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Johnson & Johnson c. Croix Rouge américaine

Septembre 2008

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La croix rouge sur fond blanc est l’emblème de protection originel, déclaré comme tel dans la Convention de Genève de 1864. Pendant la guerre d’Orient (1876‑1878), qui opposait les Russes et les Turcs, l’empire ottoman adopta un croissant rouge, ses dirigeants estimant que la croix ne constituait pas un symbole approprié pour les soldats musulmans. (Photo : Fédération internationale des Sociétés de la Croix‑Rouge et du Croissant‑ Rouge)

Les sociétés de la Croix‑Rouge utilisent comme emblème, en hommage à Henri Dunant et aux autres fondateurs de l’organisation à Genève, une inversion des couleurs du drapeau national suisse. Aide médicale neutre aux combattants sur les champs de bataille, visites aux prisonniers de guerre et aux habitants des camps, distribution de colis et de lettres aux prisonniers, échanges de prisonniers et missions spéciales d’aide sanitaire et alimentaire ou autre secours d’urgence aux combattants des deux camps et aux populations civiles des zones de guerre : les images d’humanité et d’abnégation évoquées par ce signe ne manquent pas.

Il peut pourtant servir aussi à gagner de l’argent, par exemple dans le cas de la société Johnson & Johnson (J&J). C’est ce qui a conduit cette entreprise à assigner la Croix‑Rouge américaine devant les tribunaux, en août 2007, pour atteinte à ses droits de marque. Mais comment les deux parties ont‑elles pu utiliser le même emblème sans conflit apparent, de la fin du XIXe siècle jusqu’en 2007?

L’emblème a été officiellement adopté en Suisse en 1864. Son utilisation par J&J a débuté en 1887. La Croix‑Rouge américaine a été fondée en 1881, et le Congrès des États‑Unis d’Amérique lui a accordé en 1900 une charte interdisant toute utilisation de son emblème par des tiers. Étant donné que la société J&J l’exploitait alors depuis déjà 13 ans, elle fut autorisée à le conserver. Elle prétend aussi qu’en 1895, Clara Barton, fondatrice de la Croix‑Rouge américaine, avait accepté de lui en donner l’exclusivité pour ses produits (elle a invoqué à cet égard la notion de “promissory estoppel”, c’est‑à‑dire de force obligatoire de la promesse donnée).

Le fait nouveau pour J&J, dans cette situation, est que la Croix‑Rouge a fini par utiliser le signe sur des produits qu’elle vendait aux consommateurs et qu’en 2004, elle a autorisé d’autres sociétés à l’utiliser sous licence sur des produits tels que désinfectants pour les mains et trousses d’urgence et de premiers secours, qui étaient en concurrence directe avec ceux de J&J. La société demandait donc que soient ordonnés l’interdiction à la Croix‑Rouge d’exploiter ou de concéder l’emblème en licence pour des trousses de premiers soins, du matériel de protection ou tout autre produit connexe, la destruction de tous les exemplaires de ces produits encore en circulation, le versement de dommages punitifs et le paiement des frais de justice de J&J.

Le juge fédéral de première instance J. Rakoff rejeta l’argument de “promissory estoppel” en novembre 2007, au motif que la Croix‑Rouge n’avait jamais promis de s’abstenir d’utiliser l’emblème pour des produits de premiers secours, de santé, de protection ou d’urgence. Restait la prétention de J&J selon laquelle la Croix‑Rouge avait contrevenu aux lois fédérales en concédant l’emblème en licence à d’autres sociétés, que le juge Rakoff rejeta également en mai 2008. Il semble que les décisions de ce dernier aient été grandement influencées par le fait que la Croix‑Rouge reste une organisation caritative et non lucrative : il a observé que la charte du Congrès prévoyait, et cela en bonne logique, l’exploitation de l’emblème à des fins commerciales utiles à la mission caritative de la Croix‑Rouge et qu’en dernière analyse, c’est à ses activités non lucratives que cette dernière consacrait les fonds recueillis grâce aux licences concédées. Il a aussi fait remarquer qu’il y avait une certaine ironie dans le fait que la société J&J avait elle‑même conclu un tel accord de licence avec la Croix‑Rouge!

Le juge Rakoff n’a pas manqué d’ironiser aussi lorsqu’il a rejeté l’argument utilisé par la Croix‑Rouge, dans sa demande reconventionnelle, selon lequel la société J&J s’était rendue coupable d’utilisation abusive de l’emblème et de contrefaçon de marque. Si l’on admettait qu’elle devait se limiter, comme le faisait valoir la Croix‑Rouge, à vendre des trousses contenant exactement les mêmes articles qu’au début des années 1900, a souligné le magistrat, “la société Johnson & Johnson se retrouverait dans l’obligation absurde de proposer jusqu’à la fin des temps des trousses garnies de fil de catgut et d’emplâtres.”

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Le logo à la croix rouge sur quelques‑uns des premiers produits de la société Johnson & Johnson. (Photo: Johnson & Johnson)

Le temps a finalement joué lui aussi contre Johnson & Johnson. Comme l’a précisé le juge Rakoff dans sa décision de mai 2008, étant donné que la Croix‑Rouge américaine “utilise le nom et l’emblème depuis plus de 100 ans et s’est vu accorder le droit exclusif de le faire par le Congrès, Johnson & Johnson ne peut pas faire valoir sérieusement que les mots “croix rouge” et l’emblème de la croix rouge servent exclusivement à désigner les produits Johnson & Johnson.”

J&J prétendait aussi que la Croix‑Rouge s’était immiscée délibérément dans ses relations avec deux entreprises et que quatre autres sociétés s’étaient rendues coupables de rupture de contrat en commercialisant des articles revêtus de l’emblème. Ses chances d’avoir gain de cause s’étant toutefois nettement amenuisées entre‑temps, la société conclut, en juin 2008, avec la Croix‑Rouge une transaction mettant définitivement fin à la procédure, en vertu de laquelle les parties sont toutes deux autorisées à continuer d’utiliser l’emblème.

Il est possible que le souci de préserver sa réputation ait contribué à décider Johnson & Johnson à transiger. Valait‑il la peine de vouloir faire triompher le profit sur l’humanitaire? Car c’est bien ainsi qu’une partie des médias et du public a perçu l’affaire. Tandis que le PDG de J&J déclarait que la poursuite avait été engagée à contrecœur, mais parce qu’il fallait bien protéger les marques de sa société, la Croix‑Rouge a affirmé au cours de la procédure que les profits issus de la vente de produits revêtus de son emblème étaient utilisés aux fins de financement de son action humanitaire. Aux yeux du public, l’image de la puissante entreprise rivalise difficilement avec celle d’une institution qui a démontré qu’elle était – et continue d’être – au service des plus démunis de la planète.

Remerciements Lisa A. Iverson, Membre du cabinet de Neal & McDevitt, LLC, et Anuradha Swaminathan,ivision des communications et de la sensibilisation du public de l’OMPI.

Protection internationale de la croix rouge

Le principal fondement juridique de la protection internationale des noms et acronymes des organisations intergouvernementales est l’article 6ter de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle. Un certain nombre de dénominations ne relevant pas du champ d’application de cet article sont toutefois protégées en droit international sur la base d’autres traités. C’est notamment le cas des emblèmes et dénominations du Mouvement de la Croix‑Rouge. Cette possibilité est expressément prévue par l’article 6ter de la Convention de Paris, lequel précise que la protection qu’il confère ne s’applique pas aux “armoiries, drapeaux et autres emblèmes, sigles ou dénominations qui ont déjà fait l’objet d’accords internationaux en vigueur destinés à assurer leur protection.”

Le Comité international de la Croix‑Rouge (CICR) est une organisation internationale humanitaire privée fondée en 1863 avec les buts suivants :

  • création de sociétés nationales ayant pour mission de porter assistance aux blessés de guerre;
  • neutralité et protection des blessés de guerre;
  • utilisation de volontaires pour dispenser des secours sur les champs de bataille;
  • organisation de conférences supplémentaires pour que ces concepts soient consacrés dans le cadre de traités internationaux contraignants;
  • adoption d’un signe distinctif pour le personnel médical présent sur le champ de bataille, à savoir un brassard blanc revêtu d’une croix rouge.

Le statut international et les idéaux de la Croix‑Rouge ont été reconnus en 1864 par la première Convention de Genève, fondement du droit international humanitaire. Le texte de cette dernière a été modifié depuis pour reconnaître d’autres emblèmes tels que le croissant rouge.

Les Sociétés nationales de la Croix‑Rouge et du Croissant‑ Rouge, comme par exemple la Croix‑Rouge américaine, sont reconnues par le CICR et sont membres de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix‑Rouge et du Croissant‑ Rouge, fondée en 1919 pour assurer la coordination des activités entre les sociétés nationales et le Mouvement de la Croix‑Rouge.


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