La propriété intellectuelle et les entreprises : de la propriété intellectuelle au secteur de la mode
“Pour être irremplaçable, il faut être différente.” - Coco Chanel
L’insigne de la méduse chère à Versace, la robe de mariée de Vera Wang, les bottes Dr. Martens - tous ces produits sont le fruit de l’application de la créativité et du talent intellectuels dans l’industrie de la mode. Personne ne doute de l’apport extraordinaire du capital intellectuel à la création et à la commercialisation des produits de l’industrie de la mode, qu’il s’agisse de haute coutume ou de prêt-à-porter. Pourtant de nombreuses petites et moyennes entreprises n’accordent dans le meilleur des cas que guère d’attention à la protection des actifs de propriété intellectuelle. Dans l’environnement commercial actuel, l’avantage concurrentiel pour toutes les entreprises, y compris dans l’industrie de la mode, réside dans l’innovation et les expressions créatives originales. Les responsables d’entreprise doivent recenser ces précieux actifs incorporels en temps voulu, déterminer leur intérêt commercial et convenir de ceux qu’il importe de protéger et mettre en valeur par le biais du système de la propriété intellectuelle.
On s’intéressera dans cet article à la gestion et à l’utilisation stratégique des droits de propriété intellectuelle en vue de réduire les risques, d’établir des partenariats commerciaux et de renforcer la compétitivité de tous les types d’entreprise dans le secteur de la mode.
Dessins et modèles
Les dessins et modèles nouveaux occupent une place centrale dans la mode. Parmi l’éventail des instruments disponibles dans le domaine de la propriété intellectuelle, la protection des dessins et modèles industriels - appelée aussi simplement dessins et modèles - constitue de toute évidence celui qui est le plus intéressant pour l’industrie de la mode. L’enregistrement d’un dessin ou modèle permet à son propriétaire d’empêcher tout tiers d’exploiter ses éléments ornementaux ou esthétiques nouveaux ou originaux, qui peuvent être appliqués à un objet tridimensionnel, tel que la forme d’un chapeau, ou être de nature bidimensionnelle, par exemple faire partie d’un textile imprimé (voir la page … en ce qui concerne les définitions des dessins et modèles industriels).
L’industrie de la mode investit des sommes considérables pour créer chaque saison des dessins et modèles nouveaux et originaux. Malgré cet investissement important, les acteurs de ce secteur n’utilisent guère les législations nationales ou régionales relatives aux dessins ou modèles pour enregistrer et protéger ces créations. Dans certains pays, les dessins et modèles constitutifs de créations de la mode peuvent être protégés de façon appropriée par le droit d’auteur en tant qu’œuvres des arts appliqués. Toutefois, une des principales raisons avancées pour ne pas faire enregistrer de tels dessins et modèles consiste à dire que la courte vie d’un produit - elle ne dépasse souvent pas la durée d’une saison, soit six à 12 mois - ne justifie pas l’investissement considérable que cela implique aussi bien en temps qu’en argent.
Les arguments en faveur de l’enregistrement d’un nouveau dessin ou modèle doivent être examinés au cas par cas. Faire enregistrer un dessin ou modèle devrait contribuer à empêcher des tiers de le copier et à lutter contre les concurrents sans scrupules qui recourent à ce procédé. En outre, et cela mérite d’être dit au départ, la protection des dessins et modèles ne constitue pas toujours une charge financière importante. Certains pays et régions, tels que le Royaume-Uni et l’Union européenne, offrent une forme de protection sans enregistrement pour les dessins et modèles industriels pendant une période relativement courte. La protection des dessins et modèles sans enregistrement, lorsqu’elle est disponible, est extrêmement utile pour les créateurs de mode ou les entreprises de ce secteur disposant d’un budget limité ainsi que pour tous ceux qui souhaitent lancer sur le marché à titre d’essai de nouveaux dessins ou modèles avant de décider de les enregistrer. Le droit sur le dessin ou modèle communautaire non enregistré (Union européenne) offre une protection pour une durée maximale de trois ans, à compter de la date de la première divulgation du dessin ou modèle au public dans l’un des 25 pays de l’Union européenne.
Certaines modes peuvent avoir une durée éphémère, mais d’autres peuvent être éternelles. De nombreux articles deviennent des classiques. Il faut attendre un an pour obtenir de la maison de haute couture Hermès le sac classique “Kelly”, devenu célèbre en 1956 après être apparu au bras de la Princesse Grace Kelly de Monaco sur la couverture du Magazine LIFE. Le tailleur classique Chanel - dessiné par Coco Chanel dans les années 30 - est encore vendu aujourd’hui à 5000 dollars pièce. Beaucoup de maisons de couture s’efforcent de créer des articles en espérant que leurs lignes deviendront un classique. Lorsque tel est le cas, et faute d’avoir obtenu la protection appropriée en temps voulu grâce à des droits de propriété intellectuelle, les imitateurs pourront profiter sans contrepartie du travail créateur de ces maisons.
En ce qui concerne les articles de mode ayant une longue durée de vie, le dépôt d’une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle industriel peut constituer la meilleure façon d’empêcher des tiers d’utiliser un dessin ou un modèle. Il est possible de demander au moment du dépôt - mais pas après - que la publication de la demande soit ajournée pour une période de 30 mois maximum. Cette possibilité offerte dans le système de La Haye, au titre de la marque communautaire de l’Union européenne et dans de nombreux systèmes nationaux est particulièrement utile pour ceux qui peuvent souhaiter garder leur dessin ou modèle secret jusqu’à qu’il soit mis sur le marché.
Image et marques
Les grandes maisons de couture sont très attachées au capital constitué par leurs marques. La plupart établissent un lien avec leurs clients grâce aux noms de leurs marques et protègent vigoureusement ces noms en faisant enregistrer les marques et en protégeant les maquettes et autres illustrations correspondantes dans le cadre du droit d’auteur. Les marques sont tout aussi importantes pour une petite société ou une jeune pousse travaillant dans le secteur de la mode.
La maison italienne d’habillement Pickwick (www.pickwick.net) offre un exemple intéressant d’utilisation stratégique d’une marque pour créer une entreprise prospère dans le secteur de la mode. Pickwick vend maintenant tout un éventail de vêtements de prêt-à-porter conçus pour les loisirs à l’intention des adolescents de l’Europe entière. Toutefois, il n’y a pas si longtemps, cette société ne possédait qu’une marque, constituée par le dessin d’un jeune garçon sans visage aux cheveux dressés sur la tête. Le propriétaire de la marque a commencé ses activités en sélectionnant des articles qu’il considérait comme ayant un style particulier susceptible de plaire aux adolescents, articles auxquels il ajouta sa marque caractéristique pour les distribuer par le biais de boutiques locales à Rome. Au départ, le prix de revient de ses activités était maintenu à un bas niveau du fait qu’elles étaient menées à partir d’un garage.
Le logo Pickwick est perçu comme “branché” par les adolescents, qui sont prêts à payer un peu plus d’argent pour des vêtements portant la marque en question. Aujourd’hui, la société sous-traite la fabrication et se concentre sur la commercialisation, la distribution ainsi que le suivi et le contrôle de l’utilisation de la marque.
Brevets
Ce n’est pas forcément aux brevets que l’on pense immédiatement lorsque l’on parle de l’industrie de la mode. Pourtant, l’innovation technique peut également permettre à une maison de couture de dépasser ses concurrents. Un portefeuille de brevets peut, par exemple, traduire une supériorité technique concrétisée par l’invention de nouveaux tissus infroissables ou plus doux ou encore plus résistants aux intempéries, etc. Un portefeuille de brevets de ce type pourra permettre d’attirer plus facilement des partenaires commerciaux ou des investisseurs.
Novozymes, une société danoise de biotechnologie spécialisée dans les enzymes et les micro-organismes (www.novozymes.com), est à l’origine de l’utilisation d’enzymes dans le traitement des tissus. Bien qu’absente jusque là du secteur de la mode, la société a élaboré et breveté en 1987 une technique pour le traitement des pantalons jeans délavés (“stone washed”). Cette technique est fondée sur une enzyme appelée cellulase, qui enlève la teinture indigo des pantalons jeans de manière à donner l’impression que le tissu est usé. En l’espace de trois ans, la plupart des fabricants de jeans se sont mis à utiliser la cellulase dans le cadre d’une licence concédée par Novozymes. Aujourd’hui, la technique mise au point par Novozymes pour l’amélioration des méthodes de production et pour la finition des tissus fait l’objet de licences dans le monde entier. La société est titulaire de ou a déposé plus de 4200 brevets et demandes de brevet en vigueur et mène une stratégie dynamique de concession de licences afin de rentabiliser au maximum ses actifs de propriété intellectuelle à l’aide des redevances perçues en échange.
La société italienne Grindi Srl. a inventé Suberis, un tissu novateur fabriqué à partir de l’écorce du chêne-liège, présenté comme aussi doux que le velours, aussi léger que la soie, lavable, déchirable, intachable, résistant à l’eau et au feu. Après avoir essayé et codifié le traitement, la société Grindi a déposé, en 1998, une demande internationale de brevet selon le PCT afin de protéger son produit unique en son genre dans un grand nombre de pays. Le tissu Suberis sert à la fabrication de vêtements, d’articles de chaussure et de sport, ainsi que dans de nombreuses autres applications. L’histoire de Grindi Srl et du tissu Suberis sont présentés sur le site wipo.int/sme/en/case_studies/suberis.htm.
Secrets commerciaux et nouveaux modèles commerciaux
Les secrets commerciaux peuvent couvrir des éléments aussi divers qu’une liste de fournisseurs ou d’acheteurs principaux, que l’utilisation de logiciels aux fins de la conception d’articles de mode et la gestion logistique de la totalité de la chaîne de valeur. Dans certaines entreprises du secteur de la mode, les secrets commerciaux permettent de protéger des modèles commerciaux mis en œuvre par ordinateur et fondés sur l’utilisation de logiciels, qui servent de fondement à une stratégie commerciale complète, basée sur la discrétion et la rapidité, en vue de fournir une quantité limitée d’articles de mode.
Par exemple, ZARA, chaîne espagnole de prêt-à-porter, utilise un système informatique exclusif permettant de raccourcir le cycle de production - c’est-à-dire la période qui va de la détermination d’une nouvelle tendance à la livraison du produit fini - à 30 jours. La plupart de ses concurrents ont besoin de quatre à 12 mois. La société reçoit quotidiennement des courriers électroniques de la part des gérants de magasin indiquant les nouveautés en termes de tendances, de tissus et de coupes, à partir desquels ses stylistes préparent rapidement de nouveaux styles. Le tissu choisi est immédiatement coupé grâce à des installations automatisées puis envoyé aux ateliers. Un système de distribution de haute technicité, comportant quelque 200 kilomètres de pistes souterraines et plus de 400 glissières, permet d’expédier les articles et de les faire arriver à destination dans les magasins sous 48 heures.
D’autres maisons du secteur de la mode utilisent l’informatique pour produire des articles sur mesure à la demande du client. Par exemple, la société Shirtsdotnet (www.shirtsdotnet.com) se propose de remodeler le secteur traditionnel de l’habillement en inversant le processus de prise de décision et en suivant le modèle commercial dit de fabrication sur commande. Shirtsdotnet est un fournisseur de vêtements sur la base d’une architecture logicielle d’entreprise à entreprise, offrant des vêtements faits sur mesure dans le cadre d’une personnalisation massive à l’intention de maisons de vente par correspondance. Les clients peuvent concevoir et commander directement des vêtements auprès de la boutique virtuelle. Cette activité repose sur un logiciel privé, protégé en tant que secret commercial et au titre du droit d’auteur.
Les exemples ci-dessus montrent que l’utilisation stratégique de nouvelles techniques informatiques, protégées par les instruments disponibles dans le cadre du système de la propriété intellectuelle, peut jouer un rôle fondamental dans la création et la consolidation d’une position sur un marché.
Cela est particulièrement vrai dans un secteur tel que celui de la mode, qui repose sur la créativité et sur le capital intellectuel qui y est investi. La protection de ce capital intellectuel sous la forme d’actifs de propriété intellectuelle sert à accroître les revenus découlant de la vente, de la concession de licences et de la commercialisation de nouveaux produits distincts les uns des autres, de manière à accroître la part de marché et les marges bénéficiaires et à réduire le risque de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle de tiers. Une bonne gestion des actifs de propriété intellectuelle dans un plan d’activité commerciale ou de commercialisation contribue à accroître la valeur d’une entreprise aux yeux des investisseurs et des institutions financières.
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ENCADRÉ
Succès de la mode en Afrique du Sud
La South Africa Fashion Week (Semaine de la mode sud-africaine), qui présente les nombreux talents de la mode sud-africaine passant pour la plupart inaperçus dans le pays, va célébrer sa neuvième édition. Le succès retentissant de la dernière édition a montré les efforts que le secteur avait déployés pour faire de la mode un marché sérieux, créant des richesses et offrant aux stylistes sud-africains une place sur la scène internationale.
La Fashion Week est destinée à encourager exclusivement l’industrie sud-africaine de la mode (vêtements, accessoires, chaussures et textiles). Sont organisés durant cette semaine des ateliers mêlant mode et artisanat des provinces les plus petites et reculées du pays, ainsi que des concours pour jeunes créateurs sud-africains permettant aux gagnants de présenter une première collection durant la Fashion Week.
La richesse de ses couleurs et l’originalité de ses motifs font de la mode sud-africaine une mode à part. De nombreux stylistes sud-africains puisent leur inspiration dans leur patrimoine culturel. Le secteur sud-africain de la mode progresse avec une telle assurance qu’il est aujourd’hui pris très au sérieux. La prochaine édition de la South Africa Fashion Week se tiendra du 28 au 31 juillet 2005.
Légende de la photo : La collection Bongiwe Walaza durant la South Africa Fashion Week 2004
Photographe : Ivan Naude
Encadré
Brimful Designs, Pakistan
Depuis sept ans, Brimful Designs, bureau de modélisme en textiles situé à Lahore (Pakistan), fabrique et commercialise avec succès des vêtements en coton imprimé de haute qualité sous la marque Yahsir Waheed Designer Lawn. Mais en 2003, l’existence même de l’entreprise a été menacée par la copie à grande échelle. En effet, on a vu déferler sur le marché des copies de qualité inférieure des dessins et modèles originaux de Yahsir Waheed pour sa collection printemps-été, qui ont été vendues sous différentes marques au tiers du prix du produit original. Des vendeurs ont utilisé le catalogue de produits de Yahsir Waheed Designer Lawn pour vendre les contrefaçons, ce qui a semé la confusion parmi les clients honnêtes de Brimful.
La vive réaction des clients a provoqué la chute rapide des parts de marché de l’entreprise. Brimful a alors consulté des experts locaux participant à un séminaire de formation sur la propriété intellectuelle, organisé par le Bureau d’aide au développement des petites et moyennes entreprises (SMEDA), qui lui ont conseillé de se prévaloir de l’ordonnance de 2000 sur les dessins et modèles industriels du Pakistan. Brimful a donc eu recours aux services d’un conseiller juridique et, depuis 2004, il enregistre tous les dessins et modèles destinés à la collection Yahsir Waheed Designer Lawn dans le but de dissuader les contrevenants et de fournir une possibilité d’action en justice.
Le combat de Brimful n’est toutefois pas terminé. En effet, même si les contrevenants ne reproduisent plus exactement les mêmes dessins et modèles, les copies restent suffisamment ressemblantes pour semer la confusion chez les clients. Les conseillers juridiques spécialisés dans la propriété intellectuelle sont de plus en plus nombreux au Pakistan, mais le coût de leurs services reste élevé; les propriétaires de Brimful font par ailleurs observer que la procédure d’obtention et d’application d’une injonction est actuellement trop longue. L’entreprise aimerait que les autorités prennent des sanctions fortes et médiatisées à l’encontre des contrevenants à la propriété intellectuelle dans le secteur du textile, de manière à renforcer la législation en matière de protection des dessins et modèles et à prévenir davantage la copie à grande échelle.
Article rédigé à partir d’une étude de cas réalisée par Aisha Amjad, SMEDA, Ministère de l’industrie et de la production du Pakistan, avec les commentaires de Brimful Designs.
Photo : Salman Akhter Mahmood
Légende : Le mannequin Amna Shafaat portant une création Yahsir Waheed.
www.yahsirwaheed.com/enter.htm
Encadré
Brevets sur les textiles israéliens
Selon l’Institut israélien des exportations et de la coopération internationale, Israël possède plus de 40 exportateurs de textiles et d’articles de mode, ce qui représente des exportations annuelles estimées à environ 1,1 milliard de dollars. Le secteur israélien du textile ne cesse d’inventer des moyens d’améliorer les vêtements et cette innovation lui a permis de survivre et de se développer face à une concurrence féroce. Les produits découlant des brevets israéliens, tels que des costumes pouvant être nettoyés dans un lave linge traditionnel ou des chaussettes de sport restant toujours sèches, se trouvent peut-être dans votre armoire.
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