Le Chili rénove son droit de la responsabilité en matière de propriété intellectuelle
En mai dernier, après trois années de discussions et de débats, le Parlement chilien a approuvé un ensemble de modifications de sa législation en matière de propriété intellectuelle, et notamment de droit d’auteur, réalisant ainsi ce qui a été considéré comme l’un des développements les plus importants des 40 dernières années dans ce domaine au Chili.
La promulgation de la loi nº 20435 sur la propriété intellectuelle (laquelle modifie la loi nº 17336) a fait du Chili le premier pays d’Amérique latine à légiférer en matière de responsabilité des fournisseurs d’accès Internet (FAI). Le Chili a également honoré, ce faisant, un engagement qui lui incombait en vertu de son accord de libre-échange avec les États-Unis d’Amérique. La nouvelle loi renforce en outre les mesures et les sanctions utilisables dans le cadre de la répression des atteintes au droit d’auteur. Elle précise et étend la portée de certaines exceptions existantes au droit d’auteur, notamment celle concernant le droit de citation, et en institue de nouvelles afin de faciliter l’accès aux œuvres, en particulier aux personnes handicapées.
Enfin, elle fait droit à une recommandation des autorités chargées de la concurrence en établissant un mécanisme plus ouvert de fixation des redevances exigées par les sociétés de perception. Dans cet article, M. Rodrigo Lavados Mackenzie, associé principal du cabinet Sargent & Krahn, commente quelques-uns des changements les plus importants apportés à la loi.
Responsabilité des fournisseurs d’accès
Il arrive souvent que les fournisseurs d’accès Internet (FAI) hébergent ou diffusent involontairement des contenus portant atteinte au droit d’auteur de tiers. Cela peut donner lieu à l’engagement de poursuites visant à faire reconnaître que les FAI exposent leur responsabilité en hébergeant de telles informations et en les utilisant sur leurs réseaux et sites Web. La promulgation de la nouvelle loi sur la propriété intellectuelle a fait du Chili le premier pays d’Amérique latine à légiférer en matière de responsabilité des fournisseurs d’accès Internet.
En vertu de la nouvelle loi sur la propriété intellectuelle, les FAI ne sont pas responsables s’ils retirent avec promptitude les contenus illicites lorsqu’ils ont connaissance de leur existence. Mais pour arriver à cette conclusion, il est nécessaire de déterminer, d’un point de vue juridique, l’instant à partir duquel le fournisseur est censé avoir eu connaissance de l’existence d’un contenu portant atteinte à des droits. La nouvelle loi prévoit une présomption de connaissance par le fournisseur d’accès Internet du fait que de tels contenus sont hébergés ou diffusés sur ses équipements dès lors que celui-ci s’est vu notifier cette information dans les formes légales.
De nombreux auteurs et propriétaires de contenus estiment que ces mesures ne protègent pas suffisamment leurs intérêts et préféreraient un système de notification privée entre le titulaire de droits d’auteur et le FAI – comme aux États-Unis d’Amérique – qui serait beaucoup plus rapide que de passer par les tribunaux.
Piratage
La nécessité d’un renforcement du cadre juridique chilien permettant de mieux contrer le piratage était reconnue depuis longtemps, tant dans le pays qu’à l’étranger. La nouvelle loi sur la propriété intellectuelle du Chili contient un certain nombre de modifications qui permettront de mieux faire respecter le droit d’auteur et combattre le piratage. En voici quelques exemples :
- multiplication par 20 des amendes pour atteinte au droit d’auteur, lesquelles peuvent désormais dépasser les 100 000 dollars É.-U. dans certains cas de récidive;
- peines d’emprisonnement pouvant atteindre 10 ans pour quiconque importe, produit ou acquiert à des fins de distribution des copies d’œuvres réalisées sans autorisation;
- fortes peines d’amende pour les personnes qui se livrent à des pratiques collusoires dans le but de commettre des atteintes au droit d’auteur;
- don des contrefaçons ou copies contrefaisantes à des organismes caritatifs à la demande du titulaire de droit (la règle générale étant la destruction);
- fixation des montants de réparation sur la base de la valeur au détail des œuvres originales; dans les actions civiles, le tribunal peut ordonner à l’auteur de l’atteinte de verser un montant correspondant aux profits découlant de l’acte illicite ou un montant forfaitaire de 100 000 dollars É.-U. par infraction.
Exceptions
Sur la question des exceptions au droit d’auteur, qui permettent d’utiliser dans certains cas des œuvres protégées sans avoir à demander l’autorisation de leurs auteurs et sans contrepartie financière, le législateur a établi plusieurs nouvelles dispositions, dont notamment les suivantes :
- la reproduction, l’adaptation, la distribution ou la communication publique d’œuvres protégées ne seront pas considérées comme des actes illicites si elles sont faites au bénéfice des personnes handicapées n’ayant pas accès autrement auxdites œuvres;
- les services d’archives et bibliothèques sans but lucratif peuvent reproduire, sous certaines conditions, des œuvres qui ne sont plus disponibles sur le marché. Ces institutions sont également autorisées à reproduire en format électronique des œuvres de leurs collections aux fins de consultation sur des terminaux dédiés;
- la décompilation de logiciels est permise, mais seulement à des fins d’interopérabilité, de recherche et de développement – ou pour vérifier, étudier ou corriger le fonctionnement et la sécurité de ces logiciels;
- la satire et la parodie sont considérées comme licites si elles fournissent un apport artistique les distinguant de l’œuvre ou de l’interprétation ou représentation à laquelle elles se rapportent;
- la reproduction ou communication publique d’une œuvre est autorisée si elle est effectuée aux fins d’une procédure juridictionnelle, administrative ou législative.
Bien que l’on reconnaisse généralement que ces exceptions répondent à un intérêt public, certains auteurs et titulaires de droit d’auteur jugent anormal de devoir en assumer les coûts. À leur avis, ces derniers devraient en effet être pris en charge par les bénéficiaires des exceptions ou, en leur nom, par l’État. Le législateur a toutefois conclu, cette critique nonobstant, que les nouvelles exceptions répondent au “triple critère”, dans la mesure où elles s’appliquent à des cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale d’une œuvre et ne causent pas de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de titulaires de droits.
Sociétés de perception
La création des œuvres de l’esprit fait intervenir un grand nombre de personnes et d’entreprises. Il en résulte que le marché de ces œuvres est particulièrement fragmenté, de sorte qu’il est souvent difficile d’obtenir des licences et de rémunérer les titulaires de droits pour l’exploitation de leurs œuvres. Les sociétés de perception représentent une sorte de guichet unique pour le versement des redevances, facilitent la commercialisation des œuvres et veillent à ce que les titulaires de droits soient adéquatement rémunérés.
Avant l’adoption de la nouvelle loi chilienne, les taux de redevance pouvaient être fixés unilatéralement par les sociétés de perception. Cela créait une distorsion de concurrence préoccupante à laquelle la nouvelle loi remédie en établissant un mécanisme de détermination plus ouvert, auquel participent les groupes d’usagers. Les décisions relatives aux taux de redevance sont désormais soumises à un processus de médiation et, si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord, à une procédure arbitrale.
Lorsque les usagers et les sociétés de perception ont recours à l’arbitrage pour régler un différend, chacune des parties propose un barème accompagné d’une explication des usages auxquels s’appliquent les différents tarifs. L’arbitre choisit la proposition représentant le meilleur compromis entre les intérêts des usagers et ceux des sociétés de perception.
Œuvres de commande et créations de salariés
La cession automatique du droit d’auteur aux employeurs ou commanditaires d’œuvres n’est pas généralisée au Chili. Elle s’applique principalement dans le domaine de la conception de logiciels et, dans une certaine mesure, au travail des journalistes, photographes et auteurs de l’industrie cinématographique.
L’ancienne loi conférait la titularité du logiciel à la personne physique ou morale qui en commandait la création pour le compte d’un tiers, sous réserve qu’elle en assure également la commercialisation. Cette disposition était toutefois une source fréquente de problèmes, par exemple lorsque que des logiciels étaient créés sur mesure pour des entreprises particulières. En vertu de la nouvelle loi, le droit d’auteur est dévolu à la personne qui commande le logiciel pour le compte d’un tiers, en éliminant donc la nécessité de démontrer que ce logiciel est destiné à être commercialisé.
D’autres améliorations pourront être apportées ultérieurement, par exemple des règles concernant la copie privée ainsi que des dispositions supplémentaires sur les œuvres de commande, mais les nouveautés ci-dessus constituent certainement l’un des plus importants progrès réalisés au Chili en matière de droit de la propriété intellectuelle depuis la toute première adoption de cette loi, en 1970.
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.