Des Kilowatts bovins - Histoire d’un transfert de technologie réussi
Par Julia Steets
Lancé en partenariat au Nigéria dans le but de réduire la pollution de l’eau et les émissions de gaz à effet de serre liées aux rebuts d’abattoir, le projet “Cows to Kilowatts” s’appuie sur une technologie de conversion thaïlandaise pour produire à partir de ces derniers du gaz ménager qui fournit aux communautés locales de l’énergie propre et peu coûteuse, ainsi qu’un fertilisant organique. Julia Steets responsable de 2004 à 2006 des travaux du Global Public Policy Institute sur les recherches de l’initiative Seed, reprend et actualise dans ce compte rendu un article qu’elle a publié précédemment dans le cadre du Programme d’action sur le climat.
Face aux défis combinés posés par les changements climatiques, la dégradation environnementale et la pauvreté, de plus en plus d’entreprises, de gouvernements et d’ONG choisissent d’unir leurs efforts. Les manifestations les plus visibles de ce nouvel esprit de coopération sont les grands partenariats noués à l’échelle internationale. Pourtant, les réalisations les plus concrètes sont souvent celles que produisent des actions menées au niveau local.
L’initiative Seed (Soutien aux entrepreneurs pour l’environnement et le développement) a été fondée par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Union internationale pour la conservation de la nature dans le but d’encourager les partenariats entrepreneuriaux locaux en faveur du développement durable. Elle a révélé l’existence, à ce niveau, d’une variété extraordinaire d’initiatives qui, souvent, œuvrent à la fois pour la préservation de l’environnement et la réduction de la pauvreté et de la faim. Un grand nombre d’entre elles sont fondées sur la création ou le transfert de savoirs et de technologie.
Le projet Cows to Kilowatts du Nigéria est un bon exemple de ce type de projet. Récipiendaire de l’un des cinq prix Seed décernés en 2005, il illustre parfaitement l’incidence que peut avoir sur l’environnement et sur le bien‑être d’une communauté locale une action innovante menée en partenariat.
Le problème
Les abattoirs constituent, notamment dans les pays en développement, une source majeure de pollution de l’eau et d’émissions de gaz à effet de serre. La réglementation les concernant est souvent inexistante ou mal appliquée. Les eaux usées qu’ils produisent atteignent la nappe phréatique et les cours d’eau sans avoir été épurés, et ont un effet nocif sur la vie aquatique. Certaines maladies présentes dans les déchets d’abattoir peuvent se transmettre aux humains, tandis que la dégradation anaérobique des eaux usées aboutit à la formation de méthane et de dioxyde de carbone – les éléments du biogaz qui contribue aux changements climatiques.
La sonnette d’alarme a été tirée par M. Joseph Adelegan, un ingénieur nigérian, après qu’une étude des effets des effluents de l’abattoir du marché Bodija à Ibadan, où sont effectués près des deux tiers des abattages d’animaux de l’état d’Oyo, eut révélé dans les communautés voisines d’importants problèmes de santé dus à un niveau élevé de pollution organique. L’ONG de M. Adelegan, Global Network for Environment and Economic Development Research (GNEEDR), décida alors de rechercher une solution en collaboration avec deux autres organismes nigérians, le Centre for Youth, Family and the Law et le Sustainable Ibadan Project, une initiative du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU‑Habitat).
La solution
Le groupe envisagea tout d’abord de construire simplement d’une station d’épuration, mais apprit, après consultation, que si le traitement des effluents d’abattage par des méthodes conventionnelles réduisait effectivement la pollution de l’eau, il conduisait aussi à une production accrue de méthane et de dioxyde de carbone. On décida donc de rechercher une autre formule permettant de réduire le plus possible l’empreinte environnementale de l’initiative.
La solution finalement retenue fut de récupérer les émissions gazeuses afin de les convertir en un produit utile. Le procédé nécessaire à cet effet existait déjà, ayant été mis au point par le centre de recherche sur l’exploitation et la gestion des déchets de l’institut universitaire de technologie King Mongkut de Thonburi (Thaïlande). Il permettait de produire du biogaz en traitant des effluents agro‑industriels dans des réacteurs à lit fixe anaérobie. On pouvait donc, en le modifiant, obtenir à partir de déchets d’abattoir un gaz pour la cuisson ménagère et en outre, un fertilisant organique.
Ce choix présentait au moins trois avantages très importants. Il permettait d’abord de limiter le problème de la pollution de l’eau par les effluents de l’abattoir. Deuxièmement, il allait réduire grandement les émissions de gaz à effet de serre générées par l’abattoir et le traitement de ses déchets. Enfin, ses sous‑produits pouvaient être commercialisés et faire du projet une opération non seulement autofinancée, mais aussi rentable.
Mise en œuvre phase I : recherche de partenaires
Le projet a débuté en 2001. La première tâche de M. Adelegan fut de rechercher des partenaires compétents, susceptibles d’aider le GNEEDR à la fois par leur expertise et leurs ressources.
Plusieurs organismes ont joué un rôle déterminant dans la réalisation du projet :
- le GNEEDR a eu l’initiative du projet et a assuré les recherches initiales en matière de pollution de l’eau; il assure la représentation du projet et s’occupe de la construction de l’usine de traitement;
- le Centre nigérian pour la jeunesse, la famille et la loi fournissent des services de conseil juridique et contribue à encourager la participation de groupes locaux tels que l’association des bouchers et l’association pour le développement du marché de Bodija;
- sustainable Ibadan a eu une importance capitale dans la décision du gouvernement du Nigéria d’appuyer le projet;
- le concours Global Development Marketplace de la Banque Mondiale a donné un important élan au projet, car il a été à l’origine de l’idée d’y intégrer l’élément de l’énergie renouvelable;
- l’institut de recherche thaïlandais qui avait élaboré la technologie utilisée a participé en tant que conseiller technique à la conception et à la construction du bioréacteur, ainsi qu’à l’adaptation de la technologie au traitement des déchets d’abattoir;
- l’initiative Seed a participé à la mise au point du projet et a servi d’intermédiaire dans l’établissement d’un contact essentiel avec le PNUD Nigéria.
Mise en œuvre phase II : financement
Les fonds nécessaires pour financer la conception et la construction de l’usine de traitement des déchets et de production de biogaz, l’administration du projet et la consultation des parties prenantes locales s’élevaient à environ 500 000 dollars É.‑U.
Selon les prévisions, le projet est destiné à être commercialement viable. Il vendra son gaz ménager au quart du prix du marché, soit actuellement 7,50 dollars É.‑U. les 25 litres, ce qui signifie qu’avec une production mensuelle d’environ 270 m³ de biogaz comprimé, l’usine doit atteindre la rentabilité en deux ans. Sa durée de vie utile étant de 15 ans, on s’attend donc à ce que l’opération réalise des profits substantiels.
Ces chiffres prometteurs ne s’accompagnant d’aucune donnée d’expérience, il devait toutefois s’avérer difficile de trouver sur le marché les moyens de financer le projet à des conditions abordables. Malgré l’attention qu’il reçut dans le monde du fait de sa sélection comme finaliste du concours Global Development Marketplace et comme gagnant d’un prix Seed, les investisseurs n’étaient pas au rendez‑vous. Le capital nécessaire à son démarrage fut donc finalement fourni par le PNUD, dans le cadre de son programme Énergie et environnement.
Mise en œuvre phase III : transfert technologique
De nombreuses années de travaux dans le cadre d’un programme de coopération entre l’Asie et l’Australie avaient conduit le centre de recherche sur les biogaz de l’institut universitaire de technologie King Mongkut de Thonburi (Thaïlande) à mettre au point un procédé innovant de production de biogaz par traitement d’effluents agro‑industriels, beaucoup plus efficace que les techniques de traitement traditionnelles par digesteurs biologiques. Les réacteurs à lit fixe anaérobie auxquels il faisait appel permettaient en effet de traiter des quantités de déchets plus importantes et de produire plus rapidement un biogaz de haute qualité. Il n’avait toutefois été appliqué précédemment avec succès qu’au traitement des eaux usées d’une usine d’amidon de riz et d’une conserverie de fruits.
L’initiative Cows to Kilowatts lui fut présentée, et l’institut accepta d’entreprendre, en collaboration avec le GNEEDR, l’adaptation de son procédé anaérobie en réacteur à lit fixe au traitement des déchets d’abattoir. Des essais démontrèrent que le réacteur modifié pouvait traiter une charge de 2 à 10 kg de “demande chimique en oxygène” (DCO) par mètre cube (la DCO sert à mesurer la quantité de pollution organique contenue dans les effluents), avec un temps de rétention de deux à quatre jours. Son rendement était de 0,4 à 0,5 m³ de biogaz par kg de COD, avec une teneur en méthane de 60 à 70%.
Un mémorandum d’accord a été signé avec l’université, et le partenariat a déposé une demande de brevet pour le nouveau procédé de traitement des déchets d’abattoir.
Mise en œuvre phase IV : construction
Le fait d’avoir obtenu le financement voulu n’a pas entraîné automatiquement le démarrage du projet. L’action du programme Énergie et environnement du PNUD s’exerce en effet au niveau national, ce qui veut dire que les fonds qu’il accorde ne peuvent être versés qu’à un gouvernement national. C’est finalement le ministère fédéral de l’environnement du Nigéria qui accepta de les recevoir dans le cas du projet Cows to Kilowatts pour les verser au partenariat, mais il fallut surmonter auparavant un certain nombre d’obstacles.
Le biogaz produit sera vendu sous forme comprimée aux communautés locales et permettra d’éliminer la fumée et les autres risques sanitaires causés par les combustibles courants. (Photo © David Steets)
L’institut de recherche thaïlandais ayant parachevé l’adaptation du procédé et la conception des installations de traitement, la construction de l’usine a pu débuter en 2007. Sa mise en exploitation est prévue pour le mois de juin 2008.
Résultats escomptés
Lorsqu’elle sera opérationnelle, l’usine produira 1500 mètres cube de biogaz et récupérera 900 mètres cube de méthane pur par jour. Cela équivaut à une réduction des émissions de dioxyde de carbone de l’abattoir de plus de 22 300 tonnes par an. Les boues d’épuration produites pourront en outre être utilisées comme fertilisant organique.
Le méthane récupéré sera raffiné et comprimé afin d’être vendu localement comme combustible pour la cuisson des aliments, ce qui entraînera également la création d’emplois supplémentaires. On prévoit que ce gaz pourra alimenter chaque mois environ 5400 ménages, à un coût nettement inférieur à celui du gaz naturel actuellement offert. Étant plus propre que les autres combustibles d’usage courant, il aura aussi pour effet de réduire la pollution de l’air respiré à l’intérieur de leurs logements par ces populations majoritairement pauvres, et donc les risques de santé qui y sont associés.
Les problèmes environnementaux et sanitaires posés par l’absence de traitement des déchets d’abattoir se posent dans de nombreuses autres villes du Nigéria et du continent africain tout entier. Les occasions d’appliquer et de répliquer le modèle Cows to Kilowatts ne manqueront donc pas une fois qu’il aura fait ses preuves.
Grâce à un procédé innovant, l’initiative Cows to Kilowatts a permis d’élaborer, en ce qui concerne le problème du traitement des déchets d’abattoir, une solution qui présente, en plus de réduire l’empreinte carbone des opérations de ces derniers, l’avantage d’être autosuffisante, et même rentable. Un parfait exemple de situation dans laquelle tout le monde est gagnant. Qui plus est, Ibadan est un projet pilote dont le financement a été assuré avec la participation de donateurs internationaux. Étant donné que l’usine est censée pouvoir rembourser son capital de démarrage en deux ans, ces ressources seront de nouveau disponibles pour une réplique du projet en 2010.
Remerciements : Dr. Joseph Adelegan, GNEEDR; Climate Action Programme.
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