Profils d’éminents scientifiques - Zohra Ben Lakhdar
Alors que s’achève l’année internationale de la physique, le troisième portrait de notre série d’entretiens avec d’éminents scientifiques du monde entier est consacré à Zohra Ben Lakhdar, professeur de physique à l’Université de Tunis et membre fondateur des sociétés tunisiennes de physique et d’astronomie. Mme Ben Lakhdar utilise des méthodes spectroscopiques nouvelles pour étudier l’influence de polluants, tels que le méthane et différents métaux, sur la qualité de l’air, de l’eau et des végétaux. Ses recherches ont des applications potentielles dans différents domaines tels que l’astrophysique, l’agriculture, la médecine, la pharmacie et l’industrie chimique.
Biographie |
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Naissance : 1943, à Tunis. |
Professeur Ben Lakhdar, pourriez-vous pour commencer expliquer votre domaine, la spectroscopie, aux non-initiés que nous sommes?
La spectroscopie consiste à analyser des corps par le spectre lumineux que la matière émet ou absorbe. Qu’est-ce que cela signifie? Pensez aux planètes, aux étoiles, aux galaxies qui sont hors de notre portée. Qu’est-ce qui permet à l’homme d’obtenir des informations sur elles et de les photographier? C’est la lumière. La lumière est la messagère de l’univers. Elle nous renseigne sur l’état de la matière dans tout l’univers et même sur le passé de l’univers.
La lumière, ce sont des ondes qui traversent l’espace. Les “messages” transmis se présentent donc sous forme d’ondes. Chaque atome a sa propre manière d’envoyer son message. C’est son “spectre”, l’ensemble d’ondes qui lui est particulier. Disons que la spectroscopie est le langage commun des atomes. Lorsque vous savez déchiffrer les ondes lumineuses, vous comprenez le langage des atomes et des molécules.
Vous avez grandi à une époque et dans une culture où il y avait peu de scientifiques femmes. Comment cela vous a-t-il influencé?
Dans ma jeunesse, mon entourage pensait que la science, déjà difficile pour les hommes, était hors de portée des femmes. Les hommes étaient seuls supposés bons en calcul, et en conséquence, se marier et s’occuper des enfants étaient le destin social des femmes. Je voulais montrer au monde qu’il n’y avait pas de différence de compétence liée au sexe et que je pouvais être une scientifique.
J’ai fait ma scolarité à l’école primaire au début des années 1950 dans des petites villes, Mahdia et Jemmal; le seul diplôme auquel les femmes pouvaient prétendre était le certificat d’études primaires, et aucune de mes camarades de classe ne l’obtint. À cette époque, les filles allaient à l’école pendant trois, quatre ou cinq ans, puis se mariaient à 15 ans. Aucune fille n’envisageait le lycée : il fallait pour cela changer de ville. La grande ville la plus proche était Sousse, à 25 kilomètres. C’était très loin à l’époque, sans autobus ni voiture à disposition.
J’ai eu la chance d’avoir une famille qui a encouragé mes inclinations, pensant que tout choix était un acte louable de volonté. J’étais très proche de ma mère, qui avait un esprit très ouvert. J’ai essayé de lui expliquer la science. À chaque moment marquant de ma carrière, ma mère s’exclamait “Yayia el Elm” (“louée soit la science!”).
Quelles ont été vos sources d’inspiration pendant vos études?
En 1967, fraîchement diplômée de l’Université de Tunis, j’ai obtenu une bourse du Gouvernement tunisien - en coopération avec le Gouvernement français - pour aller étudier la spectroscopie atomique à Paris. Là, j’étais dans un autre monde - le monde des atomes, des étoiles, des cellules, des scientifiques! J’allais suivre tous les mardis les cours de mécanique quantique de Claude Cohen-Tannoudgi au Collège de France. C’était un excellent professeur qui vous guidait pas à pas dans le monde des atomes. Avec lui tout semblait lumineux. J’admirais beaucoup également Abdus Salam, un autre lauréat du prix Nobel. Il avait créé à Trieste, en Italie, le Centre international pour la physique théorique, où les chercheurs des pays en voie de développement peuvent étudier dans une ambiance stimulante, rencontrer des confrères et tirer avantage d’une bibliothèque bien fournie. J’en ai beaucoup profité moi-même.
Qu’est ce qui vous a fait décider de retourner en Tunisie?
Mon mari, également physicien, et moi-même recevions des propositions d’emploi en France et nous avons été tentés de les accepter. Nous avons cependant choisi de travailler dans notre pays en dépit du manque d’infrastructure scientifique. Ce fut difficile, mais nous n’avons pas regretté notre décision. L’un de mes objectifs professionnels est de contribuer à répondre aux besoins de mon pays. La Tunisie a notamment besoin de personnel qualifié dans ses universités et de meilleures possibilités de recherche. Il faut être là où l’on est le plus utile.
Que rêvez-vous que la science puisse réaliser dans l’avenir?
Je suis reconnaissante de ce que la science a déjà apporté dans la vie des gens. Ma mère a été opérée à cœur ouvert et sauvée. En science, il n’y a pas de frontière, l’égalité règne : les scientifiques ne sont pas séparés par la couleur, le sexe, la religion ou l’argent.
Dans l’avenir, rien ne devrait être impossible. Je rêve de créer un centre tunisien d’optique et de photonique similaire au centre de Trieste. Plus utopique, je rêve que l’on puisse utiliser la science pour contrôler le climat, faire pleuvoir à volonté, rendre le désert fertile et transformer de manière économique l’eau de mer en eau potable.
Pour finir, quels conseils donneriez-vous à un aspirant physicien - et surtout à une jeune physicienne - de pays en développement?
Soyez pénétré(e) de l’importance de la culture, soyez intellectuellement ouvert(e) comme scientifique et comme personne. Souriez à la vie et relevez la tête dans les difficultés.
Éléments repris d’une interview de Mme Ben Lakhdar avec l’aimable autorisation de l’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science.
Tunisie : encourager les scientifiques à utiliser la propriété intellectuelle |
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Le nombre de demandes de brevet tunisiennes est en progression. Le Gouvernement tunisien s’est félicité de cette tendance, dans laquelle il voit l’incidence des mesures nationales destinées à encourager la recherche et l’innovation et à mieux faire connaître le système de la P.I. dans les institutions de recherche.
Le programme présidentiel tunisien pour 2004-2009 met en avant la nécessité de renforcer la recherche et l’innovation pour relever les futurs défis, et souligne l’importance d’incitations fortes pour stimuler et protéger l’invention. Le gouvernement s’est fixé pour objectif de porter à 1,25% du PIB le niveau de l’investissement dans la recherche-développement d’ici à 2009. La campagne “Pour une culture brevet”, lancée en 2004 par le Ministère de la recherche scientifique, de la technologie et du développement des compétences (MRSTDC), s’adresse aux scientifiques. Elle vise à leur montrer comment protéger les résultats de leurs recherches. Le ministère offre aussi une assistance pratique et financière aux chercheurs pour leur permettre de déposer des demandes de brevet, tant nationales qu’internationales. Un autre programme du ministère visera à former des spécialistes dans la rédaction des demandes de brevet et des contrats de transfert de technologie. Pour l’instant, l’Office tunisien de la propriété industrielle (INNORPI) a créé une base de données consultable en ligne afin d’encourager l’exploitation active des informations techniques contenues dans les documents de brevet. La participation de la Tunisie au programme “Initiative de l’OMPI à l’intention des universités” a eu pour résultat l’ouverture d’un centre de documentation spécialisé en propriété intellectuelle au sein du technopole de Borj Cédria. Statistiques de dépôt
Quelques réussites récentes : l’Institut des régions arides de Tunisie a breveté un diffuseur pour irrigation souterraine d’arbres, cultures maraîchères et autres végétaux. Le Centre de biotechnologie de Sfax a breveté un procédé permettant d’isoler un micro-organisme particulier entrant dans la composition d’un bio-insecticide. Depuis l’adhésion de la Tunisie au Traité de coopération en matière de brevets en 2001, ces deux établissements de recherche ont déposé plusieurs demandes internationales selon le PCT. Sources : MRSTDC et INNORPI, novembre 2005. |
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