La propriété intellectuelle et les entreprises : Lancement d’un nouveau produit : évaluation de votre liberté d’agir
En septembre 2003, trois entreprises pharmaceutiques (Cambridge Antibody Technology, Micromet AG et Enzon Pharmaceuticals) ont annoncé qu’elles avaient signé un accord de concession de licence réciproque et non exclusive. Cet accord conférait aux parties une grande “liberté d’agir” à l’égard de certains actifs de propriété intellectuelle des unes et des autres, afin de leur permettre de réaliser des travaux de recherche et de créer un certain nombre de produits à usage thérapeutique et diagnostique à partir d’anticorps .
Ce type d’accord est devenu courant dans certains secteurs car les entreprises veulent s’assurer que leurs produits, leurs procédés et leurs services ne portent pas atteinte aux droits de tiers sur des brevets. Les litiges dans le domaine des brevets peuvent être coûteux, aléatoires et risqués et, comme le dit le proverbe, mieux vaut prévenir que guérir.
Dans cet article, on étudie différentes stratégies auxquelles ces entreprises peuvent recourir pour réduire ce genre de risques et s’assurer le maximum de liberté d’action. Toute entreprise, et en particulier les entreprises des secteurs technologiques dans lesquels il est délivré de très nombreux brevets, court principalement le risque de voir la commercialisation d’un nouveau produit ou d’une nouvelle technologie stoppée par un concurrent titulaire d’un brevet sur une technologie incorporée dans le nouveau produit.
C’est pourquoi, de nombreuses entreprises s’efforcent très tôt de s’assurer la “liberté d’agir”, c’est-à-dire veillent à ce que la fabrication, la commercialisation et l’utilisation de leur nouveau produit, procédé ou service ne constitue pas une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de tiers.
Il ne sera jamais possible d’obtenir une garantie absolue en termes de “liberté d’agir”, mais il existe des moyens de limiter les risques afin de permettre à une entreprise d’économiser des ressources importantes.
Recherche de documents de brevet
Une analyse qui tend à déterminer la liberté d’agir d’une entreprise commence toujours par une recherche des brevets délivrés ou en instance dans la documentation en matière de brevets et l’obtention d’un avis juridique sur le point de savoir si un produit, un procédé ou un service peut être considéré comme portant atteinte aux brevets existants détenus par des tiers. De nombreuses entreprises s’en remettent à des cabinets spécialisés en droit privé ou en propriété intellectuelle qui incluent des évaluations de la liberté d’agir dans les services juridiques qu’ils proposent. Certains offices nationaux de propriété intellectuelle peuvent aussi fournir ce type de services contre paiement d’une taxe (voir, par exemple, l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle de la Suisse).
Repérer les possibilités qu’offrent les limitations frappant les brevets |
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Il est important pour l’entreprise qui réalise une recherche et une analyse afin de déterminer sa liberté d’agir de se rappeler que certaines des limitations dont sont assortis les brevets lui ouvrent des possibilités.
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Éliminer les obstacles
L’analyse tendant à établir la liberté d’agir, fondée sur une recherche dans la documentation en matière de brevets, ne constitue qu’une première étape. Si la recherche en matière de brevets révèle l’existence d’un ou plusieurs brevets qui limitent la liberté d’action d’une entreprise, celle-ci devra déterminer comment agir. Si le ou les brevets qui font barrage sont effectivement valables, les stratégies les plus envisageables sont les suivantes :
- Achat du brevet ou obtention d’une licence. L’obtention d’une licence suppose l’autorisation écrite du titulaire du brevet d’utiliser la technologie brevetée pour des actes déterminés, sur certains marchés et pour une durée définie. Les avantages d’un tel accord dépendront en grande partie des modalités et des conditions de la licence proposée. Même s’il y a un risque de perte d’autonomie et que le titulaire du brevet exige une somme forfaitaire ou le paiement périodique d’une redevance, ce type d’accord reste sans doute la façon la plus simple d’ouvrir la voie à la commercialisation d’une technologie ou d’un nouveau produit.
- Licences réciproques. Il y a concession de licences réciproques lorsque deux entreprises échangent des licences afin de pouvoir exploiter certains brevets détenus par l’autre. La concession de licences réciproques nécessite qu’une entreprise possède un portefeuille de brevets bien protégés présentant un intérêt pour les partenaires d’un éventuel accord de licence.
- Inventer en contournant l’invention. Une troisième solution consiste à inventer en contournant l’invention. Cela suppose d’effectuer des recherches et d’apporter des modifications au produit ou au procédé afin d’éviter de porter atteinte aux brevets détenus par des tiers. Par exemple, si la liberté d’agir est entravée par un brevet de procédé, l’entreprise peut être en mesure d’élaborer un autre procédé pour arriver à un résultat final similaire et, ainsi, commercialiser l’invention sans devoir verser une redevance de licence à une autre personne.
- Communauté de brevets. Une communauté de brevets est un mécanisme qui permet à plusieurs entreprises travaillant dans des domaines technologiques connexes de grouper leurs brevets afin de créer un système d’échange des droits de brevet. Un exemple célèbre est la communauté de brevets créée par Sony, Philips et Pioneer pour des inventions essentielles au respect de certaines spécifications types en matière de DVD vidéo et de DVD-ROM.
Protéger sa technologie
S’il ressort de la recherche en matière de brevets qu’aucun brevet n’empêche d’accéder au marché et qu’une technologie est susceptible de satisfaire aux critères de brevetabilité, le propriétaire d’une entreprise souhaitera peut-être de protéger par brevet cette nouvelle technologie afin de bénéficier d’une plus grande liberté d’agir, au lieu de conserver cette technologie sous la forme d’un secret commercial.
Cependant, il existe une limite précise à la possibilité pour le titulaire du brevet d’exploiter l’invention brevetée. Un brevet en tant que tel ne confère pas le droit de commercialiser la technologie protégée, il ne confère que le droit d’empêcher quiconque de le faire. Il s’agit d’une distinction essentielle, même si elle peut sembler subtile. Par exemple, un tiers peut être titulaire d’un brevet encore plus large qui englobe l’objet du brevet de la première entreprise.
Par conséquent, une entreprise aura peut-être besoin d’utiliser la technologie brevetée par d’autres pour commercialiser une autre technologie. Le brevet Cohen-Boyer sur l’ADN recombiné est un exemple classique dans le domaine biotechnologique. En effet, pendant de nombreuses années, la commercialisation de presque toute nouvelle technologie utilisant la technologie mise au point par Cohen et Boyer impliquait le paiement d’une somme pour obtenir la licence souhaitée. Enfin, il peut exister des dispositions réglementaires qui ne portent pas directement sur la propriété intellectuelle mais limitent l’accès d’une invention brevetée au marché (par exemple la réglementation relative aux produits alimentaires et pharmaceutiques).
En dépit de ce qui précède, la “liberté d’agir” est l’une des raisons pour lesquelles les entreprises demandent la protection par brevet. Même si la délivrance d’un brevet ne suffit pas à permettre la commercialisation, cela constitue sans aucun doute une étape utile et peut empêcher des problèmes à un stade ultérieur.
Publication défensive ou divulgation d’informations techniques
De nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi une entreprise souhaite éviter de breveter une invention donnée, que ce soit pour des questions de coût ou parce que l’invention peut ne pas remplir les critères de brevetabilité. Les entreprises ont parfois recours à une autre solution, la “publication défensive” ou divulgation d’informations techniques, par opposition à l’attitude qui consiste à conserver l’invention sous la forme d’un secret commercial.
La publication défensive signifie la divulgation de l’invention au public de façon à ce que personne ne puisse la faire breveter. Il en découle que, tout le monde bénéficie d’une certaine liberté d’agir. Il est important que la divulgation intervienne dans une revue technique reconnue ou une autre publication susceptible d’être consultée par les examinateurs de brevets en relation avec de futures demandes de brevet, par exemple des revues qui font partie de la documentation minimale du PCT destinée aux administrations chargées de la recherche internationale . D’une manière générale, aucune publication défensive n’est réalisée pour une découverte technologique décisive ou une invention technologique fondamentale qui constitue ou constituera l’élément moteur d’une entreprise.
Quelques grandes sociétés publient leurs propres bulletins contenant des divulgations techniques (par exemple Xerox), qui sont largement diffusés, afin de faire connaître des inventions qui ne sont pas brevetées. Aux États-Unis d’Amérique, l’Office des brevets et des marques (USPTO) permet aux déposants de demander la publication du Statutory Invention Registration (SIR) (déclaration statutaire d’invention) d’un brevet déposé, qui constitue en fait la divulgation technique d’une invention pour laquelle un brevet a été déposé. En obtenant un SIR, le déposant abandonne la procédure de délivrance du brevet pour la divulgation de l’invention par l’office des brevets.
Choisir la bonne voie
Quelle que soit la méthode choisie, il est conseillé à toutes les entreprises du secteur technologique de faire rapidement leur choix. Parfois, il suffit d’apporter des adaptations mineures au produit ou de payer au titulaire du brevet une redevance de licence peu élevée pour éviter de futurs litiges. L’évaluation systématique de la liberté d’agir d’une entreprise avant le lancement d’un produit nouveau est donc une façon de minimiser le risque qu’un brevet porte atteinte à des brevets détenus par des tiers. Cela permettra aussi à l’entreprise d’accroître ses chances de trouver des partenaires commerciaux et d’attirer des investisseurs pour financer ses projets de développement de ses activités.
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