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Brevets et manigances : De la bataille juridique au succès populaire

Février 2008

Longtemps considérée comme un sujet ésotérique et terne, la propriété intellectuelle est de plus en plus en faveur comme thème de roman policier, de drame théâtral et de grand débat d’historiens. Les lecteurs se souviendront peut-être du roman Errors and Omissions, de Paul Goldstein, qui fut un succès de librairie en 2006 et dans lequel un avocat spécialisé dans le droit d’auteur chargé de vérifier les droits d’une franchise cinématographique sur un film d’espionnage se retrouve au centre d’une intrigue internationale. L’histoire était inspirée d’une affaire à laquelle Paul Goldstein avait lui-même été mêlé lorsqu’il avait aidé les studios MGM et United Artists à défendre leurs droits sur la série des films de James Bond. Deux nouvelles œuvres inspirées par des batailles de brevets ont attiré, ces temps derniers, l’attention des médias.

Drame à la TV

La première de la pièce d’Aaron Sorkin, The Farnsworth Invention, s’est jouée sur Broadway, en décembre, à guichets fermés. Menée tambour battant, elle relate la course à l’invention de la télévision qui a opposé Philo T. Farnsworth, jeune prodige fils de fermier, au magnat des médias David Sarnoff.

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“ Vous, vous trouvez une génératrice. Cliff et moi, nous allons construire un laboratoire.” Jimmi Simpson, dans le rôle du prodige Philo Farnsworth, seul contre le géant. (Photo © Joan Marcus, 2007)

Né en 1906, Farnsworth a conçu l’idée de ce qui deviendrait plus tard la télévision alors qu’il n’était encore qu’un écolier. Des dessins tracés au tableau de sa classe de chimie seront même utilisés en preuve dans une procédure de collision de brevets. Il déposa, en 1927, un brevet pour le “dissecteur d’image”, le premier système de télévision entièrement électronique. Il en fit la démonstration à la presse en 1928, transmettant, histoire de rassurer ses bailleurs de fonds, une représentation du symbole du dollar. La première image humaine fut transmise un an plus tard. Des brevets furent délivrés à Farnsworth en 1930 pour ses diffusions d’images animées.

Comme le font souvent les inventeurs, Farnsworth s’est fondé sur des découvertes technologiques faites précédemment par d’autres. Mais il fut le premier à mettre au point une télévision électrique sans aucune pièce mobile, car il avait compris très tôt que la diffusion d’une image de qualité satisfaisante nécessitait une vitesse qu’il était impossible d’obtenir par des moyens mécaniques.

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“ Si nous lui faisons une offre, cela voudra dire qu’il est l’inventeur de la télévision.” Hank Azaria, dans le rôle du magnat David Sarnoff. (Photo © Joan Marcus, 2007)

Sarnoff, alors responsable de la radiodiffusion à la Radio Corporation of America (RCA), dont il devait devenir le président en 1930, avait deviné le potentiel énorme de la télévision. Il décida, en 1928, de financer l’ingénieur Vladimir Zworykin afin qu’il mette au point une télévision électrique. Zworykin estima qu’environ 100 000 dollars É.-U. et deux mois de recherches lui suffiraient pour mener ce projet à bien. Il lui fallut en réalité huit ans de travail, une visite au laboratoire de Farnsworth – au cours de laquelle ce dernier lui donna la solution des problèmes techniques qui l’arrêtaient – et quelque 50 millions de dollars.

En 1931, Farnsworth refusa une offre de 100 000 dollars de Sarnoff pour le rachat de son brevet. Ce fut le début d’une longue bataille juridique contre RCA, dont Farnsworth sortit ruiné et incapable de commercialiser son brevet. Il finit par gagner une bataille en 1939, quand RCA se vit ordonner de lui payer 1 million de dollars É.-U. de redevances. Mais c’est en définitive Sarnoff qui gagna la guerre lorsque le système de Zworykin devint la norme acceptée pour la télévision.

La pièce de théâtre est imprécise sur certains faits historiques – l’antériorité des droits de brevet de Farnsworth a par exemple été reconnue par les tribunaux, contrairement à ce qu’elle prétend. Mais comme le dit le critique Vindu Goel (The Mercury News), “On passe une excellente soirée… et on apprend, sur les affaires et la technologie, quelques leçons que l’on n’oubliera pas de sitôt.”

L’inventeur du téléphone sur la sellette

Venant attiser encore une polémique qui couve maintenant depuis bien plus d’un siècle, le journaliste Seth Shulman a récemment publié, sous le titre The Telephone Gambit, un ouvrage dans lequel il affirme avoir découvert, en examinant les archives d’Alexander Graham Bell, la preuve que ce dernier a volé le brevet du téléphone à Elisha Gray, un autre inventeur. La controverse autour de la paternité de l’invention du téléphone est née en 1876, lorsque Bell a déposé son brevet.

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Alexander Graham Bell a-t-il volé le brevet du téléphone? Pour le savoir, Seth Shulman a fouillé les carnets de notes de l’inventeur. (Publié par WW Norton. 2008).

La course à l’invention du téléphone s’était intensifiée au milieu du XIXe siècle. De nombreux inventeurs avaient déposé des brevets pour des dispositifs qui, finalement, ne fonctionnaient pas. Au cours des 18 premières années de son existence, la Bell Telephone Company eut gain de cause dans plus de 600 procès contre des inventeurs ou de simples bricoleurs qui prétendaient tous avoir un droit d’antériorité sur l’invention de Bell. La plupart des appareils qu’ils présentaient pouvaient certes transmettre des sons – un déclic, un bourdonnement, un bip – mais aucun ne pouvait transmettre la parole de manière intelligible. Deux d’entre eux étaient toutefois plus sérieux : Elisha Gray et Antonio Meucci.

Meucci avait déposé en 1871 un caveat (un avis d’intention de déposer un brevet interdisant pour une période d’un an la reconnaissance de droits à toute autre personne pour la même invention) pour une invention qu’il nomma le “teletrofono”. Il le renouvela en 1872 et en 1873, mais omit de le faire à partir de 1874, ce qui laissa à Alexander Graham Bell le champ libre pour déposer son propre brevet en 1876. Meucci engagea alors immédiatement une action.

Les premiers temps, il sembla que Meucci était en voie de gagner son procès : le ministère public avait demandé l’annulation pour fraude et déclaration mensongère du brevet délivré à Bell, et par surcroît, le secrétaire d’État avait fait une déclaration selon laquelle “la preuve existante suffi[sai]t pour reconnaître à Meucci la priorité de l’invention du téléphone”. Le juge William J. Wallace devait pourtant rendre, en 1886, une décision favorable à Bell, dans laquelle il observait que le téléphone de Meucci était mécanique, et non électrique. Les audiences furent ensuite renvoyées d’année en année jusqu’au décès de Meucci, en 1896, qui marqua l’abandon de l’affaire.

La lutte fut cependant reprise par d’autres, et en 2002, plus de 100 ans plus tard, la Chambre des représentants des États-Unis d’Amérique statua, dans sa résolution 269, que “la vie et les réalisations d’Antonio Meucci doivent être reconnues, et son travail dans l’invention du téléphone doit être salué.” Une phrase qui a pu satisfaire certains, mais que d’autres dénoncent haut et fort. Les arguments des deux camps circulent sur l’Internet.

Bell et Elisha Gray ont tous deux déposé leur demande de brevet le 14 février 1876. Gray, qui avait tout d’abord félicité Bell pour son invention, lui intenta ensuite un procès pour avoir volé son idée. Dans The Telephone Gambit, Seth Shulman estime qu’Elisha Gray était dans son bon droit.

Il explique en effet qu’outre les notes de laboratoire de Bell, qui condamnent ce dernier, un examinateur de brevet a reconnu, dans une confession signée, avoir montré à Bell le dépôt de Gray, le 26 février. Les documents en question expliquent en détail une constatation de Gray selon laquelle un fil immergé dans l’eau transmet plus facilement le son. Or, Shulman explique dans son livre que la découverte des propriétés de conduction du son du fil immergé fait soudainement son apparition dans les notes de de Bell le 8 mars, soit juste à temps pour la démonstration de l’invention de Bell le 10 mars et la fameuse phrase “M. Watson, venez ici! Je veux vous voir.”

Il semble aussi que la demande de brevet de Gray ait été déposée avant celle de Bell, le 14 février, mais que Gardiner Hubbard, un éminent avocat en brevets qui se trouvait aussi être le beau-père de Bell et son partenaire d’affaires, ait fait jouer ses relations à l’Office des brevets pour que le dépôt de Bell soit traité, et donc approuvé, avant celui de Gray. Un excellent livre, donc, qui appelle quelques corrections historiques.

Comme on peut le constater, on ne s’ennuie pas dans le monde des brevets! Et qui sait, peut-être le prochain succès du livre ou du théâtre se trouve-t-il lui aussi quelque part, dans des archives poussiéreuses?

 

Par Sylvie Castonguay, La rédaction, Magazine de l OMPI, Division des communications et de la sensibilisation du public.

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