Le “sampling” est-t-il toujours constitutif d’atteinte au droit d’auteur?
Par Tomasz Rychlicki et Adam Zieliński
Dans cet article, Tomasz Rychlicki et Adam Zieliński, avocats en propriété intellectuelle en Pologne, présentent des arguments en faveur de la reconnaissance en tant que créations dérivées des œuvres musicales faisant appel à l’échantillonnage.
Vous est-il déjà arrivé d’allumer la radio, d’entendre une chanson pour la première fois, et de trouver qu’elle vous rappelle vaguement quelque chose? Si oui, il s’agissait peut-être d’un exemple de ce que l’on appelle aujourd’hui le “sampling” – l’échantillonnage – qui est devenu, au cours des dernières décennies, un mode de composition musicale de plus en plus courant. Il s’agit d’une pratique qui consiste à extraire tout simplement des fragments d’œuvres musicales préexistantes et à s’en servir pour créer de nouvelles pièces. On comprend facilement qu’elle ait pu donner lieu à un certain nombre d’actions pour atteinte au droit d’auteur devant les tribunaux.
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L’un des cas les plus remarqués a été celui de la chanson à succès “Please don’t stop the music”, de Rihanna, au début de cette année. Des parties de cette chanson avaient en effet été empruntées à un succès de Michael Jackson datant de 1983, “Wanna be startin’ something”, emprunt pour lequel Rihanna prétend avoir demandé le consentement du chanteur. Il s’est toutefois avéré que Jackson avait lui-même prélevé ce fragment dans le “Soul Makossa” de l’artiste de jazz afro-funk camerounais Manu Dibango, enregistré en 1972 et considéré par beaucoup comme étant la toute première chanson disco. Manu Dibango, qui a aujourd’hui 75 ans, poursuit à la fois Jackson et Rihanna en violation de droit d’auteur devant les tribunaux français.
La position américaine : tu ne voleras point
C’est aux États-Unis d’Amérique, berceau de la pratique de l’échantillonnage musical, qu’a été jugée la première poursuite juridique dans ce domaine. Le juge de la Cour fédérale qui a tranché l’affaire Grand Upright Music Ltd c. Warner Bros. Records1, en 1991, a débuté la lecture de sa décision par une citation toute biblique : “Tu ne voleras point.” Il a ensuite prononcé en faveur de la société Grand Upright Music une injonction interdisant la poursuite de l’atteinte au droit d’auteur constituée par la reprise d’un échantillon de la chanson de Gilbert O’Sullivan “Alone Again” dans l’un des titres de l’album I Need a Haircut du rappeur Biz Markie de la maison de disques Warner Bros. Cette citation annonciatrice de l’attitude qu’allaient désormais adopter les tribunaux américains à l’égard du sampling a conduit à un changement de modus operandi de l’industrie de la musique hip-hop, obligée dès lors de veiller à ce que tout emprunt musical soit dûment approuvé par les titulaires de droit d’auteur concernés.
Les auteurs de cet article se demandent s’il existe des arguments juridiques susceptibles d’orienter différemment les décisions des tribunaux et analysent, pour répondre, la situation actuelle en Pologne.
La situation en Pologne
Le sampling est une pratique courante en Pologne, et pas seulement parmi les rappeurs. Certains artistes demandent – et obtiennent – l’autorisation de l’auteur de tout échantillon qu’ils souhaitent reprendre; d’autres ne s’en soucient pas. La jurisprudence polonaise en la matière évolue peu, car l’industrie du disque a su éviter que les différends en matière d’échantillonnage se retrouvent devant les tribunaux. Dès la plus petite apparence de litige, tout est fait pour que les parties parviennent rapidement à un règlement.
Examinons les hypothèses suivantes, qui sont tout à fait envisageables dans le cadre de la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins de la Pologne :
- les œuvres constituées d’échantillons peuvent-elles être considérées comme des créations dérivées?
- les œuvres constituées d’échantillons peuvent-elles être considérées comme de nouvelles œuvres en vertu du droit de citation?
Les échantillons sont-ils des œuvres dérivées?
La loi polonaise ne contient pas de termes comme “échantillonnage” ou “sampling”. Elle définit en revanche les œuvres dérivées comme étant des transformations ou adaptations d’œuvres préexistantes, dotées d’originalité, de créativité et d’individualité. Les auteurs d’œuvres dérivées qui souhaitent diffuser leurs créations doivent demander le consentement de l’auteur de l’œuvre originale.
On pourrait, par conséquent, considérer les œuvres de sampling comme des dérivés qui contiennent des éléments d’œuvres artistiques provenant d’une source originale, mais n’en sont pas moins les œuvres de création de leurs auteurs. Dans ces conditions, l’auteur originel devrait être mentionné en tant que créateur, au même titre que le créateur de la nouvelle œuvre, et l’œuvre dérivée devrait citer le nom du morceau original d’où est tiré l’échantillon. Étant donné qu’une œuvre dérivée englobe les caractéristiques créatives de l’œuvre originelle et les efforts d’innovation d’un tiers, il convient de reconnaître les deux.
Les résultats d’échantillonnage concernés dans les affaires américaines mentionnées dans le précédent article pourraient-il, dans ce cas, être considérés comme des œuvres dérivées? En l’absence de manquement sérieux aux exigences de la loi – défaut de reconnaître l’auteur et le titre et, surtout, défaut de demander le consentement de l’auteur originel – on peut probablement répondre dans la plupart des cas par l’affirmative. Mais cela voudrait-il dire que le sampling donne toujours lieu à des œuvres dérivées? À notre avis, la réponse est – non! Et voici pourquoi.
Citations
La loi sur le droit d’auteur et les droits voisins de la Pologne prévoit, en son article 29.1), la possibilité pour les auteurs et créateurs de citer d’autres œuvres : “Il est permis de reproduire sous forme de citation, dans des œuvres constituant un tout intrinsèque, des fragments d’œuvres divulguées ou le contenu intégral de courtes œuvres, dans la mesure justifiée par l’explication, l’analyse critique, l’enseignement ou les droits caractéristiques du genre de création considéré.” En extrapolant, cela pourrait signifier que les œuvres nouvelles contenant des échantillons en tant que parties intégrantes du travail de création d’un artiste – mais n’étant pas de simples “remixages” d’autres œuvres – pourraient être reconnues comme licites en tant que citations.
En d’autres termes, une œuvre créée de cette manière pourrait être reconnue en tant qu’œuvre indépendante incorporant des citations. Une variation musicale – définie comme étant une œuvre “faisant référence à un sujet, un motif ou une autre œuvre” et le résultat d’une “transformation créative de cette œuvre” – pourrait être un exemple de citation musicale de l’époque “pré-sampling”. Et dans ce cas, l’échantillonnage créatif peut être reconnu comme une activité justifiée par le type d’œuvre concerné et remplissant, de ce fait, la condition énoncée à l’article 29. Cela veut dire que pour éviter le plagiat, il faut mentionner l’auteur et l’artiste originel ainsi que la source de l’œuvre – mais pas nécessairement dans le titre – sans avoir besoin de demander une autorisation, étant donné que le droit de citation est une licence légale.
Source de controverse
Les arguments avancés ci-dessus en ce qui concerne la loi polonaise sur le droit d’auteur pourraient bien être source de controverse, dans la mesure où la pratique de l’échantillonnage n’est pas très présente dans la jurisprudence ou les analyses juridiques et académiques de la Pologne. Les auteurs du présent article considèrent cependant qu’il n’est pas constitutif d’atteinte au droit d’auteur si le droit de citation est exercé adéquatement.
Il y a naturellement une énorme différence entre les “œuvres dérivées” issues de ce qui n’est en fait que du plagiat pur et simple et le travail original dans lequel les échantillons sont utilisés comme points de départ de la création d’œuvres nouvelles pouvant être considérées comme relevant du “droit de citation” plutôt que comme des œuvres dérivées. Chaque cas doit faire l’objet d’une analyse distincte et approfondie. Mais la liberté de création, dans le cadre de laquelle s’inscrit le sampling, doit être défendue et traitée comme faisant partie du progrès artistique qui, pour sa part, favorise le développement et l’enrichissement de la culture humaine.
Kutiman, ThruYou |
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L’un des plus remarquables exemples de sampling est un montage audiovisuel intitulé ThruYou, par Kutiman. De son vrai nom Ophir Kutiel, ce dernier a patiemment rassemblé et mis bout à bout des extraits de morceaux de musique et de vidéos trouvés sur YouTube pour réaliser une œuvre qu’un certain nombre de critiques ont qualifiée de “brillante”. ThruYou a été créé en deux mois, principalement à partir de prestations de musiciens amateurs – “des gens ordinaires comme moi, assis dans leur salon”, dit Kutiman. Publié sur l’Internet en mars de cette année, le résultat de son travail ne lui a pas rapporté un sou, mais l’a rendu célèbre en moins d’un mois. |
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780 F. Supp. 182 (SDNY 1991).
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