3 novembre 2022
Des personnalités phares du secteur public, de la communauté de la propriété intellectuelle, des milieux d’affaires et du secteur des finances se sont réunies pour discuter de la manière dont les actifs incorporels, y compris la propriété intellectuelle, peuvent débloquer des financements pour soutenir la croissance des entreprises, au cours d’un dialogue de haut niveau qui s’est tenu le 1er novembre 2022.
Dans son allocution d’ouverture, M. Tang, Directeur général de l’OMPI, a déclaré que “les actifs incorporels sont la matière noire de notre monde financier : entourés de mystère et en bonne partie invisibles, alors même qu’ils exercent aujourd’hui une influence considérable et de plus en plus tangible sur nos entreprises et nos économies.” La valeur des actifs incorporels, tels que les brevets, les marques, les dessins et modèles industriels, les secrets d’affaires et les données, est estimée à plus de 74 000 milliards de dollars É.-U., soit plus que les cinq premières économies mondiales réunies.
De tels chiffres nous montrent qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces actifs incorporels. Tharman Shanmugaratnam, ministre d’État de Singapour et président du Group of Thirty, a déclaré dans son allocution : “Il s’agit là d’une occasion à saisir : reconnaître le potentiel sous-estimé des actifs incorporels dans l’économie mondiale, tout particulièrement pour les plus petites entreprises et dans les pays en développement. Toutes les nations doivent en tirer parti, pas seulement les pays avancés où ces actifs décollent; toutes les nations doivent pouvoir en tirer parti.” M. Muhammadou M.O. Kah, représentant permanent de la République de Gambie auprès des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, a appuyé ces propos. Il a ajouté que l’accès au financement était “un impératif économique en faveur du développement durable. Les entreprises doivent être en mesure de tirer parti de leurs actifs les plus utiles, corporels comme incorporels.”
Pourtant, ce potentiel n’est pas encore pleinement exploité. “Les petites et moyennes entreprises et les entreprises de plus grande taille seront bien plus susceptibles de rencontrer des obstacles et des difficultés lorsqu’elles sont à la recherche d’un financement que des entreprises plus classiques, mais moins innovantes”, a précisé Mme Kerstin Jorna, directrice générale de la DG GROW (Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME) à la Commission européenne. Elle a présenté certaines approches en particulier, telles que les garanties et la formation au domaine de la finance, qui pourraient inverser cette tendance.
Le financement des actifs incorporels a de l’avenir. Selon M. Dato Lim Jock Hoi, secrétaire général de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), “il s’agit certainement d’un moyen de soutenir le niveau de croissance économique de l’ASEAN, qui passerait d’une simple progression à un niveau record.” M. Jorge Arbache, vice-président dans le domaine du secteur privé à la Banque de développement d’Amérique latine, a appuyé cette intervention. Pour lui, les actifs incorporels sont “une source de croissance durable et inclusive.”
En ce qui concerne le financement des actifs incorporels, les avancées ne peuvent relever uniquement d’un gouvernement, d’une agence, d’une institution ou encore d’une entreprise agissant seuls. Au contraire, cela demande la participation d’un large ensemble de parties prenantes concernées, qui permet de rapprocher le secteur de la propriété intellectuelle et les régulateurs, les financiers, les investisseurs, les assureurs, les établissements financiers, les banques de développement, les comptables, les experts, etc.
L’OMPI s’engage à créer des passerelles entre ces domaines. “En tant qu’institution des Nations Unies consacrée à l’innovation, à la créativité et à la propriété intellectuelle, l’OMPI peut offrir son expertise ainsi que sa capacité à apporter un cadre neutre et professionnel au niveau mondial pour examiner ces questions et progresser en ce sens”, a déclaré M. Tang.
Le financement des actifs incorporels prend de l’ampleur et plusieurs exemples ont été présentés à cet égard. Mme Lally Rementilla, associée directrice du Financement sur actifs de propriété intellectuelle à la Banque de développement du Canada (BDC), a présenté le fonds de 160 millions de dollars canadiens créé en 2020, qui a déjà soutenu 14 entreprises dans des projets liés à la santé, à la durabilité et à la croissance. “La vraie relation s’établit une fois le chèque remis”, a précisé Mme Rementilla. La BDC soutient des entreprises sur trois axes : développement d’une stratégie de propriété intellectuelle, suivi de la propriété intellectuelle sur le marché concurrentiel et gouvernance en matière de propriété intellectuelle. “Nous encourageons une gestion et une culture de la propriété intellectuelle fortes au niveau de la direction de l’entreprise.”
Certaines banques adoptent également une culture de la propriété intellectuelle. Une association d’entreprises portugaises travaille en coopération avec les banques locales afin d’intégrer la propriété intellectuelle à leurs méthodes d’évaluation en matière de financement. “Nous avons créé le projet Inovadora COTEC, qui évalue les entreprises qui sont en mesure de respecter un certain nombre d’indicateurs financiers”, a expliqué M. Jorge Portugal, directeur général de COTEC Portugal. Cela tient également compte des possibilités en matière d’innovation et de la propriété intellectuelle. En quelques années, ce sont 800 entreprises qui ont été évaluées dans le cadre de ce système de notation.
La République de Corée observe une approche globale et intergouvernementale, selon M. Choi, professeur de droit à l’Université des études étrangères Hankuk. M. Chul précise que certaines transactions se sont montées à environ 2 milliards de dollars É.-U. l’an dernier, qui se sont ajoutés aux près de 6 milliards de dollars É.-U. levés depuis le lancement de cette initiative locale. À ses débuts, le pays avait recours à un organisme du secteur public pour effectuer la valorisation des actifs. Aujourd’hui, 26 organismes d’évaluation approuvés par le gouvernement, certains issus du secteur privé, soutiennent le processus. Le financement adossé à des titres de propriété intellectuelle est également soutenu par un fonds de relance spécialisé en matière de propriété intellectuelle géré dans le cadre d’un partenariat public-privé. Selon M. Bae Dong Suk, vice-président d’Intellectual Discovery, l’entreprise chargée de la gestion du fonds, cette méthode permet aux entreprises moins bien notées d’avoir accès au financement.
Au cours de la journée, les intervenants, représentant 22 pays aux contextes variés, ont débattu de l’intérêt du financement des actifs incorporels et des difficultés qu’il soulève. “Voyez cela comme un long chemin à parcourir”, a déclaré M. Roland Emmans, responsable du secteur de la technologie et du financement des entreprises chez HSBC UK. Selon lui, comprendre le potentiel sous-jacent de la propriété intellectuelle et son impact sur une entreprise permettra finalement “d’accepter que la propriété intellectuelle représente une catégorie d’actifs à part entière.”
Encourager la valorisation des actifs incorporels a été un thème central de la rencontre. “Il n’y a pas qu’une seule méthode de valorisation”, a déclaré M. Johannes Post, responsable des valorisations au niveau international chez KPMG. Il existe de nombreuses façons d’appréhender cette valorisation. “Si nous façonnons la propriété intellectuelle de manière à l’intégrer dans un autre contexte, nous l’exploitons de façon radicalement différente. Le postulat de base ne sera donc plus le même.”
“L’une des principales difficultés de cet écosystème, c’est l’absence de gain en capital que représentent les actifs incorporels pour de nombreux régimes de financement classiques”, a souligné M. Will Kier, responsable des solutions en matière de propriété intellectuelle dans la région Europe, Moyen-Orient et Afrique chez Aon. En accordant ne serait-ce qu’un peu de crédit aux actifs incorporels, “les banques parviendraient finalement à libérer du capital à investir dans ces entreprises.” “La difficulté pour les créanciers, dont la réglementation encourage la prise en considération des actifs incorporels, est de concevoir que la valeur de la propriété intellectuelle réside dans son caractère unique, et non dans le fait qu’il puisse s’agir d’un produit dont on peut facilement se débarrasser”, a précisé M. Martin Brassell, président directeur général d’Inngot.
Il a également été question de la pertinence de la comptabilité des entreprises. “Les comptes représentent une difficulté de plus dans ce domaine”, a déclaré M. Nick Talbot, président directeur général de l’organisme de normalisation International Valuation Standards Council. M. Talbot a mis en évidence l’écart grandissant que l’on peut observer entre la capitalisation boursière et ce qui est inscrit au bilan. “C’est un domaine essentiel dans lequel nous devons nous améliorer.” Par exemple, “les normes comptables actuelles ne tiennent pas compte des marques élaborées en interne, qui ne sont alors pas reconnues en tant qu’actifs et n’apparaissent donc pas dans le bilan”, a expliqué M. Zeeger Vink, président de l’Association internationale pour les marques (INTA). “Si l’économie parvient à inverser la tendance pour que les actifs de propriété intellectuelle soient majoritairement représentés, il sera alors peut-être plus judicieux d’inscrire ces actifs au bilan.”
“L’OMPI va adopter une approche concrète en matière de financement des actifs incorporels, qui tiendra compte des différents aspects de ce domaine, sur les plans politique, commercial et technique”, a déclaré M. Marco Alemán, sous-directeur général du Secteur des écosystèmes de propriété intellectuelle et d’innovation de l’OMPI. Il a présenté les trois axes de ce plan d’action : faire connaître le financement des actifs incorporels, montrer les effets concrets dans ce domaine et équiper les parties prenantes concernées des secteurs du financement et de la valorisation.
S’agissant du premier axe, l’OMPI vise “à rassembler une communauté qui contribuera à réaliser des avancées dans ce domaine”, a précisé M. Alemán. Ce dernier a ajouté que la mise en place de plateformes d’échanges, telles que le dialogue de haut niveau, était importante pour démontrer en quoi le financement des actifs incorporels est essentiel à la réussite économique de toutes les parties. En outre, des groupes consultatifs de spécialistes seront créés afin d’examiner ces questions clés plus en détail.
Le deuxième axe du plan d’action de l’OMPI consistera à renforcer les données existantes dans ce domaine. L’OMPI contribuera ainsi à combler le manque d’informations à cet égard. Cela comprendra une série de rapports nationaux qui apporteront un point de vue éclairé sur l’utilisation actuelle de la propriété intellectuelle dans les pays étudiés afin de rendre le financement plus accessible. D’autres projets de recherche sont prévus, notamment des études sur les tendances commerciales et le financement du cinéma.
Le dernier axe du plan d’action de l’OMPI consistera à aider les parties prenantes à réaliser des avancées concrètes. L’Organisation élaborera des outils pratiques pour aider les entreprises à améliorer leurs chances d’obtenir un financement par emprunt et par capitaux propres. Un guide sera établi pour aider les emprunteurs, les créanciers et les investisseurs à communiquer plus efficacement, à améliorer l’accès aux spécialistes de la valorisation, avec le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI, et à découvrir de nouvelles méthodes visant à améliorer la transparence en ce qui concerne la titularité des droits de propriété intellectuelle et les transactions dans ce domaine.
Si ce dialogue de haut niveau est aujourd’hui terminé, les échanges sur ce thème ne font que commencer. Faites-nous part de vos idées sur le potentiel et les défis du financement des actifs incorporels.
Regardez la rediffusion sur le Web et consultez les travaux de l’OMPI sur le financement des actifs incorporels.