Le Règlement amendé de Google Recherche de livres : la décision du juge Chin
Le 22 mars 2011, le juge Denny Chin a rendu une décision très attendue sur le Règlement amendé de Google Recherche de livres suite à un recours collectif intenté par des auteurs et des éditeurs de livres en 2005. Mme Marybeth Peters, ancienne conservatrice du Registre du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique (de 1994 à 2010), examine de plus près ce Règlement amendé et la décision du juge Chin.
Le recours collectif intenté en 2005 par des auteurs et des éditeurs de livres à l’encontre de Google alléguait une atteinte intentionnelle au droit d’auteur en rapport avec la reproduction systématique par Google, sans autorisation, de millions d’ouvrages protégés par le droit d’auteur, dans leur intégralité. Pour ce faire, Google avait mis en place une vaste opération de numérisation au sein de grandes bibliothèques de recherche à l’image de celles des universités du Michigan, de Stanford et de Harvard. Une fois numérisés, les ouvrages étaient répertoriés sous forme électronique, ce qui permettait aux utilisateurs de Google de faire des recherches par titres ou d’après d’autres informations bibliographiques et de visualiser des extraits (“snippets”), à savoir plusieurs lignes d’un texte protégé par le droit d’auteur. Bien que le moteur de recherche de Google soit en accès gratuit pour tous les utilisateurs, Google tire des recettes substantielles des publicités qui apparaissent sur ses pages Web, y compris celles sur lesquelles s’affichent des images, et des informations, extraites d’ouvrages protégés au titre du droit d’auteur. Au moins 15 millions d’ouvrages ont été numérisés par Google, la grande majorité d’entre eux faisant toujours l’objet d’une protection par le droit d’auteur. Google a fait valoir que ses activités étaient couvertes par le principe de l’usage loyal.
Qu’est-ce qu’un recours collectif? |
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Un recours collectif est une forme d’action en justice dans le cadre de laquelle un groupe de personnes intente collectivement un procès unique. Né aux États-Unis d’Amérique, ce type d’action est largement répandu dans ce pays. En Europe en revanche, peu de pays autorisent les recours collectifs, lesquels impliquent en général un grand nombre de consommateurs. Aux États-Unis d’Amérique, les recours collectifs sont régis par la règle 23 du Règlement fédéral de procédure civile [Federal Rules of Civil Procedure]. Pour intenter des poursuites sous forme de recours collectif, les points de droit ou de fait doivent être communs à l’ensemble du groupe, tout comme doivent l’être les arguments ou éléments de défense des représentants du groupe. Tout accord de règlement approuvé par le tribunal aura force obligatoire pour chacun des individus, sauf ceux ayant choisi d’exercer leur option de retrait. Les recours collectifs sont assez rares dans les affaires d’atteinte au droit d’auteur. |
D’un montant de 125 millions de dollars des États-Unis d’Amérique, l’accord de règlement, rendu public le 28 octobre 2008, reçut l’approbation préliminaire du juge Sprizzo le 17 novembre 2008. Document complexe de centaines de pages accompagné de plusieurs annexes, cet accord allait bien au-delà des faits allégués d’atteinte au droit d’auteur et créait toute une série de nouveaux modèles économiques pour Google. Il concernait un très grand nombre d’auteurs et d’ouvrages. Pour être plus précis, s’agissant des livres publiés pour la première fois ou simultanément aux États-Unis d’Amérique, il ne concernait que ceux qui avaient été enregistrés auprès de l’Office du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique. S’agissant de tous les autres livres en revanche, il s’appliquait à tous ceux qui avaient été publiés dans le monde avant le 5 janvier 2009. Naturellement, un très grand nombre de livres étrangers étaient concernés. Pour être exclus de l’accord, les auteurs et les titulaires de droits d’auteur devaient exercer leur option de retrait de l’accord de règlement, titre par titre – une procédure complexe –, avant début mai 2009. Cette date et d’autres furent modifiées suite aux farouches protestations des parties concernées. Le dernier jour pour exercer son option de retrait du règlement fut fixé au 8 septembre 2009; la date de l’audience du tribunal, ou “audience d’équité”, fut quant à elle fixée au 7 octobre 2009.
(Photo: iStockphoto Frank Boston)
Dans le cadre d’un accord de règlement suite à un recours collectif, il appartient au juge de décider si l’accord est “juste, adéquat et raisonnable”. L’accord de Google se heurta à une vive opposition, notamment de la part des Gouvernements des États-Unis d’Amérique, de l’Allemagne et de la France ainsi que de la part de nombreux auteurs, éditeurs, agents littéraires, entreprises spécialisées dans la technique et autres. L’inquiétude commença à monter au sein de Google et des parties au litige. Plusieurs réunions furent alors organisées avec les parties mécontentes des conditions du règlement et ont abouti à différents compromis exigeant que des modifications soient apportées à l’accord. La déclaration d’intérêt des États-Unis d’Amérique fut le dernier document déposé, le 18 septembre 2009. À l’issue d’une réunion avec les parties, le mémoire des États-Unis d’Amérique fut adapté non seulement pour exprimer les préoccupations d’ordre juridique quant à la portée de l’accord mais aussi, en raison des avantages potentiels figurant dans le règlement, pour enjoindre le tribunal de repousser l’audience de façon à donner aux parties la possibilité de réviser l’accord. Le 7 octobre 2010, le juge Chin remit à plus tard l’audience d’équité et fixa une nouvelle date pour la présentation d’un accord de règlement modifié. Celui-ci fut remis le 13 novembre et reçut un accord préliminaire le 27 novembre. De nouvelles notifications décrivant l’accord révisé furent publiées et de nouveaux délais annoncés pour exercer une éventuelle option de retrait, présenter des objections et fixer la date de l’audience d’équité.
Le règlement révisé répondait à un certain nombre de préoccupations. Le champ des œuvres étrangères couvertes était par exemple considérablement réduit puisque l’accord ne concernait plus que les œuvres étrangères enregistrées auprès de l’Office du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique ainsi que celles non enregistrées aux États-Unis d’Amérique mais publiées en Australie, au Canada et au Royaume -Uni avant le 5 janvier 2009. Le règlement préconisait la création d’une société fiduciaire en charge des œuvres non réclamées [Unclaimed Works Fiduciary], sous réserve de l’approbation du tribunal, afin de protéger les propriétaires de ce type d’œuvres. Une autre disposition revenait à supprimer la clause de la nation la plus favorisée qui aurait accordé à Google des conditions de licence optimales dans le futur.
La plupart des opposants du début maintinrent leurs objections mais quelques-uns les levèrent. Néanmoins, de nombreux nouveaux opposants se manifestèrent, dont plusieurs auteurs, et de nouvelles objections furent soulevées. Les Gouvernements des États-Unis d’Amérique, de l’Allemagne et de la France maintinrent leur opposition. Les États-Unis d’Amérique reconnurent que l’accord apporterait des avantages et saluèrent une partie des changements mais manifestèrent leur profonde opposition au règlement amendé pour des raisons liées à la fois au droit d’auteur et à la concurrence.
L’audience d’équité eut lieu le 18 février 2010 à New York. Le juge Chin, devenu à l’époque juge à la Cour d’appel pour le deuxième circuit, siégeait après avoir été désigné en tant que juge du district sud de New York. Il était chargé d’instruire deux motions : la première sur l’approbation définitive de la proposition de “Règlement amendé” et la seconde concernant les frais de justice et honoraires d’avocat.
Il s’agissait de déterminer si l’accord révisé était juste, adéquat et raisonnable. Les parties, les gouvernements américain et allemand et de nombreux opposants témoignèrent. Puis commença l’attente, tandis que différentes conjectures étaient émises. Enfin, plus de 13 mois plus tard, le juge Chin rendit son avis. Il rejeta les deux motions qui lui avaient été soumises et conclut que l’accord révisé, en dépit de nombreux éléments positifs, n’était ni juste, ni adéquat, ni raisonnable. Il était juste excessif.
Dans son avis de 46 pages, le juge Chin se concentra sur deux points :
- la question de savoir si les personnes qui seraient concernées par la décision étaient correctement représentées et
- la pertinence de l’étendue des mesures de réparation envisagées.
S’agissant de la représentation adéquate des personnes concernées, le juge fut troublé par le très grand nombre d’objections soulevées et par leur nature. Il fit référence à l’objection soulevée par le professeur Samuelson1 dans son témoignage et établit que les intérêts des auteurs universitaires étaient différents de ceux des représentants des demandeurs. Il se reporta également à des lettres émanant d’auteurs, de plusieurs agents littéraires et de David Nimmer2, lesquels s’opposaient à l’idée qu’il incombe aux auteurs de faire objection plutôt qu’à Google d’obtenir des autorisations.
En ce qui concerne l’étendue des mesures de réparation, le juge Chin déclara que le procès portait sur la numérisation des ouvrages et l’affichage d’extraits, alors que l’accord de règlement prévoyait un “accord commercial tourné vers l’avenir qui accorderait à Google des droits importants quant à l’exploitation d’ouvrages dans leur intégralité, sans l’autorisation des titulaires de droits”. Il a ajouté que cet accord “procurerait à Google un avantage substantiel sur ses concurrents, le récompensant pour s’être lancé dans la copie à grande échelle d’œuvres protégées par le droit d’auteur sans autorisation, tout en le dispensant d’indemniser nombre de parties non représentées dans la présente affaire”.
Il exprima des craintes quant à la structure fondamentale de l’accord du point de vue du droit d’auteur. Les titulaires de droits d’auteur ont en effet le droit de décider du sort de leur œuvre, y compris de ne rien faire de cette œuvre. Or, selon le règlement amendé, si un auteur ne se manifeste pas, il perd ses droits. Pour y remédier, une clause d’“opt-in” (autorisation préalable) serait une solution possible.
Il indiqua que le traitement des œuvres orphelines – à savoir les œuvres dont le titulaire des droits est inconnu ou introuvable – était une question de politique relative au droit d’auteur qui devait être résolue non pas par les tribunaux mais par le Congrès. L’accord de règlement saperait le pouvoir de légiférer du Congrès en réaffectant la charge aux créateurs et aux utilisateurs d’œuvres de création au titre de la loi fédérale sur le droit d’auteur.
S’agissant des plaintes provenant de l’étranger, il indiqua que même si le règlement amendé réduisait le nombre d’œuvres étrangères concernées, plusieurs d’entre elles étaient enregistrées aux États-Unis d’Amérique et seraient de ce fait englobées dans l’accord. Il fit également remarquer que les titulaires de droits étrangers étaient défavorisés en ce qui concerne la question de savoir si leurs ouvrages seraient oui ou non inclus dans le règlement. S’il n’affirma pas ouvertement qu’il y avait eu des atteintes à la législation internationale sur le droit d’auteur, il sembla néanmoins laisser entendre que les préoccupations des titulaires de droits étrangers étaient une raison supplémentaire de rejeter l’accord.
En ce qui concerne les éléments anticoncurrentiels de l’accord, il prit note de l’inquiétude manifestée par le Gouvernement des États-Unis d’Amérique selon laquelle Google aurait un “monopole de fait sur les œuvres” et jouirait également d’une position privilégiée eu égard aux recherches de livres en ligne.
On est donc en droit de se demander quelles seront les prochaines étapes. Le juge Chin a prévu une réunion des parties le 1er juin 2011. Il a clairement laissé aux parties la possibilité de renégocier un nouvel accord et de le soumettre à examen au titre de la règle 23. Les éditeurs et les auteurs ont exprimé leur volonté en ce sens, ce qui n’a pas été le cas de Google.
Si une clause d’“opt-in” permettrait de lever une grande partie des inquiétudes du juge Chin, il est peu probable que cette option soit retenue. Cette solution avait été évoquée par la conservatrice du Registre du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique dans son témoignage devant le Congrès, par le gouvernement américain dans sa déclaration d’intérêt et par de nombreux tiers. Pour autant, Google n’a eu de cesse de rejeter cette idée, déclarant qu’elle réduirait de manière trop importante la catégorie d’œuvres concernées.
L’action pour atteinte aux droits d’auteur pourrait être maintenue, mais elle s’accompagnerait inévitablement de risques, de frais et de longs délais pour toutes les parties.
Avec l’accord du juge Chin, un appel pourrait être interjeté auprès de la Cour d’appel pour le deuxième circuit. Naturellement, ce dernier ne pourrait y participer.
Une partie des questions en litige, par exemple le problème des œuvres orphelines, pourrait être réglée par le Congrès des États-Unis d’Amérique. Dans le cadre d’un Congrès précédent, le Sénat avait adopté un projet de loi de ce type, mais pas la Chambre des représentants. Aujourd’hui cependant, le contexte n’est plus le même, en grande partie à cause de l’affaire Google Livres.
Des questions au sujet des bibliothèques numériques et de l’exception en faveur des bibliothèques dans le cadre de la législation sur le droit d’auteur des États-Unis d’Amérique ont été soulevées. Si cette exception doit effectivement être mise à jour, il semble également évident que de nombreuses activités de numérisation à venir devront faire l’objet de licences et d’autorisations. L’existence de mécanismes d’octroi de licences rapides et efficaces, y compris en matière de gestion collective du droit d’auteur, sera d’une importance décisive.
Que l’accord de règlement soit accepté ou non, de nombreux problèmes devront être traités qui ouvrent de multiples possibilités de solutions. Il reste à espérer que l’évolution de la situation dans un an ou deux apportera des éléments de réponse.
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1 Pamela Samuelson est professeur émérite de droit à la faculté de droit de Berkeley, Université de Californie.
2 David Nimmer est un spécialiste renommé du droit d'auteur aux États-Unis.
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