Bienvenue dans le domaine public
Miriam Phillips
Cette année, les pays dans lesquels les œuvres sont protégées pendant 70 ans après le décès de leur auteur accueillent dans le domaine public une véritable moisson d’œuvres littéraires, artistiques et musicales dont les auteurs sont décédés en 1938*. Comme elle l’avait fait l’année dernière, (voir le no1/2008 du Magazine de l'OMPI), Miriam Phillips, étudiante en musique à l’université de Cambridge, au Royaume‑Uni, en a choisi quelques‑uns pour le blogue IPKat.
Grey Owl (Hibou gris, 1888-1938). Né en Angleterre où il est élevé à Hastings par sa grand-mère et ses tantes, Archibald Belaney quitte l’école à l’âge de 16 ans et part pour le Canada. Là, il se présente comme le fils d’une femme apache venu des États-Unis pour vivre avec les autochtones Ojibway et se fait appeler “Grey Owl”. Après avoir travaillé plusieurs années comme guide et garde forestier, il commence à publier des écrits consacrés au milieu sauvage, dans lesquels il s’exprime en faveur de la protection de la nature et de l’environnement. Grey Owl ira jusqu’à parcourir l’Angleterre en tenue Ojibway pour promouvoir ses livres et donner des conférences sur la préservation de la nature. Ses tantes le reconnaissent, mais ne disent rien. C’est seulement après sa mort, en 1938, que ses origines amérindiennes sont mises en doute. La découverte de son imposture mènera à l’arrêt de la publication de ses livres et à un désenchantement face à son œuvre de défenseur de l’environnement.
Ben Harney (1872-1938).
Musicien, compositeur et pionnier du ragtime,
Benjamin Robertson “Ben” Harney est né dans le Tennessee.
Ses compositions jouissent très tôt d’un succès extraordinaire, et son
“Cake Walk in the Sky” est le premier ragtime vocal à avoir été écrit sur
une partition. Il publie en 1897 Ben Harney’s Rag Time Instructor, la
première méthode d’improvisation consacrée au ragtime, dans
laquelle il explique comment syncoper des airs connus. Le New York
Times a écrit en 1924 que Ben Harney “a probablement fait plus
que quiconque pour la popularisation du ragtime.”
C. J. Dennis (1876-1938). L’Australien Clarence James Dennis publie son premier poème à l’âge de 19 ans. Son œuvre la plus célèbre, "The Sentimental Bloke" (Le type sentimental) se vendit à 65 000 exemplaires dès sa première année de publication (1916). Dans "The Songs of a Sentimental Bloke" (Chansons d’un type sentimental), l’une des nombreuses publications qui en découlèrent, il raconte au jour le jour les aventures d’un homme, sa petite amie Doreen et son ami Ginger Mick. "The Sentimental Bloke" a fait l’objet de nombreuses adaptations, comme pièce de théâtre, film muet et parlant et comédie musicale. Son personnage principal a même été représenté sur une série de timbres australiens dans les années 80.
Sir Muhammed Iqbal (1877-1938).
Né dans une famille profondément croyante de ce qui est
aujourd’hui le Pakistan, Muhammed Iqbal fera de nombreux v
oyages et études, obtenant notamment des diplômes de philosophie,
de littérature anglaise, d’arabe et de droit de diverses universités d’Europe.
L’œuvre poétique de celui que l’on appelle le plus souvent Allama
(“le savant”) Iqbal, composée en ourdou et en persan, est considérée
comme la plus importante de l’ère moderne. L’anniversaire de sa
mort est aujourd’hui un jour férié au Pakistan.
Sir Henry Newbolt (1862-1938). L’écrivain anglais Henry Newbolt, diplômé d’Oxford, a pratiqué le droit jusqu’en 1899. Ses premiers romans ont été publiés au début des années 1890, mais sa réputation littéraire ne fut vraiment établie qu’en 1897, lorsqu’il publia "Admirals All", un recueil de ballades dont la plus connue, intitulée “Vitaï Lampada”, parle d’un futur soldat qui apprend le stoïcisme en jouant au cricket. Après avoir d’abord joui d’une grande estime au cours de la première guerre mondiale, le poème devint un objet de dérision parmi les soldats de retour du Front de l’Ouest. Le poète fut anobli en 1915 et reçut sept ans plus tard le titre de “Companion of Honour”.
E. C. Segar (1894-1938). Tout jeune, l’Américain Elzie Crisler Segar avait déjà la ferme intention d’être un jour auteur de bandes dessinées. À l’âge de 18 ans, celui qui devait devenir le créateur du marin Popeye investit 20 dollars É.-U. dans un cours par correspondance en dessin humoristique et tous les soirs, après sa journée de travail comme projectionniste, il “allumait les lampes à huile” et se plongeait dans son cours jusqu’au petit matin. Sa première bande dessinée, “Charlie Chaplin’s Comedy Capers”, fut publiée en 1916. Ayant déménagé sur la côte Est, il créa, pour le "New York Journal", la série “Thimble Theatre”, dont les personnages étaient Olive Oyl, Castor Oyl et Ham Gravy. Ce n’est que dix ans plus tard, en 1929, que ces derniers furent rejoints par Popeye, qui devait connaître un succès extraordinaire. Segar est mort prématurément à l’âge de 43 ans. La réalisation de la série a été assurée, ultérieurement, par son ancien assistant Bud Sagendorf.
Kasym Tynystanov (1901-1938). À l’époque de la naissance de Kasym Tynystanov, les nomades kirghizes n’avaient pas de langue écrite, et le taux d’alphabétisation de ce peuple n’était que de 2% environ. Son père lui ayant appris à lire et à écrire l’arabe et désireux de poursuivre ses études, Tynystanov se rend, après la révolution russe, à Almaty, d’où on l’envoie à Tashkent. C’est là qu’il entreprendra l’élaboration du premier alphabet khirgize. Ses poèmes et ses écrits en prose commencent à paraître dans ses nouveaux caractères dans des journaux kazakhs et lui valent une très grande popularité auprès de la jeunesse kirghize. En 1924, le nouvel alphabet ayant été approuvé, il crée les premiers livres de lecture en khirgize pour les écoles primaires. Environ 90% de la terminologie élaborée par Kasym Tynystanov est toujours en usage. Il a été le premier ministre de l’éducation kirghize et a établi le système d’enseignement du pays.
César Vallejo (1892-1938). Bien qu’il n’ait publié que trois recueils de poésie, César Vallejo est considéré comme l’un des poètes les plus influents du XXe siècle. Né dans une famille de 11 enfants dans un village des Andes péruviennes, il travaille un temps dans une plantation de canne à sucre où l’exploitation des travailleurs dont il est témoin influence grandement sa pensée politique. En 1916, il s’installe à Lima, où il travaille comme instituteur et fréquente la bohème artistique et politique. Son premier recueil de poésie est publié en 1919. Les années qui suivent sont toutefois désastreuses : il a une maîtresse, est mis à la porte de son emploi, perd sa mère et fait un bref séjour en prison. Lorsqu’il en sort, en 1922, il publie "Trilce", un recueil qui reste à ce jour le plus avant-gardiste de la littérature de langue espagnole. Il aura à la fin des années 1930 une dernière période d’activité poétique, influencée par la guerre civile espagnole.
Wang Zhen (1867-1938). L’artiste chinois moderne Wang Zhen, de l’école de Shanghai, était un proche disciple du peintre Wu Changshuo, qui devint son mentor. On dit même que certaines des peintures que l’on attribue à Wu Changshuo sont en fait de Wang Zhen. En plus d’être peintre, Wang Zhen, qui a passé presque toute sa vie à Shanghai, était également un calligraphe reconnu. Il s’est spécialisé dans les tableaux représentant des fleurs, des oiseaux et des sujets bouddhiques. Les œuvres de Wang Zhen étaient particulièrement prisées au Japon, où il y avait plus de succès que parmi ses compatriotes.
Zitkala-Sa (d.1938). Littérature, édition, musique, enseignement et militantisme politique ont été les multiples activités de l’amérindienne Zitkala -Sa. Elle a été élevée dans la réserve sioux de Yankton, dans le Dakota du Sud, d’où on l’a retirée à l’âge de huit ans pour l’envoyer dans une pension dans l’Indiana. Après avoir étudié la musique au conservatoire de Boston, Zitkala-Sa, dont le nom signifie Oiseau rouge, a composé en 1913 le premier opéra amérindien, "The Sun Dance". Elle a également enseigné à Boston, où elle a commencé à publier des nouvelles et des anecdotes autobiographiques qui ont fait l’objet d’une série dans un magazine avant d’être réunies plus tard dans un ouvrage intitulé "American Indian Stories". Les écrits de Zitkala-Sa ont acquis par la suite un caractère plus politique. Elle a notamment publié des articles mensuels et un certain nombre de livres dans lesquelles elle parle de l’épreuve pénible qu’elle a vécue en étant forcée à quitter sa famille pour aller en pension et le sentiment de non-appartenance qu’elle a ressenti d’un côté comme de l’autre.
* D’autres règles peuvent influencer la durée de protection du droit d’auteur à travers le monde. Dans certains pays, par exemple, elle a été prolongée temporairement afin de compenser une période de guerre au cours de laquelle les œuvres n’ont pas pu être exploitées. Elle peut aussi être prolongée, lorsqu’une œuvre a plusieurs coauteurs, jusqu’à l’expiration du délai de protection du dernier survivant. Il est recommandé de toujours vérifier soigneusement la situation d’une œuvre au regard de la législation nationale applicable avant de l’utiliser sans autorisation.
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.