Vers un âge de pierre… vert?
Le CFS est deux fois plus stable sous pression par rapport à son poids spécifique que l’acier de construction, l’aluminium ou le béton. La poutrelle et la lame flexible ci-dessus sont faites de ce granit.
Une petite firme d’ingénierie allemande nommée TechnoCarbon Technologies a mis au point un nouveau matériau composite qui pourrait, espère-t-elle, contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les industries de construction et de transformation. Les inventeurs ont bien voulu parler au Magazine de l’OMPI de la manière dont ils ont abouti à cette innovation, du rôle que joue la propriété intellectuelle dans la commercialisation des produits qui en résultent et de leurs projets de concession de licences à bas prix pour les marchés des pays en développement.
“Ça," déclare Kolja Kuse, "c’est le passé”. Il se penche par-dessus l’allée du car pour nous tendre une lourde poutrelle d’acier. “Et ça, " ajoute-t-il d’un ton triomphant en tirant d’un fourreau une barre mince et légère, "c’est l’avenir”.
Kolja Kuse, l’inventeur, et deux de ses partenaires d’affaires se rendent ce jour-là à Bali (Indonésie) pour assister à la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. Leur mission : trouver des associés pour les aider à promouvoir leur nouveau matériau de construction qui, à leur avis, peut jouer un rôle dans la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Sandwich de granit
Connu sous le nom de CarbonFibreStone (CFS), le matériau en question est un composite à haute performance formé d’une feuille de granit doublée, sur un côté où les deux, d’une mince lamelle de fibre de carbone. “ Un peu comme un sandwich pierre et fibre de carbone”, explique Kolja. Il en résulte une matière qui, en plus d’être flexible, aussi solide que l’acier de construction et aussi légère que l’aluminium, amortit les vibrations mieux que tout autre matériau résistant à la pression connu à l’heure actuelle.
L’histoire commence voici 10 ans, dans le garage de Kolja Kuse. Ce dernier, ingénieur en électricité spécialisé en production énergétique à l’université d’Aix-la-Chapelle, observe son frère, tailleur de pierre, qui coupe une dalle de granit pour en faire un plan de travail de cuisine. Cela donne à Kolja l’idée d’une table de cuisson en pierre polie, une surface de travail parfaitement uniforme sous laquelle seraient cachés des éléments à induction. Et comme il n’a rien d’un songe-creux, il décide de la fabriquer.
“Elle était très belle, se rappelle-t-il, mais quand la surface dépassait une certaine température, la pierre se dilatait toujours et finissait par se fendre avec un bruit d’explosion”. Il essaya de comprimer les bords avec des machines énormes, mais rien n’y faisait. “Les ingénieurs en mécanique et les spécialistes en matériaux me disaient que je ne pouvais pas empêcher la pierre de se dilater, que c’était impossible. Je m’étais plus ou moins résigné à abandonner.”
Percée
C’est alors qu’invervint l’un de ces heureux hasards qui souvent précèdent les percées technologiques. Dans l’avion qui le ramenait à Munich après une réunion, Kolja trouva sur un siège une brochure consacrée à la production de fibre de carbone. Il se mit à la lire et découvrit que cette matière, lorsqu’on la chauffe, se contracte dans le sens de la longueur. Intéressé, il se demanda ce qui se produirait s’il enrobait son bien-aimé granit de fibre de carbone. Il trouva donc un spécialiste de la fibre de carbone et ensemble, ils tentèrent l’expérience. À leur grande surprise, ce fut une réussite. Ils avaient beau chauffer la nouvelle table de cuisson, la pierre n’éclatait pas.
Une table de cuisson d’un seul tenant. (Photo © STONEplus Naturstein Magazin)
Comme ils devaient le découvrir plus tard, l’explication de ce phénomène relevait d’un champ complexe de la mécanique appliquée, qui dépassait largement le cadre des connaissances de Kolja Kuse. Mais son intuition ne l’avait pas trompé. Les ingénieurs de l’université de Munich, ayant soumis un ressort à lame de CFS à une batterie de tests très poussés, découvrir que ce matériau avait une résistance à l’usure exceptionnelle. Il fallut encore plusieurs années de recherches, d’essais et de mises au point pour que le nouveau composite soit prêt à être commercialisé. Il a obtenu en 2007 un certificat d’excellence de la publication spécialisée Material ConneXion.
Le CFS, issu du granit des Alpes suisses, est au cœur du ski Spada de la société Zai. Souple et possédant des propriétés d’amortissement des vibrations supérieures à celles de la fibre de carbone, il confère à ce ski une douceur et une agilité que la société Zai qualifie d’incomparables. (Photo: Zai AG)
Commercialisé par la société Spring Switzerland AG, le poêle de pierre est désormais une réalité.C’est d’ailleurs aussi le cas d’un ski primé à âme de CFS produit par le fabricant suisse Zai. Des accords de licences sont en cours de négociation avec plusieurs autres sociétés, mais ce n’est qu’un début, car les dirigeants de TechnoCarbon estiment que les applications industrielles de leur matériau sont pratiquement illimitées.
L’industrie de la fibre de carbone a été prompte à voir les avantages d’une collaboration. En raison d’un coût de production très élevé, les applications de cette matière se sont en effet limitées en grande partie, jusqu’à présent, à des secteurs spécialisés tels que la fabrication de voitures de Formule 1, de pièces d’avion ou d’équipements de sport de haut de gamme. La technologie de combinaison de la fibre de carbone et du CFS vient ouvrir, dans les secteurs de la transformation et de la construction, toute une gamme de possibilités nouvelles qui n’auraient pas été considérées, autrement, comme économiquement viables.
Kolja et son équipe pensent que le CFS va remplacer l’acier, l’aluminium et même le béton, et donc permettre de construire d’une façon plus verte et contribuer au développement durable. Le granit, font-ils remarquer, constitue 60% de la croûte terrestre. Étant donné qu’il est déjà “cuit” lorsqu’on l’extrait de la terre, aucune fonderie n’est nécessaire. Selon les premières estimations de la société TechnoCarbon, les émissions carbonées résultant de la production de CFS représentent moins de la moitié de celles que génère la fabrication d’acier, d’aluminium ou de fibre de carbone, et cela en comptant l’énergie requise pour l’extraction et le traitement de la pierre. “Il est vrai qu’en volume, sa production consommerait autant d’énergie que celle de l’aluminium, observe Kolja Kuse, mais le CFS a une résistance à la traction dix fois supérieure. Cela signifie que même avec un ratio de cinq pour un entre la pierre et la fibre de carbone pour fabriquer des cages de roulements à haute résistance, le facteur de réduction de l’énergie consommée pour la production par rapport à l’aluminium serait de l’ordre de quatre”.
La propriété intellectuelle comme fondation
“Si les droits internationaux de propriété intellectuelle n’existaient pas, nous n’aurions pas de modèle d’affaires.”
Lorsqu’on lui parle de propriété intellectuelle, Kolja Kuse s’anime. “Si les droits internationaux de propriété intellectuelle n’existaient pas, nous n’aurions pas de modèle d’affaires” déclare-t-il avec emphase. Son oncle avocat lui ayant expliqué qu’il s’agissait de la manière la plus efficace de protéger son invention sur les marchés internationaux, sa technologie et ses applications font en effet maintenant l’objet de deux demandes de brevet PCT publiées. “Il y a toutefois une chose que les avocats ne vous disent pas à l’avance, ajoute-t-il d’un ton chagrin, c’est combien va vous coûter la défense de votre brevet, une fois que vous l’aurez obtenu”. La société a également déposé les marques CFS (CarbonFibreStone) et Techno Carbon Technologies, qui seront utilisées dans le cadre d’une stratégie de marque-ingrédient “CFS inside”.
Kolja et l’équipe de 10 ersonnes qui travaille maintenant pour la société TechnoCarbon Technologies se sont donné pour but de favoriser, grâce à ces droits de propriété intellectuelle, l’utilisation industrielle de leur technologie dans les pays en développement. Ils se sont rapprochés de Granidus, une petite ONG berlinoise dirigée par Matthias Bieniek, pour explorer les possibilités de transfert technologique. La société a l’intention de consacrer jusqu’à 80 % des profits assurés par ses accords de licence au financement du transfert de la technologie CFS aux pays en développement. “Nous voudrions aussi pouvoir signer éventuellement des licences croisées avec des entreprises de technologie des pays en développement, nous explique Matthias. L’idéal serait de les encourager à mettre au point leurs propres applications du CFS, en fonction de leurs besoins locaux, et de les aider ensuite à les breveter.”
Dans le car qui se dirige vers Bali, Peter Kriebel, le plus récent membre de l’équipe, vient nous rejoindre. Inspiré par le potentiel du CFS, il vient de quitter une lucrative carrière dans le domaine bancaire, en Suisse, pour devenir directeur du développement de la société TechnoCarbon. “Je n’ai pas eu besoin de réfléchir! dit-il. Ce projet est aussi bon pour le cœur que pour la tête.”
Par Elizabeth March, La Rédaction, Magazine de l'OMPI, Division des communications et de la sensibilisation du public.
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