L’OMPI commémore la Journée internationale des femmes juges : les messages inspirants de trois femmes juges établies en Jordanie, au Mexique et en Ouganda

10 mars 2023

À l'occasion de la Journée internationale des femmes juges, l'OMPI rend hommage aux carrières extraordinaires de femmes juges qui montrent l'exemple et contribuent activement à la mise en place d'un écosystème de la propriété intellectuelle équilibré et efficace dans le monde entier. Aujourd'hui, nous partageons les histoires édifiantes de trois d'entre elles, y compris leur parcours, leurs motivations et les défis qu'elles ont dû relever pour devenir juges et exercer leurs fonctions.

Pour célébrer davantage de femmes dans le monde de la propriété intellectuelle, participez à la campagne de la Journée mondiale de la propriété intellectuelle 2023 de l'OMPI sur le thème “Les femmes et la propriété intellectuelle : accélérer l’innovation et la créativité”.

Judge Nehad Al Husban
(Photo : N. Al Husban)

Nehad Al Husban

présidente du tribunal de première instance d’Amman (Jordanie)

Mon parcours pour devenir juge n'a pas été facile. La formation juridique des femmes en Jordanie n'était à mon époque pas aussi accessible qu'elle l'est aujourd’hui. Pour obtenir un diplôme universitaire de droit, j’ai dû quitter ma ville natale et me rendre à Amman pour étudier à l’Université de Jordanie. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai occupé plusieurs postes juniors au Ministère du travail, dans le secteur de l'autonomisation des femmes, mais je savais que j’avais d’autres ambitions et je me suis donc inscrite à l'institut judiciaire pour devenir juge. Je suis la septième femme à être devenue juge en Jordanie.

Je me suis intéressée à la propriété intellectuelle, en particulier au droit d'auteur, après être devenue juge et avoir acquis une certaine expérience judiciaire. J'ai obtenu un master en propriété intellectuelle à l'Université de Jordanie, puis j'ai occupé divers postes judiciaires qui m'ont davantage exposée à la propriété intellectuelle, notamment en tant qu'inspectrice judiciaire et présidente du tribunal de première instance de Salt (une ville de Jordanie). J'ai ensuite obtenu un master en droit de l'Université Brigham Young et un doctorat en droit pénal axé sur le droit d'auteur de l'Université de Jordanie.

Mes modèles sont mes parents. Ma mère m'a enseigné toutes les compétences nécessaires pour devenir une personne juste et une bonne juge. Mon père a toujours veillé à ce que nous ayons des chances égales et puissions poursuivre nos études. En outre, le corps judiciaire jordanien a toujours soutenu les personnes qualifiées, indépendamment de leur sexe, ce qui m’a inspirée et encouragée à travers mon parcours.

Mon conseil aux femmes aspirant à devenir juges est qu'elles doivent être mues par un désir de justice. Je leur dirais qu’être juge n’est pas chose aisée, et que devenir une bonne juge l’est encore moins. Un bon juge doit consacrer beaucoup de temps à sa profession. Il doit être juste à l’égard des autres, pendant et après ses heures de travail. Enfin, il ne faut jamais arrêter d'apprendre et de croître.

Judge Luz María Anaya Domíngues
(Photo : L. Anaya Domínguez)

Luz María Anaya Domíngues

Juge auprès du Tribunal fédéral administratif de Mexico (Mexique)

Mon parcours pour devenir juge a commencé avant même que je ne termine mes études de droit. Pendant mes études, je me suis intéressée au droit administratif et fiscal, et j'ai donc commencé à travailler au Tribunal administratif fédéral de Mexico, à un poste d’éditrice en relation avec la publication des décisions. J'ai été fascinée par le travail de réflexion et de règlement d'un litige, ce qui m'a conduit à une carrière judiciaire de près de 35 ans.

En 2009, j'ai contribué à la création de la chambre spécialisée en propriété intellectuelle du Tribunal administratif fédéral, avec deux femmes juges courageuses et admirables. C'était la première chambre spécialisée en propriété intellectuelle du Mexique, et les 11 années suivantes de ma carrière ont été entièrement consacrées à la propriété intellectuelle. Durant cette période, nous avons réglé 25 000 affaires de propriété intellectuelle. Ça a certainement été la période la plus importante de ma carrière.

L'un des aspects les plus gratifiants de la fonction de juge est la reconnaissance qu’accorde le public à un travail bien fait. Il est très satisfaisant de rendre un jugement lorsque j'ai la certitude d'avoir compris les arguments des parties, appliqué correctement la loi et que cette décision mûrement réfléchie aura une incidence significative sur la vie d'une personne, la stabilité d'une entreprise ou les ressources publiques utilisées dans l'intérêt général.

L'aspect le plus difficile de la fonction de juge est de trancher des affaires techniquement complexes, ou des affaires fortement médiatisées et impliquant des intérêts économiques, ainsi que de surmonter les forces internes et externes qui tentent d'influencer notre décision. Par ailleurs, j'ai parfois été confrontée, au cours de ma carrière, à des préjugés sur mes compétences du fait que je suis une femme, en particulier pour des promotions à des postes plus élevés.

Un aspect intéressant des litiges de propriété intellectuelle est que le juge doit conserver son objectivité et se mettre à la place du consommateur moyen. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai acquis tant d'expérience dans le domaine de la propriété intellectuelle que chaque fois que je vais faire mes courses, je ne peux m’empêcher d’examiner les marques de certains produits et de déterminer s'il existe un risque de confusion. Je suis souvent arrivée à la conclusion que l'enregistrement de la marque n'aurait pas dû être accordé.

Le domaine de la propriété intellectuelle qui me semble le plus complexe est la protection par brevet. Il y a quelques années, j'ai dû régler un différend portant sur une atteinte à un brevet sur un médicament. Comprendre les aspects techniques et la méthode d'obtention du médicament s'est avéré relativement difficile, d'autant qu'il s'agissait du facteur décisif de l'affaire.

Le meilleur conseil que je puisse donner aux femmes aspirant à devenir juges est de savoir si elles sont passionnées par l'analyse et le règlement des litiges. Décider de l'issue d'un litige nécessite des heures de réflexion. Être juge peut être épuisant pour quelqu'un qui n’apprécie pas la solitude et l'introspection.

Lydia Mugambe
(Photo : L. Mugambe)

Lydia Mugambe

Juge à la Haute Cour de Kampala (Ouganda)

Ma motivation pour devenir juge est née de deux expériences marquantes. Après ma formation juridique de troisième cycle, on m'a proposé un poste de chercheuse à l'Association internationale du barreau (IBA) à Londres, où j'ai élaboré des lignes directrices pour des missions d'enquête. J'ai travaillé sur l'assassinat de Rafik Hariri, et j'ai vu comment la politique et les lenteurs pouvaient favoriser l'injustice. Par la suite, j'ai travaillé sur des affaires de génocide au Tribunal des Nations Unies pour le Rwanda.

Ces deux expériences professionnelles m'ont transformée et m'ont incitée à jouer un rôle plus actif dans le domaine de la justice. J'ai eu la chance que des postes se libèrent au sein de l'appareil judiciaire ougandais au bon moment, et j'ai eu envie d’y revenir et de servir mon pays.

J'ai plusieurs modèles : Solome Balungi Bossa, juge ougandaise à la Cour pénale internationale, a toujours été un modèle pour moi. Son humilité devant le succès est une source d'inspiration. La regrettée Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, était d'une précision et d'une honnêteté sans faille. Enfin, je citerai Richard Joseph Goldstone, ancien juge sud-africain, pour son impeccable talent de rédacteur et la trace indélébile qu’il a laissée.

Dans la vie, je suis inspirée par Indra Nooyi, ancienne PDG de PepsiCo, et Barak Obama, ancien président des États-Unis d'Amérique - face à l'adversité, leur capacité à ne perdre de vue ni l’objectif ni la situation dans son ensemble est admirable.

La meilleure partie du métier de juge est lorsque vous rendez un jugement et que la partie perdante accepte le résultat et vous remercie d'avoir tenu compte de ses arguments et d'avoir rendu une décision équitable.

La partie la plus difficile du métier de juge est de savoir que, dans certains cas, le jugement que vous rendez ne réglera pas la crise entre les parties en présence. C’est de reconnaître que les systèmes juridiques et judiciaires continuent d'avoir des limites dans leur capacité de rendre la justice.

Le meilleur conseil que je puisse donner aux femmes aspirant à devenir juges est que cela en vaut la peine! Néanmoins, devenir juge ne se résume pas au titre et aux privilèges attachés à cette fonction. Il s'agit plutôt d'être au service des autres. Il est nécessaire de travailler exceptionnellement dur, d'avoir le souci du détail et de rester au fait de toutes les évolutions.