Catalyser la créativité dans le monde numérique
Le producteur de films primé aux Oscars Lord David Puttnam s’exprime sur l’importance croissante des industries de la création et la nécessité de maximiser les avantages que l’environnement numérique peut apporter en termes de croissance économique à long terme.
À propos de Lord Puttnam |
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Lord Puttnam a commencé à produire des films à la fin des années 60. Parmi ses grands succès en tant que producteur, on peut citer des classiques comme Bugsy Malone, Midnight Express, Les Chariots de feu (qui a remporté l’Oscar du meilleur film en 1981), Local Hero, Memphis Belle, Meeting Venus ainsi que La Déchirure et Mission avec Roland Joffé (qui a remporté la Palme d’Or au Festival du Film de Cannes en 1986). Lord Puttnam a été président et directeur général de Columbia Pictures de 1986 à 1988. Ses fonctions actuelles incluent notamment la présidence de l’Association britannique des distributeurs de films, la vice‑présidence de la chaîne de télévision britannique du service public Channel 4 et le rectorat de l’Université d’enseignement à distance. |
En ces temps particulièrement difficiles, nos industries de la création sont plus importantes que jamais. Les technologies numériques, notamment le haut débit, bouleversent d’ores et déjà la façon dont les utilisateurs consomment des séquences animées de toutes sortes. Mais, par‑dessus tout, la transformation résulte d’un nombre croissant de changements fondamentaux dans le comportement des gens – en tant que public, en tant que consommateurs et en tant que citoyens. Par exemple, les utilisateurs veulent profiter des technologies numériques pour accéder aux contenus plus rapidement, plus facilement, lorsqu’ils sont chez eux ou en déplacement – toutes choses qui étaient totalement impensables il y a seulement une dizaine d’années. Inutile de dire que cette évolution comporte son lot de défis pour toute personne impliquée dans la création et la distribution de films et de programmes de télévision.
Le changement, lorsqu’il intervient à l’échelle et à la vitesse qui sont les siennes aujourd’hui, peut être extrêmement stimulant. À mes débuts dans l’industrie cinématographique dans les années 60, celle‑ci était largement mal préparée sur les plans intellectuel, émotionnel ou organisationnel pour tirer avantage ne serait‑ce que des premières formes d’innovation technique.
À cet égard, nous pouvons tirer plusieurs enseignements utiles de l’histoire, bien illustrés par une organisation connue sous le nom de FIDO – the Film Industry Defence Organisation. Sur la base de ce qui semblait être une “brillante” idée imaginée au milieu des années 50 par les sociétés cinématographiques britanniques, FIDO voulait créer une caisse commune suffisante pour acheter les droits de télévision de tous les films américains et britanniques afin de veiller à ce qu’ils ne soient jamais diffusés sur le petit écran – et, ce faisant, étouffer la télévision dans l’œuf! Cette tentative a lamentablement échoué, démontrant une fois de plus l’importance de bien comprendre et de composer avec le changement industriel plutôt que de vouloir revenir en arrière.
Heureusement, les industries contemporaines de la création ont fait preuve d’une plus grande clairvoyance que ceux qui ont tenté de gérer l’industrie cinématographique britannique comme un duopole rassurant dans les années 50 et 60.
L’essentiel à mes yeux est que nos atouts existants n’auront guère de poids si nous ne nous rallions pas activement à l’évolution de ce moyen d’expression pour saisir tous les avantages qu’il offre.
Il est désormais flagrant que le modèle commercial sous‑jacent adopté par nos industries doit être remanié en profondeur si nous voulons être en mesure de tirer parti des opportunités offertes par la technologie numérique en vue de maintenir – voire de renforcer – nos industries de la création.
Par exemple, si l’industrie entend assurer efficacement le respect de sa propriété intellectuelle, elle doit disposer de moyens tout aussi efficaces pour fournir un contenu à son public raccordé au numérique. Dans ce domaine‑là, à mon sens, nous avons à peine effleuré la question.
Nous devons explorer ces possibilités en ne nous contentant pas simplement de “tolérer” différentes formes de consommation passive mais, bien au contraire, en les considérant comme un puissant catalyseur donnant naissance à un monde entièrement nouveau de collaboration, de partage et d’acquisition de connaissances en matière de création.
Voici un récit édifiant tiré des archives de C‑Span, le réseau câblé et satellite américain dédié à la diffusion de programmes concernant les affaires publiques : en 1994, Christopher Dodd, sénateur démocrate du Connecticut, a imaginé une façon très originale d’utiliser la valeur de la propriété intellectuelle passée pour soutenir des artistes et auteurs contemporains. Son projet de loi sur le financement de l’art par l’art (“Arts endowing the Arts Act”) aurait prolongé de 20 ans la durée de la protection du droit d’auteur, consacrant une part du revenu généré durant ces années supplémentaires au soutien de créations actuelles. Selon les règles en vigueur à cette époque, le droit d’auteur américain protégeait l’œuvre d’un particulier durant toute sa vie, plus 50 ans. Les personnes morales détenant des œuvres réalisées dans le cadre d’un contrat de louage conservaient les droits durant 75 ans.
La proposition du sénateur Dodd prévoyait qu’à la fin de chacune de ces périodes, les droits à une protection supplémentaire de 20 ans seraient mis aux enchères publiques, une partie du produit de la vente allant à la création d’une dotation en faveur des arts et des lettres. La proposition de M. Dodd fut, hélas, rejetée; en revanche, quatre ans plus tard, la proposition de Sonny Bono de prolonger la durée du droit d’auteur de 20 ans fut acceptée, mais sans aucun des avantages publics dont Chris Dodd l’avait assortie.
Cette fois, tous les avantages prévus dans la proposition de Bono revenaient simplement aux personnes morales et physiques titulaires.
Je suggère donc que nous osions appréhender d’un œil neuf la possibilité d’un environnement dans lequel les “détenteurs de droits”, lorsqu’ils sont confrontés à des questions difficiles ou délicates, considèrent chaque problématique en se disant “Pourquoi pas?” plutôt que “ces droits m’appartiennent, pourquoi diable devrais‑je m’en soucier – en définitive, quels avantages personnels pourrais‑je en tirer?” Il ne s’agit après tout que d’un changement mineur, mais un changement mineur qui pourrait faire une énorme différence au fil du temps.
Je ne suis pas assez naïf pour croire qu’il sera facile de parvenir à un équilibre défendable, encore moins durable, entre les droits et l’accès – ne serait‑ce que parce que l’essentiel du débat est devenu tellement houleux et véhément qu’il est absolument impossible d’avoir une discussion posée et constructive.
Lorsque des “ressources publiques” sont utilisées pour créer du contenu, l’objectif premier devrait être de maximiser les “avantages publics” redonnés à ceux qui ont contribué à financer sa création en premier lieu. Je pourrais citer une pléthore d’exemples montrant à quel point l’appétit mondial pour les contenus de tous types s’est développé et étendu dans le monde numérique. Sans l’ombre d’un doute, le marché mondial offre déjà aujourd’hui plus de possibilités commerciales pour des contenus de bonne facture que jamais auparavant.
Je suis profondément convaincu qu’une économie basée sur nos industries de la création est nettement plus viable à long terme qu’une économie reposant sur les swaps sur défaut de crédit.
Depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, moi et d’autres “luvvies”1 avons été accusés de défendre des secteurs “légers”, ou au mieux “marginaux”, de l’économie comme le cinéma, la radiodiffusion et la création, à une époque où les “réalistes” purs et durs affirmaient que notre avenir réside dans des instruments et des services financiers toujours plus sophistiqués. La suite a montré que ce sont ces mêmes “instruments financiers” qui ont été les premiers à s’effondrer lorsque la crise économique mondiale a commencé à s’emballer. C’est tout le contraire avec notre propriété intellectuelle qui, si nous la cultivons et l’encourageons en ces temps difficiles, pourrait bien constituer l’un des moteurs essentiels de la croissance future.
Tous ceux d’entre nous qui se soucient de l’avenir des industries de la création doivent s’impliquer et faire en sorte de ne pas laisser passer l’occasion de maximiser les avantages économiques et culturels de l’ère numérique.
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1 Acteur, actrice ou toute autre personne évoluant dans le milieu artistique.
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