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Le marché international de la décoration d’intérieur séduit par les créateurs africains

Août 2008

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Le style africain a le vent dans les voiles, notamment dans le domaine de la décoration d’intérieur, où l’offre parvient à peine à répondre à la demande. Il ne s’agit pas ici des masques et des statues que l’on peut acheter sur les trottoirs des grandes villes du monde, mais d’objets de haut de gamme, superbement façonnés dans des matières naturelles par des créateurs africains. Un grand nombre de ces derniers se sont fait une réputation pour la qualité et l’originalité de leur travail et s’affirment désormais sur le marché international. Le Magazine de l’OMPI a pris contact avec plusieurs d’entre eux – participants au projet Design (voir encadré) – pour parler de leur art et des questions de propriété intellectuelle qui s’y rattachent.

Chaque pays africain se distingue par des formes d’artisanat et des styles traditionnels hérités des générations passées et complètement différents de tout ce qui peut se trouver ailleurs. Les créateurs que nous avons rencontrés étaient fiers du rôle inspirateur de leurs racines tribales – tout autant que de la touche de modernité qu’ils ont su insuffler à la tradition. La plupart d’entre eux utilisent des produits trouvés localement (bois, coton, laine, argile, herbe, colorants, cuir, pierre, etc.) et des techniques traditionnelles pour créer des objets de décoration appréciés dans le monde entier.

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Préserver la culture

Sara Abera, à la tête de Muya Ethiopia PLC (muya signifie “créatif” en amharique), a préservé un art autochtone de tissage à la main, qui était menacé de disparaître, en l’utilisant pour créer des tentures et des tissus exclusifs ainsi que du linge de maison, des tapis, des jetés et d’autres articles de décoration d’intérieur. Elle a ainsi aidé les artisans locaux à améliorer leur technique et même offert une formation à des femmes en prison. Ses créations ont connu un succès immédiat dans des expositions, à Montréal et à Toronto ainsi qu’au Cap (Afrique du Sud). “Des clients du monde entier ont commencé à nous contacter”, dit‑elle en souriant.

Son inspiration : “Mon environnement, les tissus colorés, les bijoux, le bois sculpté que l’on trouve dans nos maisons. Je m’inspire de plus de 80 tribus présentes en Éthiopie, d’objets artisanaux méconnus : tout cela est nouveau pour le reste du monde”. Son travail : “Mes créations découlent du riche héritage culturel et des traditions d’Éthiopie, qui remontent à des siècles et couvrent tous les domaines de l’artisanat (tissage à la main, poterie, joaillerie, vannerie, etc.). Ce contexte est utile pour développer des produits; il permet un processus de transition entre les créations exotiques et contemporaines”.

Et si son travail est copié? “Le moins qu’on puisse dire, ce qu’il y a de quoi se décourager! On met du temps et des efforts à créer quelque chose d’unique, tandis que ceux qui copient ne font aucun effort!” Aimerait‑elle que ses droits de propriété intellectuelle soient protégés? “Oui, beaucoup! J’ai enregistré un très petit nombre de mes dessins et modèles localement, mais je n’ai rien fait contre les imitateurs, parce que nous n’avons pas les moyens et que personne ne pense que justice sera faite – autrement dit, nous doutons des résultats.”

Recréer la nature

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Ronel Jordaan Textiles produit des coussins, des tentures, des jetés et des tapis absolument incomparables : ils sont en pure laine mérinos cardée, teinte et feutrée à la main, provenant de la région du Cap‑Oriental en Afrique du Sud, d’où est originaire la fondatrice et force créative de l’entreprise, Ronel Jordaan. “Il suffit de regarder mes oreillers en forme de roche pour connaître la source de mon inspiration : la nature. Mon travail est unique parce que j’utilise un moyen d’expression inhabituel et que mes créations ont l’air très réelles”, explique Ronel.

A‑t‑il été difficile d’entrer sur le marché international de la décoration d’intérieur? “Design Africa nous a proposé une formation pour commercialiser nos produits au Canada et dans d’autres pays. Ils ont organisé des rencontres avec des grossistes, et nous avons pu exposer nos créations à Montréal et Toronto. Ça nous a été d’une grande utilité pour accéder au marché international”.

A‑t‑elle des problèmes de contrefaçon? “J’ai vu des copies de mon travail, mais je n’ai rien fait. Le taux de change de la monnaie sud‑africaine ne nous favorise pas; d’autres dessinateurs savent que nous sommes impuissants, alors ils copient. Ma survie n’est pas menacée, parce que je suis une personne créative et que je créerai toujours de nouveaux dessins, mais nous perdons des ventes. Il est certain qu’une protection – dessins et modèles ou autre – serait utile aux dessinateurs et créateurs africains, mais nous n’en avons pas besoin pour être compétitifs sur le marché international.”

On dit souvent des créations de Ronel qu’elles sont à la fois raffinées et impressionnantes. Elle a d’ailleurs été nommée Designer de textile d’ameublement de l’année 2006 par le magazine Elle. Elle considère cependant que sa plus grande réalisation est d’avoir permis aux femmes qu’elle forme au feutrage de réaliser leurs propres créations.

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Combattre la pauvreté

La Coopérative Djiguiyaso au Mali a été fondée en 2004 par des femmes d’affaires bénévoles qui avaient une grande expérience en crochet, broderie et couture, dans le but d’aider les femmes d’une communauté pauvre de Bamako. Elle forme en moyenne 20 jeunes femmes par an aux techniques manuelles, afin de faciliter leur accès au marché du travail. Le résultat? Une gamme d’accessoires pour la maison et de vêtements de haute qualité, faits entièrement de coton récolté localement. Les créations fabriquées par la coopérative sont dessinées par Aïssatta Namoko.

“Je suis souvent inspirée par des choses que je vois dans des magazines. J’utilise mon imagination pour les adapter aux textiles maliens, et j’insiste sur l’importance de la qualité et des finitions auprès des femmes de la communauté, raconte Aïssatta. Les séminaires de commercialisation de Design Africa m’ont aidée à adapter mes créations au marché international, et nous avons participé à un certain nombre de foires internationales, la dernière en date en Allemagne”.

“Je n’ai jamais vu de copies de ce que nous faisons. Chacune de nos œuvres est unique, et le travail à la main est très complexe. Si on nous copiait, les femmes de communauté et moi perdrions notre gagne‑pain. Si des concurrents qui ne partagent pas mon inspiration et ma créativité copiaient simplement mes oeuvres, ce serait pour nous une passe infernale.”

“J’ai pensé à déposer mes dessins et modèles auprès de l’OAPI, mais cela coûte cher. Tout ce que je peux espérer, c’est que les responsables de l’OAPI défendront adéquatement nos créations, même si elles ne sont pas enregistrées.”

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Raconter l’histoire

Tekura Enterprises Ltd. s’est déjà fait un nom aux États‑Unis d’Amérique, en Allemagne, en Italie et au Royaume‑Uni pour son interprétation élégante et contemporaine des objets traditionnels africains. Les clients reconnaissent immédiatement les créations de Tekura ainsi que les finitions particulières qui caractérisent cette société. Le directeur et créateur Kweku Forson explique : “L’artisanat traditionnel offre de nombreuses sources d’inspiration pour la création d’objets contemporains et fonctionnels en accord avec les goûts actuels. Chaque pièce d’artisanat a une histoire. L’expérience nous a appris qu’en la redessinant, nous la rendions encore plus unique.”

Les possibilités sont infinies. “Les dessinateurs et créateurs africains peuvent étendre l’éventail des objets créés et assurer un flux régulier de nouvelles créations. Cela enrichira le marché mondial et créera également davantage de perspectives pour plus d’artisans. Il est temps qu’un plus grand nombre de créateurs professionnels africains fassent leur entrée sur le marché. De plus, les avantages sont inestimables, car une grande partie des économies africaines prospèrent grâce à l’artisanat transmis par les générations précédentes. Les créateurs peuvent grandement influencer l’économie locale avec des formes, des couleurs et des dessins fondés sur l’artisanat local.”

Et la contrefaçon? “Il serait difficile de se mettre à chercher les imitateurs, et cela prendrait du temps. Et puis personne n’a envie de se lancer dans des procédures de justice. Nous préférons commercialiser nos créations le plus largement possible, pour en vendre autant que nous pouvons. Nos produits sont uniques, et c’est ce qui nous tient lieu de marque. Ce serait bien de les déposer en tant que dessins ou modèles, mais comment fait‑on cela sans se disperser?”

“Je ne sais pas comment les dessinateurs et les créateurs étrangers se protègent contre les imitateurs ni comment ils sont rémunérés pour leurs efforts, mais le même mécanisme devrait fonctionner pour leurs collègues africains, pour qu’ils soient compétitifs. Autrement, ils ne seront pas suffisamment motivés pour travailler en partenariat avec d’autres joueurs de ce secteur.”

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L’art qui vient de l'arbre

L’artiste, sculpteur et créateur autodidacte sénégalais Babacar Mbodj Niang a fondé Nulangee Design en 2002. Ses techniques inhabituelles (corne sculptée, fer tressé, bois cousu et cuir moulé) produisent des merveilles sculpturales, à la fois originales et élégantes. Son inspiration : “L’art me vient de l’arbre. Étant donné qu’il n’y a pas de logique dans ma création et que je n’ai pas de formation artistique formelle, c’est la pièce de bois qui commande mon travail. Depuis le pollen juqu’aux racines, l’arbre contribue à la création”.

Nulangee Design offre aux jeunes une formation artistique et pratique dans des domaines comme la cordonnerie, la menuiserie, la sculpture sur corne et la métallerie.  Les étudiants apprennent à utiliser les matériaux qu’ils trouvent dans leur environnement naturel. “La valeur des créations africaines réside dans les matériaux que nous utilisons. ‘En Afrique, rien ne se perd, tout se transforme’. Nous recyclons tout pour faire nos créations. À partir de déchets, nous faisons de l’art”, explique Babacar.

“Nos créations sont extrêmement culturelles, ce qui rend leur production en masse difficile pour les imitateurs.  Je n’ai jamais vu de copies des créations de Nulangee Design, mais j’ai remarqué leur influence sur les œuvres de nombreux autres créateurs. Quand mon propre travail est copié, c’est tellement mal fait et d’une tellement mauvaise qualité que ça m’inspire du dégoût... et de la colère. Quelque chose doit être fait contre la contrefaçon pour que la créativité puisse survivre. Il n’y a absolument rien de positif dans la contrefaçon; elle tue la créativité”.

“D’une manière générale, je fais confiance à la protection du droit d’auteur. J’ai enregistré des œuvres auprès de l’OAPI, mais seulement pour le Sénégal. Si j’avais les moyens, je le ferais systématiquement. Je suis convaincu que c’est nécessaire”.

Un succès appuyé par une initiative de développement

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Le programme Design Africa est une initiative lancée en 2006 par le Bureau de promotion du commerce du Canada (TFO Canada) dans le but de favoriser l’accès au marché international des entreprises de décoration d’intérieur africaines. Il organise à cet effet des séminaires, des séances de formation et des ateliers de conseil aux créateurs en matière de tendances internationales, qui aident des PME de ce secteur à renforcer leurs capacités et à établir des liens avec des acheteurs internationaux.

L’événement déterminant, qui a permis à de nombreux dessinateurs africains de se faire connaître sur le marché international, est le Salon International du Design d’Intérieur de Montréal (SIDIM). Les créations, également présentées à Toronto, ont connu un franc succès auprès des décorateurs d’intérieur, ces derniers ayant été immédiatement séduits par la vision inusitée qu’elles traduisent, ainsi que leur esthétique saisissante.

Design Africa avait notamment préparé le SIDIM par les activités suivantes :

  • missions de sélection des exposants dans les pays participants, avec ateliers et rencontres individuelles sur l’exportation vers le Canada et stratégies connexes de commercialisation et de produit à près de 100 entreprises;
  • information et soutien aux participants pour la préparation du salon (choix des produits, établissement des prix, choix du matériel commercial);
  • aide au rapprochement, identification et invitation aux manifestations commerciales des principaux acheteurs canadiens et suivi ultérieur.

Le programme compte actuellement 19 PME de cinq pays, soit l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, le Ghana, le Mali et le Sénégal. Les critères de sélection sont les suivants : produit ayant un dessin distinctif et pertinent d’inspiration africaine, de haute qualité, fabriqué à la main avec des matières locales (si possible organiques), ayant un fort potentiel de valorisation de marque du fait de sa qualité et de son positionnement social (l’histoire sous‑jacente du produit) et justifiant un prix élevé.

La marque Design Africa constitue pour les créateurs un exemple à suivre pour la commercialisation de leurs produits sur le marché international.

 

Par Sylvie Castonguay, La Rédaction, Magazine de l'OMPI, Division des communications et de la sensibilisation du public

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