Portables et développement : la téléphonie mobile change la vie de millions de personnes
Depuis ce jour de 1973 où Martin Cooper inventa, avec son équipe de la société Motorola, le premier cellulaire que l’on pouvait tenir à la main, l’usage des téléphones portables a connu une croissance phénoménale qui en a fait l’un des biens de consommation les plus répandus de la planète. Avec plus de 4 milliards de connexions et près de 80% de la population mondiale desservis par des réseaux GSM terrestres, la téléphonie mobile est en passe de devenir une technologie pratiquement universelle, et cela, selon certains, dès 2015.
Le téléphone de M. Cooper était un objet pas très maniable, pesant deux kilos et pourvu d’une batterie d’à peine 20 minutes d’autonomie. Les modèles 3G (de troisième génération) légers, peu coûteux et polyvalents que nous connaissons aujourd’hui permettent de communiquer de multiples manières (par la voix, par télécopieur ou par courrier électronique) et d’accéder en plus à des informations et des divertissements. Ce sont en fait de plus en plus des ordinateurs que l’on tient dans le creux de sa main. Considéré à une époque comme un jouet de riche assez peu utile, le téléphone mobile occupe une place de plus en plus essentielle dans notre vie quotidienne. La technologie sans fil est aussi utilisée dans de nombreux pays en développement, où elle est un moyen d’accéder à un large éventail de services associés à l’amélioration de la qualité de vie et porteurs de grandes espérances en ce qui concerne le développement des populations locales.
Nokia Bicycle Charger Kit - La dynamo
commence à charger dès que le vélo atteint
une vitesse de 6 km/h et s’arrête s’il dépasse
les 50 km/h. Le cycliste peut en vérifier le
fonctionnement sur l’écran de son téléphone
mobile. Le chargeur résiste à l’humidité et à
la poussière. (Photos: Copyright
2010. All rights reserved)
Au début du mois de juin, la société Nokia a lancé une gamme de produits conçus spécifiquement pour les utilisateurs ayant un accès limité à l’électricité, dans laquelle figure notamment un modèle à deux cartes SIM qui peuvent être échangées sans éteindre le téléphone – chose qui répond aux besoins de nombreux usagers. Un autre modèle est doté d’une batterie ayant une autonomie de six semaines et que l’on peut recharger à l’aide d’une dynamo de vélo. Ces nouveautés ont donné au Magazine de l’OMPI l’idée de se pencher sur quelques-unes des utilisations ingénieuses dont fait l’objet le téléphone mobile dans le but de connecter ceux qui ne pouvaient pas l’être jusque-là et d’améliorer la vie des individus, en particulier dans les régions rurales isolées du monde en développement.
Des applications innovantes pour les technologies mobiles
Les téléphones mobiles prennent la place des lignes fixes dans de nombreux pays en développement. Ils contribuent à la croissance économique, car ils favorisent celle des entreprises en leur permettant d’avoir accès à un plus grand nombre de marchés. Ils représentent aussi pour les communautés des régions éloignées ou mal desservies un moyen de communication plus fiable que les réseaux routiers ou les systèmes postaux. Grâce à l’évolution des technologies, ces téléphones permettent non seulement de faire des appels vocaux, mais aussi d’utiliser un nombre extraordinaire d’applications ingénieuses. Dans les pays en développement, ils facilitent l’accès aux informations commerciales, la veille sanitaire, les transferts de fonds et l’alphabétisation.
Le Nokia C1-00 peut recevoir
deux cartes SIM à la fois. Il
est en outre équipé d’une
lampe de poche, d’une radio
FM et d’un réveil, peut prendre
en charge les langues locales
et permet de créer des
répertoires téléphoniques multiples.
Il dispose d’une autonomie de 48
jours en veille et 13 heures en
conversation, et pèse à peine 72,9
grammes, batterie comprise.
La variété et la créativité des utilisations du téléphone mobile sont infinies. Au Sénégal, les pêcheurs s’en servent pour se renseigner sur les stocks et les cours de marché du poisson, afin de savoir vers quel port ils doivent se diriger pour vendre leur cargaison au meilleur prix. Ils les utilisent également pour émettre ou recevoir des signaux de détresse, de sorte que la sécurité des flottes de pêche locale est accrue. En Afrique du Sud, les agriculteurs de la province du Limpopo négocient directement avec leurs clients d’une région donnée par téléphone mobile pour éviter de transporter des denrées périssables sur de longues distances jusqu’à un marché où ils subiraient des pertes considérables – selon certaines estimations, cela a permis de faire passer leur revenu mensuel de 700 à 4000 dollars É.U.1
Une étude réalisée en 2005 par Leonard Waverman de la London Business School a constaté que chaque ajout de 10 téléphones mobiles par 100 habitants dans un pays en développement s’était traduit par une augmentation de 0,6% de la croissance du PIB2 de ce pays entre 1996 et 2003.
La facilité d’accès aux services financiers peut jouer un rôle déterminant dans la stimulation de l’activité économique locale et la lutte contre la pauvreté. Un grand nombre d’habitants des régions rurales isolées n’ont ni compte en banque ni accès aux services bancaires conventionnels. La téléphonie mobile se révèle comme un moyen particulièrement avantageux de faire face à ces problèmes tout en réduisant les coûts d’exploitation des institutions financières.
“Le téléphone mobile représente pour les habitants des marchés émergents un portail de savoir, de divertissement et de communication, et souvent le seul. Il est devenu indispensable dans la vie et les affaires des personnes qui l’utilisent. “
Nokia
La banque au bout des doigts
Le Kenya a fait œuvre de pionnier dans le domaine de la banque mobile avec le système de transfert d’argent M-PESA (“M” pour mobile et “pesa” pour “argent” en swahili), lancé en février 2007 par Safaricom et Vodafone. “Le service de transfert d’argent par mobile M-PESA est un exemple qui illustre le rôle de premier plan du Kenya en matière de développement de la technologie mobile et de ses utilisations” a déclaré à cette occasion M. Michael Joseph, directeur général de Safaricom.
Ce système innovateur permet en effet aux clients de transférer de l’argent d’un téléphone cellulaire à un autre au lieu de passer par une banque. Le service s’adresse aux utilisateurs de téléphonie mobile qui n’ont pas de compte bancaire, soit parce qu’ils n’ont pas suffisamment d’argent pour en ouvrir un, soit parce qu’ils n’ont pas accès à une banque.
Salué comme étant “le premier service de transfert de fonds par mobile et celui qui connaît le plus grand succès dans le monde”, M-PESA peut s’enorgueillir d’avoir aujourd’hui 9,48 millions d’abonnés, plus de 17 000 agences et 290 partenaires de règlement de factures. Le système, qui s’est largement diversifié au cours de ses trois années d’existence, offre actuellement le paiement de salaires et de factures, la possibilité de retirer de l’argent dans les guichets automatiques et le transfert d’argent international.
Il suffit aux usagers de M-PESA de s’inscrire auprès d’un agent autorisé au moyen de leur numéro de mobile Safaricom et d’une carte d’identité. L’application M-PESA est alors installée sur une carte SIM utilisable dans un téléphone de n’importe quelle marque et donne accès aux services suivants :
- dépôt auprès d’un agent local d’un montant en argent liquide qui est ensuite crédité au compte de l’abonné;
- envois d’argent par message texte à d’autres utilisateurs de téléphones mobiles (même s’ils ne sont pas des abonnés de Safaricom);
- encaissement auprès d’un agent local de montants transférés par message texte;
- achat de temps d’antenne Safaricom pour l’abonné lui-même ou pour d’autres abonnés.
Seuls les abonnés de Safaricom peuvent envoyer de l’argent par l’intermédiaire du service M-PESA, mais toute personne ayant un téléphone capable de recevoir des messages textes peut en recevoir par cette méthode, et cela, même si elle n’est pas titulaire d’un compte en banque.
Les versements et les retraits d’argent peuvent être effectués auprès d’une agence M-PESA, c’est-à-dire généralement un concessionnaire Safaricom, une station-service, un supermarché ou un commerce local.
Renforcer les capacités des communautés
En 2008, l’organisme d’aide irlandais CONCERN Worldwide s’est trouvé confronté à la difficile tâche de faire parvenir d’urgence une aide alimentaire à des communautés vulnérables de la lointaine vallée de Kerio, au Kenya. Ayant entendu parler du service M-PESA, CONCERN comprit rapidement que ce dernier pouvait faciliter grandement son intervention. L’organisme prit contact avec Safaricom pour lui demander d’élaborer un service spécial pour les transferts d’argent en situation d’urgence, qu’il fut le premier à utiliser.
Pour CONCERN, cette expérience a clairement démontré que “la téléphonie mobile est une technologie exceptionnelle qui offre les moyens nécessaires pour fournir efficacement de l’aide aux populations vulnérables des régions les plus dangereuses et les plus reculées”. Ce mécanisme a permis une meilleure gestion des risques, mais a aussi réduit les coûts de manière significative –16% de moins pour M-PESA que pour la méthode conventionnelle – et entraîné toute une série d’avantages supplémentaires.
En même temps que des téléphones mobiles, des cartes SIM et des chargeurs, les membres des communautés concernées ont reçu ainsi une possibilité de communication comme ils n’en avaient jamais eu auparavant et qui les a transformés de receveurs d’aide passifs en participants actifs à un processus. L’expérience de CONCERN démontre donc que le téléphone mobile peut jouer un rôle déterminant en tant que moyen de mise en œuvre de solutions innovantes permettant de renforcer les effets de l’aide au développement ainsi que les capacités des communautés.
L’essor considérable de la téléphonie mobile dans les pays d’Afrique permet aux gouvernements, aux organismes sans but lucratif et aux entreprises d’élaborer des solutions nouvelles répondant aux besoins des communautés et susceptibles de stimuler leur développement au niveau local.
Contribution aux efforts d’aide à Haïti
Les téléphones mobiles ont contribué d’une manière essentielle aux efforts d’aide aux sinistrés après le tremblement de terre qui a ravagé Haïti le 12 janvier 2010. Ils ont en effet été l’une des technologies – avec notamment les outils de cartographie en ligne, le GPS et les réseaux sociaux – utilisées par les membres du public en complément des services de communication traditionnels pour appuyer les efforts de secours en facilitant la circulation d’informations cruciales ainsi que la collecte de fonds dont les Haïtiens ont un besoin criant. Selon un article du Huffington Post, les dons de particuliers faits par téléphone mobile représentent une part croissante du total des contributions. Aux États-Unis d’Amérique seulement, plus de 32 millions de dollars É.-U. ont été donnés par messagerie texte à la Croix-Rouge américaine pour ses efforts d’aide aux sinistrés d’Haïti. La campagne “Red Alert” de l’opérateur de téléphonie mobile Vodafone a permis de recueillir plus de 5,2 millions d’euros (8 millions de dollars É.-U.) au titre de l’aide aux victimes du tremblement de terre d’Haïti.
Vérification gratuite des médicaments
La téléphonie mobile s’affirme par ailleurs comme un moyen efficace de protection des consommateurs contre le fléau que représentent les médicaments contrefaits. Bien qu’il soit difficile de fournir des chiffres exacts, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que plus de 10% des médicaments commercialisés dans le monde sont des faux, et que dans les pays en développement, la proportion des médicaments contrefaits ou de qualité douteuse est de 25%. Outre les décès qu’ils causent chaque jour, ces produits ont pour effet d’augmenter la résistance aux pathogènes, et donc de solliciter encore plus les ressources déjà limitées des systèmes publics de santé.
En réponse à cette situation alarmante ainsi qu’aux inquiétudes croissantes des fabricants de produits pharmaceutiques et du public, l’organisme sans but lucratif mPedigree, dont le siège est au Ghana, a mis au point un service gratuit permettant aux clients de vérifier rapidement au moyen de leur téléphone portable l’authenticité des médicaments qu’ils s’apprêtent à acheter.
La plate-forme mPedigree offre un service “économiquement accessible, facile à réaliser et ne nécessitant aucune connaissance particulière”, qui intéresse de plus en plus les autorités publiques des pays d’Afrique, confrontées à la prolifération des contrefaçons de médicaments. L’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS) a annoncé au mois de juin l’adoption de la plate-forme technologique mPedigree en tant que norme régionale de lutte contre les médicaments contrefaits. Des fabricants de produits pharmaceutiques ont par ailleurs entrepris des négociations avec mPedigree en vue de la mise en œuvre de la plate-forme dans leurs opérations en Afrique.
Le service mPedigree s’avère particulièrement utile comme moyen de sensibilisation au problème de la contrefaçon dans la région. Pour Bright Simmons, président de l’organisme mPedigree Network, le système offre un mécanisme permettant “de faire le lien entre les préoccupations de santé publique et de protection des droits de propriété intellectuelle des secteurs public et privé et, pour les entreprises, de se positionner comme des fournisseurs de produits de qualité, respectueux de la propriété intellectuelle”.
Lancé tout d’abord au Ghana en 2008, le système mPedigree relie les réseaux mobiles GSM à un registre central (actuellement géré par Hewlett-Packard) dans lequel sont stockées les informations relatives aux médicaments des fabricants participants. Le principe sur lequel est fondée la plate-forme et celui de “l’authentification des médicaments d’un bout à l’autre de la chaîne d’approvisionnement, jusqu’au consommateur”. Le fabricant attribue à chaque emballage contenant l’un de ses médicaments un code distinctif que le consommateur envoie par message texte à un numéro gratuit au moment de l’achat pour obtenir de manière quasi instantanée confirmation de l’authenticité du produit. Seuls les médicaments correctement identifiés peuvent être vérifiés de cette façon, et chaque code expire dès qu’il a été utilisé, afin d’éviter l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement de médicaments contrefaits.
Le code unique alphanumérique imprimé sur chaque emballage est caché sous une bande que le consommateur doit gratter avant de pouvoir l’envoyer. Le numéro sans frais utilisé pour la transmission des messages texte à l’application mPedigree est loué auprès des opérateurs de téléphonie, et les coûts sont pris en charge par les fabricants, qui bénéficient de tarifs réduits.
Là où la technologie holographique a échoué et où les coûts des systèmes d’identification et de traçage des médicaments par radiofréquence (RFID) sont hors de portée pour de nombreux pays en développement, le système mPedigree constitue une solution efficace. Comme le dit M. Simmons, c’est une plate-forme “tout aussi sûre que la technologie RFID, mais à un dixième du prix”.
Un moyen de responsabiliser les consommateurs
(Photo: iStockphoto.com / Mathias Wilson)
M. Simmons souligne l’importance de cette initiative en expliquant que “pour la première fois dans l’histoire écrite du commerce, ceux pour qui la sécurité des produits pharmaceutiques a la plus grande importance – les patients et les consommateurs – sont amenés directement au cœur de la lutte anti-contrefaçon, grâce à l’effet de transformation qu’exerce la téléphonie mobile dans le monde en développement”. Il estime que ce système “répare une très vieille injustice du marché” en donnant à ceux qui payent pour un produit un moyen de vérifier qu’ils reçoivent bien ce pour quoi ils ont payé – en l’occurrence un médicament qui peut leur sauver la vie. Cela représente “une façon radicalement différente de voir… les droits des consommateurs”.
Les avancées de la téléphonie mobile et la baisse du prix des appareils ont permis à des millions de personnes d’entrer dans l’ère de l’information, et donné accès à de nombreux progrès qui ont un effet bénéfique sur la qualité de vie.
Pour M. Cooper, qui l’a inventée, “la téléphonie mobile est destinée à l’amélioration de la vie des gens”. À son avis, “le téléphone cellulaire sera un jour implanté derrière votre oreille, sous la peau, avec un puissant ordinateur qui sera, en fait, votre esclave”.
À mesure que les opérateurs de téléphonie mobile repoussent les frontières de l’innovation afin de pouvoir toucher un nombre toujours plus grand d’usagers, de nouvelles applications innovantes feront leur apparition et continueront de transformer la vie de millions de personnes.
Potentiel commercial énorme; nombreux avantages au plan social
Le rythme d’adoption très rapide du téléphone mobile dans le monde en développement – on estime à 1,5 million le nombre de consommateurs qui s’abonnent chaque jour – représente pour les opérateurs à la fois une possibilité d’augmentation de leurs parts de marché et de leurs profits et une occasion de contribuer à avantager les sociétés locales.
La valeur du marché mondial de la téléphonie mobile sera de 211,9 milliards de dollars É.-U. en 2011 (une augmentation de 103,1% depuis 2006), pour un nombre d’appareils estimé à 1,804 milliard d’unités (en hausse de 125,5% par rapport à 2006)3.
Les fabricants ont compris que pour profiter de ce potentiel gigantesque, ils doivent élaborer des appareils peu coûteux ainsi que des applications répondant aux besoins et à la situation des consommateurs des marchés émergents. Leurs téléphones devront notamment posséder les caractéristiques suivantes :
- remplacement des mots par des symboles afin de permettre l’utilisation dans les communautés à faible taux d’alphabétisation;
- autonomie importante et lampe de poche pour les régions dépourvues d’électricité ou connaissant des pannes fréquentes;
- côtés caoutchoutés pour améliorer la préhension dans les régions particulièrement humides;
- claviers protégés contre la poussière;
- radios avec haut-parleur pour permettre l’écoute en groupe;
- plusieurs répertoires sur le même téléphone;
- compteurs de coûts et d’appels pour faciliter l’utilisation par des usagers multiples et éviter les dépassements;
- prise en charge des langues locales;
- applications utiles pour les micro-entrepreneurs, par exemple calculatrices, alarmes, calendriers.
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- Produit intérieur brut – un indicateur du niveau de production économique officiel global d’un pays. ↑
- Source : InfoEdge ↑
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