L’indice mondial de l’innovation : éclairage et tendances
En juin, l’INSEAD et ses experts partenaires, dont l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), ont publié conjointement l’édition 2011 de l’Indice mondial de l’innovation. Dans l’entretien ci-après, Soumitra Dutta1, professeur de commerce et de technologie à l’INSEAD et titulaire de la chaire Roland Berger, explique comment l’Indice mondial de l’innovation (GII) 2011 cherche à jeter un éclairage plus précis sur le processus d’innovation et les nouvelles tendances en la matière dans différents pays du monde. Il explique que le GII est “un instrument d’action” qui permet aux décideurs politiques de lever les entraves à l’innovation en mettant au jour et en adoptant les meilleures pratiques nationales dans ce domaine.
Pourquoi avoir lancé le projet GII?
Le projet GII a été lancé par l’INSEAD en 2007 avec pour simple objectif de définir des indicateurs et des approches destinés à mieux saisir la richesse de l’innovation au sein de la société, et ce en dépassant les indicateurs traditionnellement utilisés pour jauger l’innovation, comme le nombre de doctorats obtenus, le nombre d’articles de recherche publiés, le nombre d’instituts de recherche créés, le nombre de brevets octroyés ou le volume des dépenses en recherche-développement.
Cet objectif a été défini en tenant compte de plusieurs paramètres. Premièrement, l’innovation est un facteur clé pour stimuler la croissance économique et la compétitivité, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. De nombreux gouvernements placent d’ailleurs l’innovation au cœur de leurs stratégies de croissance. Deuxièmement, on s’accorde de plus en plus à reconnaître que l’innovation répond désormais à une définition plus large qui ne se cantonne plus aux seuls laboratoires de recherche-développement et articles scientifiques publiés. L’innovation peut présenter un caractère plus horizontal, ce qui est effectivement le cas, et elle englobe aussi l’innovation sur le plan social et l’innovation en termes de modèle d’affaires. Enfin, reconnaître et mettre en avant l’innovation dans les marchés émergents est considéré comme fondamental pour stimuler les esprits, en particulier la prochaine génération d’entrepreneurs et d’innovateurs.
Quel est le rôle des experts partenaires?
Pour l’édition 2011 du GII, Alcatel-Lucent, Booz & Company, la Confédération de l’industrie indienne (CII) et l’OMPI se sont associés à l’INSEAD en tant qu’experts partenaires pour établir le GII. Tous ont la conviction que l’innovation joue un rôle de plus en plus important pour favoriser la croissance économique aussi bien dans les pays développés que dans les pays émergents. Ils ont fourni de précieuses informations dans le cadre des travaux de recherche nécessaires à l’élaboration du GII, apporté leur concours à la rédaction des chapitres analytiques et participé de manière active à la diffusion du rapport. L’OMPI, par exemple, a contribué à affiner le choix des variables, à fournir des données en rapport avec la propriété intellectuelle et à réfléchir au rôle de la créativité dans l’innovation; le cabinet Booz & Company a quant à lui fourni des informations provenant d’enquêtes réalisées auprès d’entreprises sur les chefs de file mondiaux en matière d’innovation. Enfin, la CII a apporté des points de vue précieux sur l’innovation en Inde et dans d’autres marchés émergents.
Qui plus est, pour l’édition 2011, le Centre commun de recherche de la Commission européenne a mené une évaluation de la fiabilité et de l’objectivité du GII. Dernier point et non le moindre, un Comité consultatif a été créé composé d’un groupe de praticiens et de spécialistes internationaux rassemblant des connaissances et compétences uniques dans le domaine de l’innovation. Le projet a bénéficié des connaissances de ces experts et la participation d’autres chefs de file des secteurs privé et public avides de mieux comprendre et d’améliorer le processus d’innovation continuera de jouer un rôle très utile.
Pouvez-vous nous présenter la structure qui sous-tend le GII?
Le GII s’appuie sur deux sous-indices : le sous-indice des moyens mis en œuvre en matière d’innovation et le sous-indice des résultats en matière d’innovation, chacun reposant sur sept piliers. Cinq piliers relatifs aux moyens mis en œuvre s’emploient à rendre compte des éléments de l’économie nationale favorisant des activités innovantes : 1) les institutions, 2) le capital humain et la recherche, 3) l’infrastructure, 4) le perfectionnement des marchés et 5) le perfectionnement des entreprises. Parallèlement, deux piliers relatifs aux résultats rendent compte des preuves manifestes de l’innovation : 6) les résultats scientifiques et 7) les résultats créatifs. Ces piliers se subdivisent à leur tour en sous-piliers et chacun d’entre eux comprend plusieurs indicateurs distincts.
Les scores des sous-piliers sont calculés comme la moyenne pondérée de chacun des indicateurs et les scores des piliers comme la moyenne simple des scores des sous-piliers. Quatre mesures sont alors établies (voir tableau) :
- Le sous-indice des moyens mis en œuvre en matière d’innovation, qui correspond à la moyenne simple des scores des cinq premiers piliers.
- Le sous-indice des résultats en matière d’innovation, qui correspond à la moyenne simple des scores des deux derniers piliers.
- Le GII global, qui correspond à la moyenne simple du sous-indice des moyens mis en œuvre en matière d’innovation et du sous-indice des résultats en matière d’innovation.
- L’indice d’efficacité de l’innovation, qui correspond au rapport entre le sous-indice des résultats en matière d’innovation et le sous-indice des moyens mis en œuvre en matière d’innovation.
Tableau : Structure de l’Indice mondial de l’innovation 2011
Pouvez-vous nous présenter une partie des pays les mieux placés au palmarès de l’édition 2011 du GII?
L’édition 2011 du GII porte sur 125 économies, lesquelles représentent 93,2% de la population mondiale et 98% du produit intérieur brut (PIB) (en dollars courants des États-Unis d’Amérique). Avant d’aborder le classement de telle ou telle économie, il est important de préciser que le rapport comprend également cinq chapitres rédigés par les experts partenaires sur des aspects particuliers de l’innovation dans le monde. Il s’agit notamment d’études axées sur des régions comme l’Amérique latine ou l’Inde ou de réflexions approfondies sur des sujets précis comme la mesure de la créativité, l’innovation dans les villes intelligentes et la portée mondiale des activités de recherche-développement.
Au classement du GII global 2011, l’Europe figure en tête avec six pays sur les 10 premiers, suivie de deux pays asiatiques et de deux pays d’Amérique du Nord. Le classement se présente donc comme suit : Suisse, Suède, Singapour, Hong Kong (RAS de Chine), Finlande, Danemark, États-Unis d’Amérique, Canada, Pays-Bas et Royaume-Uni.
Les pays chefs de file dans leurs régions respectives sont la Suisse (1ère), Singapour (3e), les États-Unis d’Amérique (7e), Israël (14e), le Chili (38e), Maurice (53e) et l’Inde (62e). Classés en termes de revenus, en ordre décroissant, les chefs de file sont la Suisse (1ère), la Malaisie (31e), la Chine (29e) et le Ghana (70e). La Chine, au 29e rang, correspondant au seul pays en développement à se classer parmi les 30 premiers; la Malaisie (31e), le Chili (38e), la République de Moldova (39e) et la Lituanie (49e) se classent parmi les 40 pays en tête du palmarès. Parmi les économies à revenu élevé, trois pays sont à la traîne : la Grèce, qui obtient un score moyen (au 63erang), suivie par Trinité-et-Tobago (72e) et Brunéi Darussalam (75e).
Au classement des 10 premiers pays du sous-indice des résultats en matière d’innovation figurent la Suède, la Suisse, les Pays-Bas, l’Allemagne, les États-Unis d’Amérique, la Finlande, le Danemark, Israël, le Royaume-Uni et le Canada. Comme pour le GII global, l’Europe se place en tête de ce sous-indice avec sept pays, suivie de deux pays d’Amérique du Nord et d’Israël, qui obtient un résultat remarquable (au 8e rang du sous-indice des résultats, au 14e rang du GII global et au 1er rang au niveau régional). Au sein de chaque région, les économies les mieux classées sont la Suède (1ère), les États-Unis d’Amérique (5e), Israël (8e), la République de Corée (11e), le Brésil (32e), l’Inde (44e) et le Nigeria (62e). Les 10 premiers pays au classement du sous-indice des moyens mis en œuvre en matière d’innovation sont Singapour, Hong Kong (RAS de Chine), la Suisse, l’Irlande, la Suède, la Finlande, le Danemark, le Canada, le Luxembourg et le Royaume-Uni. Au niveau régional, les leaders sont Singapour (1er), la Suisse (3e), le Canada (8e), Israël (20e), le Chili (36e), l’Afrique du Sud (40e) et l’Inde (87e).
Enfin, au palmarès des 10 premiers pays de l’indice d’efficacité de l’innovation2 figurent la Côte d’Ivoire, le Nigeria, la Chine, le Pakistan, la République de Moldova, la Suède, le Brésil, l’Argentine, l’Inde et le Bangladesh. À noter que cette liste comprend certains des pays les plus densément peuplés au monde, à savoir la Chine, l’Inde, le Brésil, le Bangladesh et le Nigeria. Ces pays figurent parmi les 10 économies à plus forte population de l’édition 2011 et, à l’exception du Bangladesh, se classent au premier rang en termes d’efficacité de l’innovation dans leurs régions respectives.
Quels enseignements peut-on tirer de ces résultats?
Le projet GII apporte de nombreux éclairages. Premièrement, il révèle que l’innovation est un phénomène mondial. Il apparaît en effet que l’innovation n’est pas le fait des seuls pays de l’OCDE3, car on trouve des chefs de file de l’innovation partout dans le monde, comme en témoigne la présence de pays d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord au palmarès des 10 premiers pays du GII. Il ressort également que toutes les régions sont représentées dans la première moitié du classement 2011. Les pays du BRIC4 et les marchés émergents en général renforcent de manière sensible leur capacité d’innovation : la Chine, le Brésil et, dans une moindre mesure, l’Inde obtiennent des résultats encourageants, notamment en ce qui concerne le sous-indice des résultats en matière d’innovation. L’existence d’une capacité à innover sur l’ensemble de la planète, ses conséquences et son caractère nécessaire soulignent à quel point il est important d’aborder le processus d’innovation et ses principes fondateurs selon une perspective mondiale.
Deuxièmement, l’innovation doit être le fruit d’une entreprise pluriacteurs. Il importe que les gouvernements aident à établir des institutions, renforcent le capital humain et adoptent des politiques plus favorables envers les marchés et le rattrapage du retard technologique. En contrepartie, il incombe aux entreprises du secteur privé de jouer le jeu en participant de manière plus active au financement et à la réalisation de projets de recherche-développement, en débloquant du capital-risque et en investissant davantage dans les secteurs axés sur le savoir. À ce sujet, il est utile de noter que les écarts les plus importants entre les pays à revenu élevé et les pays à faible revenu se situent au niveau des piliers institutions, perfectionnement des marchés et capital humain et recherche.
Troisièmement, il est important – et possible – de prendre des mesures qui contribueront à doper l’innovation dans un secteur donné de l’économie, comme le montrent les multiples cas de réussites et de meilleures pratiques partout dans le monde. Le rapport GII offre de nombreuses pistes d’action à cet égard. Il importe de consolider certains piliers “chancelants” : on constate en effet que dans plusieurs pays, des résultats peu convaincants au niveau du pilier “capital humain et recherche” vont de pair avec de faibles résultats scientifiques. Les économies du monde entier peuvent ainsi s’appuyer sur les conclusions du GII pour déceler leurs propres atouts et faiblesses, comparer leurs résultats à ceux de pays semblables et parvenir à un consensus quant aux domaines d’action souhaitables.
À quelles difficultés vous êtes-vous heurté pour mesurer l’innovation?
Ces dernières années, de très nombreux ouvrages ont tenté de définir des indicateurs de l’innovation. Le GII fait fond sur ces approches et s’efforce d’introduire de nouvelles perspectives, aussi bien en ce qui concerne les conceptions traditionnelles que novatrices de l’innovation. Pour autant, aborder l’innovation selon une approche élargie, globale, comme s’efforce de le faire le GII, est une démarche relativement récente et il reste très difficile de restituer de nombreux aspects de l’innovation (à l’image des éléments de l’économie informelle), et encore plus ardu de les mesurer au moyen d’indicateurs objectifs.
Le GII a notamment pour ambition de sonder le plus grand nombre possible d’économies dans le monde. Or, cette opération demeure une gageure car il est généralement impossible d’obtenir des donnés pertinentes et actualisées à l’échelle mondiale. Toutes les données officielles disponibles auprès d’organisations internationales comme la Banque mondiale, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Union internationale des télécommunications (UIT) ont été exploitées, bien que les activités de ces organisations excluent de nombreux éléments de mesure de l’innovation essentiels. Enfin, réunir plusieurs indicateurs pour former une mesure simple de l’innovation dans une économie donnée présente de multiples difficultés statistiques et autres, notamment lorsqu’il s’agit d’étudier des pays souvent différents en termes de superficie, de population et de stade de développement économique.
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1 M. Soumitra Dutta est rédacteur de l’Indice mondial de l’innovation ainsi que cofondateur et directeur universitaire de l’e-lab de l’INSEAD, un centre d’excellence dans l’enseignement et la recherche sur l’économie numérique.
2 Alors que le GII est calculé comme la moyenne du sous-indice des moyens mis en œuvre en matière d’innovation et du sous-indice des résultats en matière d’innovation, l’indice d’efficacité de l’innovation est calculé comme le rapport entre le sous-indice des résultats en matière d’innovation et le sous-indice des moyens mis en œuvre en matière d’innovation.
3 L’Organisation de coopération et de développement économiques
4 Le Brésil, la Fédération de Russie, l’Inde et la Chine
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