La Demanderesse est Pharmashop SARL, Suisse, représentée par Poncet Turrettini Avocats, Suisse.
La Défenderesse est Webmax GmbH c/o M.R., Suisse.
Le différend concerne le nom de domaine <pharmashop.ch>.
Une demande a été déposée par Pharmashop SARL auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 21 décembre 2020.
En date du 21 décembre 2020, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH, le Registre du .ch et du .li, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Demanderesse. En date du 22 décembre 2020, SWITCH a confirmé que la Défenderesse est bien la détentrice du nom de domaine et a transmis ses coordonnées.
Le Centre a vérifié que la demande répondait bien aux exigences du Règlement concernant la procédure de résolution des différends pour les noms de domaine .ch et .li (le “Règlement”), adopté par SWITCH, le 1er janvier 2020.
Conformément au paragraphe 14 du Règlement, le 7 janvier 2021, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à la Défenderesse en français et en allemand.
Conformément au paragraphe 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 27 janvier 2021.
Le 27 janvier 2021, la Défenderesse a déposé une Réponse.
Le 4 février 2021, la Défenderesse a confirmé qu’elle ne souhaitait pas participer à une audience de conciliation.
Le 24 février 2021, la Demanderesse a soumis des observations sur la réponse de la Défenderesse, que la Défenderesse a commenté le même jour. Etant donné le fait que cet échange d’observations n’a aucune incidence sur l’issue de la présente procédure, l’Expert a décidé qu’il n’en serait pas tenu compte.
En date du 3 mars 2021, le Centre nommait dans le présent différend comme expert Philippe Gilliéron. L’Expert constate qu’il a été désigné conformément Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 du Règlement.
La Demanderesse est une société à responsabilité limitée de droit suisse ayant son siège à Cologny. Elle a été créée le 12 juin 2006. Son but consiste en l’exploitation de plusieurs pharmacies, notamment la commercialisation et la vente de matériel pharmaceutique en pharmacie et en ligne.
La Défenderesse est une société à responsabilité limitée de droit suisse ayant son siège à Zurich. Elle a été créée le 20 mars 2009. Son but consiste en la fourniture et la vente de services Internet, en particulier des noms de domaine.
La Défenderesse a selon ses propres déclarations enregistré le nom de domaine <pharmashop.ch> le 9 février 2020 (date d’enregistrement confirmé par le registre SWITCH), dont le premier enregistrement remonte au 26 janvier 1997. Le nom de domaine est aujourd’hui rattaché à un site parking qui contient plusieurs liens renvoyant à des concurrents de la Demanderesse.
La Demanderesse a reçu plusieurs plaintes émanant de clients habituels ou potentiels l’informant du fait qu’ils n’avaient jamais reçu les commandes passées au travers du site "wwwpharmashop.ch”.
La Demanderesse fait tout d’abord valoir le fait que l’enregistrement du nom de domaine <pharmashop.ch> par la Défenderesse et l’utilisation qui en est faite contrevient tout d’abord à la loi fédérale contre la concurrence déloyale (“LCD”), plus particulièrement à ses articles 2 et 3 lettre d, puisqu’il l’entrave dans la possibilité de développer ses activités sur Internet. Le fait que le site auquel le nom de domaine est rattaché mène à un site parking comportant de nombreux liens renvoyant à des sites concurrents prête par ailleurs à confusion pour les internautes.
Un tel usage contreviendrait également selon la Demanderesse à l’article 29 al. 2 du Code Civil (“CC”).
En guise de moyen de défense, la Défenderesse fait valoir le fait que la Demanderesse n’est au bénéfice d’aucune marque enregistrée et ne saurait être considérée comme de haute renommée au sens de l’article 15 de la loi fédérale sur la protection des marques (“LPM”). Elle considère que le nom de domaine a pour la première fois été enregistré le 26 janvier 1997, soit plus de neuf avant que la Défenderesse n’a été créée. Le fait que la Demanderesse ne figure nullement dans la liste des résultats naturels de Google lorsque l’internaute insère les mots “pharmashop” serait un indice supplémentaire du fait qu’il n’existe aucune confusion possible.
La Défenderesse en concluant qu’en initiant une telle procédure, la Demanderesse s’est rendue coupable de mauvaise foi.
Aux termes du paragraphe 24(c) du Règlement, l’Expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein.
Le paragraphe 24(d) du Règlement précise qu’il y a clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle notamment lorsque:
i. aussi bien l’existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d’une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu’ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que
ii. la partie adverse n’a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que
iii. l’infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou la révocation du nom de domaine.
La violation du droit attaché à un signe distinctif selon le droit suisse peut reposer sur différentes bases légales. Contrairement aux arguments avancés par la Défenderesse, il n’est nul besoin d’une marque pour être en droit d’agir sous l’angle de la présente procédure. Ainsi est-il admis que n’importe quelle base légale susceptible de protéger un signe distinctif en droit suisse puisse être invoqué à l’appui d’une demande, telle une raison de commerce, un droit au nom ou encore le droit de la concurrence déloyale.
En l’espèce, la Demanderesse est titulaire depuis le 14 juin 2006 d’une raison de commerce sur la dénomination <pharmashop>, ce qui lui confère un droit exclusif, conformément à l’article 956 du Code des obligations (“CO”).
La première condition est ainsi remplie.
Compte tenu du droit exclusif sur la raison de commerce Pharmashop SARL, l’Expert n’a aucune hésitation à conclure à ce que l’obtention le 9 février 2020 du nom de domaine litigieux par la Défenderesse constitue clairement une infraction au droit rattaché à ce signe distinctif.
S’il est exact que le nom de domaine a pour la première fois été enregistré par une tierce entité le 26 janvier 1997, soit bien avant que la raison de commerce de la Demanderesse ne soit constituée, c’est bien le 7 février 2020 que la Défenderesse l’a acquis.
Or, cet enregistrement a manifestement eu lieu alors que la Défenderesse avait parfaitement connaissance de l’existence de la Demanderesse. Preuve en est le fait qu’elle s’est renseignée sur l’absence de titularité d’une marque de la Demanderesse, absence dont elle pensait – à tort – qu’elle lui donnait le droit de s’approprier le nom de domaine <pharmashop.ch>.
La Défenderesse ne cherche du reste à aucun moment à mettre en avant quelque argumente que ce soit qui tendrait à démontrer un droit ou un intérêt légitime de sa part sur le nom de domaine litigieux. Les circonstances entourant cet enregistrement démontrent le contraire.
Un tel enregistrement, qui reprend à l’identique la raison de commerce de la Demanderesse dans le nom de domaine litigieux sans adjonction quelle qu’elle soit, et dont le site auquel le nom de domaine est rattaché est un site parking renvoyant à des sites concurrents, cause à l’évidence à la Demanderesse un préjudice résultant d’un usage indu de sa raison de commerce au sens de l’art. 956 al. 2 CC. Preuves en sont les confusions effectives et avérées de clients existants ou potentiels de la Demanderesse ayant cru avoir affaire à cette dernière. Une telle appropriation entrave de surcroît la Demanderesse dans ses activités, puisqu’elle l’empêche d’apparaître sous sa dénomination sur Internet pour le “.ch”.
Outre la violation de son droit exclusif à la raison de commerce, ce résultat, imputable au comportement délibéré de la Défenderesse, tombe également sous le coup des art. 2 et 3 lit. d LCD.
Au vu de ce qui précède, la seconde condition est également remplie.
Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 24 du Règlement, l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine <pharmashop.ch> au profit de la Demanderesse.
Philippe Gilliéron
Expert
Le 17 mars 2021