Bioéthique et droit des brevets: L’affaire Myriad
Cet article est le troisième d’une série occasionnelle mettant en lumière des aspects importants du droit des brevets sur lesquels ont eu à se pencher les tribunaux dans des affaires de bioéthique. Nous examinons ici l’affaire Myriad qui, en plus de soulever des questions en ce qui concerne la délivrance de brevets portant sur des inventions génétiques, démontre qu’au-delà des considérations de brevetabilité, certains aspects de la bioéthique s’appliquent à la manière dont les droits conférés par un tel brevet sont exercés sur le marché.
Les brevets Myriad sur les gènes du cancer du sein
BRCA-1 et BRCA-2 sont deux gènes associés à la susceptibilité au cancer du sein et de l'ovaire. La présence de certaines mutations dans l'un ou l'autre de ces gènes augmente le risque de maladie. Il est, par conséquent, important pour le diagnostic et le suivi des femmes à risque de pouvoir détecter ces mutations. La société Myriad Genetics Inc. a été la première à séquencer le gène BRCA-1, avec la collaboration de l'université de l'Utah, et en a demandé en 1994 la protection par brevet. Myriad est ainsi devenue titulaire, avec la Fondation pour la recherche de l'université de l'Utah et les États-Unis d'Amérique, des brevets américains 5747282 et 5710001 sur les séquences isolées d'ADN pour le polypeptide BRCA-1 et sur une méthode de détection. En 1997, elle se voyait délivrer aux États-Unis d'Amérique, avec le Centre de Recherche du CHUL au Canada et l'Institut du cancer du Japon, un brevet sur une séquence isolée d'ADN lui conférant des droits sur un certain nombre de mutations du gène (brevet 5693473). D'autres brevets furent déposés sur le second gène, BRCA-2, aux États-Unis d'Amérique (brevets 5837492 et 6033857) et dans d'autres pays.
Oppositions techniques et objections éthiques
Ces brevets ont été contestés. Des procédures d'opposition ont notamment été engagées contre le brevet accordé en Europe sur le gène BRCA-1 lui-même (EP 705902), par le Parti social démocrate suisse, Greenpeance Allemagne, l'Institut Curie, l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, la Société belge de génétique humaine, les Pays-Bas, représentés par le Ministère de la santé et le Ministère fédéral autrichien de la sécurité sociale. Les opposants, se fondant sur les critères de brevetabilité établis par la Convention européenne sur les brevets, faisaient valoir que l'invention revendiquée ne remplissait pas les conditions de nouveauté, d'activité inventive et d'application industrielle et qu'elle était insuffisamment décrite pour permettre à une personne du métier de l'exécuter.
Ces motifs techniques d'opposition avaient pour toile de fond des préoccupations plus profondes, d'ordre éthique et politique. Le dossier Myriad soulevait en effet, au-delà du débat, toujours présent, sur la protection par brevet des inventions fondées sur le génome humain, des inquiétudes quant aux incidences que pouvaient avoir de tels brevets sur la recherche, la mise au point de nouveaux tests et méthodes de diagnostic et l'accès au dépistage. Les bienfaits médicaux considérables de la technologie de détection du cancer n'étaient pas mis en doute, mais les points de vue divergeaient quant à la manière de traiter cette dernière dans le cadre du système des brevets et au mode d'exercice des droits accordés, le cas échéant.
La procédure d'opposition devait aboutir à la révocation, en 2004, du brevet européen 699754, portant sur une méthode de diagnostic, au motif que des erreurs contenues à l'origine dans la demande de brevet n'avaient été corrigées qu'après l'entrée dans le domaine public des séquences des gènes. Il en résultait que l'invention ne répondait pas aux critères de brevetabilité, car elle n'avait pas été entièrement divulguée dans la demande de brevet originale et ne remplissait plus la condition de nouveauté une fois la description modifiée.
Les deux autres brevets relatifs au gène BRCA-1 furent modifiés suite au rejet des applications diagnostiques (un recours a été formé contre cette décision), et le brevet sur le second gène, BRCA-2, fut maintenu, mais seulement sous une forme réduite.
Éthique et brevets
Cette affaire démontre que les critères techniques de brevetabilité ont aussi un rôle important de protection de l'intérêt public, dans la mesure où ils permettent d'éviter que des brevets soient délivrés pour des inventions ne constituant pas un apport réel à l'état de la technique et utilisés dans le but d'empêcher l'accès à des objets relevant du domaine public.
Cela étant, elle met aussi l'accent sur le débat relatif aux politiques en matière de brevetage des gènes humains en général et des gènes utilisés à des fins diagnostiques, en particulier. Le Parlement européen a manifesté sa préoccupation à cet égard dans une résolution contre les brevets Myriad adoptée en 2001, 1 par laquelle il demandait à l'Office européen des brevets de garantir "le principe de non-brevetabilité des êtres humains et de leurs cellules ou gènes dans leur environnement naturel" et affirmait que le génome humain devrait être librement disponible pour la recherche.
Un tel équilibre reste difficile à réaliser. Tant que l'existence de la recherche génétique en vue de découvrir des solutions en matière de traitement et de diagnostic continuera de reposer sur le secteur privé, les sociétés biopharmaceutiques telles que Myriad continueront d'exiger un certain monopole sur ces technologies afin de rentabiliser leur investissement. On peut toutefois craindre que certains brevets génétiques ne procurent à leurs titulaires une compensation excessive, par exemple lorsque des revendications rédigées d'une manière trop large interdisent tout autre dépôt ultérieur.
Éthique et licences
L'essentiel du débat suscité par l'affaire Myriad ne portait pas, toutefois, sur la validité proprement dite des brevets - il en existe d'autres comparables, et leurs titulaires ne se sont pas attiré autant de critiques - mais sur les questions éthiques soulevées par l'exercice, sur le marché, des droits résultant de ces brevets.
Les critiques de la société lui reprochaient de bloquer, par sa politique en matière de licences et le prix élevé qu'elle exigeait pour la réalisation des tests relevant de la technologie protégée, la capacité des laboratoires des pays concernés à effectuer des tests de diagnostic. Ce dossier a amené à se poser la question de l'opportunité d'une réglementation sur les pratiques en matière de licence et, le cas échéant, de ses modalités. Il a conduit à une série d'interventions de la part des pouvoirs publics et aurait joué un rôle dans l'évolution du droit français des brevets. Certains organismes ont tenté d'énoncer des règles afin d'encadrer d'une manière non contraignante les pratiques en matière de licence. Les Lignes directrices relatives aux licences sur les inventions génétiques établies par l'OCDE 2 proposent à cet égard une attitude d'ouverture relative, notamment en ce qui concerne les tests génétiques.
Un équilibre délicat
Il est évident que l'élaboration de méthodes de dépistage du cancer du sein sert l'intérêt public, et la valeur de la technologie proprement dite n'est nullement mise en doute. En revanche, la délivrance de brevets sur des séquences génétiques et leurs mutations ou des tests diagnostiques reste un sujet de controverse. La minutie avec laquelle a été examinée la conformité des brevets Myriad aux critères de brevetabilité a permis de démontrer l'utilité de ces derniers pour la protection de l'intérêt public, notamment dans un domaine aussi important de la technologie. Cette affaire a enfin mis en lumière des questions d'éthique importantes en ce qui concerne l'octroi de licences sur les inventions génétiques.
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