Les disparités hommes-femmes en matière d’innovation et de créativité

Partout dans le monde, les sociétés tirent parti du travail des femmes dans le domaine des inventions, de la création et de l’art. Mais les données montrent que les femmes sont moins nombreuses que les hommes à utiliser le système de la propriété intellectuelle. Ces disparités hommes-femmes sont importantes pour plusieurs raisons, notamment parce que l’égalité des sexes est un droit humain et que nous sommes tous gagnants lorsque les femmes et les filles sont habilitées à contribuer pleinement à l’innovation et la créativité.

L’innovation et la créativité façonnent notre monde

L’innovation et la créativité sont les moteurs du progrès de l’humanité. L’innovation désigne les nouveaux produits et les nouveaux procédés, et la créativité a trait aux nouvelles formes d’expression artistique originale, telles qu’on les trouve dans les chansons, les livres, les images, les films et d’autres médias émergents.

Depuis toujours, les innovations et les créations des femmes et des hommes, fondées sur le pouvoir de leur imagination, transforment notre monde. Aujourd’hui, les innovations et les nouvelles formes d’expression artistique transforment nos vies à un rythme sans précédent. Tous les produits que nous apprécions sont le résultat d’années de recherche-développement, d’expérimentation et d’inventions. De fait, ils sont tous des créations de l’esprit humain.

Découvrez Özge Akbulut qui, grâce à son ingéniosité et sa créativité, a fréquenté les meilleures universités du monde et est devenue ingénieur en sciences des matériaux. Özge est à l’origine de multiples inventions et se spécialise actuellement dans la conception de modèles chirurgicaux réalistes destinés à la chirurgie reconstructrice, notamment pour des patientes atteintes d’un cancer du sein. Elle a également inventé une encre utilisée dans l’impression 3D et détient un brevet sur les propriétés rhéologiques des ciments à usage spécial. “Ce qui m’inspire réellement, c’est le fait que l’on puisse utiliser la science et la technologie pour s’attaquer à certains des problèmes les plus ardus auxquels est confrontée l’humanité. La seule manière de résoudre ces problèmes est de trouver des solutions innovantes”, déclare-t-elle. Lisez l’histoire d’Özge dans le Magazine de l’OMPI (Photo : avec l’aimable autorisation de Surgitate).

Cela donne à l’innovation une grande valeur économique. En fait, selon une récente étude menée par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), les actifs immatériels présents dans l’industrie moderne, tels que les inventions, les dessins et modèles et les connaissances spécialisées, ont presque deux fois plus de valeur que les actifs corporels comme les matières premières. Et la valeur culturelle des œuvres de création est inestimable. Les histoires, la musique et les arts visuels sont des moyens par lesquels les individus et les sociétés expriment et font connaître leur identité la plus profonde et bâtissent un riche patrimoine culturel. Et cela, littéralement, n’a pas de prix.

Comment le système de la propriété intellectuelle favorise l’innovation et la créativité

Il est donc dans notre intérêt à tous de soutenir l’innovation et la créativité. C’est l’objectif visé par le système de la propriété intellectuelle. Il existe différents types de droits qui protègent différents types d’actifs de propriété intellectuelle comme les inventions, les dessins et modèles et les œuvres de création. D’une manière générale, ces droits ont un objectif : encourager l’innovation et la créativité en prévoyant une rémunération équitable pour les innovateurs et les créateurs, qui peuvent ainsi tirer un revenu de leur travail.

Dans le système de la propriété intellectuelle, les titulaires de droits peuvent empêcher les tiers de copier leurs actifs ou de les utiliser sans leur autorisation. Cela signifie que les titulaires de droits peuvent facturer une redevance raisonnable pour l’utilisation de droits de propriété intellectuelle ayant une valeur économique. La perspective d’une rémunération encourage les particuliers et les entreprises à investir dans la mise au point d’innovations et de créations utiles.

La plupart des droits de propriété intellectuelle ont une durée limitée et ne peuvent être acquis que lorsque certaines conditions sont remplies. Il existe également des règles qui autorisent l’utilisation, dans des circonstances très précises, de différents types de droits de propriété intellectuelle sans avoir à obtenir l’autorisation de leur titulaire. Ces arrangements permettent de concilier les intérêts des innovateurs et des créateurs et ceux du grand public, afin que tous puissent bénéficier de la propriété intellectuelle.

VIDÉO : Rencontrez Siti Kamaluddin, réalisatrice et cofondatrice d’“Origin Films” au Brunéi Darussalam.

Les données montrent que les femmes sont moins nombreuses que les hommes à utiliser le système de la propriété intellectuelle

Le système de la propriété intellectuelle a été conçu afin de pouvoir être utilisé par toutes les personnes remplissant les conditions énoncées dans les lois nationales de propriété intellectuelle. Certains pays définissent leurs lois en matière de propriété intellectuelle au moyen de traités internationaux et régionaux mis au point durant plusieurs années afin de garantir une protection équilibrée et efficace.

Mais le système n’est pas utilisé de la même façon par tous. Certains pays et certaines régions devancent les autres pour ce qui est de la création d’actifs de propriété intellectuelle, et l’on constate également d’importantes disparités hommes-femmes dans l’acquisition et la titularité des droits de propriété intellectuelle.

Une analyse réalisée par l’OMPI montre que moins d’un tiers de toutes les demandes internationales de brevet déposées en 2015 citaient des inventrices. Il s’agissait d’une nette amélioration par rapport aux 17% de 1995, d’autant que certains pays et régions se situaient bien au-delà de la moyenne mondiale. Cela étant, il est clairement ressorti que les hommes étaient bien plus nombreux que les femmes à obtenir des brevets pour leurs inventions.

Si un plus grand nombre de femmes utilisent le système international des brevets, nous sommes encore loin de la parité.

Si nous ne disposons pas encore de données internationales comparables sur le genre des titulaires des autres droits de propriété intellectuelle, tels que les dessins et modèles industriels (des chercheurs de l’OMPI y travaillent actuellement), il existe là aussi des preuves de disparités hommes-femmes. Par exemple, selon une estimation, seuls 15% des personnes qui travaillent dans le design industriel aux États-Unis d’Amérique sont des femmes.

Les disparités hommes-femmes sont plus difficiles à définir pour ce qui concerne les œuvres de création comme les livres, les œuvres musicales et les films, car les droits de propriété intellectuelle qui assurent la protection de ces œuvres – à savoir le droit d’auteur et les droits connexes – s’acquièrent en général automatiquement et ne doivent pas être enregistrés auprès d’une administration centrale. C’est pourquoi il est difficile d’en assurer le suivi.

Quoi qu’il en soit, toutes les informations disponibles témoignent du retard accusé par les femmes dans les industries de la création par rapport à leurs homologues masculins. De nombreuses professions créatives sont dominées par les hommes. Ainsi, selon les Nations Unies, seuls 7% des réalisateurs de films dans le monde et 20% des scénaristes sont des femmes. De même, une étude du marché mondial de l’art a révélé que les œuvres créées par des femmes se vendaient à des prix moins élevés que celles produites par des hommes. Et aux États-Unis d’Amérique, le droit d’auteur est conféré à deux fois plus d’hommes que de femmes.

L’élimination des disparités hommes-femmes profiterait à tous

Les disparités hommes-femmes dans la propriété intellectuelle devraient tous nous préoccuper.

L’égalité des sexes est un droit humain et elle est indispensable si l’on souhaite vivre dans un monde en paix, prospère et caractérisé par des modes de vie durables. En plus d’être l’un des objectifs de développement durable des Nations Unies, ce concept est intégré dans tous les objectifs.

Par ailleurs, tout ce qui restreint l’innovation et la créativité est source d’appauvrissement, car nous passons à côté des avantages potentiels de nombreuses grandes idées “perdues”.

Il est largement prouvé que la participation accrue des femmes améliore les résultats des organisations et des sociétés en matière d’innovation. Il a été démontré que les équipes fondées sur la diversité et l’intégration étaient plus innovantes et que les entreprises propices à la diversité dégageaient plus de bénéfices.

D’une part, il s’agit tout simplement d’une question de chiffres : en élargissant le vivier de talents, les chances d’acquérir de nouvelles connaissances sont plus nombreuses. Mais les femmes peuvent également apporter un point de vue différent, et les innovatrices font en sorte que les nouveaux produits et procédés répondent aux besoins de l’ensemble de la population, et pas uniquement à sa moitié composée d’hommes.

Il existe donc d’excellentes raisons d’encourager les femmes à utiliser le système de la propriété intellectuelle.

VIDÉO : Les femmes autochtones du Panama améliorent les moyens de subsistance en transformant leurs savoirs traditionnels en actifs de propriété intellectuelle commercialisables.

Dans ce contexte, comment rendre le système de l’innovation plus ouvert et encourager la participation des femmes? Pour commencer, il nous faut comprendre ce qui les freine.

Les obstacles que doivent surmonter les innovatrices et les créatrices

Clairement, les femmes ne sont pas foncièrement moins innovantes ou moins créatives que les hommes, comme le prouvent d’innombrables exemples partout dans le monde.

Dans ce cas, comment expliquer un tel écart entre les hommes et les femmes dans l’utilisation du système de la propriété intellectuelle? Une table ronde organisée à l’OMPI en 2017 a offert un aperçu très utile de certains des principaux problèmes qui se posent.

  • Tout d’abord, les disparités constatées en matière de propriété intellectuelle reflètent également des inégalités généralisées entre les hommes et les femmes dans la vie sociale et économique. Ainsi, dans la plupart des pays, les filles qui étudient les sciences, la technologie, l’ingénierie ou la médecine sont bien moins nombreuses que les garçons. En conséquence, relativement peu de femmes travaillent dans un domaine susceptible d’être à l’origine d’innovations techniques.
  • Ces inégalités plus larges témoignent des préjugés, idées reçues et stéréotypes qui existent sur les filles et les femmes. Trop nombreuses sont les personnes – filles, femmes, garçons ou hommes – qui continuent de penser que les femmes doivent être cantonnées à certains rôles traditionnels et qu’elles ne peuvent pas occuper de postes de direction dans le monde de la science, de la technologie, des affaires et de l’art. Si on ne lutte pas contre ces stéréotypes, il est possible que les inégalités se perpétuent d’elles-mêmes, avec des filles et des jeunes femmes qui manquent de modèles auxquels s’identifier pour réaliser leur potentiel.
  • Les inégalités résultent également de structures économiques et sociales rigides, qui peuvent limiter les perspectives de carrière des femmes. Il existe un problème bien connu de “barrière invisible”. Les femmes de talent réussiront peut-être leurs études et connaîtront des débuts de carrière prometteurs mais les promotions se feront attendre par la suite, en particulier si elles décident d’avoir des enfants. Les organisations et les sociétés doivent trouver le moyen de permettre aux femmes (et aux hommes) de concilier vie professionnelle et vie de famille.
  • Certains problèmes sont plus particulièrement liés au système de la propriété intellectuelle. La mise au point de certains types d’actifs de propriété intellectuelle, notamment les brevets, peut nécessiter des efforts financiers importants et, si l’on considère que les femmes peuvent avoir tendance à privilégier la stabilité de leurs revenus, on peut estimer qu’elles seraient moins disposées que les hommes à prendre des risques.
  • En outre, certains experts juridiques ont critiqué le système de la propriété intellectuelle d’un point de vue féministe, faisant valoir que même si ce système était ostensiblement neutre, certains aspects de la loi pouvaient être porteurs de préjugés envers les femmes.

Soutenir les changements positifs

Les difficultés sont immenses mais nous assistons à une prise de conscience quant à la nécessité de mettre un terme aux disparités entre les hommes et les femmes en matière de propriété intellectuelle. Dans le monde entier, des organisations et des particuliers s’emploient à encourager et à soutenir les innovatrices et les créatrices. Leurs initiatives comprennent aussi bien des campagnes internationales visant à promouvoir la participation des femmes à la science que des programmes ciblant plus particulièrement certains pays, certaines régions et certains groupes.

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Découvrez Bethlehem Alemu, cofondatrice de la marque de chaussures soleRebels qu’elle a mise sur la voie du succès mondial. Elle est l’une des principales femmes chefs d’entreprise d’Éthiopie. Son entreprise, qui utilise des matières recyclées et écocompatibles, a “modernisé une communauté, dynamisé une nation et révolutionné toute une industrie.” (Photo : Flickr/WWEF)

L’OMPI joue un rôle moteur. Avec l’adoption de sa Politique en matière d’égalité des sexes en 2014, l’Organisation s’est engagée à faire de l’égalité des sexes un objectif qui concerne tous ses secteurs d’activité. Cela signifie, notamment, assurer une égalité d’accès aux services de l’OMPI et apporter une assistance technique aux femmes aussi bien qu’aux hommes, afin de parvenir à un nombre égal d’hommes et de femmes à tous les niveaux du personnel et d’encourager la même démarche pour les représentants des États membres aux réunions. Il s’agit également de poursuivre et de développer les recherches innovantes menées sur le genre et le système de la propriété intellectuelle, et de lancer toute une série de projets destinés à recenser et promouvoir l’innovation et la créativité des femmes.

La Journée mondiale de la propriété intellectuelle 2018 est une autre étape importante de cette mission. En rassemblant toutes les parties prenantes à travers le monde pour célébrer les réalisations des inventrices et des créatrices, elle permettra de lutter contre des stéréotypes dépassés et d’encourager un nombre encore plus grand de filles et de femmes à créer de précieux actifs de propriété intellectuelle.