Créer un cadre institutionnel de propriété intellectuelle dans les pays les moins avancés (quatrième partie)
Cet article est le dernier d’une série de quatre. Dans les articles précédents, nous avons examiné quelques-uns des enjeux auxquels sont confrontés les pays les moins avancés (PMA) lorsqu’ils cherchent à mettre en place une infrastructure de propriété intellectuelle efficace. Nous concluons ici en nous intéressant à l’aide dont les PMA peuvent disposer pour y faire face, et nous rendons compte de la récente conférence des PMA qui s’est tenue en République de Corée, pays en développement qui utilise le système de la propriété intellectuelle avec des résultats remarquables pour promouvoir le développement et la création de richesses.
L’exemple de la Corée
Du 25 au 27 octobre 2004, les ministres et hauts responsables gouvernementaux de 21 des pays les moins avancés (PMA) de la planète se sont réunis à la conférence ministérielle de Séoul, organisée conjointement par l’OMPI et l’Office coréen de la propriété intellectuelle (KIPO), afin d’échanger des données d’expérience sur les efforts déployés pour intégrer la propriété intellectuelle dans les politiques nationales de développement. Les ministres se sont déclarés déterminés à traiter les problèmes rencontrés par les PMA concernant l’aménagement d’institutions de propriété intellectuelle “avec une conscience renouvelée des préoccupations et des objectifs communs, en recherchant des possibilités de renforcer la coopération régionale et internationale pour mettre la propriété intellectuelle au service du développement national”.
Le fait qu’une telle conférence se tienne en République de Corée a rappelé avec force que l’instauration de systèmes de propriété intellectuelle efficaces n’est pas une fin en soi, mais un moyen de promouvoir le progrès économique et social. Pour les représentants officiels des PMA, voir de près la réussite coréenne a certainement été motivant. Voici un pays qui, il y a 50 ans, aurait pu être classé parmi les moins avancés si cette classification avait alors existé; c’est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux de l’innovation dans les domaines de l’électronique, de l’automobile, des télécommunications et de l’informatique. Les entreprises multinationales coréennes de haute technologie telles que Hyundai et Samsung, que les participants à la conférence ont visitées, ont acquis une notoriété mondiale. La République de Corée vient aujourd’hui au septième rang parmi les pays du monde qui déposent le plus grand nombre de demandes de brevet par la voie du Traité de coopération en matière de brevets (PCT).
Cependant, le PNB moyen par habitant dans les PMA reste inférieur au sixième de ce qu’il est en République de Corée. Cette constatation a suscité des débats animés lors de la conférence sur les raisons qui expliquent le succès de la Corée dans la construction d’une infrastructure fondée sur les connaissances. Les facteurs identifiés vont de l’aide étrangère liée à la situation géostratégique du pays, qui a contribué à faire décoller rapidement les secteurs de la technologie en Corée, mais aussi le dur labeur, la détermination et l’inventivité du peuple coréen. Dans une allocution remarquée, Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel et ancien vice-président de la Banque mondiale, a souligné l’importance d’investir dans l’éducation et la recherche et de créer des centres d’excellence. Il a recommandé l’institution d’un fonds fiduciaire pour le transfert de technologie de la République de Corée vers les PMA. “Si la Corée peut le faire, nous pourrions aussi!” Tel a été le message mobilisateur que des participants de PMA ont rapporté à leurs gouvernements respectifs.
Rappel : Les piliers d’une infrastructure de propriété intellectuelle |
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Se faire aider
Tout en mettant en exergue les bénéfices à escompter, la conférence de Séoul n’a pas minimisé les difficultés auxquelles sont confrontées les PMA qui cherchent à se doter d’institutions de propriété intellectuelle. La plupart n’ont pas les structures démocratiques stables qui permettraient aux talents de s’épanouir, à la population d’avoir une participation constructive et aux systèmes juridiques de la propriété intellectuelle d’être administrés équitablement. Par définition, les PMA n’ont pas les ressources financières et techniques voulues pour faire face sans aide extérieure à cette tâche titanesque. Toutefois, ils ont à disposition un large éventail de modalités d’assistance pratique et financière. L’OMPI a des programmes de coopération technique destinés à aider les PMA; d’autres sont gérés par les gouvernements et offices de propriété intellectuelle régionaux de nombreux pays, y compris de pays en développement plus avancés tels que la République de Corée, le Brésil et Singapour. Les PMA lusophones seront particulièrement intéressés par une coopération avec le Brésil. L’OMPI encourage les PMA à étudier la possibilité d’une coopération plus étroite en matière de transfert de connaissances et de création d’institutions avec des pays tels que l’Australie, le Canada, la Chine, les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, la France, le Japon, la Suisse, la République de Corée et le Royaume-Uni, ainsi qu’avec des organisations du secteur privé, des instituts de recherche et des universités.
La coopération technique est un instrument destiné à aider les gouvernements des PMA à accélérer et faciliter le processus de leur choix. Résolument engagée dans une coopération technique visant à aider les PMA à créer ou renforcer leurs institutions et leur système de propriété intellectuelle, l’OMPI en a fait un objectif fondamental de son programme et budget. L’approche adoptée par l’Organisation est dictée par la demande et adaptée aux besoins spécifiques de chaque pays. Les priorités principales actuelles ont été identifiées lors de la troisième conférence des Nations Unies sur les PMA, tenue à Bruxelles en mai 2001. Les États membres y sont convenus que les programmes de coopération de l’OMPI devraient produire des résultats concrets sur une période de 10 ans dans cinq domaines fondamentaux :
i) l’informatique;
ii) la gestion collective du droit d’auteur et des droits connexes;
iii) la mise en valeur des ressources humaines;
iv) les ressources génétiques, les savoirs traditionnels et le folklore; et
v) les petites et moyennes entreprises (PME).
Nous avons vu dans la troisième partie de cette série d’articles comment le programme WIPONET contribue efficacement à l’automatisation des offices de propriété intellectuelle, le réseau WIPONET étant à présent installé dans 28 PMA. Dans la deuxième partie, nous avons suivi la mise en place d’organisations de gestion collective au Malawi et au Bénin. Ces projets en cours font suite à l’établissement de sociétés de gestion collective en Guinée-Bissau, au Mozambique, en République-Unie de Tanzanie et au Tchad au cours de l’année précédente. À l’OMPI, la Division des PMA est elle aussi activement engagée dans l’exploration de la coopération entre universités en entreprises et dans la création de centres d’information sur les brevets dans les PMA. La Division des PME quant à elle a mené des programmes de sensibilisation axés sur les besoins des PME en matière de propriété intellectuelle dans différents pays, par exemple au Bhoutan et au Népal. On trouvera ci-après une description sommaire des formations offertes aux candidats de PMA à l’Académie mondiale de l’OMPI, suivie d’un exemple actuel de coopération dans le domaine des savoirs traditionnels.
L’indispensable formation
Une institution de propriété intellectuelle sera performante si ses dirigeants et son personnel le sont. L’OMPI assure la formation de ressources humaines pour répondre à la demande des PMA qui, de plus en plus nombreux, cherchent de l’aide pour acquérir les connaissances et les compétences spécialisées dont ils ont besoin. L’Académie mondiale de l’OMPI offre une large gamme de cours axés sur l’acquisition de compétences, de séminaires de formation et de programmes de formation professionnelle. Dans son programme d’enseignement à distance, les participants de PMA ont été 780 à s’inscrire au cours général sur la propriété intellectuelle en 2003 et 2004. L’an dernier, les pays les plus fortement représentés parmi les étudiants étaient le Myanmar et le Togo. Au nombre des participants figurent non seulement des fonctionnaires gouvernementaux et des agents d’offices de propriété intellectuelle, mais aussi des universitaires, des étudiants, des juristes, des scientifiques et des hommes d’affaires. L’Académie propose aussi des cours de spécialisation de deuxième ou troisième cycle en propriété intellectuelle, qu’elle mène conjointement avec différentes universités. Des candidats de République-Unie de Tanzanie, du Soudan et de Zambie ont obtenu une maîtrise à l’issue de ces programmes.
Formation à l’administration publique |
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De précédents articles ont mis en relief la nécessité pour les institutions de propriété intellectuelle tels que les offices de brevets et de marques d’acquérir le maximum d’autonomie financière. Cela exige une gestion rigoureuse. Les PMA gagneront sans doute à appliquer les principes de la nouvelle gestion publique. Il s’agit d’un concept désormais bien établi dans de nombreux pays industrialisés1, selon lequel l’administration d’organismes publics est calquée sur celle d’entreprises performantes du secteur privé. Il suppose une totale transparence dans la comptabilité des dépenses et des recettes et un mode de gestion résolument axé sur les résultats, avec la fixation d’objectifs et des incitations salariales liées aux résultats pour le personnel. |
Savoirs traditionnels : exploration des richesses du Sénégal
L’application de droits de propriété intellectuelle aux savoirs traditionnels et au folklore est encore un domaine relativement nouveau. Il y a toutefois là un réel potentiel économique, car il s’agit d’une ressource nationale en grande partie inexploitée, que souvent les PMA et leurs habitants possèdent en abondance. L’OMPI étudie actuellement avec des pays en développement ou PMA quels types de cadre institutionnel seraient les mieux appropriés pour leur permettre de protéger et de faire fructifier ces ressources (voir le rapport du comité intergouvernemental en page 17).
Une étude approfondie à cette fin est en cours au Sénégal; elle est financée par l’OMPI et réalisée en partenariat avec l’université de Dakar. Durant la phase initiale de cette étude, des chercheurs ont sillonné le pays à la recherche d’éléments musicaux, d’histoires, de dessins, d’utilisations autochtones des propriétés médicinales de certaines plantes, etc. À présent l’on est en train de répertorier ces savoirs traditionnels, accompagnés d’indications de source et d’origine de manière à pouvoir déterminer à qui ils appartiennent. La phase finale consistera à s’efforcer d’en calculer la valeur économique potentielle, en d’autres termes à déterminer combien les peuples du Sénégal pourraient gagner grâce à l’exploitation de leurs savoirs traditionnels et de leur folklore si des droits de propriété intellectuelle leur étaient reconnus à l’égard de cette exploitation.
Réalisation d’une préparation à base de
Chlorophora Excelsa (Iroko) en Ouganda,
autre pays qui figure parmi les moins avancés.
Photo: FAO/17512/R. Faidutti)
Financement
Trouver des fonds pour créer ou renforcer leurs institutions est un problème récurrent pour les PMA. Les gouvernements doivent établir avec soin les priorités entre les différentes actions et considérer comment tirer le meilleur parti des ressources disponibles. Des politiques conçues pour attirer les ressources financières du secteur privé intérieur mais aussi les investissements étrangers et la finance internationale sont fondamentales.
La conférence des ministres qui s’est tenue à Séoul a préconisé que certains accords existants concernant des fonds fiduciaires, par lesquels des pays industrialisés ou des pays en développement relativement avancés s’engagent à soutenir financièrement des activités de coopération pour le développement menées par l’OMPI, servent spécifiquement les besoins des PMA. Cela inclut le fonds fiduciaire au sujet duquel l’Office coréen de la propriété intellectuelle (KIPO) s’est engagé en octobre 2004. Les PMA de la région Asie et Pacifique ont bénéficié d’un financement substantiel provenant du fonds fiduciaire japonais constitué en vertu de l’accord entre l’OMPI et le Japon qui, depuis 1987, aide à renforcer les systèmes de propriété intellectuelle et à former le personnel d’offices de propriété intellectuelle dans la région. Un fonds fiduciaire français, axé sur certains PMA d’Afrique et Haïti, contribue lui aussi à des projets de développement dans le domaine de la propriété intellectuelle.
Les domaines prioritaires
Réduire l’écart entre les PMA et les pays plus développés est un impératif mondial à la fois économique, politique et éthique. Aller vers une économie fondée sur le savoir, soutenue par un système de propriété intellectuelle performant, est un moyen de créer des richesses pour aider à atteindre cet objectif. Selon M. Kamil Idris, directeur général de l’OMPI, la propriété intellectuelle est “un puissant facteur de croissance économique qui n’est pas encore utilisé partout de manière optimale, en particulier dans les pays en développement”2.
Pour conclure, voici une liste des domaines prioritaires que les représentants de gouvernements de PMA qui réfléchissent avec l’OMPI au renforcement du cadre institutionnel de la propriété intellectuelle au service du développement économique mettent fréquemment en exergue. Cette liste n’est pas exhaustive et doit être adaptée en fonction de la situation de chaque pays :
- identifier les besoins, les capacités et les contraintes du pays;
- prendre des mesures pour encourager à la fois l’investissement direct étranger et la production et le commerce locaux, par exemple par l’accès au marché. Attirer les investisseurs étrangers dans des domaines stratégiques, en particulier les secteurs de services;
- investir dans la formation pour constituer un réservoir de personnel qualifié, adaptable, apte à gérer la transition vers une économie fondée dans une plus large mesure sur les connaissances;
- prévoir des incitations au retour pour le personnel qualifié expatrié;
- investir dans une infrastructure dynamique des télécommunications et de l’information; promouvoir l’utilisation de l’informatique et de l’Internet;
- soutenir les entreprises novatrices et fondées sur les technologies nouvelles, par exemple en créant des “incubateurs d’entreprises”;
- faciliter les alliances technologiques dans le monde entier pour les entreprises du pays;
- réformer les programmes publics de R-D de manière à stimuler la participation des entreprises commerciales et industrielles;
- assigner des fonds de base à un choix de réseaux d’institutions publiques, privées et universitaires; utiliser les pronostics technologiques et l’avis d’experts extérieurs pour faire des choix éclairés;
- promouvoir les nouvelles technologies dans tous les secteurs de l’économie;
- créer des centres techniques nationaux, sous-régionaux et régionaux d’appui aux PME; et
- mettre en place des services et une infrastructure d’appui au développement industriel et agricole des zones rurales.
Pour les PMA, la tâche est immense. Mais le bénéfice à escompter est à la mesure du défi, comme les ministres ont pu s’en rendre compte en Corée. Une direction avisée, des politiques ciblées et un travail soutenu sont les clés du succès.
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1 Reinventing Government (États-Unis d’Amérique); Agency Initiative and Next Steps (Royaume Uni); Kontraktmanagement (gestion des contrats) (Pays Bas); Principe d’autonomie des collectivités locales (pays scandinaves); Wirkungsorientierte Verwaltungsführung (gestion axée sur les résultats) (Suisse).
2 La propriété intellectuelle, moteur de la croissance économique, publication de l’OMPI n° 888
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