Agroalimentaire : analyse de la situation dans la région de l’ASEAN
25 novembre 2024

En septembre 2024, l’OMPI a lancé la cartographie de brevets de l’OMPI dans le secteur agroalimentaire, qui analysait les tendances mondiales en matière de brevets et les nouvelles technologies dans ce secteur. Aujourd’hui, nous nous intéressons à la cartographie de brevets toujours de ce secteur, mais dans la région de l’ASEAN. Bien que l’activité en matière de brevets dans la région de l’ASEAN soit relativement faible au regard de nombreuses autres parties du monde, le secteur agroalimentaire est vital dans la région car il favorise la sécurité alimentaire, préserve les moyens de subsistance de millions de personnes et stimule la croissance économique dans l’un des pôles agricoles les plus dynamiques au monde. Alors, qui dépose des demandes de brevet liées à l’agroalimentaire dans la région de l’ASEAN? Qui sont les innovateurs dans cette région? Et par rapport aux tendances mondiales, sur quelles technologies se concentrent-ils?
La part mondiale de l’activité en matière de brevets dans le secteur agroalimentaire de la région de l’ASEAN est plus élevée que la moyenne générale de tous les domaines techniques confondus, que ce soit en termes de dépôts en tant que marché cible ou d’inventions créées localement.
Dans la région de l’ASEAN, le nombre total de familles de demandes de brevets déposées dans le secteur agroalimentaire est de 47 664, soit 1,27% de toutes les familles mondiales de brevets agroalimentaires. Ce chiffre est plus élevé que la part des familles de brevets de la région de l’ASEAN de l’ensemble des domaines techniques au niveau mondial, qui s’élève à 0,62%.
En outre, le nombre de familles de brevets liées à l’agroalimentaire protégeant une invention créée dans la région de l’ASEAN s’élève à 14 185, soit 0,38% de l’ensemble des familles de brevets agroalimentaires dans le monde. Ce chiffre dépasse également la part des familles de brevets de la région de l’ASEAN protégeant des inventions de tous domaines techniques confondus au niveau mondial, qui s’élève à 0,22%.
Ces données montrent que, que ce soit en tant que marché cible ou que source de l’invention, la présence mondiale du secteur de l’agroalimentaire dans la région de l’ASEAN est plus forte que la moyenne de tous les domaines techniques confondus.
Les activités de dépôt de demandes de brevet dans le secteur de l’agroalimentaire dans la région de l’ASEAN dépassent de loin les activités locales d’invention, ce qui témoigne du fort intérêt mondial pour le potentiel du marché de la région.
La région de l’ASEAN a enregistré le dépôt de 32 240 demandes de brevet liées à des technologies agricoles, soit 4,3 fois plus que les 7 435 familles de brevets liés aux technologies agricoles protégeant des inventions créées dans la région. De même, 19 114 demandes de brevet liées aux familles des technologies alimentaires ont été déposées, soit 2,5 fois plus que les 7 765 familles de brevets liés aux technologies alimentaires protégeant des inventions créées dans la région. Ces chiffres montrent l’importance que les déposants extérieurs de demandes de brevets accordent au marché de la région de l’ASEAN.
Parmi les 23 sous-domaines de l’agroalimentaire, les déposants de demandes de brevet au niveau mondial manifestent un plus grand intérêt pour les domaines de pointe, tels que la robotique et les drones, l’adaptation des cultures, la génétique et l’agriculture de précision, tandis que l’innovation locale est relativement limitée. En revanche, les innovateurs locaux sont plus actifs dans des sous-domaines tels que la gestion des sols et des engrais et les technologies alimentaires.
Dans les sous-domaines de la robotique et des drones, de l’adaptation des cultures et de la génétique, ainsi que de l’agriculture de précision, le rapport entre les demandes de brevet déposées dans la région de l’ASEAN et les demandes déposées pour une invention créée dans la région est de 8,5, 8,4 et 7,0 respectivement. Ces chiffres indiquent que les entreprises extérieures à la région de l’ASEAN sont particulièrement intéressées par le marché local de ces technologies, alors que l’innovation locale dans ces domaines reste relativement limitée.
En revanche, dans les sous-domaines de la gestion des sols et des engrais, de la technologie alimentaire et de la chimie alimentaire, les rapports entre les demandes de brevet déposées dans la région de l’ASEAN et les inventions d’origine locale sont plus faibles de 2,0, 2,3 et 2,4 respectivement. Cela signifie que si les dépôts de demandes de brevet étrangers restent toujours plus nombreux que ceux liés à l’innovation locale dans ces domaines, les innovateurs locaux sont relativement plus actifs que dans d’autres domaines techniques.
L’indice de spécialisation relative (RSI, de l’anglais Relative Specialization Index) compare les activités en matière de brevets publiés de deux pays ou plus dans un même secteur technologique. Cet indice compare la part du pays en matière de délivrance de familles de brevets dans un secteur technique particulier à la même part dans tous les domaines techniques. En d’autres termes, l’indice de spécialisation relative présente l’avantage de permettre une comparaison des activités en matière de brevets de deux pays dans une technologie donnée par rapport aux activités globales en la matière de ces pays. Il permet donc de mettre en avant les pays qui sont plus spécialisés dans le domaine technologique étudié que ne le laisse supposer leur niveau global d’activités en matière de brevets.
D’après le RSI des pays de l’ASEAN dans tous les sous-domaines de l’agroalimentaire, les Philippines et l’Indonésie présentent l’indice le plus élevé dans la chaîne d’approvisionnement, la chimie alimentaire et les technologies alimentaires. Cette situation est étroitement liée à la participation active des universités locales et des instituts de recherche aux activités en matière de brevets.
Singapour, en revanche, enregistre le niveau de RSI le plus élevé dans les sous-domaines liés à l’Internet des objets, tels que la cartographie/imagerie, l’agriculture de précision, la robotique et les drones, par rapport aux autres pays de la région de l’ASEAN.
Les États-Unis d’Amérique, le Japon, la République de Corée, l’Allemagne et la Suisse sont les principales sources de demandes de brevets dans le secteur agroalimentaire de la région de l’ASEAN.
Les innovateurs du monde entier dans le secteur de l’agroalimentaire sont très présents sur le marché de l’ASEAN. Les principaux contributeurs aux brevets agroalimentaires dans la région comprennent des pays extérieurs à l’ASEAN tels que les États-Unis d’Amérique, le Japon, la République de Corée, l’Allemagne et la Suisse. Des pays locaux, tels que les Philippines, l’Indonésie et la Thaïlande, figurent également parmi les 10 premières sources de demandes de brevet dans la région.
Les brevets émanant de la région de l’ASEAN sont principalement déposés localement. Toutefois, un examen plus approfondi des lieux de création des inventions par pays révèle des stratégies de dépôts de demandes de brevet bien distinctes dans la région.
Par exemple, les dépôts liés à l’agroalimentaire provenant de Singapour comprennent 2 119 familles de brevets. Parmi celles-ci, 1 528 demandes ont été déposées au niveau international par l’intermédiaire de l’OMPI, 1 239 ont été publiées aux États-Unis d’Amérique, 955 en Chine et seulement 793 ont été publiées à Singapour même. Ces chiffres mettent en évidence le solide intérêt des inventeurs de Singapour pour l’obtention d’une protection mondiale pour leurs innovations.
En revanche, les déposants de Thaïlande, du Viet Nam, des Philippines et de Malaisie font désormais preuve d’une préférence pour des dépôts nationaux. La majorité des brevets protégeant des inventions créées au sein de leur pays respectif sont publiés localement.
Les principaux déposants aux Philippines et en Indonésie sont des universités et des instituts de recherche, mais ces établissements déposent des demandes de brevet uniquement au niveau local. En revanche, les déposants de Singapour, de Malaisie et de Thaïlande mettent davantage l’accent sur la protection de leurs innovations au niveau mondial.
Dans la région de l’ASEAN, les principaux déposants de demandes de brevet agroalimentaire peuvent être classés en plusieurs catégories :
- les entreprises du secteur de l’alimentation et de la chimie alimentaire : parmi celles-ci, on peut citer Nestlé, Suntory et CJ Cheil Jedang;
- les entreprises de biotechnologie et de soins de santé : parmi les exemples, citons Hoffmann-La Roche, Genentech et Janssen Pharmaceutica;
- les entreprises du secteur de l’agrochimie : Bayer, BASF et Syngenta en sont quelques exemples.
Nestlé se distingue par sa position dominante dans le secteur de l’alimentation et de la chimie alimentaire, se classant régulièrement parmi les principaux déposants de demandes de brevet dans plusieurs pays de l’ASEAN. Les entreprises de biotechnologie et de soins de santé, pour leur part, concentrent leurs demandes de brevet essentiellement à Singapour et au Viet Nam. Les entreprises agrochimiques, spécialisées dans les pesticides, les engrais et les technologies liées aux semences, sont actives dans plusieurs pays de la région. Cela s’explique par la forte production agricole et la forte demande de technologies de pointe au sein de l’ASEAN.
Contrairement aux tendances mondiales, les fabricants de machines agricoles et les entreprises de technologies de l’information et de la communication (TIC), qui contribuent considérablement à l’innovation agroalimentaire à l’échelle mondiale, sont moins présents dans la région de l’ASEAN. Parmi les fabricants de machines agricoles, seules les entreprises japonaises Kubota et Shimano affichent une présence notable, se classant respectivement parmi les 10 principaux déposants en Thaïlande et en Malaisie. En ce qui concerne les entreprises du secteur des TIC, Qualcomm est la seule entreprise dont la présence est significative, se classant 6e en Indonésie et 17e dans l’ensemble de la région de l’ASEAN.
Les principaux déposants aux Philippines et en Indonésie sont des universités et des instituts de recherche, mais ces établissements déposent des demandes de brevet uniquement au niveau local. Les déposants de Singapour, de Malaisie et de Thaïlande mettent davantage l’accent sur la protection de leurs innovations à l’échelle mondiale.
Les universités et les instituts de recherche des Philippines et d’Indonésie ont enregistré de bons résultats en matière de dépôts de demandes de brevet. Plus de 60% des demandes de brevet liées à l’agroalimentaire déposées par ces établissements ont été publiées après 2019, ce qui témoigne d’une forte augmentation des activités d’innovation au cours de ces dernières années.
En revanche, moins de 60% des portefeuilles de brevets de la majorité des déposants de Malaisie, du Viet Nam, de Thaïlande et de Singapour ont été publiés après 2019. Cela témoigne d’une croissance plus régulière et plus constante de l’innovation, plutôt que d’une concentration récente des activités. Néanmoins, certaines entreprises technologiques singapouriennes se distinguent par une proportion notablement plus élevée de brevets publiés après 2019. Cette tendance est étroitement liée à l’essor rapide et à l’adoption généralisée des technologies de l’Internet lié aux objets dans le secteur de l’agroalimentaire ces dernières années.
Si l’on examine les tailles des familles de brevets des déposants locaux, force est de constater que les déposants d’Indonésie, des Philippines et de Thaïlande ont tendance à privilégier la protection de leurs innovations sur leur marché national. En revanche, les déposants de Singapour et de Malaisie adoptent une perspective plus globale, mettant davantage l’accent sur l’obtention d’une protection internationale par brevet afin de protéger leurs innovations à l’échelle mondiale.