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OMPI/INDIP/RT/98/2 Add.
ORIGINAL:
anglais
DATE:
23 juillet 1998

ORGANISATION MONDIALE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

GENÈVE

TABLE RONDE SUR LA PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE ET LES PEUPLES AUTOCHTONES

Genève, 23 et 24 juillet 1998

NOTIONS GÉNÉRALES DE DROIT D'AUTEUR ET DE DROITS VOISINS

Document établi par le Bureau international

I. NOTIONS GÉNÉRALES DE DROIT D'AUTEUR

A. Introduction

1. L'Inscription de la coupole du hall d'entrée du bâtiment du siège de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) à Genève est un texte du directeur général de l'OMPI, M. Arpad Bogsch, qui souligne toute l'importance culturelle, sociale et économique que revêt une protection efficace de la propriété intellectuelle.

2. Le présent document a pour objet de présenter les notions fondamentales de la législation et de la pratique en matière de droit d'auteur en vue de poser les bases des exposés qui suivront.

3. La législation sur le droit d'auteur est une des branches du droit de la propriété intellectuelle, qui protège les intérêts des créateurs en leur conférant des droits de propriété sur leurs créations. Ces droits de propriété, reconnus dans la plupart des pays, visent à stimuler la créativité intellectuelle, à mettre à la disposition du public les résultats de cette créativité et à faire en sorte que le développement du commerce international des biens et des services protégés par des droits de propriété intellectuelle repose sur un ensemble cohérent de législations nationales en harmonie les unes avec les autres.

4. Dans les pays latins, l'expression "propriété intellectuelle" désigne uniquement le droit d'auteur. Cependant, au niveau international, cette expression englobe à la fois la propriété industrielle et le droit d'auteur, ce qui correspond à l'évolution des deux unions internationales créées à la fin du siècle dernier pour la protection de ces deux types de protection de la propriété industrielle de 1883 et l'Union de Berne instituée en vertu de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886. L'administration de chacune de ces conventions était confiée à un secrétariat appelé "Bureau international". Ces deux secrétariats furent réunis en 1893 et rebaptisés de nombreuses fois. Le dernier nom donné à ce secrétariat conjoint fut "Bureaux internationaux réunis pour le protection de la propriété intellectuelle", plus connu sous l'acronyme français BIRPI. C'est cet organisme qui est devenu aujourd'hui l'OMPI.

5. De nos jours, l'expression "propriété intellectuelle" est utilisée de manière encore plus générale et vise toutes les créations de l'esprit humain. L'article 2.viii) de la Convention instituant l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle ne définit pas à proprement parler la propriété intellectuelle mais donne la liste suivante d'objets protégés par des droits de propriété intellectuelle : œuvres littéraires, artistiques et scientifiques; interprétations des artistes interprètes et exécutions des artistes exécutants, phonogrammes et émissions de radiodiffusion; inventions dans tous les domaines de l'activité humaine; découvertes scientifiques; dessins et modèles industriels; marques de fabrique, de commerce et de service, ainsi que noms commerciaux et dénominations commerciales; protection contre la concurrence déloyale ainsi que "tous les autres droits afférents à l'activité intellectuelle dans les domaines industriel, scientifique, littéraire et artistique.

6. La législation nationale constitue la source de protection la plus directe de la propriété intellectuelle. Parmi les autres sources, on peut citer les instruments juridiques mis au point par des organismes régionaux composés de groupes de pays (par exemple, les directives de l'Union européenne), les accord bilatéraux ou plurilatéraux qui contiennent des dispositions sur la propriété intellectuelle et lient certains pays (par exemple, l'Accord de libre-échange nord-américain), les accords multilatéraux tels que la Convention de Berne ou l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) qui a été conclu récemment dans le cadre des négociations du cycle d'Uruguay menées par l'ex-GATT (aujourd'hui Organisation mondiale du commerce).

7. Pour bien comprendre ce que signifie l'expression "propriété intellectuelle", il est nécessaire de commencer par expliquer le terme "propriété". La propriété présente la particularité primordiale suivante : le propriétaire d'un bien est libre d'en disposer comme il l'entend, et personne d'autre ne peut utiliser licitement ce bien sans son autorisation. Le propriétaire peut être un individu ou une personne morale, telle qu'une société.

8. Il existe, grosso modo, trois catégories de biens. Une première catégorie est formée des biens meubles, comme une montre-bracelet, une voiture ou le mobilier d'une maison. Dans certains systèmes juridiques, on parle de "meubles corporels". Nul autre que le propriétaire de cette montre-bracelet, de cette voiture ou de ce mobilier ne peut les utiliser. Cette situation juridique est appelée "droit exclusif" et désigne le droit exclusif qu'a le propriétaire d'utiliser l'objet qui lui appartient. Naturellement, le propriétaire peut autoriser des tiers à utiliser ses biens, mais cette autorisation est juridiquement nécessaire : il serait illégal d'utiliser les biens sans l'autorisation de leur propriétaire.

9. Venons-en maintenant à la deuxième catégorie de biens, à savoir les immeubles, aussi appelés biens immobiliers. La terre et les choses qui y sont fixées en permanence, comme les maisons, sont des immeubles car il est impossible de les déplacer.

10. La troisième catégorie est celle de la propriété intellectuelle, qui protège les créations de l'esprit, de l'intellect humain. C'est pourquoi cette catégorie est appelée propriété "intellectuelle".

11. Ainsi qu'il a été précisé plus haut, on subdivise la propriété intellectuelle en deux branches, à savoir la propriété "industrielle", qui protège les inventions, et le "droit d'auteur", qui protège les œuvres littéraires et artistiques ainsi que les créations régies par les "droits voisins". Certes, il existe d'autres catégories de propriété intellectuelle mais, pour les besoins du présent exposé, il nous a paru utile d'examiner en quoi la propriété industrielle diffère du droit d'auteur, compte tenu de la différence fondamentale qui existe entre les inventions et les œuvres littéraires et artistiques.

12. Les inventions peuvent être définies, sur un plan non juridique, comme des solutions nouvelles à des problèmes techniques. Ces solutions nouvelles sont en fait des idées qui, à ce titre, font l'objet d'une protection. La législation sur les brevets n'exige pas que, pour être protégée, une invention se présente sous une forme matérielle. Aussi, la protection que la législation confère aux inventeurs est-elle une protection contre toute utilisation de l'invention sans l'autorisation du propriétaire. Même une personne qui, par la suite, réalise la même invention de manière indépendante, sans copier l'œuvre du premier inventeur ou sans même en avoir connaissance, doit recevoir une autorisation avant de pouvoir l'exploiter.

13. Les œuvres littéraires et artistiques comprennent les livres, la musique, les œuvres d'art telles que les peintures ou les sculptures, et les œuvres de caractère technique telles que les programmes d'ordinateur ou les bases de données électroniques. Le droit d'auteur, au contraire, ne protège que la forme d'expression des idées, non les idées en soi. La créativité protégée par le droit d'auteur est celle du choix et de l'agencement des mots, des notes de musique, des couleurs et des formes. Le droit d'auteur protège le titulaire de droits de propriété sur des œuvres littéraires et artistiques contre ceux qui "copient" ou s'approprient d'une autre manière et utilisent la forme sous laquelle l'auteur a exprimé l'œuvre originale.

14. Il est évident, par conséquent, que les méthodes de protection juridique des inventions différent quelque peu de celles qui concernent les œuvres artistiques. Comme la protection juridique des inventions confère un monopole pour l'exploitation d'une idée, elle est de courte durée (une vingtaine d'années en général). Il faut aussi qu'elle soit portée à la connaissance du public : elle doit faire l'objet d'un avis officiel précisant que telle invention, entièrement décrite, est la propriété, pendant le nombre d'années indiqué, de telle ou telle personne. Autrement dit, l'invention protégée doit être divulguée dans un registre officiel, accessible au public, et le propriétaire doit veiller à ce que son invention y figure.

15. La protection juridique des œuvres littéraires et artistiques conférée par le droit d'auteur n'a d'autre but que d'empêcher l'utilisation non autorisée des formes d'expression des idées. Une personne qui divulgue une idée qui n'est protégée par aucun brevet ne peut pas empêcher un tiers d'exploiter cette idée. Par conséquent, la durée de protection peut être beaucoup plus longue que dans le cas de la protection des idées proprement dites, sans nuire pour autant à l'intérêt public. De même, la législation peut être (comme c'est le cas dans la plupart des pays) purement déclaratoire et indiquer simplement que l'auteur d'une œuvre originale a le droit d'empêcher les tiers de copier son œuvre ou de l'utiliser d'une autre manière. Avec une telle législation, point n'est besoin de tenir un registre public des œuvres protégées par le droit d'auteur.

B. Droit d'auteur

16. Nous voici arrivés au terme de l'introduction. Dans la prochaine partie de cet exposé, nous examinerons la structure générale du droit d'auteur sous les angles suivants : 1) les œuvres protégées par le droit d'auteur; 2) les droits conférés au titulaire du droit d'auteur; 3) les limitations de ces droits; 4) la durée du droit d'auteur; 5) la titularité et le transfert du droit d'auteur; et 6) la sanction de ces droits.

1. Œuvres protégées

17. L'article 2 de la Convention de Rome prévoit notamment ce qui suit : "

Les termes `œuvres littéraires et artistiques' comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression, telles que : les livres, brochures et autres écrits; les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres de même nature; les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales; les œuvres chorégraphiques et les pantomimes; les compositions musicales avec ou sans paroles; les œuvres cinématographique, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la cinématographie; les œuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie; les œuvres photographiques, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la photographie; les œuvres des arts appliqués; les illustrations, les cartes géographiques; les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture et aux sciences... Sont protégés comme des œuvres originales, sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvre originale, les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d'une œuvre littéraire et artistique... Les recueils d'œuvres littéraires ou artistiques tels que les encyclopédies et anthologies qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles sont protégées comme telles, sans préjudice des droits des auteurs sur chacune des œuvres qui font partie de ces recueils."

18. Il ressort de cette disposition que le droit d'auteur s'applique à "toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression". L'expression "œuvres littéraires et artistiques" est une expression générale qui, aux fins de la protection inhérente au droit d'auteur, s'applique à toute œuvre originale d'un auteur, quelle qu'en soit la valeur littéraire ou artistique.

19. Dans leur législation, tous les pays qui sont membres de l'Union de Berne, et bien d'autres encore, accordent une protection aux catégories d'œuvres énumérées dans la liste ci-dessus, qui illustre ce que l'on entend par "productions du domaine littéraire, scientifique et artistique". Cette liste d'exemples ne saurait limiter les modes ou formes d'expression protégés par le droit d'auteur. Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive. D'autres modes ou formes d'expression de productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, qui ne figurent pas dans la liste, sont aussi protégés par la législation sur le droit d'auteur de nombreux pays.

20. Les programmes d'ordinateur font partie de ce type d'œuvres qui ne figure pas dans la liste de la Convention de Berne mais qui est sans aucun doute inclus dans l'expression "productions du domaine littéraire, scientifique et artistique", au sens de l'article 2 de la convention; d'ailleurs, les programmes d'ordinateur sont protégés par la législation nationale sur le droit d'auteur dans un certain nombre de pays ainsi que par l'Accord sur les ADPIC. Un programme d'ordinateur est un ensemble d'instructions qui commande les opérations d'un ordinateur afin de lui permettre d'accomplir une tâche déterminée, comme la mémorisation ou la restitution d'informations. Il est produit par un ou plusieurs individus, qui en sont les auteurs, mais, dans son "mode ou sa forme d'expression" final, il ne peut être compris directement que par la machine (l'ordinateur), et non par l'homme. Les productions multimédias constituent un autre exemple, d'actualité, d'œuvres ne figurant pas sur la liste de l'article 2 de la Convention de Berne mais manifestement comprises dans la notion de création "du domaine littéraire, scientifique et artistique". Si aucune définition juridique acceptable n'a été mise au point, il n'en reste pas moins que, de l'avis général, une combinaison de sons, de textes et d'images présentée sous une forme numérique et accessible par un programme d'ordinateur constitue une forme d'expression originale de l'auteur qui suffit à justifier la mise en place d'une protection par le droit d'auteur pour les productions multimédias.

2. Droits protégés

21. Au début de cet exposé, nous avons expliqué à propos de la notion de propriété qu'il existait grosso modo trois catégories de biens (les meubles, les immeubles et propriété intellectuelle) et que la caractéristique la plus importante de la propriété était que le propriétaire d'un bien était libre de l'utiliser comme il l'entendait et que personne d'autre ne pouvait l'utiliser licitement sans son autorisation. Quand nous disons que le propriétaire d'un bien est libre de l'utiliser "comme il l'entend", cela ne signifie pas pour autant - est-il besoin de le préciser? - qu'il est libre de l'utiliser au mépris des droits et intérêts d'autres membres de la société qui sont reconnus par la loi. Par exemple, le propriétaire d'une automobile est libre de l'utiliser "comme il l'entend", mais ce n'est pas pour autant qu'il peut la conduire imprudemment au point de mettre la vie d'autrui en danger, ni qu'il peut négliger les lois et règlements régissant la circulation dans les rues.

22. Le droit d'auteur est une branche de la propriété intellectuelle. Le titulaire du droit d'auteur sur une œuvre protégée peut donc utiliser cette œuvre comme il l'entend et il peut interdire aux autres de l'utiliser sans son autorisation. C'est pourquoi les droits que la législation confère au titulaire du droit d'auteur sur une œuvre protégée sont normalement des "droits exclusifs" d'autoriser autrui à utiliser l'œuvre protégée, sous réserve des droits et intérêts reconnus par la loi à des tiers.

23. Le droit d'auteur comporte deux types de droits : les droits patrimoniaux, qui autorisent le titulaire des droits à toucher une rémunération au titre de l'utilisation qui est faite par un tiers de son œuvre, et le "droit moral" qui permet à l'auteur de prendre certaines mesures visant à maintenir le lien personnel qui existe entre lui-même et l'œuvre. Nous analyserons ce droit moral un peu plus loin.

24. La question que nous devons ensuite examiner est la suivante : que faut-il entendre par "utiliser" une œuvre protégée par le droit d'auteur? La plupart des législations disposent que l'auteur ou le titulaire des droits a le droit d'"autoriser ou interdire" certains actes en relation avec une œuvre, parmi lesquels la reproduction de l'œuvre (confection de copies), la représentation ou exécution publique de l'œuvre, la radiodiffusion ou toute autre communication au public de l'œuvre, la traduction de l'œuvre et l'adaptation de l'œuvre.

a. Droit de reproduction et droits connexes

25. Le droit qu'a le titulaire du droit d'auteur d'interdire à des tiers de faire des copies de son œuvre constitue le droit fondamental par excellence de cette branche de la propriété intellectuelle. Cet acte de copie d'une œuvre protégée est celui qu'accomplit un éditeur souhaitant diffuser dans le public des exemplaires d'une œuvre écrite, que ce soit sous la forme de copies papier ou de supports numériques tels que les disques compacts ROM. Dans le même ordre d'idées, le droit d'un producteur de phonogrammes de fabriquer et de diffuser des disques compacts (CD) contenant des exécutions d'œuvres musicales enregistrées repose, en partie, sur l'autorisation donnée par le compositeur de reproduire son œuvre dans un enregistrement. Par conséquent, le droit d'exercer un contrôle sur l'acte de reproduction est la base légale de nombreuses formes d'exploitation d'œuvres protégées.

26. Des pays reconnaissent d'autres droits au titulaire du droit d'auteur afin que ce droit fondamental qu'est le droit de reproduction soit bien respecté. Ainsi, certaines législations prévoient un droit d'autoriser la distribution d'exemplaires d'œuvres; il ne fait aucun doute que le droit de reproduction ne présenterait guère d'intérêt du point de vue économique si le titulaire du droit d'auteur ne pouvait pas autoriser la distribution des exemplaires réalisés avec son accord. Le droit de distribution est, en général, sujet à l'épuisement après la première vente ou autre transfert de propriété d'un exemplaire déterminé, ce qui signifie qu'une fois que le titulaire du droit d'auteur a vendu, ou transféré d'une autre manière, la propriété d'un exemplaire donné d'une œuvre, le propriétaire de cet exemplaire peut disposer de celui-ci comme il l'entend, sans avoir besoin de demander l'autorisation du titulaire du droit d'auteur; c'est ainsi qu'il peut, par exemple, faire cadeau de cet exemplaire ou même le revendre. Autre droit, de plus en plus souvent reconnu et prévu dans l'Accord sur les ADPIC : le droit d'autoriser la location d'exemplaires d'œuvres de certaines catégories, telles que les œuvres musicales incorporées dans les phonogrammes, les œuvres audiovisuelles ou les programmes d'ordinateur. Face au progrès technique qui rend très facile la copie d'œuvres de ce type, le droit de location est devenu une nécessité. Dans certains pays, on a constaté que des copies sont réalisées par les clients de magasins de location; il est donc indispensable que le titulaire du droit d'auteur garde le contrôle des pratiques de location pour pouvoir prévenir toute atteinte à son droit de reproduction. Enfin, certaines législations sur le droit d'auteur prévoient le droit d'exercer un contrôle sur l'importation d'exemplaires afin d'éviter que le principe de la territorialité du droit d'auteur ne soit mis à mal. En effet, le titulaire du droit d'auteur risque de voir ses intérêts économiques légitimes menacés s'il ne peut pas exercer ses droits de reproduction et de distribution sur une base territoriale.

27. Certains actes de reproduction d'une œuvre font exception à la règle générale en ce sens qu'ils ne nécessitent pas l'autorisation de l'auteur ou de tout autre titulaire de droits : il s'agit des "limitations" des droits. La question des limitations ou exceptions aux droits sera abordée un peu plus loin dans le présent exposé, mais il convient d'ores et déjà de souligner que parmi les sujets de préoccupation importants figure aujourd'hui l'étendue d'une exception classique dans les législations sur le droit d'auteur, qui autorise les particuliers à reproduire une œuvre en un seul exemplaire à des fins privées, personnelles et non commerciales. L'apparition des techniques numériques, qui permettent de réaliser des copies illicites d'œuvres qui sont de grande qualité et qu'il est pratiquement impossible de distinguer de l'original (elles se substituent parfaitement aux copies autorisées, qu'il n'est dès lors plus nécessaire d'acheter, de même qu'il n'est plus nécessaire d'emprunter une voie légale pour y accéder) a remis en question le bien-fondé d'une telle limitation du droit de reproduction.

b. Droits de représentation ou d'exécution publique, de radiodiffusion et de communication au public

28. Dans de nombreuses législations nationales, une "représentation ou exécution publique" est une représentation ou exécution d'une œuvre dans un lieu où le public est ou peut être présent, ou dans un lieu fermé au public mais où se trouve rassemblé un nombre important de personnes de faisant pas partie du cercle de famille habituel ou des connaissances les plus proches. Se fondant sur ce droit de représentation ou d'exécution publique, l'auteur ou tout autre titulaire du droit d'auteur peut autoriser la représentation ou l'exécution en direct d'une œuvre, telle que la représentation d'une pièce de théâtre ou l'exécution, par un orchestre, d'une symphonie dans une salle de concert. La représentation ou exécution publique comprend aussi la représentation ou exécution au moyen d'enregistrements; par conséquent, les œuvres musicales incorporées dans des phonogrammes sont considérées comme "exécutées en public" lorsque les sons ainsi enregistrés sont diffusés, à l'aide d'amplificateurs, dans des lieux tels que des discothèques, des avions ou des centres commerciaux.

29. Le droit de "radiodiffusion" vise la diffusion de sons ou d'images et de sons par tout système sans fil, aux fins de réception par le public, que ce soit par la radio, par la télévision ou par satellite. Lorsqu'une œuvre est "communiquée en public", un signal est émis, avec ou sans fil, et peut être capté uniquement par les personnes possédant le matériel qui permet de le décoder. La distribution par câble est un exemple de "communication au public".

30. Conformément à la Convention de Berne, les auteurs on le droit exclusif d'autoriser la représentation ou l'exécution publique, la radiodiffusion et la communication au public de leurs œuvres. Selon certaines législations nationales, le droit exclusif de l'auteur ou de tout autre titulaire du droit d'autoriser la radiodiffusion est remplacé, dans certains cas, par un droit à une rémunération équitable. Il convient toutefois de préciser que cette limitation du droit de radiodiffusion est de moins en moins courante.

31. Ces dernières années, les droits de radiodiffusion, de communication au public et de représentation ou d'exécution publique ont suscité de nombreux débats. Les progrès techniques ont en effet soulevé des questions nouvelles, notamment la technique numérique qui est à l'origine de ce que l'on appelle la "convergence" des télécommunications et de l'informatique. Il résulte de cette évolution qu'il est encore plus difficile d'établir une distinction, sur le plan juridique, entre les différents moyens incorporels (radiodiffusion ou communication au public, représentation ou exécution publique, etc.) qui permettaient jusqu'à présent de mettre une œuvre à la disposition du public. Des efforts devront être faits en vue d'adapter les définitions légales de ces utilisations à la nouvelle réalité technique et commerciale.

c. Droits de traduction et d'adaptation

32. Les actes de traduction ou d'adaptation d'une œuvre protégée par le droit d'auteur nécessitent aussi l'autorisation du titulaire des droits. Par "traduction", on entend l'expression d'une œuvre dans une autre langue que celle de la version originale. Par "adaptation", on entend en général la transformation d'une œuvre en vue de la création d'une autre œuvre - par exemple, l'adaptation cinématographique d'un roman - ou l'adaptation d'une œuvre à des conditions d'exploitation différentes (par exemple, la transformation d'un manuel pédagogique initialement destiné à l'enseignement supérieur en un manuel à l'intention d'élèves d'un niveau d'enseignement inférieur).

33. Les traductions et les adaptations étant elles-mêmes des œuvres protégées par le droit d'auteur, un éditeur doit, pour reproduire et publier une traduction ou une adaptation, obtenir l'autorisation du titulaire du droit d'auteur sur l'œuvre originale et celle du titulaire du droit d'auteur sur la traduction ou l'adaptation.

34. Au cours des dernières années, l'étendue du droit d'adaptation a donné lieu à des discussions car la technique numérique offre des possibilités toujours plus nombreuses d'adapter ou de transformer des œuvres. Grâce à elle, l'utilisateur peut facilement et rapidement manipuler les textes, les sons et les images. Le débat en cours vise essentiellement à établir un équilibre entre, d'une part, le droit de l'auteur de veiller au respect de l'intégrité de l'œuvre en autorisant les modifications et, d'autre part, le droit de l'utilisateur de procéder à des changements dans le cadre d'une utilisation normale des œuvres présentées sous une forme numérique.

d. Droit moral

35. Les États parties à la Convention de Berne sont tenus d'accorder aux auteurs : i) le droit de revendiquer la paternité de l'œuvre (parfois appelé droit de "paternité") et ii) le droit de s'opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de l'œuvre ou à toute autre atteinte à celle-ci, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation (parfois appelé "droit à l'intégrité de l'œuvre").

Ces droits, généralement regroupés sous l'expression "droit moral", doivent être indépendants des droits patrimoniaux habituels; l'auteur les conserve même après la cession de ces derniers. Il convient de relever que seuls les auteurs jouissent du droit moral. Par conséquent, même si un tiers est titulaire des droits patrimoniaux sur une œuvre (il peut s'agir d'un producteur de films ou d'un éditeur), seule la personne qui a créé cette œuvre a des intérêts d'ordre moral en jeu.

3. Limitations des droits

36. La première limitation tient à l'exclusion de certaines catégories d'œuvres de la protection par le droit d'auteur. Dans certains pays, les œuvres sont exclues de la protection si elles ne sont pas fixées sous une forme matérielle quelconque; ainsi, une chorégraphie ne sera protégée que lorsque les mouvements auront été décrits par écrit au moyen d'une notation spécifique ou lorsqu'ils auront été enregistrés sur magnétoscope. Dans d'autres pays (mais pas dans tous), les textes législatifs et ceux des décisions des tribunaux et des organes administratifs sont exclus de la protection par le droit d'auteur.

37. La deuxième catégorie de limitations concerne des actes particuliers d'exploitation, exigeant normalement l'autorisation du titulaire des droits, qui peuvent, dans des cas précisés par la législation, être accomplis sans cette autorisation. Il existe deux principaux types de limitations dans cette catégorie : 1) la "libre utilisation", qui est un acte d'exploitation d'une œuvre pouvant être accompli sans autorisation et sans obligation de verser de rémunération au titulaire des droits, et 2) la "licence non volontaire", qui permet d'utiliser une œuvre sans autorisation mais avec l'obligation de verser une rémunération au titulaire des droits.

38. Parmi les formes de libre utilisation, on peut signaler à titre d'exemple les citations d'une œuvre protégée, qui sont licites à condition qu'il soit fait mention de leur source, y compris du nom de l'auteur, et dans la mesure où leur volume est conforme aux bons usages, l'utilisation d'œuvres à titre d'illustration de l'enseignement et l'utilisation d'œuvres aux fins de comptes rendus d'événements d'actualité. En ce qui concerne le droit de reproduction, il convient de rappeler que la Convention de Berne contient une règle générale plutôt qu'une limitation explicite : l'article 9.2) dispose en effet que les pays de l'Union ont la faculté de permettre la reproduction d'œuvres littéraires et artistiques dans certains cas spéciaux, pourvu qu'une telle reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Ainsi qu'il a été dit plus haut, de nombreuses législations contiennent des dispositions autorisant la reproduction d'une œuvre exclusivement pour l'usage personnel, privé et non commercial des personnes intéressées; les techniques modernes permettant de réaliser facilement des copies de qualité, certains pays ont réduit la portée de ces dispositions, notamment en mettant en place des systèmes qui, tout en autorisant dans une certaine mesure la copie, comprennent le versement d'une rémunération aux titulaires des droits, au titre du préjudice que la copie cause à leurs intérêts patrimoniaux.

39. Outre les formes spécifiques de libre utilisation énumérées dans les lois nationales, certains pays accordent une place à l'"usage loyal" ou "acte loyal", qui permet d'utiliser une œuvre sans l'autorisation du titulaire des droits compte tenu des facteurs tels que la nature et la destination de l'usage, notamment la nature commerciale ou non de l'usage, la nature de l'œuvre protégée par le droit d'auteur, le volume de la partie utilisée par rapport à l'ensemble de l'œuvre protégée et l'influence de l'usage sur le marché potentiel de l'œuvre protégée ou sur sa valeur.

40. Les "licences non volontaires" permettent, rappelons-le, d'utiliser dans certains cas, des œuvres sans le consentement du titulaire des droits, à condition qu'une rémunération soit versée au titre de cette utilisation. Ces licences sont dites "non volontaires" parce qu'elles résultent de l'application de la législation et non de l'exercice du droit exclusif du titulaire du droit d'auteur d'autoriser des actes particuliers. Elles ont généralement été créées lorsqu'une technique nouvelle de diffusion des œuvres auprès du public venait d'apparaître et que le législateur craignait que les titulaires de droits empêchent le développement de cette nouvelle technique en refusant d'autoriser l'utilisation de leurs œuvres. Ce fut le cas de deux catégories de licences non volontaires mentionnées dans la Convention de Berne, qui concernent la reproduction mécanique d'œuvres musicales et la radiodiffusion. Il convient cependant de souligner que le bien-fondé de ces licences obligatoires est de plus en plus souvent mis en question car il existe maintenant d'autres moyens efficaces de mettre des œuvres à la disposition du public, moyens qui reposent sur l'octroi d'autorisations par les titulaires de droits, notamment dans le cadre d'une gestion collective des droits.

4. Durée du droit d'auteur

41. Le droit d'auteur ne dure pas indéfiniment : la législation prévoit une certaine période ou durée d'existence des droits du titulaire. Le droit d'auteur prend naissance au moment où l'œuvre est créée ou, dans certains pays, au moment où elle est exprimée sous une forme matérielle. Il prend fin, généralement, un certain temps après le décès de l'auteur. Les législations prévoient l'extension au-delà de la mort de l'auteur pour permettre à ses ayants cause d'obtenir aussi des avantages patrimoniaux.

42. Dans les pays parties à la Convention de Berne, ainsi que dans de nombreux autres, la durée du droit d'auteur prévue par la législation comprend en général la vie de l'auteur et au moins cinquante ans après sa mort. La Convention de Berne contient également des dispositions visant à protéger les œuvres pour lesquelles la durée de protection par le droit d'auteur ne peut pas être établie en fonction de la durée de vie d'un seul auteur, c'est-à-dire les œuvres anonymes, les œuvres posthumes et les œuvres cinématographiques, entre autres. Il convient de souligner qu'il existe actuellement une tendance dans certains pays à allonger la durée du droit d'auteur. Ainsi, une directive récente de l'Union européenne dispose qu'à partir du 1er juillet 1995 la durée du droit d'auteur devra être fixée à 70 ans après la mort de l'auteur dans la législation nationale des pays membres.

5. Titularité et exercice du droit d'auteur

43. Le titulaire du droit d'auteur sur une œuvre est généralement, en premier lieu tout au moins, la personne qui a créé l'œuvre, c'est-à-dire son auteur. Il y a des exceptions à ce principe général. Ainsi, la Convention de Berne elle-même prévoit (dans son article 14bis) un ensemble de règles à suivre pour déterminer le ou les titulaires originaires des droits sur les œuvres cinématographiques. De même, certaines législations nationales prévoient que, lorsqu'une œuvre est créée par un auteur employé précisément aux fins de la création de cette œuvre, c'est l'employeur - et non l'auteur - qui est le titulaire du droit d'auteur sur l'œuvre. Cependant, ainsi qu'il a été dit plus haut, le droit moral appartient toujours à la personne qui est l'auteur de l'œuvre, quel que soit le titulaire des droits patrimoniaux.

44. Dans de nombreux pays, la législation prévoit que, quel que soit le titulaire initial des droits sur une œuvre, tous les droits patrimoniaux peuvent être transférés (le droit moral, qui est attaché à la personne de l'auteur, ne peut jamais être transféré). Le transfert du droit d'auteur peut revêtir deux formes : la cession et la licence.

45. En cas de cession du droit d'auteur, le titulaire des droits transfère le droit d'autoriser ou d'interdire certains actes auxquels s'appliquent une, plusieurs ou toutes les prérogatives du droit d'auteur. Une cession est un transfert de propriété; par conséquent, si tous les droits sont cédés, la personne à qui les droits ont été cédés devient le titulaire du droit d'auteur.

46. Dans certains pays, la loi n'autorise pas la cession du droit d'auteur, mais seulement la concession de licences. Dans ce cas, le titulaire du droit d'auteur conserve ce titre mais autorise quelqu'un d'autre à accomplir certains actes auxquels s'appliquent ses droits patrimoniaux, en général pendant une durée déterminée et à des fins spécifiques. Par exemple, l'auteur d'un roman peut accorder à un éditeur une licence pour la réalisation et la diffusion d'exemplaires de son œuvre et, en même temps, accorder une autre licence à un producteur pour la réalisation d'un film tiré de ce roman. La licence peut être exclusive, c'est-à-dire que le titulaire du droit d'auteur renonce à autoriser une autre personne à accomplir les actes faisant l'objet de la licence, ou non exclusive, c'est-à-dire que le titulaire du droit d'auteur peut autoriser d'autres personnes à accomplir les mêmes actes. Contrairement à la cession, la licence ne comprend pas, en règle générale, le droit d'autoriser des tiers à accomplir des actes auxquels s'appliquent les droits patrimoniaux.

47. La concession de licences peut aussi s'inscrire dans le cadre de la gestion collective des droits. Dans ce cas, les auteurs et autres titulaires de droits accordent des licences exclusives à

une seule entité qui, en leur nom, accorde des autorisations, perçoit et répartit la rémunération, prévient et décèle toute atteinte aux droits en cause et, le cas échéant, s'efforce d'obtenir réparation. La gestion collective des droits présente, pour les auteurs, l'avantage suivant : face aux nombreuses possibilités d'utilisation non autorisée qu'offrent les techniques nouvelles, un organe unique offre la garantie que les utilisations massives d'œuvres se feront sur la base d'autorisations faciles à obtenir et qu'il est le seul à délivrer.

6. Sanction des droits

48. La Convention de Berne contient très peu de dispositions sur la sanction des droits; on a cependant assisté, ces dernières années, à une augmentation spectaculaire du nombre d'instruments nationaux ou internationaux visant à assurer le respect des droits, cela pour deux raisons essentiellement. La première est la rapidité avec laquelle progressent les techniques de création et d'utilisation (autorisée ou non) d'éléments protégés; cela est particulièrement vrai de la technique numérique, qui permet de diffuser et de réaliser des copies parfaites de toute "information" se présentant sous forme numérique, y compris les œuvres protégées par le droit d'auteur, dans n'importe quelle région du monde. La seconde raison tient à la place toujours plus importante qu'occupent les biens et les services protégés par des droits de propriété intellectuelle dans le commerce international; autrement dit, le commerce de produits sur lesquels s'exercent des droits de propriété intellectuelle constitue aujourd'hui une activité économique en plein essor dans le monde entier. Le récent Accord sur les ADPIC, qui contient les dispositions détaillées sur les moyens de faire respecter les droits, montre bien qu'il existe un lien nouveau entre la propriété intellectuelle et le commerce. Dans les paragraphes qui suivent, on trouvera une énumération et un résumé de certaines dispositions récemment incorporées dans les législations nationales en vue de faire respecter les droits. Ces dispositions peuvent être classées de manière suivante : mesures conservatoires ou provisoires, sanctions civiles, sanctions pénales, mesures à prendre à la frontière et enfin mesures, réparations et sanctions concernant l'abus de certains moyens techniques.

49. Les mesures conservatoires ou provisoires ont deux objectifs : premièrement, empêcher qu'un acte portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle ne soit commis, en particulier que des marchandises de contrefaçon ne soient introduites dans les circuits commerciaux, même s'il s'agit de marchandises importées après dédouanement, et deuxièmement sauvegarder les éléments de preuve pertinents relatifs à une atteinte présumée. Les autorités judiciaires peuvent donc être habilités à ordonner des mesures provisoires sans que la personne qui est supposée avoir commis l'atteinte en question n'en soit avisée préalablement. De cette manière, l'intéressé n'a pas le temps de déplacer la marchandise suspectée pour pouvoir échapper à tout contrôle. La mesure provisoire la plus courante consiste à perquisitionner dans les locaux où le contrefacteur présumé entrepose les marchandises et saisir ces marchandises ainsi que le matériel utilisé pour leur fabrication et tous les documents et autres dossiers pertinents prouvant qu'il y a bien eu atteinte à des droits de propriété intellectuelle.

50. Les sanctions civiles permettent d'indemniser - généralement par le versement de dommages-intérêts - le titulaire de droits du préjudice économique subi du fait de l'atteinte portée à ses droits et constituent un moyen de dissuasion efficace contre toute autre atteinte aux droits car elles comprennent souvent, entre autres, la destruction, sur ordre des autorités judiciaires, des marchandises de contrefaçon ainsi que du matériel et des instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication. S'il existe un risque que l'acte en question soit à nouveau perpétré, le tribunal peut aussi rendre une ordonnance enjoignant au contrefacteur de s'abstenir, sous peine d'amende, de commettre à nouveau l'acte incriminé.

51. Les sanctions pénales visent à punir ceux qui ont commis délibérément, à une échelle commerciale, des actes de piraterie portant atteinte au droit d'auteur ou aux droits voisins et, comme les sanctions civiles, à empêcher toute nouvelle atteinte. Ces sanctions comprennent des amendes importantes ainsi que des condamnations à des peines d'emprisonnement, en rapport avec le niveau des peines appliquées pour les délits de gravité correspondante, notamment en cas de récidive. À titre dissuasif, les sanctions peuvent également comprendre la saisie, la confiscation et la destruction des marchandises en cause ainsi que du matériel et des instruments ayant principalement servi à commettre le délit.

52. Les mesures à prendre à la frontière diffèrent des mesures décrites jusqu'ici en ce sens qu'elles supposent l'intervention des autorités douanières et non des autorités judiciaires. Elles permettent au titulaire de droits de présenter aux autorités douanières une demande écrite visant à faire suspendre la mise en libre circulation de marchandises suspectées de porter atteinte au droit d'auteur. Grâce à la suspension de la mise en libre circulation des marchandises, le titulaire de droits dispose d'un délai raisonnable pour intenter des poursuites judiciaires contre la personne soupçonnée d'avoir commis l'atteinte, sans avoir à craindre que les marchandises en cause ne disparaissent dans les circuits de distribution après leur dédouanement. Le titulaire de droits est tenu, en général de convaincre les autorités douanières qu'il y a une présomption d'atteinte à son droit d'auteur, de fournir une description détaillée des marchandises pour que celles-ci puissent être reconnues et de constituer des garanties en vue de l'indemnisation de l'importateur, du propriétaire des marchandises et des autorités douanières s'il apparaît que les marchandises en question ne portent pas atteinte au droit d'auteur.

53. La dernière catégorie de dispositions, dont l'importance s'est accrue avec l'arrivée de la technique numérique, comprend les mesures, réparations et sanctions concernant l'abus de certains moyens techniques. Dans certains cas, la seule façon efficace d'empêcher la copie est de recourir à des systèmes dits de "protection contre la copie" ou de "régulation de la copie", contenant des dispositifs qui soit empêchent la fabrication de copies, soit la permettent mais rendent la qualité des copies tellement médiocre que celles-ci deviennent inutilisables. On a également recours à certains dispositifs techniques pour empêcher la réception, autrement qu'à l'aide d'un décodeur, de programmes télévisés commerciaux codés. Il est toutefois possible, sur le plan technique, de fabriquer d'autres dispositifs en vue de neutraliser les systèmes de protection contre la copie, les systèmes de régulation de la copie et des systèmes de codage. Ces dispositions contre l'abus de moyens techniques reposent sur le principe que la fabrication, l'importation et la diffusion des moyens en question doivent être considérées comme des atteintes au droit d'auteur et, partant, doivent être sanctionnées au même titre que d'autres infractions.

II. NOTIONS GÉNÉRALES DE DROITS VOISINS

54. Dans cette partie, nous allons examiner ce que l'on appelle les "droits voisins" ou, plus précisément, les "droits voisins du droit d'auteur". Dans l'Accord sur les ADPIC, le terme "droits connexes" désigne les mêmes droits. Les droits voisins ou droits connexes visent à protéger les intérêts juridiques de certaines personnes physiques ou morales qui contribuent à mettre des œuvres à la disposition du public ou sont à l'origine de productions qui, bien que ne constituant pas dans tous les pays des "œuvres" au sens donné à ce terme en régime de droit d'auteur, expriment suffisamment de créativité ou de savoir-faire sur le plan de la technique et celui de l'organisation pour justifier la reconnaissance d'un droit de propriété assimilable au droit d'auteur. Dans les législations sur les droits voisins, on part du principe que les productions issues des activités de ces personnes physiques ou morales méritent une protection juridique qui leur soit propre, du fait de leur caractère "voisin" des œuvres de l'esprit protégées par le droit d'auteur. Certaines lois établissent néanmoins clairement que l'exercice des droits voisins doit laisser intacte et n'affecter en aucune façon la protection accordée par le droit d'auteur.

55. On distingue traditionnellement trois catégories de bénéficiaires de droits voisins : les artistes interprètes ou exécutants, les producteurs de phonogrammes et les organismes de radiodiffusion. On reconnaît des droits aux artistes interprètes ou exécutants parce que leur intervention créative est nécessaire pour donner vie, par exemple, à des œuvres musicales, à des œuvres dramatiques ou chorégraphiques et à des œuvres cinématographiques et parce qu'ils ont un intérêt légitime à ce que leurs interprétations individuelles bénéficient d'une protection juridique. On reconnaît des droits aux producteurs de phonogrammes parce que les ressources dont ils disposent dans le domaine de la création, des finances et de l'organisation sont indispensables pour mettre à la disposition du public, sous forme de phonogrammes du commerce, les sons qui sont enregistrés et parce qu'ils ont un intérêt légitime à ce que des moyens juridiques leur soient donnés pour lutter contre les utilisations non autorisées, qu'il s'agisse de la fabrication et de la diffusion d'exemplaires non autorisés (piraterie) ou de la radiodiffusion et de la communication non autorisée au public de leurs phonogrammes. On reconnaît des droits aux organismes de radiodiffusion parce qu'ils contribuent à mettre des œuvres à la disposition du public et parce qu'ils ont un intérêt légitime à s'assurer le contrôle de la diffusion et de la retransmission de leurs émissions.

56. La conclusion, en 1961, de la Convention de Rome ou, plus précisément, de la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, a constitué la première réponse structurée de la communauté internationale à la nécessité d'octroyer une protection juridique aux trois catégories de bénéficiaires de droits voisins. Contrairement à la plupart des conventions internationales, qui s'inscrivent dans le prolongement des législations nationales et offrent une synthèse des lois existantes, la Convention de Rome a constitué un tentative d'établir une réglementation internationale dans un domaine nouveau où les lois nationales étaient alors peu nombreuses. Cela signifiait que la plupart des États auraient à élaborer et à adopter des lois avant d'adhérer à la convention. Depuis la conclusion de la convention, en 1961, un grand nombre d'États on légiféré dans des domaines auxquels se rapporte la convention; d'autres pays envisagent des mesures semblables; d'ailleurs la législation de bon nombre de ces États prévoit un niveau de protection supérieur au minimum requis par la Convention de Rome. S'il est généralement admis que cette convention est dépassée et qu'il est nécessaire de la revoir ou de la remplacer par un ensemble de nouvelles normes internationales touchant aux droits voisins, il n'en reste pas moins qu'elle demeure, au niveau international, le texte de référence en matière de protection dans ce domaine. Ainsi, l'Union européenne a demandé à tous ses États membres d'adhérer à la convention et c'est sur la base de cette même convention qu'ont été élaborées les dispositions sur les droits des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogramme et des organismes de radiodiffusion qui figurent dans l'Accord sur les ADPIC (même si les niveaux de protection ne sont pas les mêmes).

57. On trouvera ci-après une description des droits qui sont conférés par les législation nationales aux trois catégories de bénéficiaires de droits voisins mais il convient de souligner qu'une même législation ne reconnaît pas nécessairement tous ces droits. Les artistes interprètes ou exécutants ont le droit de mettre obstacle à la fixation (l'enregistrement), la radiodiffusion et la communication au public, sans leur consentement, de leurs prestations en direct ainsi qu'à la reproduction de fixations de leurs prestations dans certains cas précis; les droits relatifs à la radiodiffusion et à la communication au public peuvent prendre la forme d'un droit à rémunération équitable plutôt que celle d'un droit de mettre obstacle. Compte tenu du caractère personnel des créations, certaines législations nationales reconnaissent aussi aux artistes interprètes ou exécutants un droit moral, qui peut être exercé en vue d'empêcher une utilisation non autorisée du nom ou de l'image de l'artiste ou une modification de la prestation qui aurait pour résultat de présenter l'artiste sous un jour défavorable. Les producteurs de phonogrammes ont le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction, l'importation et la distribution de leurs phonogrammes et d'exemplaires de ceux-ci; ils ont aussi droit à une rémunération équitable au titre de la radiodiffusion et de la communication au public de phonogrammes. Les organismes de radiodiffusion ont le droit d'autoriser ou d'interdire la réémission, la fixation et la reproduction de leurs émissions. Dans certains pays, la législation reconnaît d'autres droits : ainsi, dans les pays de l'Union européenne, les producteurs de phonogrammes et les artistes interprètes ou exécutants jouissent d'un droit de location sur les phonogrammes (et aussi sur les œuvres audiovisuelles, en ce qui concerne les artistes interprètes ou exécutants) et certains pays octroient des droits spécifiques sur la transmission par câble. Dans le même ordre d'idées, l'Accord sur les ADPIC prévoit un droit de location pour les producteurs de phonogrammes (ainsi que pour tous autres titulaires de droits sur des phonogrammes en vertu de la législation nationale).

58. Tout comme pour le droit d'auteur, la Convention de Rome et certaines législations nationales prévoient des limitations des droits : c'est ainsi qu'en ce qui concerne les interprétations et exécutions, les phonogrammes et les émissions de radiodiffusion faisant l'objet d'une protection, l'utilisation privée, l'utilisation de courts fragments à l'occasion du compte rendu d'un événement d'actualité et l'utilisation à des fins d'enseignement ou de recherche scientifique sont autorisées. Certains pays, admettent, en matière de droits voisins, des limitations de même nature que celles que prévoit leur législation en ce qui concerne la protection du droit d'auteur, y compris la possibilité d'instituer des licences non volontaires.

59. La durée de la protection des droits voisins prévue par la Convention de Rome est de 20 années à compter de 1) la fin de l'année de la fixation (enregistrement), pour les phonogrammes et les prestations fixées sur ceux-ci, 2) la fin de l'année où la prestation a eu lieu, pour les prestations qui ne sont pas fixées sur phonogrammes, ou 3) la fin de l'année où l'émission a eu lieu, pour les émissions de radiodiffusion. Dans l'Accord sur les ADPIC, les droits des artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes sont protégés pendant 50 ans à compter de la date de la fixation ou de la prestation, et ceux des organismes de radiodiffusion le sont pendant 20 années à compter de la date de l'émission. Il convient de souligner que dans de nombreuses législations nationales qui prévoient une protection des droits voisins la durée de la protection est supérieure à la durée minima prévue dans la Convention de Rome.

60. Les moyens de recours en cas d'atteinte aux droits voisins, ou de violations de ces droits, sont, en règle générale, les mêmes que ceux qui sont prévus pour les titulaires du droit d'auteur : mesures conservatoires ou provisoires, sanctions civiles, sanctions pénales, mesures à la frontière ainsi que mesures, réparations et sanction concernant l'abus de certains moyens techniques.

61. Enfin, il convient de dire quelques mots du lien qui existe entre la protection des droits voisins et les intérêts des pays en développement. Dans ces pays, les différentes formes d'expression de la culture, en grande partie orale et non enregistrée, plus connue sous le nom de folklore, peuvent être protégées par les droits voisins à titre d'interprétations ou d'exécutions puisque, dans la plupart des cas, c'est grâce aux artistes interprètes ou exécutants que les œuvres du folklore sont communiquées au public. En prévoyant une protection des droits voisins, les pays en développement peuvent aussi assurer la protection de leur tradition culturelle, riche et inestimable, qui est le symbole de leur propre existence et de leur propre identité, en fait l'origine même de la différence qui existe entre les cultures de part et d'autre des frontières et de par le monde. De la même manière, protéger les producteurs de phonogrammes et les organismes de radiodiffusion, c'est contribuer à assurer la base d'une industrie nationale qui peut diffuser les formes d'expression de la culture nationale à la fois à l'intérieur du pays et - c'est peut-être là le plus important - sur les marchés étrangers; la vogue extraordinaire que connaît actuellement ce que l'on appelle la musique sans frontières prouve bien que de tels marchés existent mais ce n'est pas toujours le pays où la forme d'expression culturelle en question a vu le jour qui bénéficie des retombées économiques de l'exploitation de ces marchés. En résumé, la protection des droits voisins peut permettre d'atteindre le double objectif suivant : préserver la culture nationale et offrir un moyen de procéder à une exploitation commercial cohérente des marchés internationaux.

62. Il est de l'intérêt des pays en développement de protéger les droits voisins parce que ce n'est pas seulement de la protection des œuvres du folklore qu'il s'agit mais aussi de questions plus vastes touchant au commerce international et au développement. Aujourd'hui, l'étendue de la protection des droits de propriété intellectuelle dans un pays est de plus en plus souvent indissociable des possibilités qu'a ce pays de tirer profit du commerce international, en plein essor, des biens et des services protégés par ces droits. À titre d'exemple, la "convergence" des télécommunications et des infrastructures informatiques, dont il est question plus haut, débouchera sur des investissements internationaux dans de nombreux secteurs de l'économie de pays en développement, y compris - mais pas seulement - celui de la propriété intellectuelle; les pays dont le bilan ne sera pas très satisfaisant en ce qui concerne la protection des droits de propriété intellectuelle ou qui n'auront pas fait preuve d'un engagement suffisant dans ce domaine seront purement et simplement éliminés de la scène. Il ne fait donc aucun doute que la protection des droits voisins n'est qu'une petite partie d'un ensemble beaucoup plus vaste et constitue un élément-clé de la participation au nouveau système d'échanges et d'investissements internationaux qui caractérisera le siècle prochain.

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