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Licences de musique en ligne : une façon de sortir du labyrinthe

Février 2011

Dans la conclusion du rapport annuel 2008 de la société d’auteurs hongroise Artisjus, le directeur général, M. András Szinger, avait qualifié la situation actuelle du marché numérique européen de “période de chaos en matière de licences”. Il n’était pas seul de cet avis. Si les sociétés d’auteurs se débattent aujourd’hui avec la question des licences, les éditeurs de musique, les diffuseurs et les fournisseurs de musique numérique ont eux aussi tout intérêt à trouver une solution viable. Tous voudraient accélérer la création d’un marché paneuropéen de la musique numérique, et chacun voudrait que cela se fasse à ses propres conditions. Le paysage européen des licences de musique est donc parsemé d’obstacles considérables. Dans cet article, Phil Hardy, rédacteur en chef de theviewfromtheboundary, examine comment on en est arrivé là et ce qu’il est possible de faire pour progresser.

Le monde européen des licences de musique numérique est en crise. Décisions de justice, initiatives de l’Union européenne (UE) en faveur des intérêts des consommateurs, développement du marché numérique, naissance de modèles de commerce en ligne et sociétés de perception pour les œuvres musicales l’ont en effet transformé en un labyrinthe inextricable.


(Photo: iStockphoto/Cesair)

Tenter de circuler dans les détours de ce labyrinthe des licences peut être un vrai cauchemar. Entreprises et consommateurs ont tout à gagner de la mise en place en Europe d’un environnement cohérent et coordonné en matière de licences. Alors qu’elle occupait le poste de Commissaire européenne en charge de la société de l’information et des médias, Mme Viviane Reding1 a résumé les choses ainsi : “Au sein de l’UE, les droits des consommateurs en ligne ne devraient pas dépendre de l’endroit où est situé le siège d’une entreprise ou d’un site Web. Les frontières nationales ne devraient plus compliquer la vie des consommateurs européens lorsqu’ils vont en ligne pour acheter un livre ou télécharger une chanson.”

Jusqu’à présent, les éditeurs de musique et les sociétés de gestion collective ont administré leurs droits un territoire à la fois, et cela ne posait aucun problème dans la mesure où les utilisateurs opéraient eux-mêmes sur un seul territoire. Avec l’intégration grandissante des marchés et l’émergence des réseaux numériques, de plus en plus d’observateurs reconnaissent maintenant que les approches territoriales en matière de concession de licences deviennent impraticables.

C’est le souhait de disposer d’un guichet unique de concession de licences musicales pour l’ensemble de l’Europe qui a été à l’origine de la plainte déposée en 2000 par le diffuseur RTL devant la Commission européenne (CE). Cette plainte visait le refus de GEMA, la société de gestion des droits des auteurs allemands, d’accorder une licence paneuropéenne “pour l’ensemble de ses activités de radiodiffusion de musique, nationales et internationales, par des voies d’exploitation traditionnelles ou nouvelles”. Une plainte analogue a été déposée en 2003 par le diffuseur européen de musique numérique interactive Music Choice contre la CISAC2. Les deux affaires ont ensuite été regroupées, et en juillet 2009, la Commission a statué en faveur de RTL et Music Choice.

La CE a jugé le comportement des sociétés contraire aux règles de la concurrence parce qu’elles avaient créé un réseau fermé au sein duquel chacune disposait à titre exclusif du droit d’accorder aux utilisateurs commerciaux des licences se limitant à son territoire national. La Commission a considéré qu’il en résultait des contraintes tant pour les auteurs et compositeurs que pour les radiodiffuseurs, les premiers parce que cela les obligeait à s’affilier à la société de gestion de droits du pays de leur domicile, et les seconds parce qu’ils devaient passer des accords de licence avec chacun des pays dans lesquels ils opéraient.

La décision de la Commission a conduit les sociétés européennes à mettre fin à leur pratique de concession automatique d’un ensemble de droits à tous les secteurs, notamment ceux de la radiodiffusion par satellite et numérique. Les sociétés ont également modifié les règles s’appliquant à leurs membres en donnant aux particuliers une plus grande liberté dans le choix de leur société de gestion, décidant parallèlement d’en appeler, conjointement avec la CISAC, de la décision de la CE.

Tandis que l’affaire RTL suivait son cours, la CE publiait des recommandations3 se rapportant à la concession de licences de musique en ligne destinées, expliqua Charles McCreevy, Commissaire chargé du marché intérieur et des services de 2004 à 2010, à faciliter “le démarrage des nouveaux services de musique en ligne basés en Europe”. Au lieu de conserver ou de modifier les accords de représentation réciproque entre sociétés nationales, la Commission favorisait l’introduction d’un nouveau mécanisme permettant aux titulaires de droits d’autoriser une seule et unique société à gérer l’utilisation de leurs œuvres dans l’ensemble de l’UE. Il était prévu que cela conduirait à l’émergence d’un petit nombre de sociétés puissantes pouvant se charger à la fois des licences d’utilisation d’œuvres musicales en ligne et hors ligne.

Les recommandations furent accueillies favorablement par les grandes sociétés d’auteurs, par exemple la UK Music Alliance (aujourd’hui PRS for Music), qui estima qu’elles constituaient “le coup d’envoi d’une ruée en ligne à travers l’Europe” et une “occasion de créer de meilleurs services et de meilleurs tarifs” pour ses membres.

Le Commissaire Herbert Ungerer, directeur général adjoint chargé de la politique des aides d’État au sein de la direction générale de la concurrence (DG COMP), a salué cette réponse, observant que “face aux changements fondamentaux que connaissent les marchés de la musique en Europe et dans le monde, les modèles d’affaires appliqués à la gestion collective des droits devront inévitablement changer eux aussi.”

L’introduction du nouveau mécanisme proposé a également été appuyée par les éditeurs de musique comme par les titulaires de droits, car elle leur permettait d’exercer un plus grand contrôle sur la gestion de leurs droits, eu égard en particulier au recours croissant par les sociétés, au cours des années 90, à des accords de licences centralisées portant sur des redevances mécaniques4. Les éditeurs de musique étaient en effet perdants dans ce type d’accord, étant donné que les sociétés réduisaient les montants chargés aux maisons de disques et effectuaient la perception au nom des éditeurs de musique et des compositeurs lorsque l’ensemble de ces paiements passait par leur intermédiaire.

Nouvelles formules

Les grands éditeurs de musique et sociétés de gestion collective ont fait plusieurs tentatives pour simplifier le système des licences de musique en ligne, en proposant des façons nouvelles d’administrer les droits dans l’arène numérique. Le premier à agir fut EMI Music Publishing (EMI MP), qui signa avec la société britannique PRS for Music et GEMA un accord faisant de CELAS l’administrateur exclusif des droits numériques relatifs au catalogue anglo-américain d’EMI MP. D’autres bases de données suivirent, notamment Harmonia, une coentreprise formée par la française SACEM, l’espagnole SGAE et l’italienne SIAE pour administrer les droits numériques du groupe Universal Music Publishing, un accord avec GEMA pour la représentation exclusive du catalogue anglo-américain de Sony/ATV et des accords entre l’éditeur de musique Warner Chappell et d’autres sociétés européennes.

Collectivement, toutes ces initiatives ont abouti à la situation de “chaos en matière de licences” décrite par András Szinger. Qui plus est, les utilisateurs ont perdu l’accès à une part significative du répertoire musical mondial, les grands éditeurs de musique préférant passer des accords exclusifs avec des sociétés données plutôt que des accords bilatéraux avec des sociétés nationales de perception de droits. Les avantages supposés de l’introduction du nouveau mécanisme proposé ont disparu en raison de la fragmentation du répertoire mondial.

Possibilité de solution

De plus en plus de parties prenantes – radiodiffuseurs, fournisseurs de services Internet, services de musique en ligne, maisons de disques, sociétés d’auteurs, experts en technologie et juristes – appellent à une réforme en matière d’administration des droits des auteurs en Europe. La CE est passée à l’action en 2009 dans le but de résoudre le problème toujours pressant des licences de musique. Neelie Kroes, à l’époque Commissaire européenne en charge de la concurrence5 a observé : “Il y a en Europe une volonté claire, exprimée par d’importants joueurs du domaine de la distribution de musique en ligne, de s’attaquer aux nombreux obstacles qui empêchent les consommateurs de bénéficier pleinement des possibilités offertes par l’Internet”.

En 2010, la CE a lancé deux initiatives visant à améliorer la situation en matière de musique en ligne pour les consommateurs européens. La première promettait un meilleur accès au répertoire musical mondial par la réintégration partielle de ce dernier au moyen d’une série d’accords non exclusifs avec diverses sociétés d’auteurs. La deuxième proposait d’établir une base de données mondiale des œuvres musicales et enregistrements sonores réunissant les informations détenues par les différentes sociétés afin de constituer une source unique, complète et fiable en matière de titularité et de contrôle des œuvres musicales. L’objectif ainsi visé est de limiter les obstacles qu’ont à surmonter les entreprises désireuses de distribuer des contenus en ligne en assurant à leurs créateurs une rémunération complètement transparente et en améliorant l’accès au répertoire musical mondial.

Face à la complexité de la situation européenne en matière de licences, l’intérêt d’une telle base de données est indéniable. Comme l’a noté l’UE, “on ne peut plus supposer qu’un éditeur de musique ou un gestionnaire de droits musicaux présent sur un territoire donné soit de ce fait en mesure d’accorder une licence d’exploitation sur une œuvre pour ce territoire où un ensemble de territoires quelconque”. Situation encore compliquée par le fait que s’agissant de l’exploitation d’œuvres musicales en ligne, “le droit d’accorder des licences n’est pas nécessairement détenu de la même manière que la titularité ou les droits territoriaux hors ligne”. Cela signifie essentiellement qu’une société peut se voir désigner pour accorder des licences d’exploitation d’une certaine œuvre sur un territoire donné, mais pas automatiquement pour accorder ces mêmes licences en dehors du territoire en question. La mise en place de bases de données destinées à faciliter l’octroi de licences de musique en ligne a été tentée par le passé, mais avec un succès limité6.

L’UE voit la base de données du répertoire mondial comme une banque centralisant les informations nécessaires à l’identification de toutes les œuvres musicales connues, et notamment :

  • identité du ou des auteurs;
  • titularité des parts de droits attribuées à chaque partie pour chaque œuvre musicale et chaque territoire;
  • organismes autorisés à accorder des licences exclusives ou non exclusives d’exploitation en ligne ou hors ligne par type de droit (par exemple représentation publique, reproduction etc.), part de droits, type d’utilisation (par exemple en ligne ou hors ligne) et territoire;
  • toutes les données connues concernant des enregistrements sonores ou vidéos musicales, avec le nom de l’artiste principal;
  • les liens entre chaque œuvre musicale et les enregistrements sonores ou vidéos musicales dans lesquels elle figure;
  • œuvres du domaine public.

Ces éléments sont communément considérés comme essentiels au succès d’une base de données du répertoire mondial. Les difficultés techniques posées par son établissement sont de toute évidence surmontables. Les questions politiques suivantes le sont beaucoup moins :

  • à qui appartiendra-t-elle et qui sera chargé de son administration et de son entretien?
  • comment les œuvres seront-elles enregistrées?
  • comment sera déterminé l’accès à la base de données du répertoire mondial?

Selon les propositions initiales de diverses parties intéressées, la propriété et l’exploitation d’une base de données du répertoire musical mondial devraient revenir à un organisme complètement indépendant tel que l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). L’OMPI possède en effet une expérience considérable en ce qui concerne l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion de systèmes internationaux de dépôt et d’enregistrement tels que le Traité de coopération en matière de brevets (PCT) qui facilite l’obtention de la protection par brevet dans plus de 140 pays, et le système de Madrid concernant l’enregistrement international des marques qui offre un moyen économique d’enregistrer et ensuite de gérer des marques à l’échelon international. La base de données du répertoire musical mondial pourrait faire l’objet d’un mécanisme similaire, les frais d’enregistrement étant à la charge des titulaires de droits, puisque ce sont eux qui bénéficieraient le plus d’un système facilitant la mise à disposition de leurs œuvres aux utilisateurs.

M. Francis Gurry, directeur général de l’OMPI, a évoqué cette possibilité en novembre 2010, à l’occasion de la conférence de l’OMPI intitulée “Faciliter l’accès à la culture à l’ère du numérique” en soulignant que l’idée était “arrivée à maturité”. Il reste désormais à susciter un large engagement de la part des décideurs politiques et autres parties prenantes pour faire de cette idée une réalité fonctionnelle. Une base de données du répertoire musical mondial rassemblant tous les fragments d’information détenus par les sociétés de perception de droits sur les œuvres musicales, leur titularité, contrôle ou administration contribuerait énormément à mettre de l’ordre dans la confusion qui règne actuellement en matière de licences, et l’OMPI semble bien placée pour relever le défi.

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1  En 2010, Viviane Reding a été nommée Commissaire européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté.
2  Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs.
3  Recommandations relatives à la gestion collective transfrontière du droit d’auteur et des droits voisins dans le domaine des services licites de musique en ligne (en 2005).
4  Redevance due sur la vente de chaque morceau de musique enregistré.
5  Neelie Kroes a été nommée Commissaire européenne en charge de la stratégie numérique en 2010.
6  L’International Standard Code (ISRC) mis en place par l’industrie du disque pour suivre les utilisations numériques et le Common Information System (CIS) élaboré par la CISAC ont eu peu de succès. Divers systèmes de suivi ont également été mis au point (par exemple le Blue Arrow de BMI ou le Mediaguide d’ASCAP), mais ils s’appliquent à une clientèle ou un usage donnés et ne sont pas conçus pour un éventail de tâches aussi large que celui envisagé pour la base de données mondiale.

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