Livres
Les enjeux de la protection des dessins et modèles industriels dans le développement en Afrique
Par Stéphanie Ngo Mbem
Compte rendu de François CURCHOD*
La parution d’un ouvrage dans le domaine des dessins et modèles industriels est moins fréquente que dans d’autres branches de la propriété intellectuelle. Celle d’un ouvrage portant sur le droit africain est encore plus rare. C’est dire si une publication combinant ces deux sujets comme celle de Stéphanie Ngo Mbem est à saluer.
Que le droit des dessins et modèles industriels soit, malgré les complexités fascinantes qui découlent de sa position à la frontière de la propriété industrielle et du droit d’auteur, le parent pauvre de la propriété intellectuelle est bien connu. L’intérêt primordial que cette branche du droit présente pour le développement des pays africains est en revanche moins reconnu. En effet, ceux ci-génèrent quantité de créations esthétiques mais peu d’inventions brevetables. Dès lors, si l’on peut comprendre que l’on discute, parfois ad nauseam, des effets des brevets sur le développement de ces pays dans la perspective du transfert des techniques, on oublie trop souvent que le système des brevets ne contribue guère à stimuler l’activité innovatrice locale en Afrique, en tout cas en l’état actuel des choses. Ce n’est pas le moindre des mérites de l’ouvrage de Stéphanie Ngo Mbem que de nous rappeler ces vérités. Certes, cet ouvrage bienvenu se concentre sur le cas des seize pays d’Afrique subsaharienne qui sont membres de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), mais beaucoup des points de vue qui y sont développés sont valables pour l’ensemble du continent africain, voire du monde en développement en général.
Quiconque cherche des informations générales sur le système de l’OAPI trouvera son bonheur dans la première partie de l’ouvrage, lequel contient aussi des analyses juridiques fort intéressantes sur l’évolution de la protection des dessins et modèles dans ce système régional de propriété intellectuelle et sur son fonctionnement dans la pratique. Sur ce dernier plan, l’auteure analyse notamment les raisons qui peuvent expliquer le bas niveau de l’utilisation du système d’enregistrement fourni par l’OAPI (ignorance de l’existence de la protection des dessins et modèles, manque de moyens financiers pour le paiement des taxes de dépôt).
Le diagnostic du droit des dessins et modèles de l’OAPI et de son fonctionnement étant posé, il convient de proposer des remèdes. C’est à quoi l’ouvrage se consacre dans sa seconde partie, dans la perspective du long terme, mais aussi dans celle du court terme. Les derniers développements de l’ouvrage sont consacrés au rôle du droit international et à celui des états membres de l’OAPI. Au niveau international, l’auteure suggère, en plus de la nécessité d’une poursuite de l’harmonisation des législations sur les dessins et modèles, l’application d’un traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement et africains en particulier, notamment en ce qui concerne l’assistance technique et l’accès aux marchés de produits incorporant les dessins et modèles industriels. Quant aux états membres de l’OAPI, il faut qu’ils s’impliquent directement, par des activités de sensibilisation et de promotion des réalisations des créateurs, ainsi que par des actions d’assistance en faveur des secteurs intéressés par l’exploitation des dessins et modèles; enfin, chaque état membre doit fiabiliser son système juridictionnel et renforcer les moyens de lutte contre les contrefaçons.
Dans la conclusion générale de l’ouvrage est posée la question de savoir si le système des dessins et modèles de l’OAPI est au service du développement des états membres de celle-ci. La réponse est nuancée, dans la mesure où l’évolution des textes montre que les préoccupations de développement sont de plus en plus présentes, mais qu’il reste encore beaucoup à faire dans ce sens. C’est dire que les nombreuses propositions faites par Stéphanie Ngo Mbem seront précieuses dans la perspective d’une prochaine révision des textes législatifs de l’OAPI. On ne peut qu’espérer qu’elles soient pleinement prises en compte dans le cadre de cette révision, permettant ainsi à cet ouvrage de ne pas se limiter à être un travail théorique mais d’avoir un impact réel sur l’évolution du droit des dessins et modèles dans l’espace OAPI et de contribuer concrètement à renforcer l’apport que cette branche du droit peut et doit donner au développement économique et social des pays concernés.
*Ancien vice-directeur général de l’OMPI, M. Curchod a ensuite été professeur associé à l’université Robert Schuman, intégrée à l’université de Strasbourg depuis le 1er janvier 2009.
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