10 octobre 2023
La mise en commun de licences volontaires pourrait être la clé pour révolutionner l’accès aux médicaments essentiels, qui demeurent inaccessibles dans de nombreuses régions[1]. Le Medicines Patent Pool (MPP) se distingue par son objectif, qui est de fournir des solutions de santé concrètes en collaborant avec les titulaires de brevets, en veillant à ce que les traitements vitaux puissent être accessibles au plus grand nombre. Dans un article publié récemment dans une revue, le MPP présente son approche innovante et transparente de la concession de licences de propriété intellectuelle. Cette approche pourrait non seulement changer la donne, mais aussi sauver la vie de millions de personnes qui n’ont pas accès aux médicaments essentiels.
L’octroi de licences volontaires fait partie des mécanismes qui permettent d’élargir l’accès aux technologies de santé et aux médicaments essentiels dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Cette démarche est particulièrement pertinente face aux pandémies et aux maladies non transmissibles et peut même tirer parti des traitements biothérapeutiques émergents et des technologies à longue durée d’action. Malgré les grands succès rencontrés dans le cadre de contrats de licence volontaire dans le domaine de la santé publique, il demeure nécessaire d’affiner les paradigmes d’octroi de licences et d’élargir leur application [géographique] à des ressorts juridiques qui sont souvent exclus du champ d’application de l’octroi de licences par le MPP.[2]
Le MPP joue un rôle important à cet égard, en négociant des licences avec les titulaires de brevets puis en octroyant des sous-licences à de nombreux fabricants dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Depuis sa création en 2010, le MPP a conclu 34 contrats de licence pour diverses technologies de santé, facilitant ainsi l’accès à 30 milliards de doses de traitement. Dans un récent article évalué par des pairs, le MPP cherche à faire comprendre les avantages que son modèle apporte aux fins de la diffusion des technologies de santé ainsi que pour enrichir les discussions en cours sur les cadres internationaux visant à améliorer l’accès à ces ressources vitales.
La récente publication, parue le 5 septembre 2023, intitulée “Negotiating public-health intellectual property licensing agreements to increase access to health technologies: an insider’s story” (“Négocier des contrats de licence de propriété intellectuelle dans le domaine de la santé publique pour accroître l’accès aux technologies de santé : témoignage d’initié”), publiée dans le British Medical Journal Global Health, propose un examen approfondi des rouages du cadre opérationnel du MPP. Il décrit les difficultés rencontrées, les subtilités des négociations et les compromis nécessaires. L’analyse présente les arguments en faveur de l’octroi de licences volontaires dans le domaine de la santé publique, en particulier tel qu’il est mis en œuvre par le MPP. La publication se penche également sur le fonctionnement du MPP, en expliquant les avantages qu’il peut apporter à l’amélioration de la santé publique et en quoi ce modèle demeure sous-utilisé alors qu’il offre un immense potentiel pour améliorer l’accès aux médicaments essentiels.
Des publications récentes, notamment l’étude trilatérale OMS-OMPI-OMC et la note d’information intitulée “Une approche intégrée de la santé, du commerce et de la propriété intellectuelle pour faire face à la pandémie de COVID-19”, mettent en évidence les retombées à grande échelle du modèle du MPP sur la santé publique.
Créé en 2010 par Unitaid, le MPP s’associe à des entreprises pharmaceutiques titulaires de brevets pour accorder des licences de propriété intellectuelle sur leurs médicaments à de nombreux fabricants de génériques. Cette stratégie favorise la concurrence dans la production de versions abordables et de qualité garantie de ces médicaments pour les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, tandis que les sociétés titulaires de brevets continuent de vendre leurs produits de marque sur les marchés commerciaux. Le MPP a stimulé la distribution de médicaments contre le VIH et l’hépatite C recommandés par l’OMS. Fort de ce succès, il a élargi son action aux médicaments contre la tuberculose, puis aux technologies de santé liées à la COVID-19, aux technologies à longue durée d’action, aux produits biothérapeutiques et aux formulations de médicaments. Les licences délivrées par le MPP sont considérées comme une bonne pratique pour l’octroi de licences dans le domaine de la santé publique. Toutefois, le MPP constate qu’il existe encore un vaste potentiel inexploité dans le domaine de l’octroi de licences à des fins de santé publique.
Afin de justifier la demande d’une licence de type MPP pour une technologie de santé, il faut procéder à une évaluation approfondie des besoins de santé publique pour le médicament en question. Il s’agit notamment d’analyser les données cliniques et les voies réglementaires, ainsi que les besoins des communautés concernées.
En règle générale, le MPP s’entretient également avec des experts du domaine clinique, les pouvoirs publics, les institutions compétentes des Nations Unies et les communautés concernées. Ce processus peut prendre jusqu’à un an et tient compte d’éléments tels que la charge de morbidité, les besoins non satisfaits et la demande de traitements disponibles, les questions d’équité, les opinions publiques favorables et défavorables, la portée géographique et la gestion des licences, que le MPP propose à titre gracieux. En outre, il évalue la rentabilité et les préférences des investisseurs, et notamment les intersections avec les cadres environnementaux, sociaux et de gouvernance.
La partie la plus délicate de l’élaboration d’un contrat de licence concerne la négociation des conditions entre les parties. Cette étape peut durer plusieurs mois. Il arrive que les parties ne parviennent pas à un accord. Le MPP fait appel à des leviers externes tels que les militants pour les traitements, les pouvoirs publics, les investisseurs et l’opinion publique pour influer sur la décision des titulaires de brevets. En outre, un processus de validation externe des contrats de licence proposés est mis en œuvre pour veiller à concilier les besoins des titulaires de brevets, des fabricants de génériques et des autres parties prenantes en vue de créer des solutions gagnantes pour tous.
Parfois, les entreprises titulaires de brevets sont peu présentes ou ont peu d’expérience dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Il peut leur sembler injustifié de développer leurs activités dans des régions dont elles connaissent moins l’écosystème des partenaires potentiels au regard des faibles retours escomptés, en particulier compte tenu des coûts substantiels liés à l’enregistrement et à la commercialisation d’un produit dans un nouveau pays. Les compétences spécialisées du MPP, proposées à titre gracieux, allègent la charge humaine et financière liée à la gestion des licences. Les licences délivrées par le MPP peuvent également, dans certains cas, déboucher sur le versement de redevances importantes au laboratoire de princeps.
Les entreprises qui s’engagent en faveur de l’octroi de licences volontaires de type MPP souhaitent également renforcer leur réputation en tant que facilitateurs de l’accès aux médicaments. L’indice d’accès aux médicaments, par exemple, constitue un outil officiel qui permet d’évaluer certaines des plus grandes sociétés pharmaceutiques au regard de la qualité de leurs programmes d’accès en faveur des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Alors que les investisseurs dans les laboratoires de princeps s’engagent de plus en plus sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance, la mise en œuvre d’un programme d’accès solide, tel qu’un programme d’octroi de licences pour les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de type MPP, qui serait pris en considération dans l’ATMI, peut apporter un avantage concret. L’octroi de licences volontaires aux fabricants de génériques peut également contribuer à résoudre le problème de la fixation de prix de référence externes, ou la pratique consistant à fixer le prix maximum des médicaments sur ordonnance dans un pays en fonction du prix pratiqué dans d’autres pays, auquel les sociétés pharmaceutiques sont confrontées pour leurs marchés commerciaux dans les pays à revenu élevé lorsqu’elles étudient la possibilité de fixer des prix réduits dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaires.
Les éléments essentiels des licences délivrées par le MPP sont les suivants : le territoire sur lequel le produit générique peut être fabriqué ou vendu; les activités que les preneurs de licence peuvent mener (par exemple, le principe actif ou les formulations qu’ils peuvent fabriquer et vendre); l’utilisation du produit; les exigences de qualité; le contrôle de la conformité et les aspects liés à la gestion des preneurs de sous-licence, y compris l’établissement de rapports de vente; les redevances, le cas échéant; le transfert de technologie, si nécessaire; et la compatibilité et la complémentarité avec d’autres mécanismes d’accès.
Le MPP a pour objectif de résoudre les problèmes liés à l’octroi de licences volontaires pour l’accès aux médicaments dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire en conciliant les intérêts des laboratoires de princeps (non seulement pour le produit en question, mais aussi pour l’ensemble de leur portefeuille) et les objectifs de santé publique. Les licences qu’il octroie couvrent une vaste zone géographique tout en étant financièrement attrayantes pour les fabricants de génériques, ce qui garantit un marché durable et des économies d’échelle permettant de faire baisser les prix. Cet équilibre tient compte des objectifs commerciaux des laboratoires de princeps. Par son engagement en faveur de la transparence, qui se traduit par la mise à disposition des licences dans le domaine public, le MPP vise à créer des précédents et des normes. Les licences accordées par le MPP sont généralement plus faciles d’accès et comportent moins de restrictions que les contrats bilatéraux conclus entre les titulaires de brevets et les fabricants de génériques sans l’intervention du MPP en tant que médiateur.[3]
Le modèle du MPP en matière d’octroi de licences volontaires de propriété intellectuelle à des fins de santé publique a permis d’améliorer considérablement l’accès aux médicaments essentiels dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Bien que ce modèle ne soit pas sans soulever de défis, ses retombées laissent à penser qu’il devrait être davantage promu et encouragé, en particulier dans le cadre de la préparation et de la riposte aux pandémies. Comprendre les complexités de ce modèle peut être utile pour affiner ses applications et remédier aux inégalités d’accès aux soins de santé dans le monde.
Les liens entre la santé mondiale et l’innovation, ainsi que les disciplines qui se recoupent, comme l’octroi de licences et le transfert de technologie, peuvent être très complexes. L’unité chargée de la santé mondiale de l’OMPI s’efforce de faire mieux connaître la manière dont l’innovation scientifique et technologique contribue aux progrès dans le domaine de la santé publique, notamment dans le cadre de collaborations avec des parties prenantes clés telles que le MPP. Elle a aussi pour objectif de tirer parti de la propriété intellectuelle en tant qu’outil contribuant à contribuer à répondre aux besoins sanitaires les plus pressants dans le monde.