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Le nouveau visage de l’innovation

Février 2012

Sacha Wunsch Vincent, économiste principal, Division de l’économie et des statistiques

L’innovation est un moteur essentiel de la croissance économique et du développement. Source d’emplois de meilleure qualité, elle permet aux entreprises d’être concurrentielles sur le marché mondial et de trouver des solutions à des problèmes techniques et économiques. Suite au lancement par l’OMPI, en novembre 2011, du Rapport mondial sur la propriété intellectuelle, le Magazine de l’OMPI inaugure une nouvelle série consacrée à l’étude des nouvelles tendances en matière d’innovation d’un point de vue économique. Dans ce premier article, l’auteur se penche sur le nouveau visage de l’innovation et sur les nouveaux modes d’utilisation de la propriété intellectuelle pour appréhender le paysage de l’innovation.

Schéma 1 : L’essentiel des dépenses en R-D
continue de provenir des pays à revenu élevé


Dépenses mondiales en R-D, par groupes de revenu,
en dollars PPA de 2005, 1993 et 2009


Note: Les données relatives à la R-D se rapportent aux Dépenses intérieures brutes
de recherche développement (DIRD). Le groupe des pays à revenu élevé comprend
39 pays et celui des pays à revenu faible et intermédiaire 40 pays. La parité de
pouvoir d’achat (PPA) est un taux de conversion monétaire qui permet d’exprimer dans
une unité commune et de rendre égaux les pouvoirs d’achat des différentes monnaies.
(Source: Estimations de l’OMPI, fondées sur des données provenant de l’Institut de
statistique de l’UNESCO, d’Eurostat et de l’OCDE, septembre 2011.)

L’innovation se déplace

De tout temps, le visage de l’innovation – “qui”, “comment” et “pourquoi” – n’a cessé de se transformer. Comprendre ces évolutions est essentiel pour garantir un cadre de politique générale favorable.

Selon les estimations, l’innovation – l’art de créer de nouveaux produits ou procédés – représente pas moins de 80% des gains de productivité dans l’ensemble de l’économie des pays à revenu élevé. Au niveau des entreprises, celles qui innovent dégagent de meilleures performances que leurs homologues non innovantes et stimulent la croissance économique.

Les données relatives à la recherche développement (R-D) et les schémas d’investissement jettent un éclairage intéressant sur les nouvelles tendances en matière d’innovation. Bien que les dépenses mondiales de R-D restent l’apanage des pays à revenu élevé, le fossé technologique se comble entre les pays riches et les pays pauvres et l’innovation présente une dimension de plus en plus internationale.

Entre 1993 et 2009, les dépenses de recherche développement au niveau mondial ont presque été multipliées par deux en termes réels. Cette même période ayant également été marquée par une forte croissance de l’économie mondiale, la part du produit intérieur brut (PIB) consacrée à la R-D a connu une hausse plus modeste, passant de 1,7% à 1,9% en 2009.

Il ressort également des données sur la recherche développement que la part du PIB consacrée à ce secteur dans les pays à revenu élevé – près de 2,5% – est deux fois plus importante que celle des pays à revenu intermédiaire et représente quelque 70% des dépenses mondiales en R-D. Ces données montrent par ailleurs une hausse de 13% de la part des dépenses mondiales en R-D provenant des pays à revenu faible et intermédiaire entre 1993 et 2009. La Chine représente plus de 10% de cette hausse et se classe ainsi au deuxième rang des pays ayant consacré le plus gros effort à la recherche développement en 2009, devançant le Japon pour la première fois.

Les dépenses en R-D ne donnent cependant qu’une image parcellaire du paysage de l’innovation. Par delà les dépenses formelles de R-D, les résultats d’un pays en matière d’innovation dépendent en effet d’investissements plus conséquents dans le savoir et plus particulièrement dans l’éducation et l’introduction de nouveaux équipements.

L’innovation non technologique – qui englobe les innovations en termes d’organisation, de commercialisation, de dessins et modèles et de logistique – constitue elle aussi un important facteur d’amélioration de la productivité. L’augmentation rapide des investissements des entreprises dans des actifs incorporels (lesquels sont supérieurs, dans certains pays, aux investissements dans des actifs corporels) témoigne de la place accrue accordée au savoir en tant que source de valeur – et à la propriété intellectuelle en tant que moyen d’exploitation de cette valeur. Des études complémentaires fondées sur la valeur des titres composant l’indice Standard & Poor’s 500 indiquent que les actifs incorporels représentent 80% environ de la valeur moyenne d’une entreprise.

L’innovation prend une dimension de plus en plus internationale

La mobilité accrue des étudiants, des employés hautement qualifiés et des scientifiques stimule l’échange de savoirs à l’échelle internationale. À preuve la prolifération des articles scientifiques et techniques à comité de lecture rédigés par des coauteurs de nationalités différentes et la multiplication des brevets déposés par des inventeurs provenant de plusieurs pays.

Parallèlement, les multinationales sont de plus en plus nombreuses à implanter leurs infrastructures de recherche développement dans plusieurs pays – certains pays à revenu intermédiaire enregistrant une croissance particulièrement rapide en la matière. Les données sur le top 1000 mondial des entreprises qui investissent dans la R-D montrent que les investissements en R-D d’un petit nombre de multinationales de pays à revenu intermédiaire, notamment la Chine et l’Inde, s’établissent désormais à un niveau comparable à celui de leurs homologues de pays à revenu élevé. Le poids économique croissant de ces pays donne lieu à des types d’innovation dite “frugale”, “arrière” or “par le haut” pour qualifier la mise au point de produits répondant aux besoins des consommateurs sur ces marchés. S’il est encore difficile de déterminer quelles seront les ramifications économiques de cette nouvelle tendance, on constate qu’elle a déjà un effet sur les stratégies de gestion de la propriété intellectuelle des entreprises.

L’innovation accorde t elle une plus grande place à la collaboration et à l’ouverture?

La collaboration accrue au sein du processus d’innovation est un aspect très débattu du nouveau paradigme de l’innovation. Si certains ont mis l’accent sur le caractère de plus en plus “ouvert” de l’innovation, il n’en reste pas moins difficile d’évaluer l’ampleur et l’importance véritables de l’innovation ouverte. D’une part, il est difficile de faire clairement la distinction entre les stratégies d’innovation ouverte et les pratiques de collaboration établies de longue date. De même, il est difficile de remonter à l’origine de la mise en œuvre de stratégies d’innovation “ouverte” au sein des entreprises.

Si certaines données témoignent effectivement d’une collaboration accrue, et notamment d’une tendance à l’augmentation du nombre de demandes internationales de brevets déposées conjointement et du nombre d’alliances en R-D dans certains secteurs, la collaboration officialisée est manifestement loin d’être la règle.

Les exemples de nouveaux procédés sont légion, à l’image des initiatives d’externalisation ouverte, des prix ou des concours et des plates formes sur Internet où les entreprises peuvent lancer des défis. Dans ce type de contexte, il est fréquent que la propriété intellectuelle et l’innovation ouverte aient un caractère complémentaire en ce sens que les plates formes d’innovation ouverte prévoient généralement des règles similaires en matière de cession de propriété intellectuelle et de propriété des idées générées. La propriété intellectuelle est soit reprise par la firme initiatrice contre le montant du prix remporté, soit soumise à une concession future ou à une autre entente contractuelle.

Schéma 2 :  Les dépôts de demandes de brevet à l’étranger sont
le principal facteur de croissance du nombre de dépôts dans le monde



Source : WIPO (2011). L’augmentation massive des demandes de brevet au niveau
mondial, PCT/WG/4/4. Étude établie pour le groupe de travail du Traité de coopération
en matière de brevets (PCT). Genève : Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle

La titularité de la propriété intellectuelle au cœur des stratégies d’entreprise

Ces dernières années, les stratégies des entreprises innovantes étant davantage axées sur la titularité de la propriété intellectuelle, la politique en matière de propriété intellectuelle occupe une place de premier plan en ce qui concerne la politique d’innovation.

Les dernières statistiques publiées par l’OMPI en décembre 2011 montrent que le nombre de demandes de brevet dans le monde a augmenté, passant de 800 000 au début des années 80 à près de deux millions en 2010. Cette augmentation s’est faite par paliers, le Japon se plaçant en tête de peloton dans les années 80, rejoint par les États Unis d’Amérique, l’Europe et la République de Corée dans les années 90 puis, plus récemment, par la Chine.

Si plusieurs facteurs expliquent cette augmentation rapide du nombre de demandes de brevet, dont certains spécifiques à tel pays ou à tel secteur d’activité, on distingue néanmoins deux grandes tendances, à savoir :

  • une plus grande intégration économique et le fait que les déposants cherchent de plus en plus à protéger leurs brevets à l’étranger. Une analyse du nombre de demandes de brevet dans le monde selon les premiers dépôts (à savoir la première fois où une demande de brevet est déposée où que ce soit dans le monde) et les dépôts postérieurs (à savoir les dépôts de cette même invention dans d’autres pays) montre que ces derniers représentent un peu plus de la moitié de la croissance de ces 15 dernières années; et
  • une hausse des investissements dans les savoirs. Si l’on compare la croissance du nombre de premiers dépôts à la croissance des dépenses de R-D en valeur réelle, on constate qu’à l’échelle mondiale, la seconde a augmenté plus vite que la première, ce qui laisse à penser que les investissements dans les savoirs sont au cœur de la croissance du nombre de demandes de brevet. Cela dit, les tendances en matière de brevets et de R-D sont très variables selon les pays et les secteurs d’activité, ce qui a des répercussions importantes sur la manière dont les entreprises innovent.

Par ailleurs, les demandes d’enregistrement de marques et de dessins et modèles industriels ont également connu une croissance soutenue. Ainsi, le nombre de demandes d’enregistrement de marques dans le monde est passé de 1 million par an au milieu des années 80 à près de 3,7 millions en 2010. De même, le nombre de demandes d’enregistrement de dessins et modèles industriels dans le monde a plus que doublé, passant d’environ 290 000 en 2000 à 650 000 en 2010.

L’essor des marchés du savoir fondés sur les droits de propriété intellectuelle

Schéma 3 : Les dépenses et recettes internationales
au titre des redevances et droits de licence sont en hausse


Dépenses et recettes au titre des redevances et droits de licence, en millions
de dollars des États Unis d’Amérique
(à gauche) et en pourcentage du PIB (à droite), 1960 2009



Note: Les données relatives au PIB proviennent de la Banque mondiale.
(Source: OMPI, sur la base de données tirées de l’étude d’Athreye,
S. et Yang, Y. (2011) intitulée Disembodied Knowledge Flows in the World Economy.
Documents de recherche économique de la Division de l’économie et des statistiques.
Genève : Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle.

La fréquence accrue des concessions de droits de propriété intellectuelle et l’émergence de nouveaux intermédiaires sur le marché de la technologie témoignent de l’essor des marchés du savoir fondés sur les droits de propriété intellectuelle et d’une hausse des échanges de droits de propriété intellectuelle ces dernières décennies. Ainsi, en valeur nominale, les recettes internationales au titre des redevances et droits de licence ont augmenté, passant de 2,8 milliards de dollars des États Unis d’Amérique en 1970 à 27 milliards en 1990, avant d’atteindre 180 milliards en 2009, dépassant la croissance du PIB mondial.

Les intermédiaires existent depuis de nombreuses années sur le marché de la technologie. Cependant, de nouveaux “teneurs de marché” ont fait leur apparition, à l’image des centres d’échange, des échanges, des ventes aux enchères de propriété intellectuelle et des négociations en matière de propriété intellectuelle, en plein essor. Parallèlement, les universités et les organismes publics de recherche sont de plus en plus nombreux à créer des bureaux de transfert de technologie pour tirer parti de leurs droits de propriété intellectuelle.

Les analyses de l’ampleur des transactions de propriété intellectuelle restent néanmoins à l’état embryonnaire. Les données dont on dispose montrent que dans la plupart des pays, les entreprises concèdent généralement des licences d’exploitation sur moins de 10% de leurs brevets, les recettes au titre des redevances et droits de licence représentant de 1 à 3% de l’ensemble de leurs revenus. Bien sûr, les marchés de la technologie sont limités par rapport au chiffre d’affaires des entreprises ou à la production économique globale. Pour autant, ils jouent un rôle de plus en plus déterminant sur la façon d’innover et méritent à ce titre une attention particulière.

Les nouvelles politiques et pratiques en matière de propriété intellectuelle

Le nouveau visage de l’innovation remet en cause des pratiques établies de longue date au sein des entreprises. En effet, pour demeurer compétitives, les entreprises doivent s’adapter. Par delà le recours accru aux marchés du savoir et aux nouveaux intermédiaires spécialisés en propriété intellectuelle, les entreprises et autres organisations expérimentent également de nouvelles politiques et pratiques en matière de propriété intellectuelle, notamment :

  • Les publications sans dépôt de demande de brevet : Certaines entreprises décident de publier des informations détaillées sur des inventions qu’elles n’ont pas l’intention de protéger par un brevet. De type défensif, ces publications de divulgations techniques permettent de lever le secret sur des technologies potentiellement importantes et d’empêcher des tiers de demander des brevets à leur égard (voir, par exemple, la base de données IP.com sur l’état de la technique).
  • Les dons de propriété intellectuelle : Les entreprises donnent libre accès à une partie de leur propriété intellectuelle au public, aux entreprises du même secteur ou aux innovateurs. L’entreprise donatrice peut décider d’agir ainsi lorsqu’elle juge que la propriété intellectuelle n’est pas économiquement intéressante ou lorsque l’invention nécessite des efforts de développement supplémentaires qu’elle ne souhaite pas consentir. Ces dons peuvent également viser à produire des avantages plus larges sur le plan social. Dans le cadre de l’initiative WIPO Re:Search par exemple, des sociétés ont fait le choix de mettre des actifs de propriété intellectuelle à la disposition des chercheurs dans le but d’accélérer la mise au point de médicaments contre les maladies tropicales négligées, le paludisme et la tuberculose.
  • La collaboration avec les universités : Lorsqu’elles traitent avec les universités, les entreprises se montrent de plus en plus créatives en termes d’élaboration et de mise en œuvre de leurs politiques de propriété intellectuelle, l’objectif étant à la fois de favoriser la coopération et de garder la maîtrise des opérations (à l’image, par exemple, des partenariats établis par Philips et différents hôpitaux universitaires pour la mise au point de solutions sanitaires.
  • Les communautés de brevets : Phénomène récent, la multiplication des communautés de brevets pour répondre à des problèmes sanitaires, écologiques ou sociaux se révèle bénéfique non seulement pour les détenteurs de brevets mais aussi pour l’ensemble de la société. Elles permettent en effet d’introduire de nouvelles technologies et favorisent l’interopérabilité de différentes technologies. La plate forme ‘“Eco Patent Commons”, par exemple, a été créée par de grandes sociétés informatiques dans le but de rendre accessibles au public des brevets liés à la protection de l’environnement.

Si certaines tendances en matière d’innovation sont bien appréhendées, d’autres méritent un examen plus approfondi. Nul doute que le visage de l’innovation sera amené à évoluer dans les prochaines années. Certaines tendances devraient perdurer tandis que d’autres apparaîtront sans crier gare. Il importe donc que les décideurs, les entrepreneurs et les chercheurs portent en permanence un regard vigilant sur le terrain mouvant de l’innovation pour garantir l’évolution constante d’un cadre de politique générale favorable et la mise en œuvre de stratégies de gestion des droits propriété intellectuelle efficaces.

Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.