Généralités
Le marula (photo : Leandro Neumann Ciuffo)
Découvert en Afrique du Sud, le marula dit également prunier d’Afrique ou encore Sclérocarya birrea est un arbre qu’utilisent les hommes depuis des milliers d’années. Ses premières utilisations remonteraient, selon les découvertes archéologiques, à 9000 avant J.-C. De la taille d’une prune avec une peau tannée jaune clair lorsqu’il est mûr, le fruit de cet arbre, la prune marula, possède une peau blanche charnue, juteuse et parfumée qui s’accroche à un noyau dur de couleur marron. À l’intérieur de ce noyau, se trouvent deux ou trois graines dont la teneur en huile est telle qu’il suffit de presser légèrement ces graines dans la main pour en extraire l’huile. Le goût de la prune marula est souvent comparé à un mélange de goyave, lychee, pomme et ananas. Ce fruit se récolte de février à juin. La prune marula est non seulement prisée des hommes, mais également des animaux, et notamment des éléphants qui n’hésitent pas à parcourir de nombreux kilomètres juste pour la déguster.
Le fruit et les amandes du prunier d’Afrique sont riches en protéines et en vitamine C, et leur présence a ainsi amené les populations à se sédentariser en Afrique du Sud. Ils sont également utilisés comme bases pour certaines des boissons alcoolisées les plus populaires de la région de génération en génération. Traditionnellement récoltée exclusivement par les femmes, la prune de marula présente également une très forte teneur en acide gras linoléique, en antioxydants et en acide oléique qui jouent un rôle capital pour la santé et la protection de la peau chez l’homme. Les huiles dérivées du fruit du marula sont aisément absorbées par la peau, et la rendent douce tout en la nourrissant et en la revitalisant. De ce fait, les huiles de marula sont idéales pour les applications topiques. L’huile de marula est, en effet, 10 fois plus résistante à l’oxydation que l’huile d’olive, et constitue une des huiles naturelles les plus stables du monde. En raison de sa stabilité chimique exceptionnelle, l’huile de marula constitue un ingrédient idéal pour les aliments enrichis et autres produits de santé.
Savoirs traditionnels
Les marulas sont vénérés dans la culture namibienne. En Namibie, 60% de la population vit dans des zones rurales, et cet arbre continue à jouer un rôle important non seulement comme source alimentaire mais également comme source de revenus. Les femmes apprécient depuis toujours le marula pour ses grandes qualités et l’utilisent depuis plusieurs générations de différentes manières. Une décoction de l’écorce est généralement administrée en guise de rituel purificateur avant le mariage, et les femmes namibiennes utilisent des ustensiles de cuisines en bois de marula depuis des milliers d’années. Le produit le plus important obtenu à partir de cet arbre est son huile qui permet de conserver la viande, d’humidifier la peau et constitue, par ailleurs, un ingrédient pour les aliments populaires comme la confiture et les boissons alcoolisées. Depuis des générations, dans les zones rurales de Namibie, les femmes utilisent des techniques traditionnelles pour produire de l’huile de marula pour leurs familles, et pour les vendre dans leurs villages, de manière informelle.
Le savoir traditionnel que possèdent les communautés rurales de Namibie sur la manière d’utiliser le marula joue un rôle vital dans leurs moyens de subsistance. Les femmes namibiennes continuent à utiliser des techniques pour récolter et traiter le marula qu’elles se sont transmises de générations en générations. Il y a quelques milliers d’années, les femmes faisaient sécher les noyaux des prunes de marula au soleil chaud de Namibie puis, une fois secs, les cassaient pour les ouvrir et en extraire l’huile. La technique de base n’a pas beaucoup changé depuis cette époque. À ce jour, elles utilisent des outils semblables pour casser les noyaux séchés et en extraire les graines riches en huile.
Le marula a toujours joué un grand rôle dans la vie de la population rurale de Namibie, pendant des années, et de ce fait, il est capital de ne pas sous-estimer le savoir que la population possède au sujet de ce fruit, de son goût et des arbres qui produisent le plus grand nombre de fruits ou les fruits de plus grosse taille. Dans les années 80, des chercheurs israéliens ont été parmi les premiers à étudier l’utilisation des marulas, et la manière dont la population locale choisit et sélectionne cet arbre a été relatée dans de nombreux ouvrages.
Commercialisation
En dehors des populations locales, dans les temps modernes, la seule commercialisation importante concerne le fruit pour la distillation de l’Amarula, boisson alcoolisée populaire en Afrique du Sud, vendue par le groupe sud-africain Distell. La majeure partie de la commercialisation du marula en Namibie est assurée au cas par cas, les femmes voyant là une opportunité d’augmenter quelque peu leurs revenus en vendant les produits du marula, notamment la bière de marula. Ces initiatives sont généralement informelles, locales, saisonnières et viennent compléter les autres activités de la population visant à assurer sa subsistance.
En 1999, ce système est remis en cause lorsque la CRIAA SA-DC, une organisation non gouvernementale (ONG) de Namibie a l’idée de produire de l’huile de marula d’une meilleure qualité et dans des quantités largement supérieures comme produit d’exportation pour l’industrie cosmétique. Les femmes des villages du nord de la Namibie centrale rejoignent alors cette ONG et avec l’aide du gouvernement namibien, elles fondent la coopérative féminine Eudafano dans le but de commercialiser les produits du marula tant sur les marchés locaux qu’à l’exportation. Dès 2008, cette coopérative compte déjà plus de 5000 femmes réparties en 22 groupes produisant de l’huile de marula à partir des arbres sauvages. Dès 2010, cette coopérative devient le deuxième plus grand producteur de produits de marula en Afrique du Sud. Puisant dans leurs savoirs traditionnels en matière de récoltes et de traitement des amandes durcies du prunier d’Afrique, les femmes des zones rurales en Namibie peuvent continuer de produire dans leurs villages mais en touchent également aujourd’hui un marché international.
La commercialisation du marula par le biais de cette nouvelle initiative s’est effectuée en plusieurs étapes. La première concerne l’éducation : toutes les femmes rejoignant la coopérative sont formées aux questions d’hygiène, de stockage, d’emballage et de tenue des comptes. La deuxième étape se rapporte à la récolte. Fortes de leurs nouvelles connaissances, les femmes les associent à leurs savoirs traditionnels pour récolter la prune de marula des meilleurs arbres et ainsi livrer les noyaux et leurs graines à une usine de traitement, installée dans la capitale de Windhoek. Au cours de l’étape finale, les huiles et les jus sont ensuite extraits selon une série de traitements tant manuels que mécanisés, dans l’usine de Ondangwa, cœur de la région où poussent les marulas. Les produits fabriqués par la coopérative féminine Eudafano, à partir des fruits récoltés, sont vendus à des sociétés comme The Body Shop, Marula Natural Products of South Africa (Marula Natural) et Distell.
Partenariats
Au cours des années 90, The Body Shop, l’une des plus grosses entreprises mondiales de produits cosmétiques, cherche à diversifier sa gamme de produits pour y inclure divers produits biologiques et naturels. En effet, cette entreprise veut également participer aux initiatives en matière de commerce équitable, qui définissent des normes internationales et des prix équitables pour les produits en provenance des pays en développement. En 2000, la coopérative EWC devient le fournisseur exclusif d’huile de Marula pour la société The Body Shop qui l’utilise dans des produits tels que bâtons de rouge à lèvre, fonds de teint, fards à paupières et fards à joues. The Body Shop témoigne que le marula constitue un puissant hydratant naturel et décrit, dans ses campagnes de publicité, la longue histoire de cet arbre et de ses fruits dans la culture namibienne, et ses moyens de production d’aujourd’hui avec la coopérative EWC. Depuis, le marula est devenu un des éléments importants du portefeuille de produits naturels de The Body Shop dont plus de 140 produits et presque tous les bâtons de rouge à lèvres contiennent de l’huile de marula produite par la coopérative EWC.
Avec le succès croissant des produits naturels comme l’huile de marula, les producteurs locaux d’Afrique du Sud prennent conscience de la nécessité de s’organiser pour protéger leurs savoirs traditionnels et pour stimuler la croissance économique par le biais de la commercialisation internationale. Dans ce but, la coopérative EWC devient un des premiers membres de PhytoTrade Africa, association commerciale sud-africaine à but non lucratif, créée en 2001, pour la commercialisation des produits naturels d’Afrique du Sud. PhytoTrade est une organisation qui regroupe des membres du secteur privé, des agences de développement, des particuliers et d’autres parties intéressées de la région d’Afrique du Sud. Elle a pour but d’atténuer la pauvreté et de protéger la biodiversité de cette région en mettant en place une industrie qui ne soit pas seulement une réussite sur le plan économique mais qui présente un caractère éthique et durable. Par le biais de son appartenance à PhytoTrade, la coopérative EWC peut bénéficier des prix du commerce équitable pour les produits de marula qu’elle fabrique pour les marchés internationaux.
Le partenariat établi entre EWC et PhytoTrade se fonde sur un élément clé, notamment, le respect des principes du commerce équitable, qui garantissent que les producteurs locaux ne sont pas exploités et sont suffisamment indemnisés en échange de l’utilisation de leurs savoirs traditionnels. Ainsi, non seulement les femmes de la coopérative EWC mais pratiquement tous les producteurs locaux se sont vus offrir de nouvelles opportunités pour accroître leurs revenus. Les opportunités de commercialisation créées par la mise en œuvre de partenariats associés au commerce équitable ont permis aux producteurs locaux de tirer quelques nets avantages de ce développement : ils ont vu leurs revenus augmenter, ils tirent une fierté de leur culture, et une certaine cohésion s’est formée au sein de leurs communautés. Le succès de ce partenariat qui repose sur le savoir traditionnel des populations rurales permet également d’assurer sa transmission aux plus jeunes générations qui, sans une telle réussite, n’auraient peut-être pas été intéressées.
Recherche-développement
Ce partenariat avec PhytoTrade a ouvert de nouveaux marchés pour le marula, et comme d’autres entreprises ont pris conscience du potentiel qu’offre cet arbre, de nouveaux projets de recherche-développement (R-D) le concernant ont vu le jour. En 2005, Aldivia S.A. (Aldivia), entreprise française spécialisée dans la production d’ingrédients naturels et organiques pour les produits cosmétiques, lance un projet de R-D avec PhytoTrade et “l’Association d’Afrique australe pour le commerce de produits naturels” (the Southern Africa Natural Products Trade Association) visant à élaborer un ingrédient botanique, naturel et respectueux de l’environnement pour l’industrie cosmétique. Ce projet se concrétise par une innovation avec un procédé exclusif dit “Ubuntu” qui consiste à fabriquer des produits cosmétiques sans aucun produit pétrochimique ni aucun solvant, avec une empreinte carbone extrêmement limitée. Cette innovation a été baptisée “chimie verte” et le premier produit obtenu par la mise en œuvre du procédé Ubuntu, est la Maruline, huile de marula 100% naturelle dotée de propriétés antioxydantes améliorées.
La Maruline est le premier ingrédient actif botanique élaboré grâce à la collaboration scientifique de différents utilisateurs de ressources traditionnelles, les producteurs ruraux des produits du marula en Namibie, représentés par la coopérative EWC et PhytoTrade, et une entreprise internationale spécialisée dans la R-D. La production de Maruline se fonde exclusivement sur les principes du commerce équitable et du respect de l’environnement et du développement durable. “C’est une situation gagnante-gagnante” déclare Cyril Lombard, directeur du développement de Phyto Trade. “Lorsque les consommateurs achètent des produits à base de Maruline, ils achètent non seulement un produit de qualité avec les propriétés qu’ils recherchent, mais étant donné que la stratégie de PhytoTrade Africa consiste à garantir que les bénéfices profitent bien aux producteurs primaires, ils peuvent également être certains qu’ils contribuent à améliorer les moyens de subsistance des populations locales. La création de semblables marchés viables pour le marula crée de la valeur ajoutée, préserve la culture traditionnelle, accroît la sécurité alimentaire, et permet de conserver les Pruniers d’Afrique pour les générations futures. “Depuis son innovation, la Maruline a gagné une place significative sur les marchés internationaux, et The Body Shop l’a incorporée dans un grand nombre de ses produits de soin et de ralentissement du vieillissement de la peau.
Ce partenariat de R-D constitue un excellent exemple de la manière dont le savoir traditionnel, la science moderne et les stratégies commerciales collaboratives peuvent permettre de lutter contre la pauvreté des populations tout en accroissant l’intérêt du public et en augmentant sa contribution à une utilisation durable de la biodiversité de l’Afrique. Grâce aux relations mises en place entre les producteurs ruraux et les entreprises internationales, les propriétaires des savoirs traditionnels, comme les membres de l’EWC, peuvent tirer davantage de profits économiques pour eux et leurs communautés tout en participant à l’élaboration de produits naturels et sûrs commercialisés sur les marchés mondiaux.
Brevets
En 2006, Aldivia dépose une demande de brevet pour le procédé utilisé pour créer la Maruline selon le système international du PCT. Ce procédé breveté est la propriété conjointed d’Aldivia et des producteurs primaires africains représentés par “l’Association d’Afrique australe pour le commerce des produits naturels”. Cette copropriété représente un partenariat unique qui a défini de nouvelles normes pour le partage des bénéfices entre les détenteurs de savoirs traditionnels et les entreprises internationales.
La commercialisation internationale du marula contribue à l’amélioration de l’éducation des enfants de Namibie (photos : Marko Forsten)
Résultats commerciaux
Depuis que les femmes namibiennes se sont organisées pour créer la coopérative EWC et le partenariat avec PhytoTrade, l’intérêt des marchés internationaux pour le marula monte en flèche. Ce phénomène s’avère non seulement bénéfique pour les entreprises commercialisant les produits du marula, mais il exerce également une incidence significative sur les producteurs locaux namibiens. En 2008, la demande d’huile de marula atteint les vingt tonnes, soit plus de 20 millions de dollars É.-U. Les prix de détail pour les produits cosmétiques à base de marula sont quatre fois supérieurs à ceux des produits exempts de marula. Ainsi, le marula qui constituait autrefois une source de revenus complémentaires est devenue source de revenus primaires pour de nombreuses femmes dans les communautés rurales de Namibie.
Le succès de l’huile de marula a ouvert de nouvelles voies à de nouveaux produits à base de marula pouvant être exportés. L’huile de cuisson traditionnelle dite “ondjove” obtenue également à partir de cet arbre est bien connue et appréciée de la population namibienne, et tout comme l’huile de marula elle est produite et fait l’objet d’un commerce informel depuis des générations. Les initiatives de la coopérative EWC visant à la produire en vue de la vendre sur les marchés internationaux ont connu un grand essor avec le lancement d’une gamme d’huiles alimentaires de marula lors du salon du tourisme namibien à Windhoek en juin 2010. Ce produit a reçu un accueil très favorable, et la vente d’environ 60 litres a permis de sensibiliser le public à la nécessité de produire davantage de produits alimentaires à base de marula.
Avec l’essor de ces produits, la protection de la propriété intellectuelle et la commercialisation de la Maruline, la marula a joué un rôle encore plus important dans la vie des dizaines de milliers de producteurs ruraux, leurs familles et les communautés. Avant ces changements, de nombreuses femmes extrayaient l’huile de marula pour leur usage personnel ou pour la vendre localement. Avec l’accès aux nouveaux marchés, en 2000, les producteurs ruraux de marula commencent à percevoir plus de 60 000 dollars É.-U. par an, et en 2010, ils touchent déjà 2,35 dollars É.-U. par kilogramme de marula. Il s’agit là d’un revenu que les femmes n’auraient pas perçu autrement, et qu’elles utilisent pour des initiatives positives de développement, notamment, pour payer l’éducation de leurs enfants et promouvoir le développement de leurs communautés. Naimi Ndevaetela, membre de la coopérative EWC depuis ses débuts, résume tous les bienfaits que son travail à la coopérative lui a apportés : “Je vis seule, mon mari est mort. Je reçois 18 dollars namibiens par kilogramme, ce qui me permet de payer les frais de scolarité, les uniformes de l’école et le logement et les repas des enfants”.
Partenariats et propriété intellectuelle : le moyen de combler les lacunes
Sur le marché des produits dermatologiques, l’un des secteurs dont la croissance est la plus rapide est celui des produits cosmétiques organiques et naturels. Motivés par des choix de vie qui aujourd’hui rejettent les ingrédients synthétiques et chimiques pour privilégier les solutions alternatives naturelles, les consommateurs demandent des produits plus écologiques comme la marula qui possède un vaste potentiel de croissance. Des entreprises comme Aldivia ont décidé de capitaliser sur la nature organique de la marula et de travailler conjointement avec des coopératives tout en utilisant la propriété intellectuelle pour créer un produit de portée internationale. Avec l’accroissement de la notoriété de l’huile de marula, la propriété intellectuelle peut également permettre de mieux la faire connaître, de davantage l’utiliser, et d’assurer de meilleurs revenus aux futures générations de producteurs namibiens qui mettent en œuvre les savoirs traditionnels. Les stratégies actuelles et futures en matière de propriété intellectuelle se traduisent par des avantages économiques pour les coopératives comme l’EWC, ce qui facilite l’accès à l’éducation et aux soins médicaux, élève le niveau de vie et stimule l’évolution des communautés rurales.