Propriété intellectuelle, innovation et développement de nouveaux produits
“...Du fait qu’elles ont pour but de trouver des clients, les entreprises ont en tout et pour tout deux fonctions : la commercialisation et l’innovation. Toutes deux donnent des résultats, et toutes les autres sont des coûts.” - Peter F. Drucker, consultant en gestion et auteur d’”Innovation and Entrepreneurship”.
L’innovation technologique est l’un des principaux facteurs de succès d’une entreprise. Les entreprises peuvent tirer davantage parti de l’innovation si elles prennent en compte toute la gamme de questions de propriété intellectuelle intervenant dans le développement de nouveaux produits. L’utilisation efficace des instruments du système de propriété intellectuelle réduit les risques et facilite l’introduction de technologies novatrices sur le marché tout en améliorant la compétitivité des entreprises axées sur la technologie.
Pour expliquer le rôle des instruments du système de propriété intellectuelle, le présent article examine de façon approfondie l’innovation technologique en tant que processus interactif comportant un certain nombre de stades distincts, commençant par la formulation d’une idée/concept nouveau, suivie de la recherche et du développement (R&D), et enfin du lancement sur le marché d’un produit nouveau ou de meilleure qualité. Il mettra en évidence les questions pratiques de propriété intellectuelle qui se posent à chaque stade.
Invention ou innovation?
L’innovation concerne la commercialisation d’idées nouvelles, tandis que l’invention n’est pas nécessairement associée directement à la commercialisation.1 L’invention est la création d’une idée nouvelle visant à résoudre un problème technique précis. L’innovation peut être considérée comme un processus d’interaction et d’information en retour aux divers stades du développement d’un produit. Toutes les inventions n’étant pas commercialisées, il est clair qu’elles n’aboutissent pas toutes à une innovation. Beaucoup d’idées nouvelles naissent, mais “la plupart meurent discrètement, sans jamais connaître le moindre succès commercial.”2
Comme les inventions, les secrets de fabrique, les modèles d’utilité/petits brevets et brevets jouent un rôle pour protéger, gérer, exploiter et démultiplier l’innovation. Des études économiques ont révélé que les brevets constituaient le droit de propriété intellectuelle de prédilection pour protéger les innovations technologiques. Cela semble tenir au fait que les termes d’‘innovation’ et d’‘invention’ sont interchangeables. Par exemple, le nombre de brevets que détient une entreprise est souvent utilisé comme l’un des principaux indicateurs de son intensité d’innovation, les brevets servant quant à eux à mesurer la production d’innovation. Cette approche a son utilité, mais elle ne prend pas en compte le rôle du système de propriété intellectuelle dans son ensemble pour faciliter l’introduction réussie de produits innovants sur le marché.
Le stade de l’idée
A partir du moment où une entreprise a une idée susceptible d’être novatrice, il est impératif que cette idée - ou concept - soit traitée comme un secret. Cela veut dire que l’information concernant sa création doit être soigneusement protégée comme un secret de fabrique. Toutes les idées commercialement viables ne peuvent pas ou ne seront pas nécessairement brevetées, d’où l’importance de traiter les idées comme des secrets de fabrique, en particulier au tout début.
Pour une idée qui peut déboucher sur une invention brevetable, le choix final entre l’option “secret de fabrique” et l’option “brevet”, du point de vue de la protection, devrait être considérée comme une décision stratégique de l’entreprise à prendre à un stade ultérieur du développement, lorsque toutes les conditions de brevetabilité sont remplies. Ce choix dépend de la nature de l’invention, de son potentiel commercial, de la concurrence, de la facilité à la reproduire et de la capacité des concurrents à la “démonter” à partir du produit final. Quelle que soit la décision finale, l’idée doit être protégée initialement comme un secret de fabrique pour conserver la possibilité de la breveter à un stade ultérieur. Même après le brevetage, une partie de l’idée peut rester un secret de fabrique connexe.
Les dessins techniques, qui sont souvent réalisés au stade de l’idée, devraient également être traités comme des secrets de fabrique. Ils peuvent en outre être protégés par le droit d’auteur. Il est important que les dessins soient datés pour déterminer la date de création. Les dessins techniques pourraient également constituer à un stade ultérieur une partie importante de la demande de brevet.
Les informations figurant dans les documents de brevet existants jouent également un rôle important à ce stade dans la conception, la sélection préliminaire et le développement de l’idée. Les documents de brevet peuvent permettre de déterminer plus clairement si une idée est nouvelle (à la pointe du progrès) et si elle mérite d’être approfondie. De plus, une analyse appropriée des informations en matière de brevets peut permettre d’y voir plus clair dans la stratégie des concurrents potentiels et dans l’évolution des technologies.
Stade de la R&D
Les instruments de propriété intellectuelle utilisés au stade de l’idée restent pertinents à celui de la R&D. Une entreprise doit ainsi continuer à préserver ses secrets de fabrique, en particulier si elle n’a pas encore décidé de présenter ou non une demande de brevet. Les concurrents ne devraient avoir accès à aucune information vitale susceptible de compromettre l’avantage concurrentiel du produit final.
Des recherches et des consultations poussées, importantes pour le succès du projet, ont lieu à ce stade, auquel de nombreuses entreprises omettent de puiser les précieuses informations techniques figurant dans la documentation publiée sur les brevets. L’Office européen des brevets (OEB) estime que 70% des informations figurant dans les documents de brevet ne sont disponibles nulle part ailleurs. Sachant que 800.000 brevets sont délivrés chaque année dans le monde, ils offrent une moisson de renseignements, tels que des informations sur l’état des connaissances, ce qui peut aider une entreprise à éviter de gaspiller des ressources, en temps et en argent, au cours du processus de R&D. Les documents de brevet peuvent contenir des informations susceptibles de permettre d’apporter de nouvelles améliorations au produit ou de raccourcir le délai que nécessite son lancement sur le marché. Les petites entreprises, en particulier dans les pays en développement et les pays moins avancés, peuvent utiliser des informations sur les brevets relevant du domaine public pour mettre au point des produits novateurs adaptés au contexte local.
Après avoir décidé du type de protection de la propriété intellectuelle qu’elle utilisera pour protéger le résultat de ses activités de R&D, l’entreprise devrait commencer immédiatement le processus d’enregistrement. En cas de dépôt de brevet, cela permettra de fixer plus facilement une date pour déterminer la priorité du produit et demander des droits exclusifs sur celui-ci (même avant l’octroi d’un brevet - voir le cas de Jim Frazier en page 10). Étant donné qu’une bonne partie des activités de R&D aboutit à des progrès à la fois fonctionnels et esthétiques, les entreprises devraient également envisager l’enregistrement de modèles industriels pour protéger la présentation et le conditionnement du produit.
Sous-traitance
Dans la plupart des cas, une technologie novatrice exige des ressources et un développement technique non disponible en interne. En détenant les droits de propriété intellectuelle sur la technologie, on est assuré de ne pas les perdre, tout en tirant parti des ressources techniques externes et des installations appartenant à une tierce partie. Pour éviter d’éventuels différends, le régime de propriété intellectuelle devrait être clairement établi et il conviendrait de résoudre les problèmes liés à la propriété intellectuelle en résultant avant de se lancer dans une coentreprise ou de faire appel à des sous-traitants.
La propriété intellectuelle, élément vital
Le lancement d’un produit sur le marché constitue généralement un défi considérable pour les inventeurs, les entrepreneurs et les entreprises, d’où le concept de passage très délicat (c’est-à-dire le moment où tout se joue) entre le stade auquel l’invention fait l’objet d’un prototype et celui du lancement du nouveau produit sur le marché. C’est la période durant laquelle la plupart des inventions échouent faute de soutien extérieur ou parce qu’elles ne sont pas viables commercialement. À ce stade, la propriété intellectuelle, en particulier les brevets, joue un rôle crucial en facilitant l’accès à des bailleurs de fonds à un stade précoce, ce qui peut constituer un élément vital pour permettre à une invention d’atteindre le marché. Le régime de propriété intellectuelle renforce la position de négociation lorsque l’on recherche des partenaires d’investissement, et rend une entreprise plus attractive pour des investisseurs potentiels.
Par exemple, M. Chester Carlson a inventé la xérographie en 1938 et l’a brevetée en 1942. Il lui a fallu cinq ans pour trouver les fonds nécessaires pour lancer le produit sur le marché. En 1947, la société Haloid a acquis le droit à ses brevets de base de la xérographie. La première copieuse xérographique (modèle A) a été lancée en 1949. Il faut reconnaître que M. Carlson n’aurait pas été en mesure de commercialiser son invention sans investissement extérieur, et que le brevet qu’il possédait à largement contribué à la décision d’Haloid d’appuyer son invention.
La plupart des idées novatrices ne se fraient pas un chemin jusqu’au marché, mais celles qui sont protégées par la propriété intellectuelle ont davantage de chances d’y parvenir. La possession de la propriété intellectuelle joue un rôle important en influençant la décision des partenaires extérieurs d’investir ou non dans une entreprise, et elle offre au titulaire du droit de propriété davantage d’options telles que vendre un brevet ou accorder une licence de brevet, ou former des partenariats ou des alliances avec des entreprises à des fins de commercialisation. Les entreprises exposées à des contraintes financières mais richement dotées en droits de propriété intellectuelle auront probablement plus de facilité à créer des coentreprises qui leur donnent accès à des installations de R&D ou à des circuits de distribution et des réseaux commerciaux. Une entreprise ayant un produit breveté ou de précieux secrets de fabrique peut également juger avantageux, d’un point de vue stratégique, de créer une coentreprise avec une entreprise très réputée.
Il est en principe plus facile d’attirer du capital-risque avec un portefeuille de propriété intellectuelle bien géré, accompagné d’un plan d’activité et d’une stratégie qui démontre comment les droits de propriété intellectuelle associés peuvent être exploités pour assurer de futures recettes, s’implanter solidement sur le marché et le contrôler.
Commercialisation des innovations
In the phase where the product is finally brought to market, trademarks and industrial designs play an important role. These enable consumers to identify the products of a particular company and to distinguish these products from others.
Les premières publicités conçues par Bayer pour promouvoir sa marque ASPIRIN pour que la durée de vie du produit aille au-delà de la date d’expiration du brevet.
Durant la phase où le produit est finalement introduit sur le marché, les marques et les modèles industriels jouent un rôle important. Ils permettent en effet aux consommateurs d’identifier les produits d’une firme particulière et de les distinguer des autres.
Les marques constituent un instrument utile pour lancer de nouveaux segments de produits ou des produits entièrement nouveaux. De plus, elles peuvent être très efficaces pour pénétrer de nouveaux marchés et bénéficier d’avantages commerciaux après l’expiration d’un brevet. Le cas de l’aspirine en est un bon exemple. Mis au point en 1897, ce médicament a été breveté en 1899 par la société Bayer. Sachant que les brevets sont de durée limitée, Bayer s’est employé à promouvoir une marque pour son nouveau produit. Lorsque le brevet de l’aspirine a expiré, la société à continué à bénéficier de la vente de son produit grâce à sa marque déposée : Aspirine.
L’innovation technologique peut également être soutenue simultanément par la protection des brevets, des modèles industriels et des marques. L’invention et le développement de l’aspirateur constituent un bon exemple de l’utilisation stratégique d’une combinaison de différents types d’instruments de propriété intellectuelle. En 1908, M. William Hoover a produit le premier aspirateur commercial vertical, mais il n’en était pas le concepteur. Il a acheté le brevet à M. James Spangler, un inventeur qui travaillait comme gardien de nuit. Au bout de quelques années, les ingénieurs de Hoover (société créée en 1909) ont conçu des procédés nouveaux et améliorés ainsi que de nombreuses autres caractéristiques dont a été doté l’aspirateur, par exemple des sacs en papier jetables, une lampe, un système d’autopropulsion et un tuyau latéral, pour lequel Hoover a reçu un brevet en 1936. Moins de 10 ans après la création de l’entreprise, la marque Hoover était connue de tous.
Les secrets de fabrique, les brevets, les marques, les modèles industriels et le droit d’auteur peuvent, séparément ou simultanément, être utilisés comme instruments pour protéger une technologie. L’utilisation stratégique de plusieurs instruments de propriété intellectuelle différents dans le processus d’innovation peut contribuer à l’obtention de marges bénéficiaires accrues et au maintien d’une position sur le marché, permettant aux entreprises innovantes axées sur la technologie d’obtenir un meilleur retour sur l’investissement.
Conclusion
Les innovations technologiques débouchent rarement sur des produits radicalement nouveaux, mais permettent le plus souvent d’améliorer des produits qui sont d’une certaine façon supérieurs à ceux qui les précédaient. Le développement d’un produit nouveau ou amélioré donne à une entreprise la possibilité d’accéder au marché sans affronter la concurrence. Le système de propriété intellectuelle joue un rôle important en aidant une entreprise à obtenir cet avantage et à le conserver. L’avantage concurrentiel qu’une innovation radicalement nouvelle peut conférer à une entreprise a des chances d’être plus durable que celui découlant d’une simple amélioration. Dans ce dernier cas, non seulement les concurrents pour la même catégorie de produit sont déjà en place, mais l’amélioration est comprise et reproduite beaucoup plus rapidement.
La stratégie de propriété intellectuelle peut différer selon le type d’innovation, mais le système de propriété intellectuelle reste en tout état de cause un précieux instrument. En consultant des experts de la propriété intellectuelle, les entreprises seront mieux à même de tirer le meilleur parti de ce système.
Etude de cas : une invention australienne fascinante - Jim Frazier
Les physiciens n’y croyaient pas, mais le cameraman Jim Frazier ne les a pas écoutés et a inventé une nouvelle lentille qui a révolutionné l’industrie cinématographique mondiale.
M. Frazier, qui a tourné des films sur la faune sauvage pour David Attenborough, se sentait frustré par les limitations de la lentille disponible sur le marché. “Les animaux sauvages ne se soucient guère de vous et ne vous laissent pas le temps de monter la caméra et d’avoir l’angle de vue souhaité. De même, avec les petits animaux comme les insectes et les araignées, il est très difficile de faire le point à la fois sur le sujet et l’arrière-plan. Je voulais faire le point sur les deux et j’avais besoin d’une lentille polyvalente qui me permette de réaliser rapidement les prises de vues que je souhaitais.”
“A la fin des années 70, j’ai commencé à mettre la main à la pâte et à obtenir les résultats escomptés. Au cours des dix années suivantes, je n’ai cessé de modifier la lentille et au bout d’efforts considérables, j’ai mis au point une lentille donnant une grande profondeur de champ et fixée à un seul pivot. Il fallait pour cela résoudre des problèmes d’optique très complexes, mais j’ai commencé à obtenir de bons résultats.”
La nouvelle lentille a trois caractéristiques révolutionnaires :
- un réglage automatique qui permet de couvrir tout le champ, de la lentille à l’infini;
- un pivot qui permet, sans bouger la caméra, de faire pivoter la lentille dans n’importe quelle direction et de former une sphère si nécessaire; et
- un rotateur d’images incorporé. Cela permet une rotation des images à l’intérieur de la lentille sans avoir à faire tourner la caméra.
C’était une brillante invention et quand M. Frazier a commencé à l’utiliser dans son travail, elle n’est pas passée inaperçue. Personne n’avait pu voir auparavant une profondeur de champ et une clarté d’image comparables, ce qui donnait un caractère unique à son travail. En 1993, M. Frazier a été invité à prendre la parole à Montage 93, conférence sur l’imagerie organisée aux États-Unis. Quelques jours plus tard, Panavision frappait à sa porte.
“C’est à ce moment que j’ai pensé avoir besoin d’un avocat,” se souvient-il. “Panavision m’a envoyé un contrat type de trois pages que mon avocat m’a déconseillé de signer. Il l’a réécrit et nous avons renvoyé un document de 30 pages qui non seulement protégeait mon invention mais qui m’a aidé à obtenir des conditions très avantageuses.”
Le contrat était libellé de telle façon que Panavision, considéré comme le meilleur fabricant de lentilles du monde, ne pourrait jamais revenir dessus et prétendre qu’il connaissait déjà les caractéristiques optiques de la lentille. Des représentants de Panavision ont rencontré M. Frazier en terrain neutre, à Hong Kong, et la société a dû signer un accord de confidentialité avant d’avoir vu la lentille. “Ce qui a été convenu, c’est que Panavision brevetterait le système à ses frais, mais que je serais le titulaire du brevet.”
Lorsque M. Frazier a montré pour la première fois la lentille à des représentants de Panavision, tout d’abord, ils n’ont pas compris exactement comment elle fonctionnait, mais ils en ont reconnu la valeur. À plus d’un million de dollars, c’est peut-être le brevet le plus coûteux jamais acheté par Panavision, mais les bénéfices sont déjà considérables. Près d’un film publicitaire sur deux réalisé aux États-Unis utilise la lentille de Jim Frazier, et beaucoup de réalisateurs de longs métrages ne pourraient s’en passer.
Les avantages pour l’industrie cinématographique sont énormes. En dehors de ses caractéristiques uniques, la lentille a permis de réduire très sensiblement les coûts de production. Une séance de tournage qui durait trois jours autrefois n’en prend plus qu’un à présent parce que grâce à la lentille de M. Frazier, on n’a plus besoin d’équipes pour faire des montages compliqués chaque fois que le réalisateur veut un nouvel angle. Il suffit tout simplement de régler le pivot.
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1 Mark Rogers, 1998, Définition et mesure de l’innovation
2 Brandt, J. L., Tirer parti de l’innovation pour transformer des apports incorporels en actif social
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