Le débat vert : perspectives de propriété intellectuelle
La Journée portes ouvertes de l’OMPI a été le cadre d’un débat animé et fort instructif sur la propriété intellectuelle et l’environnement. Sous la conduite de M. Francis Gurry, directeur général de l’OMPI, des experts des secteurs universitaire, industriel et non gouvernemental ont examiné à cette occasion les liens rattachant la propriété intellectuelle et l’innovation verte et réfléchi à des manières de mettre en œuvre le système de la propriété intellectuelle pour élaborer des solutions aux problèmes de changement climatique.
Le présent article est un survol des perspectives présentées et des principaux enjeux évoqués. Ont notamment pris la parole M. Jacques de Werra, professeur à l’université de Genève, M. Philippe Boydell, du Centre technique européen de la société DuPont, en Suisse, M. Pedro Roffe, du Centre international pour le commerce et le développement durable (ICTSD), et Mme Maria Julia Oliva, de l’Union pour le BioCommerce Éthique.
M. Gurry a ouvert le débat en attirant l’attention sur le défi énorme auquel est confrontée l’humanité : passer d’une économie dépendante du carbone à une économie sans carbone. La technologie, a-t-il observé, jouera un rôle essentiel dans cette transformation. Du point de vue des pouvoirs publics, la grande question est de savoir comment encourager cette transition vers une économie ouverte. M. Gurry a expliqué que l’un des rôles principaux de la propriété intellectuelle est d’encourager l’investissement en recherche et développement en protégeant les inventions ou en accordant des droits sur celles-ci. Il en résulte un avantage commercial qui permet aux inventeurs et à leurs partenaires commerciaux de récupérer leur investissement, et ainsi, de permettre au cycle de se poursuivre.
De quelle couleur est la propriété intellectuelle?
La propriété intellectuelle est-elle essentiellement verte? M. De Werra pense que non. Pour lui, elle est technologiquement neutre, car elle protège la créativité sous toutes ses formes. Elle n’est pas verte en elle-même, mais il est possible, avec de la volonté politique, de lui conférer cette couleur. Il a attiré l’attention sur la pratique de certains offices nationaux de propriété intellectuelle, notamment celui des États-Unis d’Amérique, qui prévoit le traitement accéléré des demandes de brevet portant sur des technologies “vertes”. Il a également observé que de nombreuses technologies vertes sont déjà dans le domaine public et peuvent donc être utilisées librement. Cela permet de penser que le système de la propriété intellectuelle ne constitue pas un obstacle au développement et à l’exploitation des technologies vertes, même s’il confère un droit exclusif d’utilisation et d’exploitation sur des technologies protégées,
Transfert technologique
M. Jacques de Werra, professeur à l’université de
Genève, M. Philippe Boydell, DuPont Photovoltaic
Solutions, M. Francis Gurry, OMPI, M. Pedro Roffe,
ICTSD, Mme Maria Julia Oliva, Union pour le
BioCommerce Éthique (Photo: OMPI/Jewell)
Pour M. Roffe, la propriété intellectuelle est une condition importante, mais insuffisante, du transfert technologique. D’autres conditions macro-économiques sont tout aussi importantes. La propriété intellectuelle est importante, mais elle doit être utilisée avec mesure : son excès compromet l’innovation; son insuffisance peut être fatale à sa diffusion.
M. Roffe a fait valoir que le double défi du changement climatique et de la sécurité énergétique nécessite le déploiement massif et rapide de technologies propres ainsi que des politiques favorables à la diffusion et au transfert rapide de ces dernières, et de nature à stimuler l’innovation et l’investissement dans des technologies nouvelles. Chose certaine, a-t-il ajouté, le processus de transfert technologique est complexe; il n’est “pas simple, et c’est un processus qui n’est ni facile ni automatique ni gratuit.”
Des solutions solaires innovantes
Philip Boydell a parlé de la société DuPont, dont il fait partie et à qui l’on doit des matériaux tels que le nylon, le lycra, le kevlar et le téflon, et de la ferme intention de cette dernière de parvenir à produire de l’électricité solaire à un prix abordable. Son Centre technique européen, situé à Genève, s’attache actuellement à améliorer la technologie solaire photovoltaïque de la société, notamment en utilisant le téflon pour produire des panneaux solaires plus simples, plus souples et moins coûteux. Grâce à la protection conférée par ses brevets, DuPont peut investir pour préparer la prochaine génération de technologie, réduire ses coûts et réaliser un retour sur investissement.
Biocommerce ou biopiratage
La question des brevets et de la biodiversité fait l’objet d’un débat complexe et souvent controversé, fondé sur une crainte, à savoir que “le brevet favorise le piratage” a observé Mme Oliva. S’il est vrai que les brevets peuvent constituer un stimulant économique à la préservation de la biodiversité et au partage des avantages, a-t-elle expliqué, la question se pose de savoir à qui appartiennent les ressources biologiques et les savoirs traditionnels, qui en bénéficie et quelles sont les incidences en ce qui concerne les droits des pays et des communautés sur ces ressources.
Mme Oliva a ajouté que des négociations internationales étaient en cours sur les moyens de faire en sorte que les brevets soient utilisés d’une manière favorable à la biodiversité – grâce au consentement préalable et au partage équitable des avantages –, mais que l’établissement de règles obligeant les offices nationaux à vérifier la conformité des demandes de brevet à la Convention sur la diversité biologique (CDB) contribuerait grandement à répondre aux préoccupations exprimées. Elle a observé qu’il se posait également des problèmes de manque d’informations quant à l’origine des ressources et de rédaction trop large des revendications de brevet, soulignant la nécessité pour les entreprises de mettre en place, parallèlement à des pratiques sérieuses de partage des avantages, des politiques d’utilisation et d’éthique en matière de brevets.
Le débat
Que prévoit-on en ce qui concerne l’élimination des panneaux solaires en fin de vie?
M. Boydell répond que la durée de vie utile d’un panneau photovoltaïque est encore inconnue. Ceux qui ont été fabriqués il y a 25 ans fonctionnent toujours très bien. L’association de fabricants “PV Cycle” a mis en place des mécanismes pour l’élimination des déchets nuisibles à l’environnement.
Nous devons favoriser l’élaboration de nouvelles technologies, mais il ne suffit pas de détenir un brevet. Il faut aussi des mesures incitatives publiques, mais elles varient d’un pays à l’autre. Comment faire pour les uniformiser?
“La propriété intellectuelle ne résout pas tout”, convient M. Gurry, mais elle fait partie de tout un processus de transformation politique et sociale qui est indispensable. Il s’agit d’une tâche extrêmement complexe, ajoute-t-il en citant l’exemple des véhicules électriques. “Si vous voulez pouvoir utiliser des véhicules électriques, observe-t-il, vous avez besoin d’une certaine infrastructure pour les recharger, et il faut qu’elle soit compatible d’un pays à l’autre; autrement, vous ne pourrez utiliser vos véhicules que dans votre pays. Cette compatibilité ne pourra être réalisée que dans le cadre d’un processus de normalisation ou, pour dire les choses autrement, d’un processus de coopération internationale”.
Pourquoi ne fait-on pas plus en matière de transfert de technologie?
(Photo: OMPI/Migliore)
M. Roffe explique qu’il n’existe pas de solution magique à ce problème complexe. Les Nations Unies et l’OMPI sont des lieux de dialogue importants pour cerner les problèmes et les possibilités de solution, mais la recherche de solutions équitables n’est pas une tâche facile, de même que leur mise en œuvre.
Pouvez-vous expliquer le processus du transfert technologique?
Le transfert de technologie se produit à plusieurs niveaux, explique M. Boydell; entre les universités et l’industrie, et entre pays. Dans le premier cas, des universités s’associent à des entreprises ou à des jeunes pousses financées par des protagonistes aux poches profondes qui permettent la commercialisation des technologies en investissant dans des équipements et des moyens de marketing et en garantissant le bon fonctionnement du produit fini. M. de Werra ajoute que le transfert technologique est bien vu dans les universités, car il permet de financer la recherche et constitue un moyen important de garantir la valorisation adéquate des technologies issues de la recherche.
La mise en place de l’infrastructure et des écosystèmes nécessaires au développement technologique dans les pays où ces structures n’existent pas encore est une entreprise très compliquée, observe M. Boydell. Il évoque les mécanismes financiers tels que les initiatives de microcrédit et les organismes de financement qui facilitent, dans une certaine mesure, le développement de ces écosystèmes, mais ajoute qu’il s’agit d’un processus dont la réalisation, “même avec la meilleure volonté du monde, ne nécessite pas seulement de l’argent, mais aussi du temps et des efforts à de nombreux niveaux.”
Peut-on imaginer un scénario dans lequel une invention dont la paternité est attribuée à plusieurs personnes donne lieu à un amalgame de technologies et d’applications?
M. Gurry observe qu’il existe actuellement un mouvement dans cette direction, connu sous le nom d’“innovation ouverte”. M. de Werra explique que la propriété intellectuelle permet ce type de coopération, mais que leur gestion pourrait s’avérer délicate. M. Roffe reconnaît l’importance du rôle des systèmes ouverts de coopération entre les secteurs public et privé et ne doute pas que le système de la propriété intellectuelle soit de plus en plus à même de répondre aux défis de l’économie du savoir.
Comment les entreprises contribuent-elles à la protection de l’environnement et comment la protection de l’environnement contribue-t-elle au développement économique?
M. Boydell répond que la survie de toutes les opérations industrielles dépend du respect de l’environnement. Il explique qu’en plus de s’être fixé des objectifs internes en matière de durabilité environnementale, la société DuPont a décidé en 2005 d’élargir la portée de ses objectifs environnementaux, par exemple en développant sa technologie photovoltaïque “bas carbone” afin de pouvoir remplacer des méthodes plus fortement émettrices de gaz à effet de serre. Il observe que le comportement des entreprises est également influencé par la prise de conscience environnementale des consommateurs, qui sont désormais plus portés à acheter les produits des entreprises respectueuses de l’environnement.
M. Roffe se dit convaincu que le développement économique est lié au développement technologique et passe par l’innovation et la mobilisation de ressources humaines et financières.
Selon Mme Oliva, il existe une dépendance réciproque entre la protection de la biodiversité et le développement économique. La protection de la biodiversité, observe-t-elle, n’est pas inspirée par la philanthropie; elle sert les intérêts économiques des gouvernements et des entreprises. Mme Oliva cite l’exemple de la société brésilienne Natura, dont la valeur des actions a bondi d’environ 400% lorsqu’elle a annoncé son engagement dans le domaine de la protection de la biodiversité.
En conclusion
Ce débat a clairement indiqué, par sa vivacité, que la propriété intellectuelle est en train de s’ouvrir et qu’elle nous touche tous. S’il est vrai que le système a des obstacles à surmonter, il n’en existe pas moins des processus, des forums et des mécanismes pour l’aider à évoluer d’une manière informée afin de répondre aux besoins et préoccupations de notre époque. Mme Oliva a dit qu’à son avis, la propriété intellectuelle a tout ce qu’il faut pour devenir un outil de développement durable, et elle a exhorté son auditoire à réfléchir aux moyens de réaliser ce potentiel.
M. Boydell a déclaré que l’environnement est trop important pour être ignoré par les entreprises – le développement économique et l’environnement sont indissociables, a-t-il affirmé. Il a également souligné que la protection par brevet est une nécessité absolue. Elle permet aux entreprises de réaliser un retour sur investissement, de financer le développement de nouvelles technologies et de rendre ces dernières plus accessibles en les commercialisant.
Défi :
Les panneaux solaires actuels constitués de cristaux de silicium perdent 4,5% de leur efficacité par 10 degrés d’échauffement. Aucune technologie viable n’a pu être mise au point jusqu’à présent pour résoudre ce problème.
M. Boydell a lancé aux inventeurs le défi de trouver une solution, précisant que la personne qui y parviendrait et qui prendrait un brevet sur sa découverte deviendrait non seulement immensément riche, mais aurait aussi rendu un grand service à la société!
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