Courrier des lecteurs
Le P2P au Mexique
Suite à votre article Lutte contre le piratage P2P – À la recherche d’un équilibre entre droit d’auteur et vie privée (Magazine de l’OMPI n° 2/2008), je voulais vous parler de l’expérience du Mexique dans ce domaine. Plusieurs entreprises du secteur de la musique ont eu recours au procédé juridique décrit dans l’article, c’est‑à‑dire qu’ils ont poursuivi les fournisseurs d’accès Internet au pénal afin d’obtenir des informations sur les usagers. Il faut préciser qu’il n’existe au Mexique aucune réglementation sur la protection des renseignements personnels, de sorte que les usagers sont désavantagés face à ces pratiques discutables, lorsqu’elles visent à protéger des droits de propriété intellectuelle.
Cela dit, les avocats de ces entreprises se sont heurtés à trois problèmes importants lorsqu’ils ont voulu engager des actions civiles contre les usagers dénoncés par les fournisseurs d’accès. Le premier de ces problèmes est posé par le fait qu’il est pratiquement impossible de prouver que la personne qui a signé le contrat d’accès à Internet est aussi celle qui a utilisé cet accès pour porter atteinte au droit d’auteur, dans la mesure où l’auteur de l’acte en question peut souvent être un familier, une personne à charge ou un employé, sans qu’il y ait responsabilité objective de la part du titulaire de l’abonnement Internet. Le deuxième problème est de prouver que la personne a distribué les fichiers ou a bénéficié de leur transfert, et le troisième est l’absence notable de compétence en matière de procédure civile dont il a été fait preuve dans ces actions et qui s’est manifestée notamment par des délais non observés et l’oubli de faire valoir des droits fondamentaux.
Sergio A. Bravo Valle, Directeur national adjoint du contentieux, Alvarez Puga and Associates, S.C., Mexico.
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Photo: WIPO/Maasai Culture Heritage Foundation
Une politique de propriété intellectuelle pour le Kerala (Inde) : créer des droits sur les savoirs traditionnels
Les lecteurs de votre article Numériser la culture traditionnelle (Magazine de l’OMPI n° 3/2008) pourront être intéressés de savoir que l’État du Kerala a adopté en 2008 une politique en matière de droits de propriété intellectuelle par laquelle il propose d’interdire par une loi l’appropriation abusive des savoirs traditionnels et des savoirs liés à la biodiversité. Le gouvernement exprime par cette politique son souci de protéger l’importante richesse que représentent ses traditions, et notamment les pratiques issues des savoirs traditionnels, la médecine tribale, les pratiques ayurvédiques et la biodiversité, qui assurent l’existence d’un grand nombre de praticiens de ces savoirs qui, en l’absence de protection juridique, risquent de devenir la propriété d’entreprises privées.
La codification des savoirs traditionnels dans des bibliothèques numériques ne les protège pas entièrement contre l’appropriation illicite. C’est pourquoi ce document propose de créer des droits sur les savoirs traditionnels et de sensibiliser leurs éventuels titulaires à leur existence. Il propose que les savoirs traditionnels relèvent tous des “savoirs communs”, et non du “domaine public”. Cette politique préconise la création de droits de propriété sur les savoirs traditionnels qui seront détenus par tous leurs titulaires en vertu d’une “licence commune”, c’est‑à‑dire que ces derniers pourront autoriser les tiers à utiliser les savoirs en leur possession à des fins non commerciales. Elle précise en outre que tout perfectionnement de ces savoirs réalisé dans le cadre de cette obligation devra être reversé dans le domaine des “savoirs communs”, des “savoirs traditionnels communs”, pourrait‑on dire, de sorte qu’il ne pourrait faire l’objet d’aucun dépôt de brevet.
Le terme “licence commune” utilisé ici est fondé sur le concept de licence “Creative Commons” des défenseurs de la norme ouverte, mais la portée des deux diffère sensiblement. Des dispositions particulières seront élaborées en ce qui concerne cette “Licence de mise à disposition des savoirs traditionnels communs”, afin d’assurer la reproduction et la codification gratuite et non commerciale des savoirs traditionnels. Il s’agit d’une sorte de “licence implicite” qui s’impose immédiatement à l’utilisateur de savoirs traditionnels, dès l’instant où il décide de les utiliser à une fin quelconque.
Les gardiens/dépositaires des savoirs traditionnels (communauté tribale, famille, etc.) seront reconnus comme titulaires des droits, mais seront tenus de soumettre dans tous les cas les savoirs dont ils sont les détenteurs à une obligation d’utilisation non commerciale. Les savoirs seront donc révélés à des fins de documentation et de recherche visant leur développement. Ces titulaires de droits pourront toutefois concéder des licences commerciales sur les savoirs traditionnels en leur possession, à des conditions négociées et conformément aux dispositions de la “licence commune”.
S’agissant de savoirs traditionnels qui constituent le moyen de subsistance de nombreux praticiens à travers tout le Kerala, l’État sera réputé avoir des droits sur ces savoirs traditionnels. Bien que l’État soit propriétaire de ces savoirs traditionnels, tous les praticiens effectifs de ces savoirs se verront concéder par celui‑ci une licence autonome leur conférant le droit de les utiliser à des fins commerciales. Il ne leur sera toutefois pas permis de concéder à leur tour ce droit d’exploitation à quiconque en sous‑licence, le transfert des licences étant la prérogative exclusive de l’État.
Une administration chargée d’enregistrer les titulaires de droits et de recommander des poursuites en justice contre les auteurs d’atteintes aux droits et à la “licence commune” sera établie sous le nom de Kerala Traditional Knowledge Authority (KTKA).
Bien que cette politique prévoie le retour dans le domaine des “savoirs communs” de tout perfectionnement apporté à un savoir traditionnel, les inventions particulièrement novatrices telles que la mise au point d’une nouvelle molécule pharmaceutique ou le procédé correspondant, qui nécessitent la mise en œuvre de moyens considérables, ne feront pas obligatoirement partie des “savoirs communs”, même si elles tirent leur origine de savoirs traditionnels.
R. S. Praveen Raj, Chercheur – Gestion de la propriété intellectuelle et transfert de technologie, National Institute for Interdisciplinary Science & Technology (NIIST), Inde
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Droits de propriété intellectuelle et programmes des facultés de droit
C’est avec intérêt que j’ai lu votre revue de l’ouvrage Teaching of Intellectual Property – Principles and Methods (Magazine de l’OMPI n° 2/2008). La propriété intellectuelle constitue un sujet aussi vaste que complexe. Elle concerne simultanément et obligatoirement la protection de l’ordre social et économique, au niveau national et international, en tant que droit de l’homme nécessaire au développement durable. Dans un pays en développement comme le Brésil, cette imbrication systématique est d’autant plus importante.
L’État à la responsabilité d’harmoniser – chose difficile mais nécessaire – deux fonctions de la propriété intellectuelle, à savoir la défense de la propriété privée (contractuelle), c’est‑à‑dire de la recherche du profit et du développement économique, et celle des intérêts de la société, qui concernent l’accès au savoir, à l’éducation, à la culture, à la santé et à la dignité de la vie. Étant donné qu’il en résulte pour lui une charge financière, il est nécessaire que l’État agisse de concert avec les initiatives du secteur privé pour s’acquitter de ses obligations constitutionnelles.
Dans ces conditions, il est nécessaire que les écoles de droit fassent leur part en reconnaissant la propriété intellectuelle comme un sujet important en lui‑même et forment les futurs juristes à l’ensemble des champs très divers de la propriété intellectuelle. Certains établissements du Brésil ont déjà pris les devants. Mais il faut aller plus loin. La propriété intellectuelle doit devenir une matière obligatoire pour tous les étudiants des cycles supérieurs. Ainsi, tout le monde serait gagnant : les entreprises, la société, l’État et la communauté juridique.
Rendre obligatoire l’enseignement de la propriété intellectuelle permettrait également de corriger certains problèmes, par exemple le fait que cette matière est le plus souvent abordée, à l’heure actuelle, sous l’angle du droit commercial, en laissant de côté l’aspect humain et holistique, ou alors sous l’angle du droit constitutionnel, en laissant de côté l’aspect économique et holistique. Dans les deux cas, l’indispensable assise internationale est négligée, alors que c’est d’elle que dépend le minimum d’harmonie nécessaire pour que toutes les personnes intéressées à développer, échanger et consommer les résultats de la production intellectuelle puissent travailler par‑delà les frontières nationales.
C’est là un projet qui nécessite de l’audace de la part de dirigeants et coordinateurs de facultés de droit disposés à viser plus loin que la préparation classique des licenciés et à adopter une attitude plus dynamique en ce qui concerne le système économique et social national, afin de favoriser le développement durable.
Maristela Basso, professeur à l’université de São Paulo, et Patrícia Luciane de Carvalho, professeur à l’université de Curitiba (Brésil).
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