Riz et propriété intellectuelle – une recette dynamisante
Le Tambo art – des œuvres d’art vivantes créées dans les rizières en utilisant différentes variétés de riz pour en faire des dessins géants visibles du ciel – est une initiative originale pour dynamiser les communautés rurales japonaises. Le Bureau de l’OMPI au Japon a pris contact avec les inventeurs de cette nouvelle forme d’expression artistique séduisante et de plus en plus populaire, ainsi qu’avec les autorités d’une petite communauté qui va encore plus loin en utilisant le système de la propriété intellectuelle.
Donner un nouveau souffle aux communautés rurales
Devant les rizières qui ondoient en face de la salle des fêtes du village d’Inakadate en ce jour d’été, il est difficile de voir de quoi il s’agit. En revanche, depuis le poste d’observation du faux château qui domine la salle des fêtes de cette petite communauté agricole située à 600 kilomètres au nord de Tokyo dans la préfecture d’Aomori, tout s’éclaire. Ce qui, au niveau du sol, semble n’être qu’un champ de riz ordinaire devient, depuis une hauteur de 20 mètres, une œuvre d’art vivante représentant d’illustres guerriers japonais, une réalisation complexe nécessitant des dizaines de milliers de plants de riz.
Le mont Iwaki, un dessin réalisé par les
habitants d’Inakadate. (Photo : salle des
fêtes d’Inakadate)
Une solution créative à un problème largement répandu
Né à Inakadate en 1993, le Tambo art se répand rapidement dans tout le pays, de l’île d’Hokkaido au nord jusqu’à l’île de Kyushyu située au sud. Le phénomène gagne également en popularité en République de Corée. Au début des années 90, avec une population vieillissante d’à peine plus de 8000 habitants, de nombreux jeunes étant partis pour la ville, le gouvernement local d’Inakadate cherche le moyen de redonner vie à l’économie locale, de créer des emplois et de faire revenir les gens dans leur communauté. Un jour d’hiver glacial, les autorités du village réunissent les villageois pour tenter de trouver une solution.
Inakadate ne possédant pas de véritable attraction touristique, un habitant suggère de tirer parti de la tradition villageoise de la riziculture, vieille de plusieurs siècles, en utilisant des plants de couleurs différentes pour créer une œuvre géante dans les rizières – tambo art – afin d’attirer des visiteurs au village.
Le comité de revitalisation du village, financé par le gouvernement local, choisit un champ de 2500 m2 adjacent à la salle des fêtes, qui fait parfaitement l’affaire grâce au point de vue idéal procuré par le faux château. Vient ensuite la tâche plus délicate du choix du motif et de sa réalisation.
Le choix du motif
Pour simplifier les choses, la communauté décide de représenter le Mont Iwaki, une célèbre montagne visible depuis Inakadate, avec les mots Inakadate, un village de riziculture. Dessiné à la main par un professeur d’art local, le dessin est reporté sur un canevas et reproduit dans un champ où sont ensuite plantées trois variétés originales de riz, dont chacune a des feuilles de couleur différente.
Le gouvernement local d’Inakadate organise un programme de manifestations autour de la réalisation du tambo art, afin d’encourager la participation de la communauté et d’attirer des visiteurs. Les membres de la communauté locale ainsi que les touristes sont invités à participer à la plantation du riz en juin puis à sa récolte en octobre. Pour le déjeuner, tous les participants mangent des onigiri (boulettes de riz) préparées avec le riz récolté l’année précédente. Ils reçoivent également des tickets à échanger lors du festival annuel de novembre contre deux kilos du riz tambo art qu’ils ont aidé à récolter.
À mesure que cette œuvre d’art vivante grandit, le nombre de touristes augmente lui aussi, si bien qu’au début des années 2000, le programme de tambo art d’Inakadate est devenu une attraction nationale.
Le projet prend de l’ampleur
Le nombre de visiteurs et l’attention des médias ne cessant de croître, les villageois décident de donner de l’ampleur au projet. Les propriétaires fonciers locaux et le gouvernement du village conviennent en bonne et due forme de geler d’autres parcelles adjacentes à la salle des fêtes, mettant ainsi à disposition quelque 15 000 m2 de terres pour le tambo art.
La communauté vote en 2001 le remplacement des motifs simples représentés au départ par des œuvres d’art célèbres. Chaque année, en février, le gouvernement du village convoque une réunion pour choisir un motif pour l’année suivante, parmi les suggestions présentées par les habitants ou les visiteurs. En règle générale, la communauté utilise des œuvres d’art qui appartiennent au domaine public mais son choix peut parfois se porter sur des œuvres protégées par le droit d’auteur pour lesquelles la permission de l’artiste doit être obtenue. Par exemple, en 2004, le village a reçu l’autorisation des titulaires de droits pour utiliser une estampe du célèbre artiste japonais Shikō Munakata d’Aomori (1903‑1975).
Un processus minutieux
Les motifs sont toujours dessinés à la main par un professeur d’art local mais leur complexité nécessite une modélisation de pointe à l’aide d’un logiciel de conception assistée par ordinateur (CAO). Le modèle CAO met l’œuvre d’art en perspective et indique l’endroit exact où planter chaque variété de riz. Voilà pour la partie facile.
Inakadate‑1.doc / Plantation et récolte –
Création de Tambo art 2010 à Inakadate
(Photo : salle des fêtes d’Inakadate)
Leurs instruments de relevé à la main, les responsables locaux marquent des cotes précises dans le champ de riz conformément au modèle, traçant le pourtour du dessin. Commence ensuite le processus minutieux consistant à placer les milliers de piquets dans le sol pour indiquer où chaque variété de riz doit être plantée. Du ruban est alors tendu entre les piquets pour délimiter le contour du motif.
Chaque année au début du mois de juin, le village organise une journée de plantation du riz qui attire des centaines de personnes de tout le Japon. “Le terrain ayant déjà été préparé, l’opération ne prend généralement qu’une demi‑journée et tout le monde peut y participer,” déclare M. Takatoshi Asari, membre du département de l’industrialisation d’Inakadate.
Un coup de pouce modeste mais bienvenu pour l’économie
Selon M. Asari, les dons effectués par les plus de 170 000 touristes qui prennent part à ces manifestations de tambo art ont considérablement amélioré l’économie du village. “En 2009, nous avons reçu 7 millions de yens (soit approximativement US75 000 dollars) en dons, lesquels sont passés à 7,8 millions (environ US95 000 dollars) en 2010”. Il ne s’agit pas d’un profit pur. M. Asari explique qu’il faut “compter environ 3 millions de yens (quelque US36 500 dollars) pour préparer et réaliser le tambo art.” Toutefois, il fait observer que tout excédent est “consacré à des projets de développement pour le village.” En 2010, l’excédent s’est élevé à quelque 58 500 dollars É.‑U. Malgré ce résultat financier somme toute modeste, le village se félicite du succès du programme. “Nous souhaitons bien sûr retirer autant d’avantages économiques que possible pour le village,” reconnaît M. Asari, “mais dès lors que nous couvrons nos frais, tout va bien, et tout bénéfice supplémentaire est un plus bienvenu.”
Savoir reconnaître une opportunité
L’expérience d’Inakadate a inspiré d’autres communautés au Japon. Le succès de son programme artistique de tambo art éveille notamment la curiosité des autorités du district de Maki‑cho à Ōmihachiman City sur la côte est du Lac Biwa, le plus grand lac d’eau douce du Japon à quelque 350 kilomètres au sud‑ouest de Tokyo.
M. Jisaku Yamanishi, président du Suikei Yumenosato Committee (SYC), un comité local de revitalisation constitué en 2005, se rend à Inakadate pour constater de visu le travail réalisé par les villageois.
Il comprend vite que le tambo art pourrait redonner vie à sa propre communauté. Bâti sur des marais asséchés en 1946, Maki‑cho, à l’instar d’Inakadate, a souffert de la migration de sa jeunesse vers les zones urbaines et connaît des difficultés économiques. Contrairement à Inakadate, Maki‑cho ne possède pas une riche tradition historique régionale (telle que la riziculture) sur laquelle s’appuyer.
M. Yamanishi est convaincu que le tambo art constitue une solution possible aux problèmes de sa communauté. Puisque Maki‑cho ne peut se prévaloir d’une spécialité réputée, c’est à lui et au SYC d’en inventer une. “Nous avons parlé de ce que nous pourrions faire pour améliorer la situation économique de tout un chacun,” explique M. Yamanishi. “Le tambo art s’est imposé comme un bon moyen de redynamiser la région, et nous avons lancé le programme en 2007.”
Bien qu’ayant suivi un processus similaire à celui d’Inakadate, l’utilisation faite par Maki‑cho du tambo art se caractérise par deux différences notables. Premièrement, le thème annuel du dessin représente les animaux du zodiaque chinois. Deuxièmement, la communauté ne disposant pas d’un point de vue privilégié en hauteur, l’œuvre d’art est conçue et plantée de façon à être visible au niveau du sol.
Comme à Inakadate, Maki‑cho organise des journées de plantation et de récolte de tambo art ouvertes à tous. Ces événements ont donné à la région une publicité bienvenue, contribuant de la sorte à stimuler le tourisme.
Création de Meibutsu
Encouragés par le succès rapide de Maki‑cho, les membres du SYC envisagent alors de convertir le tambo art récolté en meibutsu – un terme japonais qui désigne les produits réputés associés à une région particulière. Conscient de l’importance d’avoir une marque solide pour le succès de l’entreprise, le SYC crée donc le nom “Suike Art Rice” et décide de le protéger au moyen du système de la propriété intellectuelle. En février 2009, le SYC dépose une demande d’enregistrement de la marque Suike Art Rice, laquelle est enregistrée par l’Office des brevets du Japon (JPO) en janvier 2010.
Suike Art Rice.doc – Suike Art Rice, la marque
déposée “meibutsu” que le SYC vend pour
1000 yens le paquet de trois kilos (Photo :
M. Jisaku Yamanishi)
L’enregistrement de la marque constitue un élément clé de la stratégie du SYC pour promouvoir son initiative originale à une échelle relativement modeste. Le SYC compte sur ses membres, sur les bénévoles et les partenariats au sein de la communauté pour récolter, emballer et commercialiser son riz. “Nous nous chargeons nous‑mêmes de l’emballage… pour présenter le dessin de tambo art de l’année, et ensuite nous le vendons directement et par l’intermédiaire d’organisations coopérantes dans la région,” explique M. Yamanishi.
En plus des avantages économiques dérivés de l’enregistrement de la marque Suike Rice Art, Maki‑cho s’est vu décerner le statut de meibutsu. Cela devrait renforcer sa réputation, doper le tourisme grâce à une couverture médiatique accrue et, au bout du compte, donner un nouveau souffle à l’économie locale.
Le SYC a pris conscience que, si le riz récolté est unique, le processus pour réaliser le tambo art l’est tout autant. Comment dès lors utiliser ce processus pour que la communauté en retire des avantages?
Après l’enregistrement réussi de la marque, le SYC se tourne à nouveau vers la propriété intellectuelle. “Tout le monde à Maki‑cho se demande comment dynamiser la région et beaucoup pensent que la propriété intellectuelle est l’un des meilleurs moyens pour que la communauté en tire un bénéfice économique,” relève M. Yamanishi.
Dépôt d’une demande de protection par brevet
Début 2009, M. Yamanishi et deux autres membres du SYC inventent une nouvelle forme de publicité – appelée “écopublicité” – utilisant le tambo art. De conception simple mais avec une présentation élégante, l’écopublicité permet aux clients de faire connaître leurs produits ou services tout en respectant l’environnement en utilisant des plants de riz vivants. Elle leur offre un support publicitaire original, plus grand, moins coûteux et plus sûr que de simples panneaux d’affichage ou pancartes. L’invention utilise le processus de tambo art du SYC pour créer des publicités vivantes de tout format et dans n’importe quel lieu.
Un exemple d’écopublicité (Photo : SYC)
Avec l’appui de la communauté, M. Yamanishi et ses coïnventeurs déposent une demande de brevet (n° 2009‑101401) auprès de l’Office des brevets du Japon en mars 2009. L’objectif premier de la demande de protection par brevet de l’écopublicité inventée par le comité est de dégager des fonds pour financer les efforts de revitalisation. Cela implique une approche en deux temps. Premièrement, des partenaires – entreprises, gouvernements, établissements d’enseignement ou particuliers – paient une redevance pour créer leur logo, leur slogan ou toute autre publicité utilisant le tambo art. Deuxièmement, le SYC accorde des licences pour son modèle d’écopublicité dans d’autres villes, localités et villages et aide les preneurs de licences à créer un tambo art attrayant. Cette approche permet à la communauté d’attirer des partenaires et de générer des fonds pour financer des projets de développement au niveau local. Les preneurs de licences peuvent également organiser des manifestations autour de leur propre tambo art pour éveiller l’attention des médias, dynamiser le tourisme et générer toute une série d’avantages économiques associés.
À l’heure où cet article est rédigé, la demande de brevet déposée par le SYC est toujours en instance d’enregistrement. Par contre, Maki‑cho bénéficie d’ores et déjà de la couverture médiatique suscitée par cette initiative. Fin 2010, une importante société japonaise a entamé des négociations avec le SYC pour obtenir une licence d’écopublicité.
Une propriété intellectuelle dont on peut être fier
Lorsqu’un villageois inconnu d’Inakadate en a émis l’idée en 1993, nul ne savait vraiment si la création de tambo art était réalisable, et encore moins qu’elle remporterait un tel succès. Près de 20 ans plus tard, ce qui n’était au départ qu’une idée novatrice est devenu un phénomène national, et des petites communautés – comme Maki‑cho – ont pris conscience du lien indissociable avec la propriété intellectuelle. Des marques aux brevets, la propriété intellectuelle a donné à Maki‑cho un meibutsu dont elle peut être fière et elle porte en elle la promesse d’opportunités similaires pour les communautés dans tout le Japon et au‑delà.
Par Jonah Asher
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