avec l’accord de la société, au titre de conseils en communication. Prétextant encore ne pouvoir associer au Défendeur, M. Castelli l’a invité à facturer ses services issus de la gestion de la communication et du nom de domaine litigieux. Par la suite, M. Castelli a entendu faire reprendre l’utilisation de la marque SOFINNOV et celle du site Internet pour la Requérante. En accord avec M. Castelli, les factures du Défendeur ont donc été adressées successivement aux sociétés de M. Castelli, avec leur entier accord. Pour autant, aucune convention écrite, telle que réclamée par le Défendeur, n’a été mise en place par M. Castelli, le consentement à l’utilisation du nom de domaine litigieux propriété du Défendeur résultant des facturations émises en accord avec chacun des exploitants successifs de ce nom de domaine. Face à cette insécurité, les différends professionnels des Parties ont progressivement exclu le Défendeur de la société, de sorte que M. Castelli a cessé d’honorer les factures du Défendeur depuis le mois de septembre 2021, alors même que celui-ci continue encore à ce jour d’administrer le nom de domaine litigieux qu’il a créé et mis à disposition des sociétés de M. Castelli. Il résulte des éléments qui précèdent que le Défendeur est seul titulaire du nom de domaine.

En matière de nom de domaine, c’est la règle du “premier arrivé, premier servi” qui s’applique. Le déposant initial du nom de domaine litigieux était bien le Défendeur. Si le dépôt du nom de domaine litigieux a fait l’objet d’une demande de renouvellement en 2019, il ne peut résulter de cette demande de renouvellement un droit de propriété quelconque en faveur de la Requérante. Le fait qu’elle ait acquitté la demande de renouvellement ne saurait également lui permettre de se prétendre propriétaire du nom de domaine litigieux. La propriété du nom de domaine litigieux en faveur du Défendeur est donc incontestable.

Il est de jurisprudence constante qu’un nom de domaine peut faire partie des antériorités opposables à celui qui dépose une marque. Un nom de domaine peut ainsi être opposé à une marque postérieure si ce nom de domaine a donné lieu à une exploitation effective sous la forme d’un site Internet. En l’espèce, l’accord des Parties dans l’attente de trouver un accord de partenariat conforme aux promesses de M. Castelli, était de permettre aux sociétés de M. Castelli d’utiliser le nom de domaine litigieux. La contrepartie se trouvait dans les prestations rendues par le Défendeur, lesquelles faisaient l’objet de différentes factures adressées à la demande de M. Castelli. L’on peut aisément imaginer que ces sociétés n’auraient pas manqué de réagir si ces facturations n’étaient pas fondées. Il ne peut donc être accepté que la Requérante puisse alléguer pour les besoins de sa cause avoir été “rançonné” par le Défendeur. Dès lors, la titularité de la marque SOFINNOV ne saurait être accueillie comme moyen au soutien de la revendication par la Requérante de la propriété du nom de domaine litigieux.

La Requérante ne démontre aucunement qu’elle serait propriétaire du nom de domaine litigieux “depuis avant 2012”. Bien au contraire, le nom de domaine litigieux a été déposé par le Défendeur en accord avec M. Castelli et exploité selon des conditions qui avaient l’agrément de ce dernier. La bonne foi du Défendeur envers lequel ni la société Nutrorganic ni la Requérante n’a contesté ses facturations ne peut être mise en doute. Il en résulte que la paternité du nom de domaine litigieux ne saurait poser question et qu’elle est opposable à la marque SOFINNOV créée par le Défendeur mais déposée par la Requérante.

La Requérante ne peut prétendre que le Défendeur ne serait en rien intervenu dans la création même du nom Sofinnov. Le Défendeur a fait expressément la proposition du nom Sofinnov qu’il a créé. Si l’affirmation de la Requérante que son logo a été créé par un prestataire externe est bien exacte, il convient cependant de préciser que l’appel d’offres a été lancé par le Défendeur et que le logo ainsi créé à son initiative et selon ces directives a été réglé de ses deniers personnels. Le logo SOFINNOV est donc en tout état de cause une œuvre de commande émanant du Défendeur dont les droits ont été acquis par celui-ci et non la Requérante. Il en a également été ainsi en ce qui concerne le dépôt du nom de domaine. En effet, afin de sécuriser le Défendeur quant à la promesse de partenariat faite et jamais respectée, il était convenu que celui-ci effectue ce dépôt en son nom. Par suite, les Parties s’étaient accordées sur une facturation de sa part dans l’attente de la concrétisation du partenariat promis. Cette facturation intégrait tout à la fois l’utilisation du nom de domaine litigieux pour l’exploitation du site auquel le Défendeur devait être associé, que les prestations que celui-ci continuait d’exercer. Il importe de rappeler que ces prestations se sont poursuivies durant plusieurs années et ont donné lieu à des facturations qui ont été réglées sans contestation aucune. De plus, si le Défendeur était le simple prestataire extérieur que la Requérante présente, la question pourrait alors se poser de savoir pour quelle raison les relations se sont poursuivies sur un temps aussi long et selon une fréquence mensuelle. Enfin, il est totalement faux de prétendre que le Défendeur aurait par mesure de rétorsion supprimé l’accès au nom de domaine. Bien qu’il ne soit pas réglé depuis septembre 2021 et cela sans préavis, le site associé au nom de domaine litigieux est toujours actif, preuve de son comportement loyal.

6. Discussion et conclusions

6.1 Questions préliminaires

A. Titulaire du nom de domaine litigieux

La Requérante réclame la propriété du nom de domaine litigieux, alléguant qu’il a été sa propriété “depuis avant 2012” et qu’elle a payé sa propriété jusqu'en 2024. Le Défendeur répond que si le dépôt du nom de domaine litigieux a fait l’objet d’une demande de renouvellement pendant cinq ans en 2019, il ne peut résulter de cette demande de renouvellement un droit de propriété quelconque en faveur de la Requérante.

La Commission administrative rappelle que l’Unité d’enregistrement a confirmé que le nom de domaine litigieux n’a été créé qu’en 2016 et que le titulaire de son enregistrement est le Défendeur. Bien que la Requérante ait acquitté les frais de renouvellement du nom de domaine litigieux en 2019 et que le contact de facturation sur la quittance émise par l’Unité d’enregistrement soit la Requérante, rien dans le dossier n’indique que la titularité de l’enregistrement du nom de domaine litigieux ait changé depuis sa création. La Commission administrative constate que le seul titulaire du nom de domaine litigieux est le Défendeur.

B. Dépôts supplémentaires

Le 11 février 2022, la Requérante a fait un dépôt supplémentaire qui n’était pas sollicité. La Requérante a ainsi voulu apporter des éléments supplémentaires au vu de la réponse déposée par le Défendeur. A l’invitation de la Commission administrative, le Défendeur a envoyé ses commentaires sur le dépôt supplémentaire de la Requérante dans son propre dépôt supplémentaire en date du 21 février 2022.

Le paragraphe 12 des Règles d’application prévoit que, “[o]utre la plainte et la réponse, la commission peut, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, requérir la production d’autres écritures ou pièces par les parties”. Cependant, les Règles d’application ne prévoient pas le dépôt des communications additionnelles non-sollicitées par la Commission administrative, de sorte que leur recevabilité, pertinence, matérialité et poids doivent être déterminés par la Commission administrative conformément aux termes du paragraphe 10(d) des Règles d’application.

D’ailleurs, le paragraphe 10(b) des Règles d’application exige que, “[d]ans tous les cas, la commission veille à ce que les parties soient traitées de façon égale et à ce que chacune ait une possibilité équitable de faire valoir ses arguments”.

En l’espèce, dans son dépôt supplémentaire la Requérante cherche à réfuter des allégations dans la réponse qu’elle n’aurait pas pu anticiper au jour où elle a déposé la plainte, notamment les allégations que le Défendeur était en relation d’affaires avec M. Castelli en vue d’un partenariat au jour de l’enregistrement du nom de domaine litigieux et que le Défendeur a créé le logo de la Requérante. Le Défendeur a apporté des commentaires dans son propre dépôt supplémentaire et ne s’est pas opposé à l’acceptation du dépôt supplémentaire de la Requérante. Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que l’acceptation des deux dépôts supplémentaires ne créera aucune injustice à l’égard des Parties.

Par conséquent, à titre exceptionnel, la Commission administrative tiendra compte des dépôts supplémentaires respectifs des Parties.

6.2. Quant au fond

Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir :

i) si le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits; et
ii) si le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime à l’utilisation du nom de domaine litigieux; et
iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Au vu des éléments de preuve présentés, il est établi qu’au jour du dépôt de la plainte, la Requérante était titulaire de la marque semi-figurative SOFINNOV.

Le nom de domaine litigieux reprend intégralement l’élément verbale de la marque SOFINNOV. Etant donné que les éléments figuratifs de cette marque sont incapables de représentation dans un nom de domaine, la Commission administrative ne les prendra pas en compte sous le premier élément. Voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes directeurs, troisième édition (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”), section 1.10.

L’extension de premier niveau “.com” constituant un élément technique nécessaire à l’enregistrement d’un nom de domaine, elle est normalement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion. Elle peut donc être ignorée pour examiner la similarité entre le nom de domaine litigieux et la marque de la Requérante. Voir la Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 1.11.

Pour ces raisons, la Commission administrative retient que le nom de domaine litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, à une marque de produits sur laquelle la Requérante a des droits.

Par conséquent, la Commission administrative considère que la première condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs dispose que la preuve des droits du défendeur sur le nom de domaine litigieux ou de son intérêt légitime qui s’y attache aux fins du paragraphe 4(a)(ii) peut être constituée, en particulier, par l’une des circonstances ci-après :

i) avant d’avoir eu connaissance du litige, [le défendeur a] utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

ii) [le défendeur est] connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

iii) [le défendeur fait] un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

En ce qui concerne la première et la troisième circonstances énoncées ci-dessus, le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux pour rediriger les Internautes vers le site Internet marchand de la Requérante. Il facturait l’utilisation du nom de domaine litigieux en tant que conseils de communication à la Requérante, mais la Requérante allègue que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux à son nom personnel sans autorisation et à l’insu de son laboratoire. Le contenu du site n’a rien à voir avec le Défendeur depuis qu’il a cessé de collaborer avec le groupe de M. Castelli. En ce qui concerne la deuxième circonstance énoncée ci-dessus, le nom du Défendeur est “Fabrice Flobinus”, pas le nom de domaine litigieux. Rien dans le dossier n’indique que le Défendeur soit connu sous le nom de domaine litigieux. En résumé, la Commission administrative considère que la Requérante a établi une preuve prima facie que le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Passant aux contentions du Défendeur, il remarque qu’il a proposé le nom Sof’innov et il a lancé l’appel d’offres pour la conception du logo dont il a acquitté les frais à titre personnel. Cependant, il ressort des éléments de preuve que M. Castelli avait la responsabilité de sélectionner, modifier et approuver les propositions du nom et du logo pour la nouvelle gamme de produits du laboratoire. En raison des constations dans la section 6.2C infra, la Commission administrative considère que le Défendeur travaillait en tant que prestataire externe des sociétés de M. Castelli et que ses apports ne lui conféraient pas un droit ou intérêt légitime sur les marques ou les noms de domaine dont l’enregistrement lui avait été confié par son client.

Le Défendeur s’appuie sur le fait que la Requérante a réglé les frais de renouvellement de l’enregistrement du nom de domaine litigieux pour faire valoir qu’il a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux avec l’accord de celle-ci. En raison des constations dans la section 6.2C infra, la Commission administrative n’accepte pas cet argument et considère plutôt que le Défendeur a agi de mauvaise foi, ce qui discrédite sa revendication de droits et intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.

Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission administrative considère que le Défendeur n’a pas réfuté la preuve prima facie de la Requérante. Par conséquent, la Commission administrative considère que la deuxième condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi et champ d’application des Principes directeurs

Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit une liste de circonstances qui, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, établissent la preuve de ce que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, mais cette liste est non-exhaustive.

Par principe, un nom de domaine litigieux ne peut être considéré comme ayant été enregistré de mauvaise foi que si les droits dans la marque sont antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Voir la Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 3.8.1. En l’espèce, l’Unité d’enregistrement a vérifié que le nom de domaine litigieux a été créé le 21 septembre 2016, soit deux ans avant l’enregistrement de la marque de la Requérante, intervenu le 13 septembre 2018, et plus d’un an avant l’immatriculation de celle-ci, intervenue le 4 janvier 2018. La Requérante ne fournit aucune preuve d’un droit préexistant assimilable à une marque d’usage non enregistrée.

Toutefois, l’enregistrement d’un nom de domaine litigieux peut viser des droits sur une marque qui ne sont pas encore acquis dans des circonstances exceptionnelles. Voir la Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 3.8.2. Dans le cas d’espèce, le Défendeur a lancé en juin 2016 l’appel d’offres pour le logo de la gamme de produits de la Requérante; même si aucun élément de preuve n’indique la date de finalisation de la marque semi-figurative SOFINNOV déposée ultérieurement par la Requérante, le Défendeur savait avant l’enregistrement du nom de domaine litigieux quelle proposition de logo avait été retenue pour servir de base à cette marque, et il savait aussi qu’une société dans le groupe de M. Castelli allait utiliser la marque pour une nouvelle gamme de produits. Le rejet de la demande d’enregistrement de la marque verbale a retardé le dépôt de la marque de la Requérante jusqu’en 2018. Le Défendeur avait donc connaissance des droits qu’une société de M. Castelli, en l’occurrence la Requérante, acquerrait sur sa marque lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

La Commission administrative doit évaluer les intentions du Défendeur lorsqu’il a enregistré le nom de domaine litigieux à son nom personnel. Il a réalisé l’enregistrement à la demande de M. Castelli. Bien que les intentions de celui-ci ne soient pas tout à fait claires, quant à savoir s’il souhaitait que le titulaire soit la société Euro Export ou la société Nutrorganic, il a en tout cas confié l’enregistrement du nom de domaine litigieux et de la marque verbale au Défendeur pour utiliser avec une nouvelle gamme de produits du laboratoire. Deux jours après avoir enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur a demandé l’enregistrement de la marque verbale en tant que mandataire de la société Nutrorganic, et deux mois plus tard il a confirmé au conseiller financier du laboratoire que le nom de domaine litigieux serait exploité par cette même société. Il y a tout lieu de croire que M. Castelli souhaitait que le Défendeur réalise les deux enregistrements en tant que mandataire ou personne de contact. Aucun élément de preuve de l’époque n’indique que M. Castelli ait autorisé le Défendeur à enregistrer le nom de domaine litigieux à titre personnel. Cf. Great American Hotel Group, Inc. c. Domains By Proxy, LLC / R Greene, Litige OMPI No. D2019-1638.

Le cadre de la collaboration entre le Défendeur et les sociétés de M. Castelli à l’époque en cause est contesté. Les Parties conviennent que le Défendeur prestait des services de communication au laboratoire. Il n’était ni associé ni directeur-général d’une société de M. Castelli; au contraire, le Défendeur insiste que les prétendues promesses de M. Castelli à l’égard de son entrée dans le capital de Nutrorganic ou dans la direction du laboratoire n’étaient pas tenues. Aucune preuve écrite, unilatérale ou bilatérale, ne fait référence à un accord pour créer un partenariat à l’avenir. Le Défendeur n’était pas un salarié. Il y a suffisamment d’éléments de preuve pour apprécier le rôle de M. Castelli en tant que donneur d’ordres pour conclure que le cadre de leur collaboration était celui d’un prestataire externe et son client.

La Requérante déclare que le Défendeur a réalisé l’enregistrement du nom de domaine litigieux à son nom personnel à l’insu du laboratoire. Le Défendeur ne fournit aucun élément antérieur à l’enregistrement pour justifier son allégation qu’il avait l’accord de M. Castelli. Selon les éléments de preuve, quand M. Castelli a fait référence au nom de domaine litigieux un an après son enregistrement, la réponse du Défendeur n’a pas fait allusion au fait qu’il en était lui-même titulaire. Plus tard, quand la Requérante l’avait déjà appris, le Défendeur n’a pas géré l’enregistrement en tant qu’actif d’une société; au contraire, bien qu’il ait mis le nom de domaine litigieux à sa disposition, il aurait facturé son utilisation en tant que conseils de communication aux sociétés successives de M. Castelli, dont la Requérante, depuis au moins début 2019.

Contrairement à la prétention du Défendeur, le règlement de ses factures ne démontre pas que M. Castelli ait reconnu de lui avoir promis un partenariat, encore moins que celui-ci ait autorisé de manière rétroactive l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur à titre personnel. Il existe une explication plus crédible de ce règlement. Bien que la Requérante ne justifie pas son allégation que le Défendeur a coupé l’accès public à son site Internet à plusieurs reprises, il y a tout lieu de croire que la Requérante a accepté de payer les factures du Défendeur pour ne pas faire face aux aléas d’un changement du nom de domaine associé à son principal canal de vente.

Au vu de ces circonstances, l’enregistrement à son nom personnel à l’insu du client qui lui a confié la demande donne raison de croire que le Défendeur a sciemment enregistré le nom de domaine litigieux pour l’utiliser comme un levier dans une éventuelle négociation avec M. Castelli, ce qu’il en fait dans sa gestion du nom de domaine litigieux depuis au moins 2019. Voir, par exemple, GFH Capital Limited c. David Haigh, Litige OMPI No. D2014-2148. Le Défendeur confirmerait cette thèse dans la mesure où il soutient avoir effectué ce dépôt en son propre nom pour le sécuriser quant à une promesse de partenariat et, ultérieurement, avoir accepté que la Requérante utilise le nom de domaine litigieux pour son site Internet dans l’attente de la concrétisation du partenariat promis.

Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Cette décision est fondée sur les éléments du dossier qui ne comprennent pas toutes les communications entre les Parties à l’époque en cause, et l’affaire est nuancée. Dans cette perspective, il convient de rappeler que, selon le paragraphe 4(k) des Règles d’application, chaque partie a la possibilité de porter ce litige devant un tribunal compétent, qui serait doté de procédures plus complètes pour la réunion d’éléments de preuve, pour statuer indépendamment. Ceci dit, la possibilité de recourir à un tribunal n’évite pas en soi l’application des Principes directeurs.

Quoique ce litige est lié au différend professionnel qui a mené à la séparation des Parties, la Commission administrative estime que les questions concernant l’enregistrement et l’usage du nom de domaine litigieux sont suffisamment dissociables des autres aspects du différend pour lui permettre de statuer dans le champ d’application des Principes directeurs. Voir, par exemple, CCTV Outlet, Corp. c. Moises Faroy, Litige OMPI No. D2015-0682, section 6B. La présente Décision ne porte pas préjudice sur les autres aspects du différend professionnel entre les Parties.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <sofinnov.com> soit transféré à la Requérante.

Matthew Kennedy
Expert Unique
Le 25 février 2022