II. COMMERCE ÉLECTRONIQUE ET
DROIT D'AUTEUR :
UN RÔLE CLÉ POUR L'OMPI
1. Le contexte : droit
d'auteur et commerce électronique
2. Définition des concepts
2.1 Définition de la gestion du droit d'auteur
2.2 Définition de la gestion électronique du droit d'auteur
3. Les SEGDA : problèmes et obstacles
3.1 Questions juridiques
3.2 Questions normatives : identification et métadonnées
3.3 Questions techniques et protection de la vie privée
4.1 Une infrastructure mondiale de la propriété intellectuelle au service du commerce électronique
4.2 Propriété intellectuelle, commerce électronique et OMPI
4.3 La voie de l'avenir
par M. Daniel Gervais (1)
Au dire de nombreux experts, le commerce électronique va exploser. En février 1999, Forrester Research a prédit que de 20 milliards de dollars É.-U. en 1998, ce commerce passerait à plus de 50 milliards cette année et de 320 milliards en 2002. À titre de comparaison, les recettes de la société Microsoft avoisinaient en 1998 les 15 milliards de dollars É.-U. Confirmant cette tendance, Jupiter Communications, Yankee Group et International Data Corporation ont également prédit une augmentation des dépenses de consommation en ligne (achats par carte de crédit et utilisation de "portefeuilles électroniques") de plus de 100% par année.
Ce phénomène se borne pour l'essentiel à un groupe de pays industrialisés, mais l'Internet se transforme rapidement en un véritable réseau mondial et les systèmes de paiement internationaux acceptent désormais couramment des paiements transfrontaliers, généralement au moyen de cartes de crédit.
La question qui se pose maintenant est de savoir ce qu'est le commerce électronique ou, en d'autres termes, ce que consommateurs et commerçants peuvent acheter ou vendre par l'intermédiaire de l'Internet.
Une bonne part du commerce électronique consiste en ventes dites sur catalogue, où un écran d'ordinateur remplace les traditionnels catalogues imprimés, offrant souvent un choix plus vaste, des articles et des prix constamment actualisés et, naturellement, un accès universel. Dans cette forme de commerce électronique, les éléments binaires numériques servent à vendre des atomes. La société Amazon.com, qui a connu un grand succès dans la vente de livres et de disques compacts sur le Web, en est peut-être le meilleur exemple.
Toutefois, il existe deux formes de commerce électronique où il n'est pas question d'atomes et où des éléments binaires servent à acheter ou vendre d'autres éléments binaires. C'est le cas lorsque les renseignements nécessaires à une transaction sont échangés en ligne, par exemple dans le cadre de services de courtage qui permettent à des utilisateurs du monde entier de passer des ordres aux principales bourses.
Il reste que la vente de paquets d'éléments binaires représentant des oeuvres protégées par le droit d'auteur est sans doute la forme la plus intéressante de commerce électronique. Dès lors que la plupart des oeuvres littéraires et artistiques peuvent être numérisées ou sont créées numériquement, l'Internet devrait logiquement offrir le meilleur moyen d'y accéder (comparé à l'achat de produits matériels). Ainsi, pourquoi ne pas acheter un fichier contenant une chanson, ou un article scientifique en ligne, plutôt que d'avoir à se procurer un disque compact ou un exemplaire de périodique? Naturellement, des raisons culturelles et pratiques font que certains types d'oeuvres protégées par le droit d'auteur se vendent mal sur l'Internet. Un roman est quelque chose que nous voulons lire dans l'avion, le train, voire dans un confortable fauteuil ou même au lit. Le plaisir de voir et de tenir un livre est quasi irremplaçable. Pourtant, la plupart des achats de contenus protégés par le droit d'auteur, en particulier dans les échanges inter-entreprises, pourraient se faire avec plus de commodité et d'efficacité en ligne.
Il en va de même de la création de nouvelles oeuvres. De tout temps, les créateurs ont eu recours, consciemment ou non, à des oeuvres préexistantes. Il a été dit à ce propos que le passé est un prologue et, selon Blaise Pascal, "toute la suite des hommes pendant le cours de tant de siècles doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement". L'Internet permet aux créateurs du monde entier d'accéder à toutes les oeuvres mises à leur disposition pour en créer de nouvelles. Il leur permet également, dans tous les pays, d'accéder aux oeuvres qui existent déjà par-delà frontières et cultures, ce qui crée peu à peu une énorme bibliothèque mondiale à la portée de ceux qui sont reliés au réseau. Le développement économique devrait s'en trouver accéléré, car il devient possible d'accéder rapidement à l'information technique la plus récente et aux meilleures pratiques existant dans les diverses régions de la planète. Les renseignements relatifs aux brevets en sont un bon exemple : il est possible désormais de faire en ligne des recherches sur les brevets délivrés par plusieurs grands offices et d'en télécharger le texte complet.
Alors pourquoi ce type de commerce électronique semble t-il tant tarder à se développer? La réponse est simple : le droit d'auteur. Voilà à peine deux ans, il était à la mode de prétendre que droit d'auteur et l'Internet (ou son cousin multimédia le World Wide Web) étaient associés comme l'eau et le feu et qu'en conséquence, le droit d'auteur serait appelé bientôt à s'évaporer ou à s'éteindre. Ces 12 derniers mois, l'augmentation de la largeur de bande et du parc d'utilisateurs du World Wide Web, de même que les nouveaux algorithmes de compression ont permis de télécharger de nouveaux types d'oeuvres, et pas seulement des textes en clair, des fichiers ASCII ou PDF. Le phénomène qui a fait couler le plus d'encre est sans aucun doute celui des oeuvres musicales, notamment en raison du MP3. Ce pouvoir élargi du Web de livrer en ligne des contenus aurait dû marquer la fin du droit d'auteur tel que nous le connaissons. Paradoxalement, c'est l'inverse qui semble se produire, comme vient de le signaler The Economist (1ter). Un certain nombre d'initiatives "sécurisées", parfois appelées "systèmes de gestion du droit d'auteur", ont été proposées et plusieurs de ces systèmes en sont au stade avancé de "l'essai bêta". Sans entrer dans tous les détails, on retiendra essentiellement que plusieurs grandes maisons d'édition offrent aujourd'hui un contenu de tout premier ordre sur le Web ou prévoient de le faire bientôt. Les producteurs d'oeuvres musicales ont également décidé d'exploiter la puissance de l'Internet pour vendre des oeuvres musicales dès qu'on aura trouvé une bonne solution technique.
Les lecteurs de revues scientifiques, techniques et médicales peuvent trouver des milliers d'excellents périodiques offerts en ligne (généralement en plus de la publication sur papier). Citons par exemple IDEAL d'Academic Press, Science Magazine, Science Direct de Elsevier et LINK de Springer-Verlag, sans parler de quantité d'autres systèmes. Des centaines d'éditeurs de périodiques et de journaux suivent la même voie et les grands quotidiens, dans de nombreux pays, sont disponibles dans leur intégralité en ligne, souvent le même jour que la publication sur papier. Aux États-Unis, on citera par exemple le New York Times, l'édition interactive du Wall Street Journal, le Washington Post, Newsweek, Business Week et bien d'autres encore. Les versions en ligne présentent, entre autres, l'avantage souvent évoqué de permettre la recherche de mots et souvent même la consultation d'archives.
Les modèles commerciaux de restitution de contenus protégés par le droit d'auteur varient. Disons succinctement que les plus courants mettent le contenu gratuitement à la disposition de l'utilisateur, qui peut faire une recherche sans s'identifier. La plupart du temps, toutefois, les publications demanderont aux utilisateurs de s'inscrire - gratuitement - avant de leur permettre d'explorer le contenu de leur site. Les propriétaires de contenu disposent ainsi de renseignements démographiques (de marché) précieux et sont en mesure de dresser des listes de distribution électronique pour leurs futures opérations de vente directe. Dans d'autres cas, un résumé analytique de quelques lignes servira à présenter le contenu, mais il faudra peut-être payer pour télécharger le texte complet. Enfin, d'autres fournisseurs de contenus préfèrent le système de l'abonnement : abonnement à la version électronique seulement, ou combiné à un abonnement à la version sur papier (parfois, la version électronique est offerte en prime).
Pratique courante parmi les fournisseurs de contenus, les oeuvres ainsi fournies en ligne font souvent l'objet d'un "contrat clic de souris", voire de conditions générales qui limitent ce que l'utilisateur peut licitement faire avec le contenu. En général, ce système limite l'utilisation à un seul utilisateur, qui n'est autorisé qu'à lire et éventuellement imprimer un seul exemplaire. Il est normalement interdit de redistribuer ou de réemployer le contenu de quelque façon que ce soit. Alors que dans le milieu de l'édition (journaux, revues et périodiques), on table pour l'essentiel sur le sens de l'honneur (envers le droit et les contrats), d'autres secteurs semblent préférer des solutions techniques, comme les boîtes numériques et les dispositifs de cryptage, pour faire respecter les conditions générales prévues.
Dans le présent document, les systèmes électroniques de gestion du droit d'auteur (SEGDA) s'entendent comme englobant tout ce qui précède, à savoir : les cas où le propriétaire souhaite appliquer les conditions générales types et éventuellement les faire respecter au moyen de mesures technologiques, mais aussi où un utilisateur peut avoir besoin de droits supplémentaires pour réutiliser le contenu, par exemple, pour en faire de nouvelles copies, le publier sur un site Intranet ou Internet, créer un disque compact ROM ou un DVD, etc..
Avant de pouvoir appréhender les systèmes de gestion électronique du droit d'auteur, nous devons comprendre les concepts qui les sous-tendent, à commencer par celui de la "gestion du droit d'auteur" lui-même. Les systèmes de gestion du droit d'auteur sont essentiellement des bases de données qui contiennent des renseignements sur le contenu (oeuvres, manifestations d'une oeuvre (1bis) et produits connexes), et, dans la plupart des cas, sur l'auteur et les autres titulaires de droits. Cette information permet au système d'autoriser des tiers à utiliser les oeuvres en question. Un système de gestion du droit d'auteur comporte généralement deux modules fondamentaux, l'un servant à l'identification du contenu et l'autre à l'octroi d'une licence (ou, rarement, aux autres transactions portant sur le droit, telles qu'une cession complète). Dans de nombreux cas, il existe des modules annexes que l'on considère aussi comme faisant partie du système, tels qu'un module de paiement ou de gestion des comptes débiteurs, mais le coeur d'un système de gestion du droit d'auteur est un mécanisme d'identification des contenus et des droits et d'octroi de licences.
Un système de gestion du droit d'auteur peut être employé par des titulaires de droits ou par des tiers qui gèrent les droits pour le compte d'autrui. Le titulaire du droit peut utiliser le système pour suivre un répertoire d'oeuvres, de manifestations ou de produits, ou une organisation qui représente un groupe de titulaire de droits peut utiliser un tel système pour gérer les droits et les oeuvres de chaque titulaire. Il peut s'agir par exemple d'un agent littéraire représentant plusieurs écrivains ou, plus couramment, d'une organisation de gestion collective telle qu'une société d'auteurs. (La plupart des organisations de gestion collective sont membres de la Fédération internationale des organismes gérant les droits de reproduction (IFRRO) ou de la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs (CISAC).
Dans une organisation de gestion collective, le mandat d'autoriser des tiers peut être donné directement par les titulaires de droits, dans le cadre d'un système volontaire (contractuel), ou peut découler d'un règlement public qui impose une licence obligatoire ou crée un droit à rémunération qui doit être géré collectivement (2).
En ce qui concerne la fixation des prix, dans quelques cas, les titulaires de droits fixent le prix à pratiquer pour chaque type d'utilisation de chaque partie d'un contenu. Toutefois, dans la grande majorité des cas, les prix sont fixés dans un barème applicable à une catégorie de contenu et/ou d'utilisateurs. Une redevance annuelle, souvent appelée licence globale, parfois prévue par la loi, est due pour tout un répertoire d'oeuvres. Ce type de licence est utile lorsqu'une gestion plus précise serait soit trop coûteuse soit tout simplement impossible. On en trouve un bon exemple dans le cas des droits d'exécution des oeuvres musicales lorsqu'une station de radio achète une licence globale annuelle pour diffuser de la musique. À l'opposé, au Copyright Clearance Center des États-Unis, les titulaires de droits fixent le prix à pratiquer pour divers types d'utilisation.
Un autre type de redevance, la redevance à la transaction, accorde à l'utilisateur une licence en vue d'utiliser une oeuvre ou une manifestation donnée pour un objet bien défini. L'utilisateur fait généralement une demande d'octroi de licence quand il a besoin des droits en question. Par exemple, aux États-Unis, les établissements de formation qui produisent des dossiers sur papier et sous forme électronique (collections de documents provenant de diverses sources et servant habituellement de complément aux manuels) doivent en général obtenir une autorisation préalable pour chaque élément de contenu employé. L'utilisation de la musique dans la publicité ou, dans la plupart des cas, à des fins d'enregistrement commercial, exige également une redevance à la transaction pour cette utilisation particulière. Dans le cas de la redevance à la transaction, les organisations de gestion collective peuvent soit accorder une licence sur la base des conditions définies à l'avance par le titulaire du droit, soit jouer le rôle d'intermédiaire entre le titulaire du droit et l'utilisateur pour fixer ces conditions (3).
En appliquant les concepts précédents, nous voyons que les ordinateurs, qui peuvent jouer à la fois le rôle de volumineuses banques de données sur les droits et de machines automatiques d'octroi de licences, peuvent faciliter les fonctions de gestion du droit d'auteur. Ces systèmes informatisés, qui permettent aux titulaires de droits d'accorder automatiquement des licences à des utilisateurs sans intervention humaine, ont l'avantage d'abaisser le coût des transactions et de faire de l'octroi de licences un processus efficace se déroulant à la vitesse de l'Internet. Ainsi, des licences d'utilisation d'une oeuvre donnée peuvent être accordées automatiquement à un utilisateur donné. Par exemple, une entreprise ou un auteur ou utilisateur peut acheter le droit d'utiliser une image, une bande vidéo ou une chanson, pour la republier dans un article de périodique, ou un éditeur pourrait acheter le droit de réutiliser des documents déjà publiés. Ces systèmes peuvent aussi servir à restituer le contenu dans les cas où l'utilisateur n'a pas accès à ce contenu dans le format voulu. Enfin, la technologie numérique peut aussi servir à suivre précisément l'utilisation d'un contenu ("comptage et surveillance"), à rechercher des utilisations illicites (des programmes appelés "moteurs de recherche" parcourent le Web pour trouver les copies illicites) ou à crypter un contenu afin d'en limiter les utilisations futures.
Pour les licences transactionnelles, le système électronique de gestion du droit d'auteur (SEGDA) joue essentiellement le rôle d'une "machine à octroyer des licences". Les diverses applications de ces systèmes se classent par degré de perfectionnement technique. Dans les systèmes pas du tout informatisés, l'utilisateur envoie par lettre, télécopie ou courrier électronique une demande de licence à l'organisation de gestion collective, qui traite la demande manuellement et la renvoie à l'utilisateur. Dans un environnement un peu plus automatisé, l'organisation utilise une base de données électronique sur les oeuvres et les droits mais continue de traiter les demandes de licence manuellement. Avec une automatisation un peu plus poussée, on peut employer un système informatisé interne pour traiter les demandes de licence. À un niveau d'informatisation total, l'utilisateur recherche en ligne les contenus et les droits disponibles, présente sa demande de licence par des moyens électroniques (généralement l'Internet) et reçoit une réponse du système de gestion électronique du droit d'auteur sans aucune intervention humaine. Cette dernière option est à mon sens le seul véritable système électronique de gestion du droit d'auteur.
Un certain nombre de questions entravent le développement des applications des SEGDA. Elles sont groupées en trois catégories principales : juridiques, normatives, et techniques et relatives à la protection de la vie privée.
Les principales questions juridiques qui se posent dans les systèmes de gestion électronique du droit d'auteur portent sur la propriété des droits et des oeuvres, les droits cédés, ce que la cession autorise, et la détermination du droit applicable en cas de litige impliquant plus d'un pays. Les paragraphes qui suivent présentent un bref inventaire des questions les plus pressantes, dont dépend le succès du commerce électronique de contenus protégés par le droit d'auteur.
3.1.1 Questions relatives aux droits
3.1.1.1 Qui est titulaire des droits?
Si c'est généralement l'auteur qui est titulaire des droits sur une oeuvre au moment de la création, il arrive aussi qu'en raison d'une relation juridique, par exemple dans le cadre d'un contrat de travail ou de louage de services ou d'ouvrage, la titularité des droits ne revienne pas à l'auteur. La question se complique dans le cas d'un film ou d'une pièce de théâtre, où il peut y avoir d'autres titulaires (par exemple producteurs, artistes interprètes ou exécutants). En outre, la cession du droit d'auteur est courante (par exemple d'un auteur à un éditeur, ou entre éditeurs). Le système de gestion électronique du droit d'auteur doit savoir qui détient le droit d'autoriser l'utilisation d'une oeuvre en tout ou partie à un moment donné et, éventuellement, qui a droit à une partie des redevances.
3.1.1.2 Quels sont les droits concernés?
Le droit d'auteur n'est pas un monolithe. Il comporte plusieurs droits différents et tous ces droits ont une existence distincte dans les différentes parties du monde. Nous avons donc une matrice à trois dimensions, avec une multitude de "droits" qui, dans la plupart des cas, pour mettre les choses au pire, peuvent être découpés selon des limites territoriales (4).
La Convention de Berne et de nombreuses lois nationales contiennent un inventaire des composantes du "droit d'auteur". Il existe deux grandes catégories : le droit moral et les droits économiques. Dans la première, on trouve le droit de paternité de l'oeuvre et le droit de s'opposer à sa mutilation. Dans la seconde, les droits les plus importants sont le droit de reproduction, le droit de communication au public (qui comprend, d'après l'article 8 du Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur, le droit de "mise à disposition") et le droit d'adaptation. Un système électronique de gestion du droit d'auteur se préoccupe principalement des droits qui peuvent aisément faire l'objet d'une licence ou d'une cession : les droits économiques se prêtent donc mieux à la gestion électronique que le droit moraul.
3.1.1.3 Quels sont les droits cédés?
La transmission numérique implique la fabrication d'une copie, du moins au point de réception. Même si d'aucuns affirment que la transmission numérique fait intervenir le droit de "distribution", il n'est pas réellement distribué de copie au sens matériel. En fait, lorsqu'une oeuvre protégée est téléchargée à partir d'un serveur et que l'utilisateur en fait une copie, on peut invoquer le droit de reproduction plutôt que le droit de distribution. C'est assurément la position prise par la première Déclaration commune accompagnant le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur (WCT).
Une question demeure en suspens, celle des exceptions au droit exclusif de reproduction. Comme en dispose l'article 9 de la Convention de Berne, ces exceptions, y compris l'usage loyal et les transactions loyales doivent avoir une portée limitée dès lors qu'une activité commerciale est en jeu, ou toute autre diffusion à grande échelle interférant avec l'exploitation normale de l'oeuvre.
Un autre droit important, le droit de communication au public, qui s'applique assurément à la télédiffusion, s'applique aussi à certains cas de transmission interactive à la demande. La question se pose évidemment lorsqu'une information est envoyée à un utilisateur sans qu'il l'ait demandée (technique de la pression ou du "push"). L'article 8 du Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur dispose que le droit exclusif de communication au public dont jouissent les auteurs comprend "la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit de manière individualisée". Il s'agit d'un droit distinct, et son titulaire ne jouit pas nécessairement aussi du droit de reproduction. Si une utilisation sur le Web exige une autorisation pour les deux droits, il peut être nécessaire d'acquitter les redevances en deux opérations différentes.
3.1.2 Questions relatives au droit applicable
3.1.2.1 Quelle législation nationale prévaut?
Les théories traditionnelles de l'émission (d'après lesquelles le droit du pays d'origine de la communication est applicable) et de la réception (selon lesquelles c'est le droit du pays de réception de la communication qui s'applique) sont toutes deux très difficiles à transposer littéralement dans l'environnement numérique. Cela est dû, entre autres, à la multiplicité des pays qui peuvent être concernées par l'une ou l'autre de ces théories. Lorsqu'un utilisateur qui parcourt le Web appuie sur un bouton pour obtenir un contenu isolé, il ignore si ce contenu provient directement du site qu'il est en train de consulter - et du pays hôte de ce site. Il peut provenir d'un site miroir dans un pays tiers. En pareil cas, faut-il appliquer la fiction selon laquelle le contenu provient du site mère? Dans d'autres cas, des sites ou des parties de site sont cachés de telle façon que le contenu puisse être téléchargé à partir d'un serveur plus proche de l'utilisateur. Avons-nous besoin d'une fiction juridique pour tenir compte non pas du pays d'origine effectif mais du pays d'émission apparent? Si l'on retient la théorie du pays d'émission, les serveurs pourraient être situés dans les "paradis du droit d'auteur". La théorie du pays de réception semble plus simple, et elle l'est dans une certaine mesure. Les lois qui prévalent sont celles du pays où se trouve l'utilisateur, mais cela n'est pas toujours évident. En tant que résident du pays A, je peux utiliser des lignes téléphoniques pour me raccorder à l'Internet dans le pays B. Pour le système, je me trouve dans le pays B. Ce problème n'est peut-être qu'une question de preuve, mais il n'en est pas moins important.
Après une lecture minutieuse de la Convention de Berne, le professeur André Lucas, de l'Université de Nantes, a récemment proposé une version modifiée de la théorie de la réception, qui applique la loi du pays dans lequel une protection est requise, ou en d'autres termes du pays pour lequel une protection est demandée (lex loci delicti). Dans la plupart des cas, il s'agirait de la loi du pays dans lequel la protection est demandée (lex loci), mais cette règle n'est pas absolue. Les tribunaux d'un pays tiers peuvent être compétents en vertu d'un contrat conclu entre les parties au litige.
3.1.2.2 Qui choisit la législation applicable?
Si c'est le titulaire du droit ou le fournisseur de services qui choisit l'environnement dans lequel fonctionnera le système de gestion du droit d'auteur, il préférera probablement la législation du pays d'émission, c'est-à-dire en général du pays où se trouve le serveur. Si c'est le fournisseur d'accès qui choisit, il pourrait opter, selon le lieu où il se trouve pour la législation du pays d'émission, du pays de réception ou d'un pays tiers. Si les droits sont gérés au niveau de l'utilisateur (au moyen d'un boîtier raccordé à un téléviseur par exemple), le pays de réception (voire celui de vente des appareils) sera celui dont l'environnement juridique sera retenu. D'un point de vue pratique, il se pourrait qu'on voie apparaître des modules de systèmes électroniques de gestion du droit d'auteur destinés au marché mondial, qui accorderaient des droits d'utilisation de façon plus ou moins indépendante de toute loi nationale. Le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur et les efforts que poursuit l'Organisation elle-même ont fortement contribué à l'harmonisation des législations nationales et réduit les différences entre elles, rendant la dernière hypothèse moins chimérique.
Cependant, ces écarts ne s'amenuisent pas assez rapidement et les ambiguïtés subsistent. Ainsi, la Convention de Berne, l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC), le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur et le Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes imposent certes des limites aux exceptions à la règle, mais il n'en demeure pas moins qu'ils autorisent ces exceptions, qui varient beaucoup d'un pays à l'autre. Selon la loi appliquée, un acte peut exiger ou non une autorisation ou être visé par une licence obligatoire ou un mécanisme de rémunération équitable. Que se passerait-il si un utilisateur français devait télécharger un contenu provenant d'un site des États-Unis à des fins d'éducation en France : faudrait-il appliquer les Fair Use Guidelines des États-Unis?
En outre, le droit d'auteur est toujours négocié et échangé pays par pays et droit par droit. Si, en tant qu'auteur, j'ai cédé le droit de numériser et de diffuser mon oeuvre sous forme électronique à un éditeur installé par exemple en Hongrie, que se passe t-il si une société française télécharge et copie mon oeuvre à partir d'un site autorisé par l'éditeur? Cet éditeur a-t-il le droit d'autoriser l'utilisation en France? En fait, comment saurait-il que la société utilisatrice est en France? Un système électronique de gestion du droit d'auteur pourrait donc comprendre une fonction (par exemple un certificat ou une signature numérique) qui vérifierait si l'utilisateur se trouve dans un pays "autorisé"; cette fonction pourrait même inclure un module d'enregistrement fondé sur une signature numérique qui confirmerait l'adresse postale de tout utilisateur (6).
3.1.3 Droit moral
Une autre question se pose, celle de savoir comment s'applique ce qu'on appelle le droit moral. Si le commerce électronique du droit d'auteur suppose à l'évidence des droits économiques, il ne saurait faire abstraction du droit moral. Il s'agit du droit de l'auteur de s'opposer à la mutilation d'une oeuvre et d'en revendiquer la paternité même après pleine cession de tous les droits économiques. Des systèmes électroniques de gestion du droit d'auteur bien conçus devraient pouvoir traiter une situation ambiguë et ne pas se contenter de répondre par oui ou par non. Il existe déjà des systèmes perfectionnés qui peuvent aider à protéger le droit moral de deux façons. Premièrement, le système permettant au titulaire du droit et à l'utilisateur de conclure un contrat (avec ou sans intermédiaire), les parties peuvent stipuler que la modification de l'oeuvre n'est pas autorisée ou que la paternité doit être reconnue d'une certaine manière. Deuxièmement, les titulaires de droits peuvent imposer des conditions spéciales. Ainsi, un photographe peut ajouter une mention limitant l'utilisation de son oeuvre à des entreprises jugées appropriées, de façon à l'interdire par exemple à des fabricants de tabac ou de boissons alcoolisées (5).
3.2.1 Identification d'un contenu protégé
L'identification de ce qui circule sur les réseaux numériques est également au coeur d'un système électronique de gestion du droit d'auteur fonctionnant en temps réel. Le système doit être capable d'identifier avec précision les oeuvres, les manifestations et les titulaires de droits afin d'obtenir les autorisations nécessaires des personnes habilitées, de céder des autorisations, et de transmettre les redevances aux titulaires.
Plusieurs normes en concurrence, dont beaucoup sont reconnues par l'Organisation internationale de normalisation (ISO), sont à l'examen ou appliquées aujourd'hui. L'annexe I présente dans les grandes lignes un état de la situation.
3.2.2 Questions relatives aux métadonnées
Tant que l'on ne se sera pas mis d'accord sur un système unique d'identification, les systèmes électroniques de gestion du droit d'auteur devront être capables de fonctionner dans un environnement multicodes. C'est dire que les "données sur les données" - métadonnées - doivent être mises à disposition dans un format utilisable.
Alors qu'il existe des normes pour les métadonnées bibliographiques depuis de nombreuses décennies, la situation est moins claire dans les autres secteurs. Dans le secteur audiovisuel, il existe des bases de données qui contiennent par exemple des génériques de films, mais il n'existe pas de normes universelles.
Si, dans les domaines de la musique et de l'audiovisuel, on a pris quelques mesures de normalisation des métadonnées, il n'existe aucune norme pour les données relatives à la propriété des droits, à l'octroi de licences et à l'exploitation commerciale. Les métadonnées, qui peuvent servir à identifier un élément donné du contenu, risquent donc d'être insuffisantes, voire inutiles, pour les transactions du commerce électronique. Ainsi, lorsque le titulaire du droit n'est pas le titulaire "original" indiqué dans la métadonnée bibliographique, l'information peut être plus nuisible qu'utile.
L'annexe II récapitule les principaux travaux visant à élaborer des normes sur les métadonnées.
La protection des renseignements relatifs à la gestion du droit d'auteur exige une synergie entre le droit et la technique. Plusieurs projets sont envisagés à cet effet. Parmi les questions importantes, citons :
3.3.1 La protection des systèmes électroniques de gestion du droit d'auteur
Les systèmes électroniques de gestion du droit d'auteur doivent eux-mêmes être protégés. Pour fonctionner de manière automatique, ils ont besoin de formats et d'outils d'identification et de fourniture normalisées. Avec le développement de l'utilisation des réseaux électroniques pour accéder à des contenus protégés, il est très probable que les titulaires de droits investiront lourdement dans l'identification des oeuvres numériques et le marquage permanent des identificateurs. L'application à l'échelle mondiale des traités de l'OMPI sur le droit d'auteur et sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes devraient garantir que les données relatives à la gestion du droit d'auteur ne sont pas délibérément modifiées.
3.3.2 Questions de protection de la vie privée et de confidentialité
Nous aborderons, dans la présente section, le domaine privé des particuliers et les données les concernant, ainsi que la confidentialité des données commerciales. Ces deux questions, quelque peu différentes, sont toutefois étroitement liées du point de vue des SEGDA.
Les deux questions que posent le plus souvent les utilisateurs sont les suivantes :
a) En tant que particulier, puis-je consulter, lire, regarder ou écouter sans donner mon identité (et donc sans recevoir ensuite des sollicitations par courrier ou par téléphone, etc.)?
b) En tant qu'utilisateur industriel (par exemple une entreprise pharmaceutique), puis-je télécharger tel ou tel article scientifique sans que le monde entier sache que j'en ai besoin pour mon travail de recherche-développement?
Il est fort possible qu'il existe des bases juridiques sur lesquelles on pourrait s'appuyer pour revendiquer un droit à la protection de la vie privée ou à la confidentialité lors de l'accès à un contenu protégé. En fait, aux États-Unis, des spécialistes universitaires ont soutenu que la Constitution protégeait le droit de lire de façon anonyme (8). Dans de nombreux pays européens, les données privées sont protégées et ne peuvent être utilisées qu'en respectant des conditions rigoureuses.
Un système électronique de gestion du droit d'auteur n'est pas suffisant pour protéger la vie privée, mais c'est probablement le meilleur instrument dont on dispose à cet effet. Si les règles de son fonctionnement sont convenablement conçues, le système restitue aux titulaires des droits des données agrégées sur l'utilisation de leurs oeuvres. Par exemple, il pourrait indiquer qu'une autorisation a été accordée pour l'utilisation de "l'article scientifique X" à "11 entreprises pharmaceutiques au cours du mois dernier" ou que "2345 utilisateurs adolescents de tel secteur de Chicago" ont téléchargé telle oeuvre musicale. Ainsi, le titulaire du droit obtient les données commerciales nécessaires sans qu'il y ait aucun risque de violation de la vie privée ou de la confidentialité.
À cet égard, il faut aussi se demander comment identifier les différentes copies numériques (qui, présumera-t-on, ont été vendues à un utilisateur donné) sans menacer le respect de la vie privée ou de la confidentialité. Si les différentes copies sont identifiées, par exemple au moyen d'un filigrane contenant un code de transaction, une des solutions pourrait consister à les numéroter, sans inclure de données identifiant l'utilisateur qui a "commandé" la copie en question. Les numéros de copie pourraient être reliés, dans une base de données sécurisée, aux différents utilisateurs. Il serait possible, s'il y avait pour cela une bonne raison - par exemple une décision judiciaire -, d'établir le lien entre le numéro de copie et l'utilisateur. Le recours à des tiers de confiance qui agrégeraient les données relatives à l'utilisation pourrait être particulièrement important pour l'utilisateur. Un agrégateur ou une organisation de gestion collective utilisant un système électronique de gestion du droit d'auteur pourrait ainsi préserver la confidentialité du lien éventuel entre une copie donnée fournie en ligne et un utilisateur particulier. Le propriétaire du contenu recevrait, avec la rémunération de l'utilisation de ses oeuvres, un compte rendu sur le nombre d'utilisations, éventuellement avec une indication du type d'utilisateurs, mais aucun renseignement sur les différents utilisateurs. Sans ce type de garantie de la confidentialité, il risque d'être très difficile d'assurer le développement du commerce électronique du droit d'auteur. En d'autres termes, un système électronique de gestion du droit d'auteur bien conçu, qui agrégerait les données de façon à protéger la vie privée et la confidentialité, est probablement indispensable pour le succès du commerce électronique du droit d'auteur.
S'il est vrai que le commerce électronique et la technique sur laquelle il repose évoluent très rapidement et qu'il n'est pas certain qu'une solution trouvée aujourd'hui soit encore valable demain, un certain nombre de faits sont avérés. Ils sont présentés dans les paragraphes qui suivent.
Les forces du marché peuvent résoudre une partie des questions juridiques touchant le commerce électronique : il faut manifestement aborder ces questions dans le cadre d'un forum auquel tous les pays puissent participer et qui leur permette d'obtenir - du marché et du monde entier - l'information la plus récente, d'exprimer leurs opinions, d'influencer les nouvelles politiques sur le plan multilatéral et informer leurs propres organes de décision.
L'identification des contenus échangés par l'intermédiaire de l'Internet est nécessaire, comme l'attestent les nombreux efforts en cours pour y parvenir; il n'existe actuellement aucun observatoire ou forum où les organes de décision puissent en débattre et où les meilleures pratiques puissent être encouragées, soutenues et mises au point.
Les instruments du commerce électronique, comme les métadonnées, exigent des normes. Quel est le code de la route électronique? Les nouvelles normes techniques, comme le langage de balisage extensible (XML), permettent aux fournisseurs de contenu de coder leurs métadonnées dans les fichiers échangés par l'intermédiaire de l'Internet; mais il n'existe, là encore, aucun forum universel pour débattre de ces options.
De nombreux pays s'emploient à créer des centres d'acquittement des droits en multimédia. Il faut, semble t-il, observer ces systèmes et permettre aux pays qui souhaitent prendre des mesures pour appuyer ces centres d'avoir accès aux toutes dernières informations techniques, juridiques et autres; des modules normalisés d'acquittement des droits pourraient éventuellement être conçus de façon à ce que tous les pays puissent accéder rapidement à cette technique, permettant ainsi à leurs créateurs de concéder des licences d'utilisation de leurs créations dans le monde entier (exportation de licences) et d'obtenir des licences leur conférant le droit d'utiliser des contenus préexistants.
Des centres compatibles, qui seraient créés dans chaque pays ou chaque région et pourraient entretenir un dialogue avec leurs homologues dans d'autres pays, seraient certainement très avantageux pour les auteurs, éditeurs et utilisateurs. Cela encouragerait la création de nouvelles oeuvres de "qualité universelle" dans d'autres pays, mais surtout faciliterait l'accès à des oeuvres, notamment folkloriques, connues et utilisées seulement dans leur pays ou région d'origine. Pour y parvenir, il faut assurer la compatibilité. La compatibilité est le fil d'Ariane dans le labyrinthe du commerce électronique du droit d'auteur.
La création de dispositifs permettant l'octroi de licences d'utilisation de contenus protégés par le droit d'auteur par l'intermédiaire de l'Internet suppose l'accès au réseau et à la technique nécessaire. On pourrait voir là un élément du rôle du WIPOnet, qui assurerait dans le monde entier les connexions voulues et l'accès à l'information protégée par le droit d'auteur.
Aujourd'hui, les grands conglomérats de l'industrie des loisirs et de l'édition - et d'autres - ont déjà trouvé ou mettent actuellement au point leurs propres solutions pour l'identification, la gestion du droit d'auteur et la fourniture de contenus numériques. Si ces solutions satisfont les besoins immédiats, elles ne répondent peut-être pas à ceux des utilisateurs qui doivent aller sur le site de chaque fournisseur pour obtenir le contenu appartenant à l'auteur, à l'éditeur ou au producteur qui les intéresse. Elles ne visent que les marchés à court terme les plus lucratifs, et leur contenu est fourni essentiellement par leurs réalisateurs. Un système en réseau de renseignements sur le droit d'auteur raccordé aux centres d'acquittement des droits compléterait ces efforts commerciaux. Il comblerait les lacunes dans les domaines de l'identification des oeuvres, de l'identification du titulaire du droit et des métadonnées.
La raison pour laquelle le Web rencontre autant de succès est que des moteurs de recherche tels que Yahoo, Lycos et Excite peuvent parcourir l'ensemble du réseau des réseaux. Le succès de ces "portails" confirme la nécessité de points d'accès mondiaux. À tout le moins, les utilisateurs peuvent souhaiter un certain degré de standardisation dans l'accès à l'information relative au droit d'auteur et aux options d'octroi de licences. Cela dit, il peut être dangereux d'attendre qu'une norme mondiale s'impose parmi les différents systèmes "maison" en concurrence. Les acteurs clés qui cherchent, analysent et, le cas échéant, aident à mettre au point des solutions devraient proposer celles qui tendent à la compatibilité et à une certaine homogénéité. Fournisseurs commerciaux, auteurs, éditeurs et décideurs semblent avoir le même intérêt à élaborer des solutions conjointes et à rendre accessibles à tous les pays les possibilités du commerce électronique.
Les quatre premières questions énoncées à la section 4.1 sont des questions de fond relatives aux barrières juridiques et normatives qui font obstacle au développement harmonieux d'une infrastructure véritablement mondiale du commerce électronique. Les régler permettrait d'atteindre les objectifs suivants :
suivre les progrès des techniques numériques et des réseaux numériques mondiaux, comme l'Internet, du point de vue du droit d'auteur et des droits connexes;
offrir aux différents groupes de titulaires, de gestionnaires et d'utilisateurs du droit d'auteur et des droits connexes un forum où ils pourraient échanger régulièrement des informations et définir des formes souhaitables de coordination ou de coopération, par exemple dans la création et le fonctionnement de systèmes électroniques de gestion du droit d'auteur;
suivre les méthodes de pratique individuelle et de gestion centralisée du droit d'auteur et des droits connexes dans un environnement numérique, et encourager l'application optimale de méthodes jugées adéquates et efficaces tant par les titulaires et gestionnaires de droits que par les utilisateurs et le grand public;
faire mieux comprendre le rapport existant entre les droits de propriété intellectuelle (DPI) et les instruments multilatéraux relatifs à d'autres questions d'intérêt mondial;
découvrir et étudier d'autres modes d'utilisation du système de propriété intellectuelle par de nouveaux bénéficiaires tels les détenteurs de savoirs traditionnels et les auteurs d'innovations indigènes;
examiner les options de principe relatives à l'utilisation et à la gestion des DPI par rapport aux nouvelles notions de territorialité.
Les trois dernières questions traitent des exigences techniques d'une telle infrastructure, nécessaires pour :
répondre aux besoins de tous les États membres de l'OMPI et offrir à la communauté mondiale de la propriété intellectuelle des communications rapides et peu onéreuses, en tirant partie des réseaux publics existants;
faire en sorte que tous les États membres aient les moyens nécessaires (équipements, logiciels et formation) pour se relier au réseau, en leur permettant un meilleur accès à l'information relative à la propriété intellectuelle et en soutenant la modernisation de leurs systèmes de propriété intellectuelle; et
faciliter l'accès des pays en développement à l'information relative à la propriété intellectuelle.
4.3.1 Questions juridiques et normatives
Ce qu'il faut avant tout, c'est un forum où l'information puisse être mise à la disposition des décideurs, et les questions librement débattues et examinées. Il s'agirait notamment de réunir l'information sur les travaux relatifs aux identificateurs et aux métadonnées ainsi que sur les activités connexes, de la rassembler - dûment tenue à jour - en un seul endroit et de permettre aux organes de décision d'examiner ces options, de participer activement au processus sur le plan mondial et d'intensifier leurs propres actions d'élaboration de politiques à l'échelon national. L'OMPI, par exemple, pourrait remplir cet office, éventuellement de concert avec le projet INDECS (compatibilité des données dans les systèmes de commerce électronique) ou autres initiatives comparables. Ce projet très prometteur, lancé en novembre 1998, est actuellement financé par la Commission européenne. Il vise précisément à obtenir une unité de vues sur la question essentielle des métadonnées pour le commerce électronique des contenus protégés par le droit d'auteur.
4.3.2 Un réseau mondial d'information relative au droit d'auteur et d'octroi de licences
L'élaboration de normes techniques est une étape indispensable. Quant au domaine des techniques nécessaires à la création de centres d'acquittement des droits d'auteur en multimédia, à l'échelon national ou régional, il relèverait aussi tout à fait de la compétence d'une organisation comme l'OMPI. La création de contenus plus nombreux et de meilleure qualité dans tous les pays s'en trouverait stimulée et l'une des grandes fonctions de ces jeunes réseaux mondiaux serait remplie : mettre les oeuvres de tous les pays à la portée des utilisateurs de la planète. Le WIPOnet pourrait être un prolongement de ces nouveaux réseaux et en étendre l'action à l'ensemble des principaux droits de propriété intellectuelle.
Dans ce contexte, l'OMPI serait en quelque sorte un "noeud principal" dans un réseau de centres d'information relative au droit d'auteur, dont certains administrés par les pouvoirs publics (par l'intermédiaire de l'office ou de l'institut national de la propriété intellectuelle), et d'autres détenus par des organismes privés. Les réseaux peuvent compter d'autres noeuds principaux ou à haut niveau. Ces noeuds auraient la responsabilité du fonctionnement du réseau, de ses opérations et de l'intégrité des données. Ce WIPOnet "droit d'auteur" pourrait constituer l'interface avec des réseaux du même ordre, notamment quand il existe déjà une base de données extérieure de haute qualité sur les droits pour, par exemple, un support spécialisé. Il existe actuellement d'importantes bases de données consacrées aux droits sur les films, les contenus imprimés et la musique, mais aucune n'est à ce stade vraiment mondiale.
Ces noeuds principaux, qui contiendraient des données relatives aux droits concernant toutes les catégories d'oeuvres protégées par le droit d'auteur et les droits connexes, pourraient, le cas échéant, servir d'agent d'octroi de licences. Un logiciel serait aussi fourni pour créer des noeuds nationaux dans tous les pays intéressés. Il pourrait s'agir simplement d'un programme entièrement compatible, sécurisé, qui fonctionnerait au sein de logiciels de navigation standard tels qu'Internet Explorer ou Netscape Navigator.
Les noeuds nationaux seraient chargés de rassembler des données relatives aux droits à l'échelon national (comme cela se fait généralement pour les droits de propriété industrielle), et, le cas échéant, de mettre les oeuvres à disposition pour concession de licences à d'autres membres du réseau, leur permettant ainsi d'être connues et accessibles dans le monde entier. Ils fourniraient également une information sur les contenus étrangers et, là aussi, offriraient le cas échéant des solutions d'octroi de licences. Naturellement, selon les conditions propres à chaque pays, les noeuds nationaux pourraient faire appel à des entreprises et partenaires privés, tels que les fournisseurs de contenu.
Outre ses autres fonctions, le noeud principal pourrait proposer d'accueillir une partie des données nécessaires au fonctionnement de certains noeuds nationaux, à titre temporaire ou durable. Il pourrait également servir de système de sauvegarde en cas de perte de données.
Les titulaires de droits et les utilisateurs pourraient se relier à ce réseau à l'échelon national ou, le cas échéant, par l'intermédiaire d'un noeud principal. Ils seraient à même d'ajouter des données relatives à leurs oeuvres et à leurs droits, tandis que les utilisateurs obtiendraient facilement une information sur les oeuvres et les droits existants et seraient en mesure, dans bien des cas, d'obtenir des licences d'utilisation de ces oeuvres dans leur propre pays, par exemple pour créer des productions multimédias.
Le réseau qui en résulterait pourrait se présenter ainsi :
Dans notre environnement incertain et en pleine mutation, une chose est certaine; il existe un contenu de qualité. Dans presque tous les cas, il se présente sous forme numérique ou peut être numérisé. On crée actuellement des réseaux ayant une largeur de bande suffisante, et de nombreux utilisateurs commerciaux ou privés y sont déjà raccordés. Ils sont prêts à recevoir le contenu. De nombreuses industries fondées sur le droit d'auteur et d'autres titulaires de droits commencent à considérer que les réseaux mondiaux offrent de bonnes possibilités de faire des affaires et que le numérique, même s'il est différent, n'en est pas moins intéressant commercialement. En fait, ce sera peut-être, à l'avenir, le seul secteur de croissance (9). En bref, le numérique est incontournable. La plupart des ingrédients nécessaires au succès du commerce électronique sont déjà réunis.
Pourtant, il reste de nombreux obstacles juridiques et normatifs auxquels il semble difficile de s'attaquer au seul niveau national ou régional. Des solutions multilatérales sont bien préférables. Un forum s'impose pour aborder ces questions, rassembler les données pertinentes et débattre les solutions et les options de principe possibles.
Il faut également trouver des solutions pratiques de gestion du droit d'auteur pour faire en sorte que le potentiel des réseaux numériques mondiaux soit à la portée de tous. Par son mandat et en particulier son WIPOnet, l'OMPI semblerait être en bonne position pour créer les modules nécessaires et établir un réseau mondial d'information relative aux droits et d'octroi de licences.
[L'annexe I suit]