5 décembre 2023
Dans une initiative qui souligne l’équilibre délicat entre l’innovation pharmaceutique et la santé publique, l’Inde a récemment rejeté une demande de brevet secondaire portant sur un médicament essentiel contre la tuberculose. Cette décision est un exemple de la manière dont les ressorts juridiques peuvent mettre en œuvre des éléments de flexibilité existant dans le cadre international de la propriété intellectuelle, ce qui conduit à des lois nationales de propriété intellectuelle efficaces qui contribuent à la promotion de la santé publique et de l’accès aux médicaments.
L’Inde est le pays du monde où le poids de la tuberculose et de la tuberculose résistante aux médicaments est le plus élevé. Plus d’un millier d’Indiens meurent chaque jour de cette maladie. La Covid a aggravé la situation : en 2021, l’Inde comptait 18% de cas de plus qu’en 2020, en grande partie à cause de la pandémie et du confinement, les patients ne pouvant pas se rendre dans les centres médicaux pour se faire dépister ou obtenir des médicaments.
La bédaquiline (commercialisée sous le nom de Sirturo) est considérée comme la base des schémas thérapeutiques plus courts pour la tuberculose multirésistante. Lorsqu’elle a été approuvée en 2012, il s’agissait du premier médicament nouveau contre cette maladie en 40 ans. Les composés de la bédaquiline ont été protégés par des brevets en Inde et dans de nombreuses régions du monde, jusqu’en 2023.
Le créateur, Johnson & Johnson (J&J), a récemment déposé une deuxième série de demandes de brevet au niveau mondial afin d’obtenir une protection par brevet pour des composés de bédaquiline modifiés (à savoir le sel de fumarate de la bédaquiline). Ces brevets auraient pu retarder la mise à disposition de versions génériques abordables de la bédaquiline au-delà de la période initiale de protection du brevet de 20 ans devant s’achever en 2023.
De nombreux offices de brevets, par exemple en Allemagne, au Brésil, en Chine, aux États-Unis d’Amérique et au Royaume-Uni, ainsi que l’Office européen des brevets (OEB), ont établi des principes directeurs spécifiques pour l’examen des inventions pharmaceutiques[1]. Parmi ces principes, certaines approches adoptées par des pays tels que l’Inde se concentrent sur les brevets secondaires et la mesure dans laquelle l’innovation cumulative qu’ils revendiquent est significative. L’article 3.d) de la loi sur les brevets de l’Inde vise à empêcher les entreprises pharmaceutiques de prolonger la durée de validité de leurs brevets en apportant de légères modifications à la formulation des médicaments afin de justifier la prolongation de la durée de validité du brevet.
Au fil des années, l’Inde a contesté et refusé avec succès des prolongations de brevets fondées sur de petites modifications. Cela est conforme à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), qui accorde aux pays la flexibilité nécessaire pour mettre en œuvre des mesures de protection de la santé publique, y compris la liberté de choisir et d’appliquer les définitions susmentionnées. Sur la base de ces règles, l’Office des brevets indien a rejeté la demande de brevet secondaire de la société.
En faisant respecter des lois nationales sur la propriété intellectuelle spécialement adaptées, l’Inde vise à établir un équilibre délicat entre la promotion de l’innovation pharmaceutique et la garantie que les médicaments essentiels restent abordables et accessibles à ceux qui en ont le plus besoin, en Inde comme dans les nombreux pays qui importent des médicaments en provenance de ce pays. Des directives destinées aux examinateurs de brevets et s’inspirant de l’article 3.d) de la loi de 1970 sur les brevets de l’Inde ont été adoptées par l’Argentine en mai 2012[2] et par les offices de propriété industrielle de l’État plurinational de Bolivie, de la Colombie, de l’Équateur, du Pérou et du Venezuela en 2004[3]. En outre, les offices de brevets doivent former régulièrement les examinateurs et maintenir une infrastructure d’appui (par exemple, des bases de données sur l’état de la technique).