Livres
Cet ouvrage est né de deux ateliers qui se sont tenus au collège Emmanuel de Cambridge en 2005 et 2006. Il est multidisciplinaire et aborde les thèmes suivants : histoire du droit et économie du droit, état du droit positif dans l’Union européenne et aux États-Unis d’Amérique, linguistique, marketing, sociologie, droit et économie, philosophie, anthropologie et géographie.
Sa lisibilité est grandement favorisée, ainsi que l’articulation des thèmes traités, par une progression fondée sur le “principe de l’arche de Noé”, chaque chapitre ajoutant à l’œuvre la perspective de deux spécialistes sur l’un des sujets ci-dessus. Chacun des auteurs de cette paire examine systématiquement le texte de l’autre, le discute ou le soutient selon le cas, et le relie aussi à d’autres chapitres du livre, de sorte que ce dernier se présente comme un tout cohérent et évite de donner l’impression de discontinuité si fréquente dans ce type d’ouvrage.
Selon l’image d’ensemble évoquée en ce qui concerne les pays développés, les marques et les signes ont été en quelque sorte, jusqu’à la mise en place au XIXe puis au XXe siècle des normes et pratiques en matière de marques, des “certificats d’origine” et, en dernière analyse, un moyen de contrôle de la qualité. Mais ensuite, l’orientation des affaires et du commerce creuse graduellement l’écart entre titulaires de droits et consommateurs et soulève des questions quant aux bénéficiaires véritables des institutions chargées de la protection des marques – titulaires de droits, producteurs, consommateurs, concurrents? Les consommateurs sont-ils indûment manipulés? Les lois devraient-elles les traiter comme des “souverains rationnels” ou des “imbéciles crédules”?
Avec la croissance du volume des produits franchissant les frontières, des instruments juridiques nationaux, puis internationaux, comme l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques (1891), sont venus initialement faciliter la protection par des enregistrements reconnus, démontrant de prime abord l’existence de droits d’exclusivité sur les marques. Ces derniers laissaient néanmoins de la place pour une concurrence loyale (voir Kellogg c. National Biscuit Co., 1938, sur le droit d’utiliser la forme et le nom des céréales SHREDDED WHEAT).
L’ouvrage montre que les tribunaux européens et américains ont progressivement évolué vers une interprétation plus restrictive de la loi en ce qui concerne les similitudes censément constitutives de “dilution ou affaiblissement” ou de “dépréciation” de marques existantes et considérées ici comme étant le résultat de l’évolution des pratiques commerciales et de la mondialisation. Selon ses auteurs, les services d’enregistrement et les tribunaux, qui se préoccupaient plus visiblement, par le passé, d’écarter les signes non trompeurs et les dénominations non descriptives et non génériques et protégeaient de ce fait la langue dans le domaine public, sont maintenant confrontés à des demandes portant sur des signes qui auraient probablement été considérés alors comme non susceptibles d’enregistrement – par exemple la couleur orange. Les droits des titulaires de marque, semble-t'il, s’arrêtent “là où commence la liberté d’expression artistique et politique des tiers” : humour, parodie et usage distinctif ont en effet eu raison d’un grief d’affaiblissement de marque dans l’affaire Louis Vuitton Malletier SA c. Haute Diggity Dog (2007), ce dernier étant le producteur de divers articles pour animaux portant des noms tels que CHEWNEL No5, CHEWY VUITON et DOG PERIGNONN!
Une grande place est faite, dans l’analyse de ce changement, aux phénomènes du franchisage et de la construction d’image de marque. Le système des franchises permet désormais aux titulaires de droits de bénéficier de la concession de licences à une échelle planétaire : c’est avec surprise que l’on apprend, dans ce livre, que le chiffre d’affaires des franchises représente 38% de l’ensemble du commerce de détail des États-Unis d’Amérique. Le concept d’image de marque est plus large que celui de la marque proprement dite, car il englobe une fonction publicitaire qui lui permet d’évoquer une bonne réputation, un style de vie enviable ou même une spiritualité. Étant donné qu’il bénéficie du soutien visuel et subliminal de la publicité, il peut être utilisé pour suggérer, sans être soumis à aucune contrainte juridique. Une grande entreprise très riche et diversifiée dont la marque s’applique à des milliers de lignes de produits peut l’utiliser pour rendre prohibitifs les coûts financiers et d’innovation qu’un nouveau venu devrait engager pour la concurrencer.
Sur la question des indications géographiques, la perspective de l’un des auteurs, qui défend le concept trop statique de lieu (en prenant en considération d’autres facteurs tels que les influences humaines extérieures) et la substitution de marques ou de certificats d’origine, est persuasivement contrée par un autre. Il fait un intéressant exposé sur l’historique du système français des appellations d’origine contrôlée, aux XIXe et XXe siècle, en indiquant que la législation a été élaborée en prenant dûment en compte certains des facteurs qui, selon son collègue, ont été exclus. Il fait également valoir que ce système sui generis est actuellement applicable aux pays en développement et se prête beaucoup mieux à l’établissement de critères d’authenticité multiples que les marques, qui sont fondées sur l’antériorité.
Les coordonnateurs de l’ouvrage prétendent, dans la préface, que ce dernier est unique en son genre. Eu égard à l’ampleur et à la diversité des contributions interdépendantes qu’il contient, cette affirmation est largement justifiée. Ses collaborateurs ne perdent jamais de vue le fait que la législation se trouve inévitablement derrière les faits nouveaux et en constante évolution, et ils incitent le lecteur à réfléchir aux enjeux qui se posent. Il ne fait aucun doute que ce livre sera utile tant aux chercheurs et aux étudiants qu’aux non-spécialistes qui souhaitent élargir leur connaissance de ce sujet.
______________
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.