La requérante est Blogmusik, SAS de Paris, France, représenté à l’interne.
La partie adverse est Bachta Peter de Bielsko-Biala, Pologne.
Le différend concerne le nom de domaine <deezer.ch>.
Une demande a été déposée par Blogmusik, SAS auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 novembre 2011.
En date du 18 novembre 2011, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la requérante. En date du 22 novembre 2011, SWITCH a confirmé que la partie adverse est bien le détenteur du nom de domaine litigieux et a transmis ses coordonnées.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien aux exigences des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine “.ch” et “.li” (ci après les “Dispositions”) adoptées par SWITCH, registre du “.ch” et du “.li”, le 1er mars 2004.
Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, le 1 décembre 2011, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à la partie adverse. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 21 décembre 2011.
La partie adverse n’a déposé aucune réponse à la demande et n’a exprimé d'aucune autre façon sa volonté de prendre part à une audience de conciliation conformément au paragraphe 15(d) des Dispositions.
En date du 16 janvier 2012, le Centre nommait dans le présent différend comme expert Daniel Kraus. L’expert constate qu’il a été désigné conformément aux Dispositions. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.
La requérante est une société française qui propose, sous la marque DEEZER, un service international de musique en ligne depuis 2007. Elle est devenue leader en Europe en matière de services de musique à la demande en ligne et à travers ses services, a développé une importante présence sur Internet, jouissant ainsi une certaine notoriété auprès des internautes. La marque DEEZER a été enregistrée à l'international le 9 octobre 2009 (n°1024994) et couvre également la Suisse. La requérante est également titulaire de la marque communautaire numéro 008650079 ainsi que de plusieurs marques françaises, dont en particulier la marque numéro 3520218.
La requérante est également titulaire de plusieurs noms de domaine tels que <deezer.com>, <deezer.fr>, <deezer.es>, <deezer.be>, <deezer.dk>, <deezer.at>, <deezer.li>, <deezer.lu>, <deezer.pt>, et encore <deezer.pl>.
Le nom de domaine litigieux pointe vers une page parking qui inclut de nombreuses publicités relatives à la musique, en ligne ou non, ainsi qu’à des produits ou services MP3. Le site indique également que le propriétaire du nom de domaine souhaite vendre celui-ci.
Par courrier du 30 août 2011, la requérante a mis en demeure la partie adverse afin que celui-ci lui transfère la propriété du nom de domaine, lui indiquant qu'il était en violation des droits de la requérante sur la marque DEEZER. La partie adverse devait ainsi cesser toute utilisation sans autorisation du nom de domaine litigieux et devait procéder à son transfert au profit de la requérante. La partie adverse, n'ayant pas répondu à cette mise en demeure, a été relancé par la requérante par un nouveau courrier du 30 septembre 2011.
La requérante est d'avis que l'enregistrement du nom de domaine litigieux objet du différend constitue une infraction à sa marque, la partie adverse ayant enregistré le nom de domaine litigieux <deezer.ch> alors qu'il connaissait la marque et l'activité de la requérante. La partie adverse ne dispose d'aucun droit sur une quelconque marque DEEZER, de sorte qu’il ne dispose d'aucun droit légitime sur ce terme. Cet enregistrement, de même que l'utilisation du nom de domaine litigieux qui en est faite constituent ainsi une infraction à la marque dont la requérante propriétaire.
Selon la requérante, il est improbable que la partie adverse n'ait pas eu la marque de la requérante en tête lors de l'enregistrement du nom de domaine litigieux. En effet, le nom de domaine litigieux pointe vers un site parking où apparaissent de nombreux hyperliens en relation même avec les services proposés par la requérante. En agissant de la sorte, la partie adverse visait à bénéficier de la réputation de la requérante, afin d'attirer les internautes sur son site et finalement pour vendre le nom de domaine litigieux à un coût important. Or, en agissant de la sorte, la partie adverse bloque l'activité légitime de la requérante.
La partie adverse n'a pas répondu à la demande.
Selon le paragraphe 24(a) des Dispositions, l'expert statue sur la demande en se fondant sur les allégués des deux parties et les documents écrits déposés. Selon le paragraphe 24(c), l'expert fait droit à la demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein.
Il y a notamment clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle lorsque:
i. aussi bien l'existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d'une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu'ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que
ii. la partie adverse n'a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que
iii. l'infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l'extinction du nom de domaine.
Enfin, le paragraphe 23 des Dispositions prévoient que lorsque, sans raison valable, une partie néglige d'observer l'un des délais fixés dans les présentes dispositions ou par l'expert désigné pour prendre une décision, l’expert statue sur la demande en se fondant sur le dossier. Si par ailleurs une partie néglige d'observer une prescription des Dispositions ou de satisfaire à une directive donnée par l'expert, ce dernier peut en tirer les conclusions qu'il estime adéquates.
Il ressort de l'état de fait que la réponse à cette question est affirmative, la requérante disposant de la marque DEEZER en Suisse.
La réponse à cette deuxième question est également affirmative.
Selon l’article 13 alinéa 2 de la loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance (ci-après LPM), le titulaire d’une marque peut interdire à des tiers l’usage des signes dont la protection est exclue en vertu de l’article 3, alinéa 1. Sont en particulier exclus de la protection des signes identiques à une marque antérieure et destinés à des produits ou services similaires, lorsqu’il en résulte un risque de confusion (article 3 alinéa 1 lit. b LPM). Le risque de confusion dépend en particulier de l’identité ou de la similarité entre les signes, de même que de l’identité ou de la similarité entre les produits ou services en question.
Il découle de ce qui précède que le titulaire d’un signe distinctif peut en revendiquer l’exclusivité dans la mesure où il y a au moins risque de confusion. Selon le Tribunal fédéral suisse, le risque de confusion est identique pour tout le droit des signes distinctifs (ATF 126 III 239, 245 <berneroberland.ch>; ATF 128 III 401, 403 <luzern.ch>).
Il convient de déterminer si l’utilisation d’une dénomination identique ou analogue en relation avec un site Internet par une personne ayant des droits moins fondés, crée un risque d’attribution incorrecte du site, soit une possibilité d’erreur d’identification de la personne qui est derrière le site (ATF 128 III 401, 403).
De façon générale, la partie qui ne dispose d’aucune protection particulière au sens du droit des signes distinctifs sur le nom de domaine en cause, se doit de prendre les mesures idoines pour que le nom de domaine qu’il a enregistré se distingue suffisamment du signe distinctif appartenant à la requérante (ATF 128 III 353, 358 “Montana”), soit d’un signe distinctif protégé de façon absolue (ATF 126 III 239, 244).
En l’espèce, le risque de confusion est patent. La partie adverse a certes enregistré le nom de domaine litigieux <deezer.ch> le 18 décembre 2008, soit avant que la requérante n’ait déposé sa demande de marque internationale touchant la Suisse. Mais il est clair selon l’expert que la partie adverse connaissait la marque et l’activité de la requérante, sans quoi il n’aurait pas enregistré le nom de domaine litigieux <deezer.ch> pour l’utiliser en lien avec une page de “parking” et de “pay-per-click” qui au surplus redirigent vers des services similaires avec ceux de la requérante. Les éléments verbaux des signes en cause sont en tous points identiques. Or, compte tenu du fonctionnement des noms de domaine, l’utilisation d’un nom de domaine de second niveau confère à l’utilisateur un monopole de fait, lequel crée ipso facto un risque de confusion. Le détenteur légitime du signe protégé est empêché de faire le commerce de ses produits par Internet, par le simple fait de l’enregistrement du nom de domaine en cause (Ladurée International SA contre Pumpstation Gastro GmbH, Différend Litige OMPI No. DCH2011-0009 ; Veolia Environnement SA contre Malte Wiskott, Différend Litige OMPI No. DCH2004-0010).
Dans un tel cas, le titulaire ne peut pas interdire à un tiers de poursuivre l’usage, dans la même mesure que jusque-là, d’un signe que ce tiers utilisait déjà avant le dépôt (article 14 LPM). Mais l’application de l’article 14 LPM exige la bonne foi du titulaire du nom de domaine (cf. parmi d’autres Christoph Willi, Kommentar Markenschutzgesetz ad. Article 14 LPM, ch.6, p. 225). Or, au vu des circonstances évoquées ci-dessus, la bonne foi de la partie adverse ne peut être retenue, raison pour laquelle l’usage du nom de domaine litigieux <deezer.ch> ne peut lui être accordé.
Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 24 des Dispositions, l’expert ordonne le transfert du nom de domaine litigieux <deezer.ch> au profit de la requérante.
Daniel Kraus
Expert
Le 30 janvier 2012