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DÉCISION DE L’EXPERT

Les Laboratoires Servier contre David Sasportas

Litige n° DFR2011-0017

1. Les parties

Le Requérant est Les Laboratoires Servier, Neuilly-sur-Seine, France, représenté par Biofarma, France.

Le Défendeur est David Sasportas, Maisons Alfort, France.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <laboratoireservier.fr> enregistré le 27 février 2011.

Le prestataire Internet est la société Ligne Web Service.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par Les Laboratoires Servier auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 15 avril 2011.

Le 18 avril 2011, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 18 avril 2011, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.

Suite à une notification d’irrégularité en date du 29 avril 2011, le Requérant a déposé une demande amendée le 3 mai 2011.

Le Centre a vérifié que la demande amendée répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 6 mai 2011. Conformément à l’article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 26 mai 2011. Le Défendeur n’a pas fait parvenir sa réponse.

Le 1 juin 2011, le Centre nommait Alexandre Nappey comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

4. Les faits

Le Requérant est la société Les Laboratoires Servier immatriculée en France en 1988, filiale du groupe Servier, important acteur de l’industrie pharmaceutique française.

Afin de protéger ses droits de propriété intellectuelle sur la dénomination "Les Laboratoires Servier", le Requérant a enregistré de nombreuses marques et noms de domaine.

Le Requérant produit notamment à l’appui de sa demande les marques suivantes :

- Marque française LES LABORATOIRES SERVIER déposée le 19 juillet 1965, désignant des produits et services des classes 01, 02, 03, 04, 05, 06, 07, 08, 09, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 42, et 45 et enregistrée sous le n° 1601029 au nom de la société Les Laboratoires Servier,

-Marque internationale LES LABORATOIRES SERVIER déposée le 22 octobre 1965, désignant des produits et services des classes 01, 02, 03, 04, 05, 06, 07, 08, 09, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34 et enregistrée sous le n° 304 005 au nom de la société Les Laboratoires Servier,

Le Requérant fournit également une liste de noms de domaine parmi lesquels figurent :

- <leslaboratoiresservier.com> (enregistré le 29 juin 2001) ;

- <les-laboratoires-servier.com> (enregistré le 07 janvier 2011) ;

- <les-laboratoires-servier.fr> (enregistré le 07 janvier 2011) ;

- <leslaboratoiresservier.eu> (enregistré le 29 avril 2006) ;

- <les-laboratoires-servier.eu> (enregistré le 07 janvier 2011) ;

- <servierlaboratories.com> (enregistré le 19 décembre 2003).

Le nom de domaine litigieux <laboratoireservier.fr> a été enregistré le 27 février 2011 sous couvert d’anonymat par une personne physique dont l’identité a été révélée par l’Afnic sur demande du Requérant.

Puis le Requérant a tenté de régler le différend à l’amiable en adressant le 22 mars 2011 un courrier de mise en demeure au Défendeur par recommandé avec avis de réception.

Ce courrier lui ayant été retourné non réclamé le 11 avril 2011, le Requérant a décidé de s’adresser au Centre afin d’obtenir la transmission du nom de domaine litigieux à son profit.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient qu’il bénéficie de droits exclusifs sur la dénomination "Laboratoire Servier" au titre de :

- la dénomination sociale "Les Laboratoires Servier" qui existe depuis la création de la société en 1988 soit plus de 20 ans avant l’enregistrement du nom de domaine litigieux ;

- l’enregistrement de nombreuses marques dont le Requérant souligne le caractère distinctif, la notoriété et l’antériorité sur le nom de domaine objet de la procédure.

Le Requérant estime que le nom de domaine <laboratoireservier.fr> est une reproduction "quasi-identique" de sa dénomination sociale et de ses marques, dans la mesure où les seules différences mineures sont :

- la suppression de l’article défini "les",

- l’utilisation du singulier "laboratoire" au lieu de "laboratoires",

- l’ajout de l’extension de nom de domaine ".fr".

Malgré ces différences, il existe pour le Requérant un risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et ses droits exclusifs antérieurs, ce risque étant renforcé par la notoriété dont il se prévaut.

Enfin, le Requérant souligne que le Défendeur n’est aucunement lié à sa société ou au groupe Servier.

En conclusion, le Requérant sollicite la transmission du nom de domaine litigieux.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a soumis aucun argument en réponse à la demande.

6. Discussion

L’Expert rappelle que, en application de l’article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée "lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le Défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi". En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment "une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire".

L’Expert souligne que, en application de l’article 20(c) du Règlement, "il fait droit à la demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable".

(i) Droits du Requérant sur le nom de domaine

Le Requérant a établi ses droits exclusifs sur la dénomination "Les Laboratoires Servier" à la fois au titre de la dénomination sociale depuis 1988 , des marques tant en France qu’au plan international depuis 1965, et des noms de domaine depuis au moins 2001, en tout état de cause antérieurement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Le nom de domaine litigieux n’est pas identique aux droits antérieurs du Requérant.

Les différences tiennent dans la suppression de l’article défini "les" dans le nom de domaine objet de la demande, le choix du singulier pour le substantif "laboratoire" et l’ajout de l’extension ".fr".

Il est constant qu’en raison de son caractère purement technique, l’extension de nom de domaine ne doit pas être prise en considération lors de la comparaison entre un nom de domaine et le droit antérieur qui lui est opposé. Voir sur ce point notamment Passion for Life Healthcare Limited contre Euromark France, Litige OMPI No. DFR2005-0002," l’adjonction du suffixe « .fr » non appropriable en tant que tel, (…) inopérant à faire disparaître l’imitation de marque (…)".

Par ailleurs le fait que la dénomination "laboratoire" soit présentée au singulier dans le nom de domaine litigieux alors qu’elle est au pluriel dans la dénomination sociale, les marques et les noms de domaine du Requérant n’est pas non plus de nature à atténuer le risque de confusion selon l’Expert, dans la mesure où la partie la plus distinctive de l’ensemble, le patronyme "Servier" est reproduit à l’identique dans le nom de domaine.

Voir sur ce point Les Echos contre KLTE Limited, Litige OMPI No. DFR2005-0012 "il (le nom de domaine) ne diffère du signe constituant les marques antérieures que par la suppression de la lettre S, suppression faiblement perceptible à l’œil (…)".

Compte tenu de ce qui précède, l’Expert estime que le Requérant détient des droits sur la dénomination "les laboratoires Servier" à titre de dénomination sociale, de marques et de noms de domaine, et que le nom de domaine <laboratoireservier.fr> est similaire au point de prêter à confusion avec celle-ci.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Ainsi qu’il ressort du point (i) ci-dessus, le nom de domaine litigieux est similaire à la dénomination sociale, aux marques et aux noms de domaine antérieurs du Requérant. Cette similitude engendre un risque de confusion dans l’esprit des internautes d’attention moyenne.

Le Requérant soutient qu’il n’entretient aucune relation d’affaires avec le Défendeur, et que ce dernier n’a jamais été autorisé à utiliser la dénomination "laboratoire Servier", en particulier à titre de nom de domaine.

Le fait d’avoir choisi la dénomination litigieuse, combinant les termes "laboratoire" et le patronyme "Servier", acteur bien connu de l’industrie pharmaceutique française, qui plus est fortement médiatisé ces derniers mois, n’est certainement pas fortuit.

Si l’atteinte aux droits des tiers n’est pas constituée lorsque le Défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine ou a agi de bonne foi, encore faut-il qu’il le démontre.

Or en l’espèce, le Défendeur n’a fait valoir aucun argument au soutien d’un quelconque intérêt légitime.

L’Expert souligne simplement que les règles élémentaires de prudence auraient dû inciter le Défendeur à effectuer des recherches d’antériorité pour s’assurer que la dénomination envisagée à titre de nom de domaine ne faisait pas l’objet de droit antérieur, ce dont il s’est abstenu.

Comme de surcroît, le nom de domaine litigieux n’est utilisé que pour renvoyer vers une page d’attente fournie par le bureau d’enregistrement du Défendeur, l’Expert considère qu’il n’existe aucune droit ou intérêt légitime au profit du Défendeur dans cette affaire.

Dans une affaire récente aux circonstances similaires, le Requérant a obtenu la transmission de plusieurs noms de domaine dont <laboratoires-servier.fr>, Les Laboratoires Servier, Biofarma et Monsieur Jacques Servier contre Samir Laroussi Robio, Litige OMPI No. DFR2011-0004.

"(…) en les privant ainsi d’enregistrer eux-mêmes les termes litigieux et en n’exploitant pas les noms de domaine litigieux, le Défendeur a non seulement porté atteinte aux droits des tiers mais également aux règles qui gouvernent la loyauté commerciale."

Au regard de ce qui précède, l’Expert considère que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux en violation tant des droits du Requérant que des règles de concurrence et de loyauté commerciale.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <laboratoireservier.fr>.

Alexandre Nappey
Expert
Le 15 juin 2011