OMPI |
SCCR/4/4 | |
ORGANISATION MONDIALE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE | ||
GENÈVE |
présentée par les États-Unis d'Amérique_
CESSION DES DROITS
1. Le principal obstacle à l'adoption d'un traité de l'OMPI sur les droits des artistes interprètes ou exécutants qui soit universellement accepté semble tenir à la question de savoir quand et comment les droits d'autorisation exclusifs créés par le traité doivent être cédés au producteur par l'artiste interprète ou exécutant. Bien qu'un certain nombre de propositions aient été soumises au Comité permanent, aucune d'elles n'a encore fait l'objet d'un consensus suffisant.
2. Un traité international a pour but, entre autres, de conférer de la certitude quant aux droits auxquels il donne naissance ou qu'il reconnaît. À la différence des oeuvres littéraires ou musicales, les oeuvres audiovisuelles supposent la participation de nombreuses personnes qui peuvent être de nationalités diverses. De plus, la production et le financement des oeuvres audiovisuelles se faisant de plus en plus dans l'ignorance des frontières nationales, il importe au plus haut point de conférer cohérence et précision aux règles relatives à la cession et à la titularité des droits. La distribution de films est, de fait, une activité d'ordre mondial. Avec l'accès croissant à large bande sur l'Internet, la portée et le niveau de la distribution internationale vont se développer.
3. De plus, les droits prévus par ce traité constitueront, dans certaines régions, de nouveaux droits qui n'existent pas actuellement ou qui ne sont pas reconnus en tant que tels. S'agissant de ces droits nouvellement créés, pour l'application desquels aucun système n'a encore été mis en place, il est particulièrement important que le traité qui les crée traite des questions de cession et d'exercice des droits.
4. Le présent document examine les éléments indispensables à toute disposition efficace relative à la cession et analyse les propositions faites à la lumière de ces éléments.
A. ÉLÉMENTS INDISPENSABLES À TOUTE DISPOSITION EFFICACE RELATIVE À LA CESSION
5. Pour créer un environnement qui i) garantisse aux artistes interprètes ou exécutants la possibilité de négocier leurs droits et encourage par là-même l'instauration d'un solide processus de négociation collective, ii) assure aux artistes interprètes ou exécutants une rémunération équitable et suffisante, iii) permette une juste récupération des investissements à forte valeur économique réalisés dans la production cinématographique, et iv) offre des règles précises aux producteurs et aux artistes interprètes ou exécutants, il convient de répondre aux préoccupations qui suivent :
(1) La disposition sur la cession ne devrait pas s'appliquer aux droits à rémunération
6. L'un des principaux buts d'un traité relatif aux droits des artistes interprètes ou exécutants est de veiller à ce que ces artistes interprètes ou exécutants aient la possibilité d'obtenir une rémunération appropriée au titre de leur apport créatif à des films. Dans de nombreux pays, cela se fait par la négociation collective; dans d'autres, par des systèmes législatifs de droits à rémunération. Dans d'autres encore, la combinaison de ces deux systèmes s'est révélée efficace. La disposition sur la cession ne devrait pas compromettre la protection, légale ou autre, dont jouissent les artistes interprètes ou exécutants à l'heure actuelle. Si le droit à rémunération est exclu du champ de la disposition sur la cession, les artistes interprètes ou exécutants dont la protection repose en tout ou partie sur le droit légal à rémunération seront à l'abri
(2) La disposition sur la cession ne devrait pas être applicable au droit moral
7. Le droit moral garantit le droit individuel d'un artiste interprète ou exécutant à l'intégrité de son interprétation ou exécution et le droit d'être mentionné comme étant l'interprète ou l'exécutant de cette prestation. Ce droit n'a aucune importance pour les producteurs en termes de distribution de films, dans la mesure où il n'entrave pas l'exploitation normale d'un film. Au contraire, la capacité des artistes interprètes ou exécutants à exercer directement leurs droits à l'encontre des auteurs d'atteintes au droit moral contribue à l'intégrité du film.
8. À une époque où les interprétations ou exécutions fixées sur support numérique peuvent être utilisées grâce à un matériel grand public accessible à tous, et facilement distribuées sur l'Internet, il est indispensable de réserver le droit moral aux artistes interprètes ou exécutants. La capacité des artistes interprètes ou exécutants à gagner leur vie dépend largement de leur réputation. Sans cette réservation du droit moral, ils seraient incapables de protéger leurs actifs les plus importants que sont leur image et leur réputation.
(3) Toute présomption de cession de droits doit pouvoir être écartée par une convention écrite
9. Une présomption réfragable offre la possibilité de réserver les droits à l'artiste interprète ou exécutant et de procéder à des négociations contractuelles. La possibilité de négocier des conditions spécifiques qui tiennent compte des circonstances particulières de la production est nécessaire pour que les droits d'un artiste interprète ou exécutant aient un véritable contenu.
(4) La disposition sur la cession devrait être applicable à une production audiovisuelle particulière
10. Lorsqu'un artiste interprète ou exécutant donne son accord à la fixation de sa prestation, il le fait pour une production audiovisuelle particulière. Il est rémunéré au titre de la fixation de son interprétation ou exécution en vue de son exploitation dans cette production et au titre du droit de distribution de cette production, une autre rémunération au titre de la distribution de cette production étant prévue par un contrat, une convention collective, la législation ou une combinaison de ces éléments. Toute disposition sur la cession doit fournir au producteur et au distributeur d'un film des règles précises sur les droits d'autorisation. Cependant, il n'est ni souhaitable ni nécessaire d'étendre le champ de cette disposition aux interprétations ou exécutions incluses dans de nouvelles productions audiovisuelles. Les artistes interprètes ou exécutants doivent avoir le droit de négocier l'introduction de leurs interprétations ou exécutions fixées dans de nouvelles oeuvres.
(5) La disposition sur la cession ne devrait pas exiger des pays qu'ils modifient leurs systèmes relatifs à la cession des droits des artistes interprètes ou exécutants aux producteurs
11. Certains pays ont des dispositions légales conférant des droits aux producteurs, d'autres n'en ont pas. Certains pays ont des conventions collectives bien établies entre les producteurs et les artistes interprètes ou exécutants, d'autres non. La disposition sur la cession ne devrait ni l'emporter sur les systèmes juridiques existants et entraîner des changements dans la loi nationale, ni annuler les conventions collectives entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs.
(6) La disposition sur la cession devrait être simple et directe
12. La disposition sur la cession devrait être simple et directe. Elle ne devrait pas favoriser l'incertitude et présenter notamment des lacunes qui devraient être résolues devant un tribunal, ni être susceptible d'utilisation abusive.
(7) La disposition relative à la cession devra tenir compte de la complexité croissante du monde de la production (coproductions, accords de cofinancement, distributions internationales, lieux de tournage situés dans différents pays, etc.)
13. Comme cela a déjà été dit, pour qu'un traité international soit efficace, il doit rendre les choses claires; si la question essentielle de la cession des droits qui sont créés est laissée entièrement aux législations nationales, il en résultera une confusion encore plus grande. Cela vaut en particulier en ce qui concerne le nombre croissant d'oeuvres audiovisuelles qui ne sont pas le produit d'un seul pays mais auxquelles participent au contraire des producteurs, des financiers et des artistes de différentes nationalités. Il faudrait également garder à l'esprit le fait que l'importance de la titularité des droits sur les oeuvres cinématographiques a été reconnue par l'article 14bis de la Convention de Berne.
14. Par ailleurs, ainsi que cela a été relevé dans l'introduction, les droits créés par ce traité seront, dans certains pays, des droits nouveaux, qui soit n'existent pas actuellement, soit ne sont pas reconnus actuellement en tant que droits distincts. S'agissant de ces droits nouveaux, et lorsqu'il n'existe aucun système les régissant, il est particulièrement important que le traité qui leur donne naissance porte sur la cession et l'exercice de ces droits.
(8) La disposition relative à la cession doit être une source de sécurité juridique pour la distribution des oeuvres audiovisuelles dans le monde
15. Les producteurs et les distributeurs d'oeuvres audiovisuelles doivent être en mesure de déterminer qui est le titulaire des droits des artistes interprètes ou exécutants et qui les exerce effectivement pour l'oeuvre considérée, d'après les dispositions du traité et des contrats écrits. Il ne faudrait pas que le traité laisse aux producteurs la tâche, extrêmement complexe, d'essayer de déterminer le droit national applicable lorsque l'oeuvre est distribuée dans le monde entier. En l'absence de sécurité juridique en la matière, il deviendra beaucoup plus difficile pour les producteurs d'assurer un financement pour les productions internationales, ce qui, par voie de conséquence, réduira les possibilités d'emploi pour les artistes interprètes ou exécutants.
B. DIFFÉRENTS POINTS DE VUE SUR LA CESSION
16. Aucune des propositions actuelles sur la cession ne satisfaisant à l'ensemble des critères définis plus haut, il n'a pas été possible d'aboutir à un consensus sur ce point.
(1) Absence de mention de la cession - L'Union européenne a proposé que le traité ne mentionne pas la cession, la question de la titularité et de l'exercice effectif des droits créés par le traité devant être laissée au droit interne de chaque pays. Cette solution n'apporte pas la sécurité et la prévisibilité juridiques nécessaires. Les négociations sur la valeur des droits nouveaux sont contrariées s'il est impossible d'établir l'étendue de ces droits. Cette solution n'assure pas non plus une protection de base pour les artistes interprètes ou exécutants s'agissant de la cession des droits, par exemple, dans les domaines du droit à rémunération et du droit moral. De plus, elle serait une source constante de litiges et d'incertitude quant au droit national applicable à une production et à la façon dont ce droit doit être interprété.
(2) Présomption réfragable de cession - Les États-Unis ont proposé une présomption simple de cession par l'artiste interprète ou exécutant au producteur des droits exclusifs d'autorisation créés par le traité, limitée aux droits exclusifs d'autorisation concernant une oeuvre audiovisuelle particulière. S'il est vrai que de nombreux pays prévoient dans leur droit national une présomption de cession, l'incorporation dans le traité d'une telle disposition obligerait toutefois certains pays à modifier leur droit, et pourrait imposer à leur industrie nationale de production d'oeuvres audiovisuelles un nouveau système de cession des droits.
(3) Règles de cession déterminées par le pays d'origine de l'oeuvre - Le Canada a proposé que le pays d'origine de l'oeuvre audiovisuelle décide si les droits exclusifs d'autorisation doivent être présumés avoir été cédés sous réserve d'une objection figurant dans un contrat écrit. Autrement dit, les pays pourraient choisir d'adopter ou non le principe de la présomption. Cette solution n'impose à aucun pays de modifier sa législation applicable aux productions nationales et garantit au producteur que le même régime de cession sera applicable à une oeuvre donnée, quel que soit le lieu de son exploitation. Son grand inconvénient est qu'il est très difficile de déterminer le pays d'origine d'une oeuvre, ce qui pourrait d'ailleurs donner lieu à des manoeuvres incorrectes. On pourrait en effet prendre en compte la nationalité des artistes interprètes ou exécutants, du producteur, du scénariste, des éléments sous-jacents à l'oeuvre, ainsi que le pays où ont eu lieu les principales prises de vue, etc. - et la situation serait rendue encore plus difficile par le fait que, dans chaque catégorie, on peut avoir des nationalités multiples, dans le cas par exemple d'une distribution internationale. Par ailleurs, des objections ont aussi été formulées s'agissant de l'application dans un pays des dispositions divergentes d'un autre pays en matière de cession.
(4) Solution inspirée de l'article 14bis 2) de la Convention de Berne - Le GRULAC, l'Inde, le Japon et d'autres ont proposé une solution inspirée de l'article 14bis 2) de la Convention de Berne. Certaines préoccupations ont été exprimées quant au fait que cette solution a pour effet de réduire le pouvoir de négociation des artistes interprètes ou exécutants, puisqu'elle les empêche de s'opposer à l'exercice par le producteur de l'un quelconque des droits exclusifs prévus par le traité. Toutefois, la disposition précitée de la Convention de Berne prévoit effectivement la possibilité d'un refus au moyen d'un contrat écrit. Ces propositions ont néanmoins l'inconvénient d'avoir une large portée, c'est-à-dire qu'elles ne limitent pas l'impossibilité d'objecter à l'oeuvre pour laquelle l'artiste interprète ou exécutant a prêté ses services.
Le Japon a proposé une variante de la solution inspirée de l'article 14bis 2) consistant à laisser le choix de ne pas inclure la disposition en question. L'adjonction de la possibilité pour un pays de choisir d'appliquer ou de ne pas appliquer cette disposition à ses ressortissants lèverait les craintes de certains pays, qui seraient autrement dans l'obligation de modifier la façon dont ils traitent la cession des droits pour les productions nationales (ainsi, cette solution pourrait permettre d'éviter d'aller à l'encontre des systèmes qui exigent des contrats écrits pour la cession des droits exclusifs). Toutefois, si les pays peuvent choisir si leurs nationaux participeront ou non au système, il en résultera que les droits des artistes interprètes ou exécutants venant de différents pays pourraient être traités différemment dans le cadre de la même production.
(5) Choix du droit applicable - Reconnaissance des contrats de cession - Il a beaucoup été débattu de la possibilité de trouver un compromis fondé sur le choix du droit applicable ou sur un système de reconnaissance de la cession, même si aucune proposition en bonne et due forme n'a été présentée à cet égard au comité permanent. Une telle proposition pourrait être rédigée en ces termes : "En l'absence de décision de la part des parties quant au droit applicable, tout contrat conclu par un artiste interprète ou exécutant par lequel il cède les droits patrimoniaux exclusifs d'autorisation reconnus en vertu du présent traité sera régi par le droit de la Partie contractante la plus étroitement liée à ce contrat." Cette formule présente l'avantage de n'imposer à aucun pays de modifier sa législation applicable à ses propres productions audiovisuelles et de ne pas réduire le pouvoir de négociation des artistes interprètes ou exécutants (comme cela pourrait être le cas avec des dispositions inspirées de l'article 14bis 2)). Toutefois, cette proposition soulève une question compliquée : il faut en effet déterminer le pays "le plus étroitement lié au contrat".
CONCLUSION
17. Nous estimons que les consultations en cours sont capitales pour que des progrès soient enregistrés sur cette question importante. Il est indispensable d'arriver à une décision sur la question de la cession si l'on veut que le nouvel instrument bénéficie d'une large adhésion. Compte tenu de ce qui précède, les États sont instamment invités à s'associer aux débats et aux propositions susceptibles de conduire à un consensus en la matière.
[Fin du document]