Des techniques d’amélioration variétale pour combattre la faim - Un nouveau riz pour l’Afrique
Changements climatiques, sécheresse, désertification, explosion du prix des aliments, famine… Autant de dangers étroitement liés les uns aux autres, qui nulle part ne sont aussi menaçants qu’en Afrique.
À l’occasion de la réunion annuelle de la Commission du développement durable, au mois de mai 2008, le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki‑moon, a appelé à développer, afin de les atténuer, une nouvelle génération de technologies d’exploitation agricole pour lancer une deuxième révolution verte “en vue d’une amélioration pérenne des rendements, qui devra avoir des effets minimaux sur l’environnement et contribuer aux objectifs du développement durable.”
Les techniques d’amélioration variétale, qui combinent souvent savoirs traditionnels et biotechnologies de pointe, contribuent déjà grandement à relever ce défi. Selon une analyse du Suivi du marché du riz de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production de riz de l’Afrique, en augmentation depuis sept ans, devrait atteindre 23,2 millions de tonnes en 2008. L’un des facteurs déterminants de cette croissance est le succès d’une nouvelle variété de riz connue sous le nom de Nouveau Riz pour l’Afrique ou NericaTM.
Cette variété est l’aboutissement d'années de travail d’une équipe de sélectionneurs et de biologistes moléculaires de l’Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest – désormais Centre du riz pour l’Afrique (ADRAO) – dirigée par M. Monty Jones, un chercheur de la Sierra Leone. Lors de la mise sur pied du programme de recherche biotechnologique par ce dernier, en 1991, le riz était la principale source d’énergie nutritive et de protéines de près de 240 millions d’habitants de l’Afrique de l’Ouest, mais l’Afrique importait la majeure partie de son riz, ce qui lui coûtait chaque année un milliard de dollars É.‑U. L’objectif fixé par l’ADRAO était la mise au point d’une variété de riz adaptée à l’environnement difficile du continent africain.
Variétés traditionnelles
Les paysans d’Afrique cultivaient essentiellement deux variétés traditionnelles de riz, chacune avec ses caractéristiques particulières :
- une variété originaire d’Afrique, l’oryza glaberrima, dont la culture dans la région remontait à 3500 ans. Il s’agit d’un riz robuste et résistant dont les feuilles abondantes lui permettent d’étouffer les mauvaises herbes ou plantes adventices. Il a développé une grande résistance génétique aux maladies et aux parasites tels que la cécidomyie africaine destructrice du riz, au virus de la panachure jaune et à la pyriculariose. Il présente toutefois un rendement faible, notamment parce que les plants ont tendance à plier lorsque les panicules sont chargées et prêtes à être récoltées, ce qui entraîne un égrenage prématuré. La culture de l’oryza glaberrima a donc été presque entièrement abandonnée en faveur de celle du riz asiatique, plus productif;
- une variété originaire d’Asie, l’oryza sativa, introduite en Afrique il y a environ 500 ans par des navigateurs portugais, a remplacé en grande partie les riz indigènes. Bien qu’ayant un rendement élevé, ce riz asiatique est toutefois très gourmand en eau. Ses plants plus courts sont facilement envahis par les adventices et résistent mal aux maladies et aux parasites du continent africain. Il est particulièrement mal adapté aux plateaux de l’Afrique subsaharienne, où les exploitations rizicoles sont trop petites pour que les paysans aient les moyens d’irriguer leurs cultures ou d’acheter des engrais et des pesticides.
La solution était, à l’évidence, de croiser les deux espèces, mais ayant évolué séparément pendant des millénaires, elles étaient trop différentes pour que cela puisse se faire d’une manière naturelle. Malgré de nombreuses tentatives, tous les hybrides obtenus jusqu’alors étaient stériles ou instables.
Aidée de partenaires dans la région et à l’étranger, l’équipe de M. Jones entreprit donc de collecter et de classifier toutes les souches de riz disponibles, dont notamment 1500 variétés d’oryza glaberrima africain menacées de disparition qui étaient préservées dans une banque de gènes. Elle entreprit ensuite le long et minutieux processus de sélection des parents, afin d’obtenir la meilleure combinaison de caractéristiques, procédant à des croisements pour produire des lignées descendantes, puis à des rétrocroisements de ces dernières avec l’oryza sativa pour fixer les caractères voulus. Après une série d’échecs, les chercheurs se tournèrent vers les techniques de “récupération d’embryons”, qui consistent à retirer des embryons fertilisés pour les cultiver en milieu artificiel. Ils réussirent ainsi, vers le milieu des années 1990, à obtenir des plants robustes et fertiles auxquels ils donnèrent le nom de Nerica. Les essais en plein champ de ce nouveau riz débutèrent en 1994, et grâce à des techniques améliorées, un grand nombre de lignées de Nerica ont été développées depuis, chaque année. Il en existe actuellement plus de 3000.
Le meilleur des deux mondes
Les agricultrices du Bénin ont vu leurs revenus augmenter depuis qu'elles ont adopté le Nerica. De nouvelle variétés de riz à haut rendement, robustes et à croissance rapide.
(Photos : Centre du riz pour l'Afrique (ARDAO))
Les différences génétiques entre les deux espèces ont rendu la sélection difficile, mais elles ont aussi conféré aux nouveaux riz des niveaux élevés d’hétérosis – le phénomène par lequel la descendance de deux parents génétiquement différents devient supérieure à ces derniers.
Les nouvelles variétés de Nerica étouffent les adventices comme leurs parents africains, sont résistantes à la sécheresse et aux parasites et s’acclimatent parfaitement aux sols pauvres. À l’instar de leurs parents asiatiques, elles ont également un rendement élevé. Leurs panicules portent de 300 à 400 grains, alors que les variétés traditionnelles cultivées dans la région ne produisent que 75 à 100 grains. Leurs tiges et leurs panicules sont solides, ce qui évite les pertes par égrenage, et la longueur de leurs plants facilite la récolte.
Qui plus est, les riz Nerica les plus prisés arrivent à maturité en trois mois seulement, au lieu des six qui sont nécessaires aux espèces dont ils sont issus, ce qui permet aux paysans africains de faire deux cultures au cours d’une même saison, par exemple avec une légumineuse ou une plante à fibres à haute valeur nutritive. Mieux encore, la teneur en protéines des nouvelles variétés peut atteindre 12%, alors que les riz d’importation commercialisés sur le marché local sont limités à 10%. Comme l’a souligné M. Papa Abdoulaye Seck, directeur général de l’ADRAO, ”Le Nerica constitue une arme puissante dans la lutte contre la faim et la pauvreté en Afrique.”
“Nous préférerions qu’il en soit autrement, mais les scientifiques africains sont engagés dans la guerre la plus importante que le monde ait jamais connue. Ils se battent contre la pauvreté et la faim.” – Monty Jones
Une technologie africaine pour l’Afrique
Les progrès réalisés grâce aux travaux de Monty Jones lui ont valu en 2004 le Prix mondial de l’alimentation. Il a également été sélectionné l’année dernière par la revue Time pour figurer sur sa liste des 100 personnes les plus influentes au monde. Le comité du Prix mondial de l’alimentation a de plus souligné son rôle mobilisateur et l’esprit d’innovation dont il a fait preuve pour que la technologie que représente le Nerica puisse être utilisée rapidement par les riziculteurs. Il a en effet été à l’origine d’accords de partenariat entre l’ADRAO, les responsables politiques, les ONG et les services de recherche, a formé des cultivateurs à la production de semences et mis en place au niveau des communautés rurales des programmes de participation visant à diffuser ces dernières au plus tôt et à permettre aux riziculteurs – qui sont majoritairement des femmes – de participer activement à l’implantation et à l’évaluation des nouvelles variétés ainsi qu’à la sensibilisation des régions rurales.
Étant un riz de plateau, le Nerica n’est pas soumis aux contraintes de production de la riziculture de bas‑fond, de sorte qu’il ouvre aux paysans africains des zones de culture jusque‑là jugées non propices. Au Nigéria, l’arrivée de ce nouveau riz a permis d’augmenter de 30% l’étendue des terres hautes consacrées à la riziculture. En Guinée, le Nerica a rapidement supplanté les variétés modernes introduites par le système national. En Ouganda, l’Organisation nationale de recherche agricole (NARO) rapporte que depuis la mise en œuvre du programme national de promotion du riz de plateau, en 2004, le nombre de riziculteurs est passé de 4000 à plus de 35 000, soit près de neuf fois plus, en 2007. Parallèlement, les importations de riz du pays ont diminué presque de moitié, passant de 60 000 tonnes en 2005 à 35 000 en 2007 et permettant de réaliser, par la même occasion, une économie de près de 30 millions de dollars É.‑U.
Et la propriété intellectuelle dans tout cela? L’AGRAO fait partie du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI), dont le Service consultatif central sur la propriété intellectuelle (CAS‑IP) a pour mandat d’aider les centres de recherche agricole à assurer la gestion de leurs actifs de propriété intellectuelle en tant que biens publics. L’AGRAO et le CAS‑IP tiennent actuellement des ateliers dans le but de déterminer la meilleure façon de mettre les mécanismes de propriété intellectuelle au service du nouveau riz et de son succès. La marque Nerica a été enregistrée auprès de l’USPTO en 2004, et le CAS‑IP a souligné qu’il deviendra de plus en plus important de protéger la réputation de qualité attachée à ce riz et construite avec tant de soin par l’AGRAO, et de faire en sorte que les petits cultivateurs, qui sont de plus en plus nombreux à en adopter les différentes variétés, soient assurés de recevoir du NERICA authentique.
Comme le déclare avec fierté l’AGRAO sur son site Web, le nouveau riz pour l’Afrique, une technologie africaine pour l’Afrique, est devenu un symbole d’espoir pour la sécurité alimentaire dans une région du monde dont le tiers des habitants souffrent de malnutrition et où la moitié de la population lutte pour survivre avec un dollar É.‑U. par jour ou moins.
Elizabeth March, OMPI, Bureau du Directeur général.
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