20 novembre 2023
Le véritable essor observé dans le domaine de l’intelligence artificielle générative a d’immenses répercussions pour les technologies médicales. L’intelligence artificielle générative renvoie à l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la création ou comme assistance à la création de dessins et modèles à partir de critères ou de contraintes donnés. Les techniques de création générative sont exploitées pour révolutionner la création de dispositifs médicaux.
Les ingénieurs et les créateurs utilisent des algorithmes d’intelligence artificielle pour supprimer les matériaux inutiles ou simplement améliorer leur dessin ou modèle de dispositif médical. À l’instar de l’ingénieur, qui fait appel à sa formation et à son expérience pour proposer de nouvelles solutions, l’intelligence artificielle générative fait appel à des bases de données d’informations bien plus grandes et à des calculs bien plus complexes que ce qu’un être humain peut traiter pour optimiser le dessin ou modèle d’un produit, d’où le terme “intelligence artificielle”. L’intelligence artificielle permet aux ingénieurs d’adapter leurs dessins et modèles aux besoins spécifiques du patient et aux exigences médicales complexes, et d’accélérer le processus de développement. Cela aide aussi bien les patients que les professionnels de la santé.
Voici deux exemples d’entreprises qui utilisent l’intelligence artificielle pour améliorer considérablement les soins dispensés aux patients et les résultats obtenus pour ces derniers.
Meticuly, une société de technologie médicale sise en Thaïlande, utilise l’intelligence artificielle pour concevoir des implants osseux personnalisés. Meticuly introduit la scanographie du patient dans l’algorithme d’apprentissage profond de l’intelligence artificielle pour concevoir l’implant. Elle imprime ensuite le dessin ou modèle créé en 3D. Avant l’utilisation de l’intelligence artificielle, les implants osseux étaient modelés à la main et les médecins devaient adapter manuellement la forme de l’implant durant l’opération pour réaliser l’ajustement final dans le corps du patient. Grâce à Meticuly, cet ajustement n’est plus nécessaire et le temps d’opération est diminué de plusieurs heures, ce qui améliore le résultat pour les patients.
NuVasive, une société spécialisée dans les dispositifs médicaux sise aux États-Unis d’Amérique, a recours à la création générative pour concevoir des implants vertébraux en titane poreux imprimés en 3D. Les implants vertébraux en titane sont généralement fabriqués à partir de morceaux de métal solides. À l’aide de l’intelligence artificielle générative et de la technologie d’impression 3D, NuVasive peut réaliser des implants en titane spongieux parsemés de minuscules trous. Ce procédé exploite la biocompatibilité du titane, permet de disposer de davantage de trous à travers lesquels la colonne vertébrale en guérison peut se développer, et rend l’implant plus flexible pour éviter un affaissement (une complication courante des chirurgies de fusion vertébrale). En utilisant un implant vertébral traditionnel, le taux d’affaissement est d’environ 20%. En utilisant un implant en titane poreux créé à l’aide de l’intelligence artificielle, ce taux chute à environ 1,1%.
L’utilisation de l’intelligence artificielle générative pour la conception de dispositifs médicaux soulève des questions et des difficultés importantes en matière de droits de propriété intellectuelle et de titularité des dessins et modèles créés : les dessins et modèles conçus au moyen de l’intelligence artificielle peuvent-ils être brevetés? Quelle est la différence en matière de propriété intellectuelle entre les dessins et modèles conçus à l’aide de l’intelligence artificielle, autrement dit conçus par l’homme et perfectionnés par une intelligence artificielle, et les dessins et modèles créés par l’intelligence artificielle?
À la sixième session du Dialogue de l’OMPI sur le thème “Technologies de pointe et inventions fondées sur l’intelligence artificielle”, Chedtha Puncreobutr, cofondateur et directeur technique de Meticuly et professeur assistant, a présenté le portefeuille de propriété intellectuelle de Meticuly et les répercussions de l’intelligence artificielle sur celui-ci. La technologie en question est obtenue à partir d’un matériau en titane imprimé en 3D et d’un programme d’intelligence artificielle générative qui sont associés pour créer le produit final.
Meticuly protège ses matériaux avec des brevets d’invention, et son intelligence artificielle générative au moyen du secret d’affaires des technologies. La famille de produits des implants imprimés en 3D est couverte par une combinaison de brevets d’invention et de brevets de dessins et modèles. Meticuly détient six brevets sur différents aspects de ses produits et 12 secrets d’affaires couvrant son intelligence artificielle générative et d’autres modes de fabrication. C’est un bon exemple de portefeuille de propriété intellectuelle de dessins et modèles créés à l’aide de l’intelligence artificielle.
Pour les dessins et modèles créés par l’intelligence artificielle, il peut être difficile de déterminer quel est le titulaire du droit de propriété intellectuelle. Les questions qui se posent lorsqu’il s’agit de déterminer si les créateurs du système d’intelligence artificielle, les utilisateurs de l’intelligence artificielle ou même l’intelligence artificielle elle-même peuvent revendiquer la titularité et la protection de ces dessins et modèles font l’objet de vifs débats.
La question de la titularité des dessins et modèles créés par l’intelligence artificielle est étroitement liée aux données utilisées pour entraîner les systèmes d’intelligence artificielle. Dans le cadre de leur apprentissage, les modèles d’intelligence artificielle puisent dans d’immenses ensembles de données qui peuvent comprendre un large éventail de dessins et modèles et d’œuvres de création préexistants. Dans certains cas, les données utilisées contiennent des secrets ou des informations protégées par le droit d’auteur, ce qui donne lieu à des préoccupations au sujet de potentielles atteintes aux droits de propriété intellectuelle existants. En outre, lorsque les systèmes d’intelligence artificielle créent de nouveaux dessins et modèles, des questions se posent quant à la mesure dans laquelle ces résultats sont influencés par les données d’apprentissage et s’ils peuvent être considérés comme étant complètement originaux.
Ces questions ont récemment fait l’objet d’un débat mondial lancé par le système d’intelligence artificielle appelé Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience (DABUS). Le système d’intelligence artificielle DABUS a été créé par Stephen Thaler et breveté dans les documents de brevet américains 5,659,666; 7,454,388 B2; et 2015/0379394 A1. Le système DABUS a attiré l’attention du monde entier en tant que premier système d’intelligence artificielle à avoir prétendument conçu seul deux inventions (un récipient pour boisson basé sur la géométrie fractale et un voyant d’alerte clignotant) et premier système d’intelligence artificielle au nom duquel des demandes de brevet ont été déposées.
M. Thaler et son équipe ont déposé des demandes de brevets pour ces inventions en Afrique du Sud, en Australie, aux États-Unis d’Amérique, en Nouvelle-Zélande, auprès de l’Office européen des brevets et au Royaume-Uni. La question a fait l’objet de vifs débats dans le monde entier et la plupart des pays ont rejeté les demandes au motif qu’un inventeur devait être humain. Seule la Commission des sociétés et de la propriété intellectuelle d’Afrique du Sud (CIPC) a accepté la demande déposée par M. Thaler le 24 juin 2021 et a publié un avis de délivrance du brevet en juillet 2021. Les effets de cette décision dans ce domaine restent encore à déterminer. Elle pourrait donner lieu à l’élaboration d’un système de propriété intellectuelle sui generis (“unique en son genre”/spécialisé) pour les inventions des intelligences artificielles, mais elle pourrait aussi n’avoir aucune suite.
L’association de l’intelligence artificielle générative à la conception de dispositifs médicaux donne lieu à des défis complexes liés aux droits de propriété intellectuelle, en particulier dans le contexte de dessins et modèles entièrement créés par l’intelligence artificielle. Le cas du système d’intelligence artificielle DABUS, pour lequel a été déposée une demande de brevet pour qu’il soit reconnu en tant qu’inventeur, a déclenché un débat mondial sur les droits des entités d’intelligence artificielle et l’avenir du droit de la propriété intellectuelle.
Si les effets de l’intelligence artificielle sur l’écosystème de la propriété intellectuelle restent encore à déterminer, ses répercussions dans le domaine des technologies médicales sont déjà manifestes. L’utilisation de cette technologie annonce une nouvelle ère d’innovation dans les technologies médicales et ouvre de formidables perspectives en matière de médecine personnalisée et de réduction des complications pouvant survenir à la suite d’interventions médicales. Consciente de ces retombées, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) a récemment lancé l’Initiative mondiale sur l’intelligence artificielle au service de la santé avec l’Union internationale des télécommunications (UIT) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Les trois institutions des Nations Unies se réunissent pour aider l’intelligence artificielle à atteindre tout son potentiel afin d’améliorer les résultats pour les patients.
Si des sociétés telles que Meticuly et NuVasive sont à l’avant-garde en matière d’utilisation de l’intelligence artificielle générative pour améliorer la vie des patients, elles ne seront pas les dernières à montrer la voie dans le domaine. La mise à disposition de ce nouvel outil nous offre la possibilité d’améliorer les soins dispensés aux patients et les résultats pour ces derniers dans le monde entier.