Choc de cultures – Tous les consommateurs n’ont pas la même attitude face à la contrefaçon
Par Jo Bowman
Dans le domaine de la mode, la contrefaçon est un phénomène mondial. Les associations d’industriels et les gouvernements consacrent des millions à des campagnes visant à dissuader les consommateurs d’acheter des copies. Mais un message peut porter dans une région du monde et tomber à plat dans une autre. Pour qu’une campagne soit efficace, il est essentiel de comprendre les attitudes des consommateurs et les influences culturelles auxquelles ils sont soumis. La journaliste Jo Bowman a procédé à une analyse des attitudes des consommateurs avec des spécialistes en études de marché de Hong Kong et d’Italie. Elle rend compte, dans cet article, des constatations faites dans ces deux cultures très différentes ainsi que de leurs implications en ce qui concerne l’élaboration de messages efficaces.
Prenez deux sacs Louis Vuitton identiques. Tous deux sont des contrefaçons et tous deux ont été achetés par des personnes aimant la mode et les bonnes affaires. Pourtant, l’une d’elles fait fièrement étalage de son faux sac à main, alors que l’autre en cache soigneusement l’origine.
La différence? Le premier sac a été acheté en Italie, où le paraître est plus important que toute autre chose, et où l’on considère souvent que contourner les règles n’est jamais qu’un jeu inoffensif. Le second a été acheté à Hong Kong, où consumérisme et confucianisme s’allient pour attiser le désir de posséder des articles de luxe, car ceux-ci confèrent à leur propriétaire dignité et respect.
Des stéréotypes, assurément. Mais ils dénotent deux marchés très différents et, pour qui veut choisir le bon message à leur adresser afin de les convaincre de ne pas acheter des contrefaçons, deux manières bien distinctes de voir les choses.
Acheter “futé”
En Italie, patrie d’innombrables maisons de luxe de réputation mondiale, la mode est un pilier de l’économie nationale et une habitude de vie.
“La mode est très, très importante pour les Italiens” explique la styliste milanaise Gabriella Tinelli. “ C’est dans notre sang : nous devons faire bel effet.” Même dans la plus petite ville d’Italie, la traditionnelle passeggiata, la promenade du soir sur la rue principale, a essentiellement pour but d’impressionner par le vêtement. Sauter dans un vieux survêtement pour aller conduire les enfants à l’école serait carrément impensable.
Quant à savoir combien les consommateurs sont disposés à payer pour avoir de l’allure, c’est une toute autre paire de manches, encore compliquée par l’admiration portée à qui sait se montrer furbo, autrement dit roublard. L’acheteur “futé” est immanquablement attiré par la perspective d’une bonne affaire, d’où le succès dont jouissent sur les bords de mer les vendeurs à la sauvette de contrefaçons de sacs à main et de ceintures.
Comment faire, dans ces conditions, pour décourager ces chasseurs de bonnes affaires? Selon la loi italienne, l’acheteur de contrefaçon s’expose à une amende pouvant atteindre 10 000 euros. Mais personne ne s’en inquiète vraiment. Les campagnes de sensibilisation au caractère délictuel de la contrefaçon n’ont pas beaucoup de succès. De nombreux Italiens – comme d’autres Européens – ne voient dans l’achat d’un faux qu’un acte tout aussi innocent et émoustillant qu’un petit excès de vitesse ou un léger oubli dans leur déclaration d’impôts.
“Nous stationnons nos voitures là où il y a des panneaux d’interdiction” dit de ses compatriotes Silvio Paschi, secrétaire général de l’association italienne de lutte anti-contrefaçon Indicam. Personne ne veut acheter un produit prétendument authentique et s’apercevoir ensuite que c’était un faux. En revanche, la personne qui achète sciemment une copie de produit de luxe à un prix défiant toute concurrence pourra en concevoir de la fierté. “Ils savent que la qualité est moins bonne, mais ça leur permet de prétendre. Il n’y a pas de différence particulière avec les autres régions d’Europe de l’Ouest.”
Il n’y a pas que le prix. Selon un porte-parole de Prada, certaines personnes achètent effectivement des contrefaçons pour la simple raison qu’elles n’ont pas les moyens de se payer un original, mais en Italie, cela se fait aussi par jeu. “Vous êtes sur la plage, vous vous ennuyez, et vous voyez arriver un type avec une fausse Rolex. Vous marchandez un peu, et ça devient amusant, explique-t-il. Vous rentrez chez vous en disant ‘Regardez ma nouvelle Rolex E30’. D’une certaine manière, c’est un jeu.” Il arrive même parfois que des gens bien nantis laissent traîner une contrefaçon parmi leurs originaux, pour rire.
Il n’est pas évident, face à cette insouciance, de faire comprendre aux consommateurs toute l’importance des conséquences économiques de la contrefaçon. Le Gouvernement italien a nommé à cet effet un haut-commissaire à la lutte anti-contrefaçon et renforcé sa législation en matière de protection des droits de propriété intellectuelle. Selon M. Laurent Manderieux, professeur de droit de la propriété intellectuelle à l’université Bocconi de Milan, la police, les services douaniers et les offices de propriété intellectuelle ont fait un travail “remarquable” pour combattre l’industrie du faux.
Perdre la face
Les grands noms du luxe européen sont tout aussi prisés à Hong Kong, la ville dont la consommation de Rolls-Royce et de cognac par habitant est réputée pour être la plus élevée au monde. Selon une phrase célèbre du dirigeant chinois Deng Xiaoping “il est glorieux de devenir riche”. Bien que le retour de leur territoire à la Chine ne date que de 10 ans, les habitants de Hong Kong ont parfaitement assimilé le message. L’étalage de signes extérieurs de richesse permet de gagner l’approbation de la communauté.
Police de la mode. Des agents des douanes de Hong Kong à la recherche de marques contrefaites. (Photo Département des douanes et accises de Hong Kong.)
“C’est un amalgame de conformisme et de consommation ostentatoire” déclare Gerard P. Prendergast, professeur de marketing à l’université baptiste de Hong Kong et auteur de nombreuses études sur les attitudes des consommateurs et les campagnes de lutte anticontrefaçon. “C’est le désir d’être vu avec la marque qu’il faut, et la marque qu’il faut, c’est celle qu’ont les autres.”
Les habitants de Hong Kong tirent aussi fierté de leur sens des affaires, de sorte que l’attrait du prix ne les laisse pas plus indifférents qu’un autre. Ce qui les différencie, c’est qu’ils ne veulent pas que cela se sache, non pas par crainte de la loi – puisqu’aussi bien, cette dernière ne sanctionne pas l’achat de contrefaçons par les particuliers – mais de peur de perdre la face.
“À Hong Kong, les gens montrent qu’ils ont réussi en achetant des Mercedes et des sacs Louis Vuitton… et si l’on découvre que vous avez bluffé, vous ne faites plus partie de ceux qui ont réussi” explique Doris Wong, directrice pour Hong Kong de la société d’études de marché Synovate.
Le problème ne se situe pas au niveau de la sensibilisation. Des sondages d’opinion publique effectués par le Département de la propriété intellectuelle du Gouvernement de la Région administrative spéciale de Honk Kong ont en effet montré que 95% de la population pense que la protection des droits de propriété intellectuelle est nécessaire. Pourtant, près d’une personne sur deux achète, au moins occasionnellement, des produits piratés ou contrefaits.
Il est révélateur que près des trois quarts des contrefaçons ainsi achetées soient des CD, des DVD et des logiciels – autrement dit, des choses que personne ne voit. Seulement 12% des personnes interrogées ont dit acheter des vêtements et des accessoires, et moins de 1%, une fausse montre.
Selon Ben Houston, directeur adjoint des marques au club de football britannique Manchester United, la demande de contrefaçons est moins forte dans les économies plus développées d’Asie. Sur une valeur de plus de 500 000 livres sterling (un million de dollars É.-U.), seulement 4% des contrefaçons de chandails et autres articles ManU saisies l’été dernier au cours de la tournée asiatique de l’équipe provenaient de Hong Kong.
“À Hong Kong, le fait de posséder quelque chose d’authentique, qui vient du club lui-même, confère un certain prestige, explique-t-il. Comme ils sont à des milliers de kilomètres de nous, ça permet aux supporteurs d’avoir quelque chose qui les rapproche du club qu’ils appuient, et pour eux, le club, c’est extrêmement sérieux.”
Des messages sur mesure
Les campagnes de lutte anti-contrefaçon élaborées à Hong Kong prennent en compte l’importance de la notion de prestige social. “Les achats de vêtements et d’accessoires que font les gens sont influencés par leur entourage; on peut donc avoir avantage à utiliser cela dans l’autre sens, dit Stephen Selby, directeur de la propriété intellectuelle à Hong Kong. Nous leur disons : ‘Vos vêtements parlent de vous’; s’ils ne sont pas authentiques, vous n’êtes pas une personne authentique.”
La place de la famille dans la culture chinoise est utilisée, elle aussi. “Les gens sont prêts à adopter beaucoup de choses si elles sont bonnes pour leurs enfants, explique M. Selby. Nous leur disons que Hong Kong est un lieu créatif, et que leurs enfants pourraient avoir un avenir dans une industrie de création. Nous pourrions aussi ajouter : ‘les gens qui profitent du commerce des contrefaçons pourraient utiliser cet argent pour vendre de la drogue à vos enfants’”.
En Italie, dit Silvio Paschi, les messages qui ont pour but de faire peur ou de faire honte sont sans effet. Au lieu de cela, “ils mettent l’accent sur l’éducation du public, en disant : ‘vous êtes en train de détruire l’économie de l’Italie et d’encourager la criminalité’.”
Les consommateurs ont beaucoup plus besoin de la carotte que du bâton pour changer d’avis, pense M. Paschi. “Vous pouvez leur faire écouter et répéter le slogan, mais au bout du compte, soit vous leur faites peur, soit vous les éduquez. Les gens ne savent pas vraiment comment fonctionne l’économie; il est tout à fait possible de les éduquer, mais c’est un très long exercice.”
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