Alertes environnementales : l’impact de la résistance aux antimicrobiens sur les masses d’eau et le rôle de la surveillance innovante

17 janvier 2024

La résistance aux antimicrobiens - qui survient lorsque les antibiotiques n’agissent plus comme ils le devraient car les bactéries ciblées sont devenues résistantes à leurs effets - est un problème sanitaire qui ne cesse de prendre de l’ampleur à l’échelle mondiale. L’exposition aux antibiotiques provenant de sources environnementales, en raison de la pollution de l’environnement résultant du rejet non contrôlé de principes actifs d’antibiotiques provenant de centres de fabrication et d’eaux usées ainsi que de stations d’épuration, est liée à la progression de la résistance aux antimicrobiens.  C’est pourquoi l’accent est mis à l’échelle mondiale sur l’atténuation de la part des activités humaines, de l’agriculture et de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène dans la résistance aux antimicrobiens. Heureusement, des solutions innovantes voient le jour ; cet article met en lumière l’une d’entre elles et la propriété intellectuelle sous-jacente qui la soutient. 

Résistance aux antimicrobiens et santé environnementale

Une étude révèle que l’Inde est le plus grand producteur d’antibiotiques au monde et qu’elle fournit plus de 40 % du marché mondial. Le secteur, varié, regroupe de petites, moyennes et grandes entreprises qui fabriquent des principes actifs et des formulations. La présence de fortes concentrations de composés antibiotiques dans les sources d’eau à proximité de certains pôles de production pharmaceutique, en raison du rejet d’effluents non traités par les usines, suscite une inquiétude croissante.

La surveillance régulière de la concentration d’antibiotiques et de bactéries résistantes dans l’environnement peut orienter l’élaboration et la mise en œuvre d’actions stratégiques appropriées. Les coûts élevés associés à la surveillance régulière des niveaux d’antimicrobiens dans les eaux usées rendent encore plus difficile la mise en place d’une surveillance complète. Des études révèlent qu’il est urgent de mettre au point des méthodes innovantes, abordables et faciles à utiliser pour détecter les résidus d’antibiotiques et les bactéries résistantes.

news-2024117-1-845
(Image:Alexmia/iStock/Getty Images Plus/Getty Images)

Naissance d’une invention

Soumyo Mukherji, professeur titulaire de la chaire Madhuri Sinha d’ingénierie biomédicale à l’Institut indien de technologie de Bombay (IITB), est un innovateur de premier plan dans le domaine des biocapteurs et de la bio-instrumentation, et met au point des systèmes de détection pour la surveillance médicale, de la qualité de l’eau et environnementale. Il s’est positionné sur un créneau en créant des capteurs de pointe qui détectent la présence d’antibiotiques et d’autres éléments ayant une incidence sur la qualité de l’eau.

Son objectif est de fabriquer des capteurs abordables qui donnent des résultats rapides et fiables, permettant ainsi de contourner les longs délais d’attente lors de tests en laboratoire traditionnels. “Je voulais faire quelque chose de stimulant, qui aille au-delà de la contamination des sols et qui puisse apporter une contribution utile à la société, déclare-t-il. Le problème de la résistance aux antimicrobiens et de la contamination de l’eau est grave. Les vétérinaires, par exemple, ont parfois besoin de plus de 10 unités de doses pour traiter une maladie clinique chez les vaches, alors qu’ils n’utilisaient auparavant qu’une seule unité de dose”, fait-il remarquer en rappelant que le bétail boit l’eau des rivières qui sont également utilisées pour l’irrigation.  

M. Mukherji a mis au point une plateforme de dispositifs de détection de pointe utilisant des fibres optiques qui détectent un large éventail de substances telles que des bactéries, des antibiotiques, des traces de pesticides ou d’autres composés bien précis, simplement en modifiant les détecteurs spécifiques présents à sa surface. “Lorsque j’immobilise un récepteur donné, c’est-à-dire un anticorps, sur une bactérie, il détecte cette bactérie”, explique M. Mukherji, illustrant ainsi la polyvalence de la plateforme, qui ne se limite pas à la lutte contre la résistance aux antimicrobiens, et ses possibilités d’application dans le cadre de tests plus larges. Le dispositif est à même de mesurer les taux de ciprofloxacine, d’enrofloxacine et de certaines bêta-lactamines, des antibiotiques souvent associés à la résistance aux antimicrobiens. Son équipe continue d’identifier et de mettre au point des récepteurs pour d’autres antibiotiques.

news-2024117-2-845
(Image: avec l’aimable autorisation de Soumya Mukherji)

Ce dispositif, qui a été adapté et utilisé dans le cadre d’un projet de recherche mené par l’Inde et le Royaume-Uni, baptisé AMSPARE, se distingue par sa conception compacte, peu encombrante et facilitant le transport. Cela en fait un outil idéal pour une utilisation aussi bien sur des sites environnementaux reculés que dans des laboratoires pharmaceutiques modernes. L’interface conviviale permet aux professionnels de différents secteurs d’utiliser aisément ce dispositif. En outre, ce dernier est conçu pour donner des résultats dans un délai remarquablement court de 20 à 30 minutes. Les données apparaissent sous forme numérique sur l’écran de l’appareil, ce qui simplifie leur lecture et leur interprétation.

La capacité de l’appareil de détecter des concentrations extrêmement faibles de contaminants est au cœur de sa fonctionnalité. À l’heure actuelle, il peut détecter des niveaux d’antibiotiques aussi faibles qu’une partie par milliard. Cette caractéristique en fait un outil stratégique pour la détection précoce et la prévention de la progression de la résistance aux antimicrobiens, en fournissant des données essentielles pour la mise au point de stratégies sanitaires à l’échelle locale et mondiale.

L’instrument de base est rentable et fonctionne à l’aide de cartouches adaptées, prévues pour des tâches de détection définies. En comparaison avec les tests de laboratoire traditionnels concernant la résistance aux antimicrobiens et la contamination de l’eau pour ce qui est du coût et de la durée, l’invention constitue une innovation économique et efficace, qui marque une avancée significative dans le domaine des tests scientifiques sur le terrain.

La propriété intellectuelle qui sous-tend l’invention

L’invention attire l’attention du monde entier du fait de sa polyvalence et de sa fiabilité. “La technologie a été mise au point dans le cadre d’un projet mené conjointement par cinq entités, dont la University of the West of Scotland et l’Institut indien de technologie de Bombay”, explique M. Mukherji. L’IITB est titulaire des brevets, et M. Mukherji et ses collaborateurs sont désignés comme inventeurs. L’institut et les innovateurs ont conclu un accord en vertu duquel ils partagent les redevances perçues sur la technologie.

Les retombées potentielles de l’invention sur la santé publique sont immenses. “Bien que la production directe du laboratoire au marché ne soit peut-être pas viable d’un point de vue commercial, des projets sont en cours pour élargir les collaborations. Nous avons recensé différents partenaires afin de répondre à des besoins propres à certaines régions, qu’il s’agisse d’assurer la salubrité de l’eau potable en Inde ou de répondre aux besoins pharmaceutiques des marchés occidentaux”, a déclaré M. Mukherji. Cette technologie a également suscité un vif intérêt de la part de plusieurs pays qui ont demandé des renseignements et ont manifesté leur intérêt pour sa fabrication et son utilisation, ce qui pourrait ouvrir la voie à d’éventuelles possibilités de concession de licences. Ces éléments nouveaux soulignent l’importance des droits de propriété intellectuelle associés aux travaux de M. Mukherji, ainsi que leurs retombées potentielles à l’échelle mondiale.

news-2024117-2-845
(Photo : Alexmia/iStock/Getty Images Plus/Getty Images)

Réduire les risques et mesurer la contamination

Des mesures sont également prises à l’échelle mondiale pour faire face au problème de la résistance aux antimicrobiens. En 2017, les répercussions environnementales de la résistance aux antimicrobiens ont été reconnues par l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA-3), l’organe de décision suprême pour les questions liées à l’environnement, ce qui a conduit à la publication d’un rapport intitulé “Environmental Dimensions of Antimicrobial Resistance” (Dimensions environnementales de la résistance aux antimicrobiens). Ce rapport prône un renforcement de l’action environnementale dans le cadre de la réponse “Une seule santé" à la résistance aux antimicrobiens” et prend acte du fait que, la santé humaine, animale et environnementale étant indissociable, l’environnement et les polluants environnementaux jouent un rôle clé dans le développement, la transmission et la progression de la résistance aux antimicrobiens.

La Responsible Antibiotic Manufacturing Platform, par exemple, cherche à réduire la progression de la résistance aux antimicrobiens due à la présence d’antibiotiques dans l’environnement par l’adoption de pratiques durables de surveillance, de fabrication et d’approvisionnement en Inde et ailleurs dans le monde, en se concentrant uniquement sur l’évaluation des répercussions de la fabrication d’antibiotiques sur la progression de la résistance aux antimicrobiens.

En 2022, l’AMR Industry Alliance (AMRIA) a établi une norme en matière de fabrication d’antibiotiques qui présente une stratégie fondée sur les risques pour évaluer et gérer les flux de déchets associés à cette activité. Cette alliance rassemble plus de 100 entreprises des secteurs de la biotechnologie, du diagnostic et pharmaceutique, ainsi que leurs fournisseurs locaux, en vue de promouvoir des pratiques de fabrication d’antibiotiques durables dans l’ensemble de la chaîne de valeur de la fabrication et de l’approvisionnement en sciences de la vie.

Le problème de la résistance aux antimicrobiens, qui revêt de multiples facettes, touche à la santé humaine, au bien-être des animaux et à l’équilibre délicat de notre environnement. Les technologies innovantes de surveillance de l’eau, telles que celles mises au point par M. Soumyo Mukherji, sont essentielles pour comprendre les répercussions de la résistance aux antimicrobiens sur l’environnement et pour y remédier. La propriété intellectuelle qui les sous-tend constitue un pont vers le progrès et offre des solutions potentielles ayant des implications mondiales.