La décision américaine Bose – Incidences pour les utilisateurs du système de Madrid
Dans cet article, Linda K. McLeod et M. Jonathan Gelchinsky, avocats associés, et Katherine L. Staba, avocate au cabinet Finnegan, Henderson, Farabow, Garrett & Dunner, LLP, examinent les incidences possibles, pour les utilisateurs du système de Madrid concernant l’enregistrement international des marques, de décisions rendues récemment aux États-Unis d’Amérique, qui ont redéfini les critères permettant de déterminer si un déposant de marque a commis une fraude devant l’Office des brevets et des marques des États-Unis d’Amérique (USPTO). Avant de se joindre au cabinet Finnegan en 2002, Mme McLeod a acquis une compétence considérable dans le domaine des marques en tant que juge administratif pour les marques à la Commission des audiences et recours en matière de marques (TTAB) ainsi qu’à l’USPTO.
Fraude et absence de bonne foi dans l’intention d’utiliser la marque : risques de contestation devant l’USPTO des demandes d’extension de la protection en vertu du Protocole de Madrid
La Commission des audiences et recours en matière de marques (TTAB) de l’Office des brevets et des marques des États-Unis d’Amérique (USPTO) a récemment rendu une série de décisions sur les questions de fraude et d’absence de bonne foi dans l’intention d’utiliser des marques dans le commerce aux États-Unis d’Amérique. Si aucune ne concernait spécifiquement des dépôts effectués en vertu du Protocole de Madrid, il n’en reste pas moins que les demandes d’extension de la protection aux États-Unis d’Amérique en vertu du Protocole peuvent être contestées sur ces fondements, et qu’il existe un risque d’annulation des enregistrements qui en résultent.
La fraude devant l’USPTO après Bose : “mépris délibéré de la vérité” et devoir de vérification au moment de la déclaration d’usage
La décision de la Cour d’appel pour le circuit fédéral des États-Unis d’Amérique dans l’affaire Bose Corp., 91 USPQ2d 1938 (Fed. Cir. 2009) a radicalement changé le paysage des requêtes en matière de fraude devant l’USPTO. Avant cet arrêt, une déclaration inexacte concernant l’utilisation commerciale d’une marque aux États-Unis d’Amérique – laquelle pouvait tout à fait être due à une négligence ou à une erreur légitime – suffisait souvent à faire considérer la fraude comme constituée. Dans l’affaire Bose, cependant, le Circuit fédéral a jugé que la simple négligence ne suffit pas pour déduire l’intention de tromper et la fraude, de même que la négligence grossière ne peut à elle seule prouver l’intention de tromper. Au lieu de cela, la Cour a jugé qu’en vertu de la loi Lanham, une marque est considérée comme ayant été obtenue de manière frauduleuse uniquement s’il est prouvé de manière incontestable que le déposant ou le titulaire a fait une fausse déclaration de manière délibérée, avec l’intention de tromper l’USPTO.
Suite à la jurisprudence Bose, La TTAB exige dorénavant un mémoire rapportant des faits précis attestant la connaissance, l’intention de tromper et la fraude, ainsi que la preuve irréfragable de ces allégations1. Même si l’allégation de fraude est devenue plus difficile à démontrer devant l’USPTO, une plainte pour fraude peut néanmoins être accueillie en présence d’un “mépris délibéré de la vérité”2. Aucun cas d’espèce n’a fourni jusqu’à présent de définition de cette notion dans le cadre d’une action sur le fondement de la fraude. Certains commentateurs ont toutefois suggéré que le fait d’omettre de lire un dépôt ou de vérifier l’exactitude d’une déclaration d’utilisation commerciale de marque aux États-Unis d’Amérique peut être constitutif de “mépris délibéré de la vérité” et de fraude devant l’USPTO3.
Pour les déposants non américains qui demandent une extension de la protection aux États-Unis d’Amérique en vertu du Protocole de Madrid, le risque de contestation fondée sur la fraude est le plus souvent lié aux déclarations d’usage ininterrompu de marque qui doivent être déposées une fois l’enregistrement accordé aux États-Unis d’Amérique. En vertu de l’article 71 de la loi sur les marques, 15 USC § 1141k, le titulaire d’une marque dont la protection a été étendue aux États-Unis d’Amérique doit en effet produire des déclarations d’usage ininterrompu dans le commerce aux États-Unis d’Amérique aux sixième et dixième anniversaires de l’enregistrement (et tous les 10 ans par la suite). Si le titulaire ne lit pas attentivement ces déclarations avant de les signer, ne les prend pas au sérieux ou néglige de prendre les mesures nécessaires pour vérifier et confirmer que la marque a bien été utilisée pour chacun des produits ou services énumérés, il risque d’exposer son enregistrement à une procédure en annulation pour fraude devant l’USPTO.
Affaire Bose – Contexte
Lors du renouvellement de sa marque WAVE auprès de l’USPTO, en 2001, la société Bose a énuméré parmi les produits couverts les magnétophones et les lecteurs de cassettes, alors qu’elle avait cessé de vendre ces appareils en 1997. La société Hexawave a contesté le renouvellement en faisant valoir que la présence dans la liste des magnétophones et lecteurs de cassettes n’était pas tout à fait justifiable, de sorte que Bose pouvait être considérée comme ayant commis une fraude lors du renouvellement et, par conséquent, voir sa marque annulée. La société Bose répliqua qu’elle était toujours active dans ce domaine, dans la mesure où elle continuait d’assurer la réparation de ces appareils. La Commission des audiences et recours en matière de marques de l’USPTO lui donna tort.
Bose porta cette décision devant la Cour d’appel du circuit fédéral des États-Unis d’Amérique (CAFC), laquelle statua, dans un arrêt rendu le 31 août 2009 en faveur de Bose, que “la simple négligence ne suffit pas pour déduire la fraude”. Selon la Cour, “en vertu de la loi Lanham, une marque est considérée comme ayant été obtenue de manière frauduleuse uniquement s’il est prouvé de manière incontestable que le déposant ou le titulaire a fait une fausse déclaration de manière délibérée, avec l’intention de tromper l’USPTO.”
Preuve objective écrite établissant la bonne foi dans l’intention d’utiliser la marque dans le commerce aux États-Unis d’Amérique
Les déposants demandant l’extension de la protection d’un enregistrement international aux États-Unis d’Amérique en vertu du Protocole de Madrid, doivent déclarer qu’ils ont de bonne foi l’intention d’utiliser la marque dans le commerce aux États-Unis d’Amérique sur l’ensemble des produits et services énumérés au moment du dépôt4. Considérée comme une simple formalité par certains, cette déclaration peut être lourde de conséquences si elle est faite sans un examen attentif. Elle peut en effet conduire, en cas de contestation, à l’annulation totale ou partielle – pour les produits ou services à l’égard desquels le déposant n’est pas en mesure de prouver qu’il avait de bonne foi l’intention d’utiliser la marque – de la demande ou de tout enregistrement en résultant. La question est particulière importante pour les déposants non américains qui demandent souvent la protection en vertu du Protocole de Madrid sur la base d’un enregistrement international couvrant une longue liste de biens et services sans rapport apparent.
La TTAB a considéré que l’expression purement subjective ne suffit pas, si elle n’est pas étayée, à démontrer la bonne foi dans l’intention d’utiliser la marque dans le commerce aux États-Unis d’Amérique à l’égard des produits ou services énumérés. Par conséquent le déposant peut être tenu de produire, en cas de contestation, une preuve objective écrite démontrant qu’il avait une intention réelle d’usage de la marque dans le commerce aux États-Unis d’Amérique sur l’ensemble des produits et services listés à la date du dépôt, et cela jusqu’à ce que débute l’usage effectif de cette marque dans le commerce aux États-Unis d’Amérique5. La TTAB a statué que le simple fait de déposer une demande et de la mener à bien ne constitue pas en lui-même une preuve d’intention d’utiliser la marque6. Une preuve écrite suffisante pourra donc comprendre des éléments tels que plans d’entreprise, travaux de conception ou de fabrication des produits, correspondance avec les futurs titulaires de licence, comptes rendus de discussions commerciales en cours ou activités promotionnelles liées à l’utilisation de la future marque aux États-Unis d’Amérique. Sans pièces justificatives probantes ou autres éléments de preuve établissant la bonne foi requise dans l’intention d’utiliser la marque dans le commerce aux États-Unis d’Amérique, la demande ou tout enregistrement qui en résulte n’est pas à l’abri d’une annulation, au moins en ce qui concerne les produits et services à l’égard desquels le déposant n’est pas en mesure de prouver une réelle intention d’utiliser la marque.
Il importe donc, pour le déposant d’une demande d’extension de la protection aux États-Unis d’Amérique en vertu du Protocole de Madrid, de s’interroger tout de suite quant à savoir s’il peut justifier la bonne foi de son intention d’utiliser la marque dans le commerce aux États-Unis d’Amérique, et cela notamment si la liste des produits ou services couverts par son enregistrement international est particulièrement longue. Les déposants ont la faculté, dans le cadre du Protocole de Madrid, de limiter la liste des produits et services pour lesquels ils demandent l’enregistrement aux États-Unis d’Amérique7. Au regard des conséquences, en cas de contestation, du défaut de preuve de bonne foi dans l’intention d’utiliser la marque sur tous les produits et services énumérés, les déposants non américains devraient envisager de limiter leur liste à ceux pour lesquels ils peuvent produire des preuves écrites – ou, en l’absence de telles preuves, une explication convaincante – de la bonne foi de leur intention d’utiliser la marque.
Contestations de demandes et enregistrements “de base” aux États-Unis d’Amérique et leur effet sur les enregistrements internationaux
Les observations ci-dessus concernant la fraude et les contestations fondées sur l’absence de bonne foi dans l’intention d’utiliser la marque sont également pertinentes pour les titulaires de marques américaines qui effectuent leur dépôt à l’extérieur des États-Unis d’Amérique en utilisant le protocole de Madrid8. Plus précisément, si la demande ou la marque américaine de base est contestée pour fraude ou absence de bonne foi dans l’intention d’usage et est refusée ou annulée en tout ou en partie dans les cinq ans suivant la date d’enregistrement international, ledit enregistrement international est également limité ou annulé, de même que toutes les désignations qui s’y rattachent.
Conclusion
Bien qu’il soit devenu plus difficile, depuis l’arrêt Bose, de démontrer l’existence d’une fraude devant l’USPTO, cela ne signifie pas nécessairement qu’une déclaration inexacte faite auprès de l’USPTO ne puisse plus jamais être constitutive de fraude. De même, on ne sait pas encore si un “mépris délibéré de la vérité” peut constituer une fraude. Le déposant ou titulaire qui dépose une demande en vertu du Protocole de Madrid a donc intérêt, pour éviter une éventuelle contestation pour fraude, à lire attentivement tous les papiers et à s’assurer de la véracité et de l’exactitude des déclarations faites dans la demande ou la déclaration avant de signer et déposer les documents auprès de l’USPTO.
Qui plus est, la TTAB conclut de plus en plus souvent à l’absence de bonne foi du déposant dans l’intention d’usage de la marque dans le commerce des États-Unis d’Amérique, ce qui conduit à l’annulation totale ou partielle de sa demande. Pour éviter de tels litiges, les titulaires de marque doivent donc conserver la preuve écrite corroborant la bonne foi de leur intention d’utiliser la marque dans le commerce des États-Unis d’Amérique. En outre, les déposants qui demandent l’extension de la protection aux États-Unis d’Amérique en vertu du Protocole de Madrid devraient envisager de limiter leur liste de produits et services en complétant la rubrique 10.b) de la demande internationale ou la rubrique 5.b) de toute désignation postérieure, de manière à énumérer uniquement les produits et services pour lesquels ils peuvent établir une intention de bonne foi d’utiliser la marque dans le commerce aux États-Unis d’Amérique – ou démontrer un usage effectif.
Système de Madrid
Le système de Madrid concernant l’enregistrement international des marques (le système de Madrid) établi en 1891, fonctionne dans le cadre de l’Arrangement de Madrid (1891) et du Protocole de Madrid (1989).
Le système de Madrid permet aux titulaires de marques d’obtenir la protection dans plusieurs pays en déposant une demande unique auprès de leur office national ou régional des marques. Un enregistrement international ainsi effectué produit les mêmes effets qu’une demande ou un enregistrement de la marque dans chacun des pays désignés par le déposant. Si la protection n’est pas refusée par l’office des marques de l’un de ces pays désignés, la marque est protégée au même titre que si l’office l’avait enregistrée. En outre, le système de Madrid simplifie grandement la gestion ultérieure de la marque, dans la mesure où il permet d’enregistrer des modifications par la suite ou de renouveler l’enregistrement en accomplissant une seule formalité. La désignation de pays supplémentaire est également permise.
Les États-Unis d’Amérique ont adhéré au Protocole de Madrid en 2003, et la Communauté européenne en 2004. La plus récente adhésion au système de Madrid est celle d’Israël, où il entrera en vigueur le 1er septembre. Les propriétaires de marque israéliens pourront alors protéger leur marque dans plusieurs pays (jusqu’à 85) en présentant une seule demande rédigée en une seule langue (français, anglais ou espagnol) et en payant une seule série de taxes dans une seule monnaie (le franc suisse).
_________________
1 Voir Asian & Western Classics B.V. c. Selkow, 92 U.S.P.Q.2d 1478 (T.T.A.B. 2009); Enbridge Inc. c. Excelerate Energy LP, 92 U.S.P.Q.2d 1537 (T.T.A.B. 2009).
2 Voir DaimlerChrysler Corp. c. Am. Motors Corp., Canc. n° 92045099 (T.T.A.B. Jan. 14, 2010).
3 Voir Brief of Amicus Curiae American Intellectual Property Law Assoc. in Support of Bose Corp. and Reversal at 12-14, Bose, 91 U.S.P.Q.2d 1938 (“AIPLA Br.”); voir aussi 37 C.F.R. § 11.18(2)(iii) (obligation de faire un effort de vérification raisonnable pour confirmer l’exactitude d’un fait déclaré à l’USPTO).
4 Voir formulaire OMPI MM18(E).
5 Voir par exemple Honda Motor Co. c. Winkelmann, 90 U.S.P.Q.2d 1660 (T.T.A.B. 2009).
6 Voir Research in Motion Ltd. c. NBOR Corp., 92 U.S.P.Q.2d 1926, 1931 (T.T.A.B. 2009).
7 Voir formulaires OMPI MM1(F) et MM2(F), rubrique 10.b) et formulaire OMPI MM4(F), rubrique 5.b).
8 Conformément à l’article 61 de la loi sur les marques, 15 U.S.C. § 1114a
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.