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Le droit d’auteur au tribunal : Parfum ou forme d’expression artistique ?

Septembre 2006

Dans un arrêt très attendu, la Cour suprême des Pays-Bas a statué, au mois de juin dernier, que la fragrance d’un parfum peut, en principe, bénéficier de la protection du droit d’auteur. Dans cet article, qu’il a écrit pour le Magazine de l’OMPI, Kamiel Koelman, maître de conférences à l’Université libre d’Amsterdam, rappelle les faits et nous parle des incidences possibles de cette décision. Le professeur Koelman est un spécialiste des questions situées à l’intersection de la technologie et du droit de la propriété intellectuelle; il est membre de la rédaction des principales publications néerlandaises en matière de droit d’auteur et de droit de l’informatique.

Des trésors en litige

La société française de cosmétiques Lancôme commercialise un parfum de luxe sous la marque Trésor. Kecofa, une petite entreprise néerlandaise, vend pour sa part un parfum dix fois moins coûteux dénommé Female Treasure (trésor féminin). Lancôme a tenté précédemment de faire condamner Kecofa pour atteinte à ses droits sur la marque Trésor, mais les tribunaux l’ont déboutée, considérant comme faible le risque de confusion entre les deux produits. En 2000, suite à la révision de la loi sur les marques des Pays-Bas, Lancôme a fait une nouvelle tentative, en invoquant aussi, cette fois, l’atteinte au droit d’auteur dont elle jouit sur le parfum en question. Son action en contrefaçon de marque n’a pas connu un meilleur sort qu’auparavant, mais – probablement à la surprise de Lancôme – Kecofa a été condamnée sur le fondement du droit d’auteur, et cela dans une décision qui allait même être confirmée ensuite par la Cour suprême des Pays-Bas.1

Par coïncidence, la Cour de cassation française venait justement de statuer trois jours plus tôt qu’un parfum – Dune de Dior – ne pouvait pas être protégé par le droit d’auteur. La juridiction française a en effet considéré que les parfumeurs sont simplement des artisans, au même titre que les menuisiers ou les plombiers, et qu’à ce titre, leur travail ne constitue pas une œuvre relevant du droit d’auteur.2

Une licence pour être au parfum?

La loi néerlandaise sur le droit d’auteur ne contient pas d’énumération exhaustive des objets susceptibles de protection. Elle prévoit seulement que ces derniers doivent être perceptibles et originaux. La Cour suprême a statué que la fragrance d’un parfum peut répondre à ces conditions, même si sa perceptibilité n’est qu’olfactive, et l’a distinguée de la composition du parfum ou du liquide dans lequel elle est renfermée en la comparant au papier sur lequel est imprimé un livre : celui-ci n’est pas protégé par le droit d’auteur alors que le contenu l’est. Il découle de cette distinction qu’un parfum ayant la même fragrance qu’un autre mais composé d’ingrédients complètement différents peut être contrefaisant, contrairement à celui qui, bien que formulé d’une manière analogue, dégage une senteur différente.

La Cour suprême a reconnu que la protection des odeurs pouvait donner lieu à quelques complications. Le droit d’auteur confère, par exemple, à son titulaire le droit d’interdire toute "mise à la disposition du public" non autorisée de son œuvre. On pourrait donc en déduire que quiconque porte un parfum en public – par exemple au cinéma ou au travail – sans détenir une licence à cet effet commet un acte illicite. La Cour suprême a cependant ajouté qu’il ne serait pas possible, même dans un tel cas, d’interdire l’utilisation de ce parfum dans des conditions normales. Selon l’Avocat général, qui conseille la Cour suprême des Pays-Bas, il conviendra, si cette dernière estime que les signes olfactifs sont susceptibles d’être protégés sur ce fondement, de prévoir certaines exceptions dans la loi néerlandaise sur le droit d’auteur.

La Cour suprême a décidé de ne pas refuser la protection, et cela bien que les odeurs ne cadrent guère avec le système du droit d’auteur et que, selon toute probabilité, l’idée de les protéger n’avait pas même effleuré le législateur lorsqu’il a élaboré la loi sur le droit d’auteur. Elle s’en est tenue simplement aux caractères normalement exigés pour accéder à la protection : dès lors que son originalité est démontrée, une odeur est en principe protégeable par le droit d’auteur. Cela veut dire qu’un parfum dont la fragrance reproduit exactement celle des roses n’aura pas plus droit à la protection qu’une maquette reproduisant à l’échelle exacte le Matterhorn. De la même manière, une fragrance proche de celle d’un parfum connu peut ne pas remplir la condition d’originalité. En revanche, si c’est le parfumeur lui-même qui apporte sa touche à une fragrance, cette dernière peut éventuellement être protégeable.

Incidences

La protection des parfums comporte un aspect préoccupant, en ce sens qu’elle risque de créer indûment des situations de monopole. En effet, les humains ont généralement un odorat relativement peu développé, qui ne leur permet de distinguer qu’une gamme d’odeurs limitée. Il en résulte qu’il est relativement facile de considérer que deux parfums présentent des fragrances analogues, et donc de conclure que l’un contrefait l’autre. La protection des parfums peut avoir l’effet peu souhaitable de freiner la concurrence en limitant le nombre des produits susceptibles de coexister d’une manière licite.

Cela étant, si l’analogie peut être aisément invoquée à l’égard d’un parfum jugé contrefaisant, il sera tout aussi facile de faire valoir que celui du plaignant ressemble lui-même à un autre, qui lui est antérieur. L’originalité de la plupart des fragrances produites par les parfumeurs serait alors susceptible d’être mise en doute, de sorte que toute la question de la protection des parfums n’aurait plus vraiment de raison d’être. Il convient de noter, à cet égard, que l’arrêt de la Cour suprême des Pays-Bas ne dit pas explicitement que Trésor est protégeable par le droit d’auteur – cette juridiction ne juge pas les faits; il indique que les odeurs peuvent être considérées, en principe et d’une manière générale, comme des objets protégés.

Démontrer l’originalité

Kecofa a tenté de contester le caractère d’originalité de Trésor, en faisant valoir que cette fragrance constituait simplement un développement dans une longue tradition en matière de parfumerie et qu’à ce titre, elle était analogue à celle d’un certain nombre de parfums préexistants. La Cour a répondu en précisant qu’il est nécessaire, pour que la condition d’originalité soit remplie, non pas qu’un produit soit absolument nouveau, mais que la créativité de son auteur y soit exprimée. La société Lancôme ayant produit une volumineuse documentation sur le processus d’élaboration de son parfum, c’est donc à Kecofa qu’il incombait de démontrer que Lancôme avait en fait copié un produit existant et que son parfum ne répondait pas, par conséquent, au critère d’originalité.

Le défendeur fait face à une difficulté supplémentaire dans ce type de procédure. En effet, si la protection conférée par la loi néerlandaise sur le droit d’auteur s’applique uniquement à l’imitation directe, il n’en reste pas moins que dans les cas de similitude importante, le défendeur est considéré comme ayant copié l’original et doit prouver qu’il a créé son produit de manière indépendante. Il y a donc présomption d’imitation quand le produit du défendeur ressemble à celui du plaignant, mais pas lorsqu’il existe une similitude entre ce dernier et un produit préexistant. Cela constitue un facteur favorable à la constitution de larges monopoles.

Un bon conseil en terminant

Constituez un dossier exhaustif sur le processus qui a mené à l’élaboration de votre parfum, car si jamais il s’avère que sa fragrance ressemble à celle d’un produit qui est déjà sur le marché, cela pourra vous aider à prouver que cette similitude est purement fortuite. Et dans le cas inverse, si la partie contre laquelle vous agissez en contrefaçon prétend que vous avez vous-même copié une fragrance préexistante, c’est à elle qu’incombera dès lors la charge de le prouver. Ce conseil gratuit est valable dans n’importe quel domaine : que vous produisiez du vin ou que vous teniez un restaurant, attendez-vous à ce qu’un concurrent vous reproche un jour d’avoir porté atteinte aux droits qu’il détient sur le bouquet de son grand cru ou sur les délicieux arômes de ses créations culinaires. Mais bien sûr, tout cela n’est nécessaire qu’aux Pays-Bas... du moins pour l’instant.

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1. HR, 16 juin 2006, LJN AU8940, Kecofa/Lancôme.
2. CdC, Arrêt n° 1006, 13 juin 2006, Nejla X c. Soc. Haarmann & Reimer.

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