Bioéthique et jurisprudence en matière de brevets : L’affaire de la relaxine
Le présent article est le début d’une série occasionnelle mettant en relief des questions qui se sont posées dans quelques affaires importantes de jurisprudence portant sur des brevets de biotechnologie. Nous commençons par décrire quelques questions de bioéthique qui se posent dans le cas de la délivrance de brevets pour des inventions biotechnologiques et nous examinons la manière dont l’Office européen des brevets (OEB) a traité les questions liées à la délivrance d’un brevet pour un gène humain dans l’affaire Relaxin.
La biotechnologie est en plein essor. Les innovations biotechnologiques produisent de nouveaux médicaments, traitements et procédés qui peuvent sauver ou transformer la vie de millions d’êtres humains. Au fur et à mesure que sont franchies de nouvelles frontières technologiques, nos espoirs ne font que croître mais il en va de même pour les complexités de la bioéthique qui y est associée, c’est-à-dire les questions d’éthique liées aux conséquences et applications de la recherche biologique. Un aspect de ce domaine complexe porte sur la manière dont les inventions biotechnologiques sont protégées ou laissées sans protection par les droits de propriété intellectuelle.
Lorsqu’on examine la bioéthique dans un contexte de propriété intellectuelle, il ne faut pas oublier qu’il existe ici des différences fondamentales. C’est ainsi par exemple que les arguments éthiques avancés pour autoriser les chercheurs à faire des travaux de recherche sur certaines technologies (les cellules embryonnaires par exemple) ou pour le leur interdire devraient être considérés comme différents de l’autorisation donnée à tort ou à raison de breveter les résultats de ces travaux. Ceci étant, le système de brevets n’existe pas dans un vide moral. La frontière entre la bioéthique et la propriété intellectuelle réside plutôt dans des questions telles que les suivantes : est-il sur le plan moral acceptable d’accorder des droits de brevet exclusifs sur une technologie particulière comme les séquences isolées de l’ADN? Quelles questions relatives au consentement préalable en connaissance de cause se posent lorsque des ressources génétiques sont utilisées pour mettre au point une invention brevetée? Quelles questions d’éthique se posent au sujet de la manière dont sont exercés des droits exclusifs sur une technologie tels que des brevets ou des outils de diagnostique?
Les mêmes règles mais différentes...
Dans les lois sur les brevets de la plupart des pays, les mêmes règles et principes de base régissent le brevetage des inventions biotechnologiques comme étant d’autres technologies. Seules les véritables inventions et non pas de simples découvertes sont admissibles. Les mêmes conditions de nouveauté, d’innovation et d’applicabilité industrielle s’appliquent; le candidat à un brevet doit divulguer en détail la façon de mettre en œuvre l’invention et ainsi de suite.
Mais la biotechnologie est un cas particulier, notamment parce qu’elle repose sur des organismes vivants. En effet, les inventions biotechnologiques peuvent s’autoreproduire et s’autopropager comme dans le cas par exemple d’une semence génétiquement modifiée (qui peut elle-même être considérée comme une invention si elle est réellement nouvelle et novatrice). La loi sur les brevets a par conséquent établi certaines règles spéciales pour les inventions biotechnologiques. Elles comprennent les exceptions dans l’intérêt du public de la matière brevetable - quelques pays excluent par exemple les brevets sur les plantes ou les animaux - et quelques-unes imposent des obligations particulières de divulgation dans le cas des inventions fondées sur des ressources génétiques. Il y a également quelques mécanismes juridiques spéciaux comme le dépôt de micro-organismes lorsque l’accès aux matières utilisées est nécessaire pour comprendre l’i nvention.
Le brevetage de gènes humains - L’affaire de la relaxine *
Le débat central sur la bioéthique et la propriété intellectuelle a pour axe principal la moralité de ce qui est appelé librement la vie du brevetage. Cela n’a rien de nouveau. En 1873 déjà, Louis Pasteur obtenait un brevet sur une levure isolée, un organisme vivant. Le débat s’est intensifié à partir des années 80 lorsqu’ont commencé à être enregistrés des brevets sur des gènes humains.
La jurisprudence de l’OEB offre un exemple plus récent des questions de caractère juridique et moral que soulève le brevetage des gènes. En cause un brevet pour la relaxine, une hormone qui relâche l’utérus durant l’accouchement et qui, on l’espérait, pourrait être utilisée par les médecins pour réduire le nombre des césariennes lors de grossesses difficiles.
La relaxine des cochons a été décrite pour la première fois en 1926 mais il a fallu attendre jusqu’en 1975 pour voir le Howard Florey Institute en Australie isoler et établir la structure chimique d’une forme humaine de l’hormone. Les travaux de recherche ensuite effectués par cet institut ont révélé une deuxième forme d’i nsuline humaine dont on n’avait pas jusque là soupçonné l’existence. On a constaté que la structure de la relaxine humaine était différente de celle d’autres espèces à tel point que seule la relaxine humaine pouvait être utilisée aux fins médicales envisagées.
Pour obtenir des quantités suffisantes de l’hormone afin d’en étudier l’usage thérapeutique, il s’est avéré nécessaire de la fabriquer sous une forme synthétique. Après avoir donc isolé la séquence nucléotide qui avait codé la relaxine, des techniques d’ADN recombiné ont été utilisées pour cloner le gène, permettant ainsi plus tard de produite une relaxine synthétique.
Dans la demande de brevet présentée par le Howard Florey Institute, l’invention revendiquée portait sur le codage du gène pour la deuxième forme inattendue de la relaxine humaine et la forme synthétique produite avec la technologie du clonage. Un brevet a été accordé en Europe en 1991 mais rejeté en 1992 par les membres du Parti des verts au parlement européen. On trouvera ci-dessous un tableau qui résume quelques-unes des questions juridiques et éthiques abordées dans ce cas précis.
Affaire suivante : L’oncosouris de Harvard
_______________________________
* Howard Florey/Relaxin; Oppositions by Fraktion der Grünen im
Europäischen Parlament; Lannoye; EPO 6/1995 388
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.