Comprendre le droit à l’image dans le sport

Ian Blackshaw, * juriste international spécialisé dans le droit du sport, universitaire, auteur et membre du Tribunal arbitral du sport

L’industrie du sport est un marché lucratif qui représente plus de 3% du commerce mondial. Des sommes colossales sont générées non seulement par la vente des droits de retransmission des manifestations sportives, en particulier des grands événements tels que les Jeux olympiques et la Coupe du Monde de la FIFA, mais aussi par la commercialisation du droit à l’image sportive des équipes et des personnalités sportives de renom.

La définition du droit à l’image repose communément sur l’utilisation de l’expression “image” non pas au sens strict de “portrait”, mais au sens plus large de “personnalité” ou de “marque” (pour employer un terme marketing). Une clause d’“octroi de droits” définit habituellement le droit à l’image en des termes assez généraux, comme ici :

Accès aux services de la personnalité à des fins de tournage, de télévision (en direct et en différé), de radiodiffusion (en direct et en différé), d’enregistrement audio et vidéo, de production de films cinématographiques, d’images électroniques et vidéo (y compris, sans s’y limiter, d’images générées par ordinateur; de photographies; d’apparitions lors d’événements, de publicité dans tout support publicitaire et de promotion de produits), ainsi que le droit d’utiliser le nom, le portrait, l’autographe, l’histoire et les réalisations de la personnalité (y compris le droit d’auteur et autres droits de propriété intellectuelle) à des fins commerciales ou publicitaires incluant, de manière non restrictive, son portrait authentique ou figuré, sa voix, sa photographie, ses performances, ses caractéristiques personnelles et autres éléments permettant de l’identifier.

Voir également la définition judiciaire du droit à l’image dans l’affaire Proactive Sports Management Ltd v. 1) Wayne Rooney, 2) Coleen Rooney (formerly McLoughlin), 3) Stoneygate 48 Limited, 4) Speed 9849 Limited, concernant le droit à l’image sportive de l’ancien buteur de Manchester United et capitaine de l’Angleterre, Wayne Rooney, devant la Haute Cour de justice de l’Angleterre.

Le droit à l’image fait l’objet de dénominations et de traitements juridiques divers selon les pays. Au Royaume-Uni, on parle de droit à l’image; en Europe continentale, de droits de la personnalité; et aux États-Unis d’Amérique, de droit de publicité.

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Le droit à l’image sportive est un atout précieux. Kevin Keegan, le joueur de foot anglais emblématique des années 1970, fut le premier grand sportif à chercher à exercer son droit à l’image et à conclure un contrat en la matière. (Photo : Eamonn McCabe).

Protection juridique du droit à l’image

Au Royaume-Uni, le droit à l’image n’est pas juridiquement reconnu en tant que tel (voir l’affaire australienne Victoria Park Racing & Recreation Grounds Co Ltd c. Taylor [1937] 58 CLR 479), sauf à des fins de fiscalité, à la suite d’une décision prise en 2000 dans le cadre d’un recours fiscal britannique (Sports Club plc c. Inspector of Taxes [2000] STC [SCD] 443).

Dans cette affaire, l’Arsenal Football Club a réussi à faire classer en tant que capitaux les versements effectués à des sociétés offshore au titre de l’exploitation par le club du droit à l’image de ses joueurs, David Platt et Dennis Bergkamp, rendant ainsi ces sommes non imposables en tant que revenus. Ainsi, au Royaume-Uni, les personnalités sportives doivent s’appuyer sur un ensemble de dispositions législatives hétéroclites, telles que la loi sur les marques et le droit d’auteur, la doctrine obscure de la common law sur la substitution frauduleuse (“passing off”) et/ou les notions vagues de violation du secret commercial, comme dans le litige qui a opposé Catherine Zeta Jones et Michael Douglas au magazine Hello pour la publication illégale de leurs photos de mariage (Douglas & Others c. Hello Limited [2001] 2 WLR 992).

Toutefois, il convient de mentionner que le 3 décembre 2012, l’île anglo-normande de Guernesey a introduit un nouveau droit à l’image, semblable à une marque, permettant aux titulaires de ce droit de propriété intellectuelle de l’enregistrer, et ce, de manière perpétuelle, créant ainsi un actif plus facilement dissociable et commercialisable. Néanmoins, comme nous allons le voir, tout droit fondé sur les marques est soumis à des limitations territoriales.

Dans le reste de l’Europe, un droit de la personnalité est reconnu et protégé en vertu des règles constitutionnelles du pays concerné.

Par exemple, en Allemagne, les articles 1 et 2 de la Constitution protègent le droit à l’image. Ainsi, Oliver Khan, l’ancien gardien de but national allemand, a poursuivi avec succès Electronic Arts, le célèbre fabricant de jeux vidéo, pour avoir utilisé son nom et son image dans un match officiel du jeu FIFA Football sans son consentement explicite (Kahn c. Electronic Arts GmbH, non publié, 25 avril 2003).

Par ailleurs, aux États-Unis d’Amérique, la plupart des États reconnaissent et protègent juridiquement le droit à la publicité en se fondant principalement sur les principes généraux de la “reconnaissance de la valeur économique de l’identité d’une personne” et de l’“enrichissement sans cause” (Cardtoons, L.C. c. Major League Baseball Players Ass’n, 838 F. Supp 1501 [N.D., Okla. 1993]). Toutefois, cette protection juridique est soumise à certaines limitations, comme l’a montré, par exemple, l’affaire du célèbre golfeur Tiger Woods, qui portait sur la production et la vente non autorisées d’un tableau le représentant lors de sa victoire au Masters d’Augusta en 1997 (ETW Corporation c. Jireh Publishing, Inc. [2003 U.S. App. LEXIS 12488], 20 juin 2003).

Moyens de recours en cas d’atteinte

Il existe différents moyens de recours juridique en cas d’atteinte au droit à l’image sportive, depuis les dommages-intérêts jusqu’aux ordonnances provisoires et définitives.

Pour évaluer les dommages-intérêts de manière globale, un certain nombre de pays d’Europe continentale appliquent souvent une “redevance de licence perdue”. En d’autres termes, ce que la partie en cause aurait dû payer si elle avait obtenu une licence d’utilisation et d’exploitation commerciale du droit à l’image sportive concerné.

Il existe différents moyens de recours juridique en cas d’atteinte au droit à l’image sportive, depuis les dommages-intérêts jusqu’aux ordonnances provisoires et définitives.

Toutefois, de manière générale, les dommages-intérêts accordés en Europe sont beaucoup moins élevés qu’aux États-Unis d’Amérique. Par exemple, en Suisse, les tribunaux accordent rarement plus de 10 000 CHF (environ 10 000 USD) à 20 000 CHF (environ 20 000 USD) pour des atteintes au droit à l’image des sportifs. Dans l’affaire Oliver Khan mentionnée plus haut, Khan a reçu la somme royale de 3000 euros (environ 3390 USD).

Quant aux ordonnances, qui constituent un recours équitable dans le système juridique anglo-saxon, elles sont toujours accordées à la discrétion du tribunal et uniquement lorsque les dommages-intérêts ne constituent pas un recours adéquat.

Il est possible, en fonction des circonstances de l’affaire, d’obtenir des ordonnances spécialisées, comme une ordonnance préventive, qui vise à prévenir une atteinte attendue à un droit avant qu’elle ne survienne effectivement. Par exemple, en Espagne, en vertu de l’article 9.2 de la loi organique (Ley Organica), un juge peut adopter toutes les mesures nécessaires pour obtenir les résultats suivants :

  • mettre fin à toute atteinte illégale de tiers;
  • rétablir la pleine jouissance de son droit à l’image par le détenteur; et
  • empêcher de futures atteintes.

Dans de nombreux pays, il est possible, en cas d’atteinte au droit d’auteur, de demander aux autorités douanières compétentes d’empêcher l’entrée sur leur territoire de marchandises contrefaites ou piratées portant l’image non autorisée de personnalités sportives. Il s’agit là d’un outil précieux et pratique de lutte contre les atteintes au droit à l’image sportive à l’échelle transnationale.

Une estimation difficile

En pratique, l’une des difficultés juridiques rencontrées dans le cadre des négociations commerciales et des contentieux fiscaux et civils concerne l’obtention d’une estimation fiable et indépendante de la valeur du droit à l’image concerné. Bien qu’un certain nombre de sociétés proposent ce service, toutes ne sont pas fiables ou ne possèdent pas l’expertise professionnelle nécessaire pour mener à bien cette tâche. APC Sports Consulting, une société basée à Chypre, est l’une de celles qui proposent ce service et avec lesquelles je suis professionnellement associé. La directrice générale de cette société, Athena Constantinou, a mis au point un “évaluateur de marque” unique en son genre pour effectuer ces estimations.

La méthode utilisée est fondée sur le revenu. Autrement dit, il s’agit de déterminer et de prédire les sources de revenus qui découleront de la commercialisation de l’image sportive et de les estimer dans le présent en appliquant certains facteurs de risque, dont les blessures et la retraite anticipée. Ces estimations sont basées sur les capacités et les performances attendues des personnalités sportives concernées. Elles sont effectuées au cas par cas, en fonction des faits et des circonstances propres à chaque personne. Pour plus d’informations, rendez-vous à l’adresse www.sportsimagerightsexpert.com.

Clauses de moralité

Une autre question controversée se pose dans la pratique lorsque la personnalité sportive tombe en disgrâce; citons par exemple l’infidélité conjugale de Tiger Woods il y a quelques années, la baisse de forme ou la perte de l’excellence sportive. Ces situations doivent être prévues et prises en considération dans les accords sur le droit à l’image sportive.

S’agissant de l’affaire évoquée plus haut, il peut être nécessaire d’inclure une clause dite “de moralité” dans l’accord afin de protéger les intérêts commerciaux et financiers de l’autre partie. La “clause de moralité” est habituellement formulée dans les termes suivants :

La personnalité sportive doit, tout au long de la durée du présent contrat, agir et se comporter conformément aux normes les plus élevées en matière de discipline et de comportement dans les domaines sportif et personnel, et ne doit effectuer ou autoriser aucun acte et ne formuler ou autoriser aucun propos qui, de l’avis raisonnable du donneur de licence, porte atteinte ou soit susceptible de porter atteinte, de manière directe ou par association, à la réputation, l’image ou la renommée de la société ou l’une de ses filiales. Pendant toute la durée du présent contrat, la personnalité sportive ne peut agir ou se comporter d’une manière qui, de l’avis raisonnable de la société, porte atteinte aux bonnes mœurs, à la bienséance ou au professionnalisme, ou expose publiquement la société ou l’une de ses filiales au ridicule, au discrédit ou au mépris, ni être impliquée dans un scandale public.

D’autre part, la personnalité sportive doit également exiger de l’autre partie qu’elle agisse de manière responsable et professionnelle, notamment en ce qui concerne la fabrication de produits sur lesquels l’image de la personnalité sportive est susceptible d’apparaître. Par exemple, des chaussures et des vêtements de sport approuvés par la personne sportive fabriqués dans des ateliers clandestins en Extrême-Orient. Cette disposition a pour but de protéger la valeur de la réputation acquise par la personne sportive au sein de sa marque.

Toute violation de ces dispositions peut, selon sa gravité, entraîner la résiliation du contrat pour motif légitime.

Pour plus d’informations sur la rédaction des accords de droit à l’image sportive en général, voir “Accords de commercialisation dans le domaine du sport : aspects juridiques, fiscaux et pratiques” (Sports Marketing Agreements : Legal, Fiscal and Practical Aspects) d’Ian Blackshaw, Asser Press, La Haye, Pays-Bas.

Le droit à l’image sportive est un atout précieux. Les intérêts financiers et sportifs qui en découlent sont importants et requièrent dès lors l’attention d’un spécialiste qui en assurera la protection juridique. Les pièges sont nombreux pour les personnes imprudentes et inexpérimentées.

Il est indispensable de consulter un professionnel pour faire valoir ce droit au mieux!

Avertissement : La présente publication ne représente pas nécessairement les vues de l’OMPI ni de ses États membres.

* Ian Blackshaw est un juriste international spécialisé dans le droit du sport, universitaire, auteur, membre du Tribunal arbitral du sport et d’un groupe d’experts de l’OMPI sur les noms de domaine. Son adresse électronique est la suivante : ian.blackshaw@orange.fr.